La traversée de la Mer Rouge, une histoire vraie ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Culte enfants-adultes du 14 octobre 2018

La traversée de la Mer Rouge, une histoire vraie ?

Prédication du dimanche 14 octobre 2018, par le pasteur Christian Baccuet

Lectures :           

  • Exode 14, 9-14, 21-31
  • Esaïe 51, 9-11
  • 1 Corinthiens 10, 1-4

 

Je partage avec vous ce soir une des histoires les plus connues de la Bible, une des plus impressionnantes aussi : le passage de la Mer Rouge par les hébreux sous la conduite de Moïse.

Récit épique. Les Hébreux, esclaves en fuite, sont poursuivis par le grand Pharaon, roi d’Egypte, et ses soldats d’élite. Arrivés devant la mer, ils se croient perdus. Mais voici que la mer s’ouvre et les Hébreux peuvent passer à pied secs. Quand les Égyptiens arrivent, la mer se referme et les ennemis sont noyés. Les Hébreux sont sains et saufs !

Récit spectaculaire. Nous avons tous en mémoire la manière dont le cinéma d’Hollywood a pu rendre compte de cet événement en montrant la mer déchaînée qui se sépare en deux murailles d’eau pour laisser un passage ouvert, et les hébreux passent au son d’une musique grandiloquente. La représentation qu’en a donnée Cecil B. DeMille en 1956 dans son film « Les dix commandements » marque à jamais notre imaginaire. Nous imaginons bien comme cela peut plaire à ceux qui aiment les effets spéciaux. Mais il nous faut aussi reconnaître que ce récit pose problème à notre rationalité... Cette histoire est-elle une légende inventée pour impressionner des générations de lecteurs ? Ou est-elle l’écho d’un événement réel ?

Et la question qui nous vient immédiatement à l’esprit est la suivante : ce récit est-il vrai ?

 

1 – La Bible, un sens donné à l’histoire

Ce récit est-il vrai ? Tout de suite, je voudrais répondre : oui !

Je m’en explique. Au cœur de la foi chrétienne est la Bible. Ce livre n’est pas un livre inventé de toutes pièces. Il a été écrit par des hommes qui y ont recueilli les histoires, les réflexions, les prières transmises pendant des générations, au gré des événements de leur vie, de leurs souffrances et de leurs projets, de leur recherche et de leur espérance… des mêmes expériences et questions existentielles que nous. Dans la foi, nous recevons cette Ecriture comme inspirée. Elle devient alors pour nous la Parole qui, à travers l’expérience et le témoignage de ces croyants, nous parle de Dieu. Un Dieu qui n’est pas une idée ou un principe, mais une personne. Une personne avec qui l’on peut entrer en relation, dialoguer, vivre. Une personne qui ne réside pas dans un ciel lointain, qui ne se trouve pas non plus dans la nature, mais une personne qui vient dans l’histoire. Qui se mêle de l’histoire des hommes, qui chemine, souffre et lutte avec eux, contre eux parfois, pour eux toujours. C’est parce que Dieu partage l’histoire des hommes que nous pouvons aujourd’hui le rencontrer dans notre propre histoire, dans notre propre vie.

Dans le Premier Testament, l’expérience fondatrice du peuple hébreu est une expérience historique, celle de la libération de l’esclavage. Un groupe d’esclaves, soumis à la mort et à la vie par le bon vouloir de ses maîtres, devient un peuple à part entière. Cette liberté ne tombe pas du ciel, elle est longue à advenir. Comme pour une naissance, il faut passer à travers l’épreuve. La résistance du Pharaon à laisser partir ses esclaves et les dix plaies d’Egypte disent que la liberté n’est jamais donnée par l’oppresseur, mais toujours à arracher. La traversée de la Mer dit l’obstacle qui peut se dresser sur la route, l’impossible qui peut être traversé. Le veau d’or, l’errance de 40 ans dans le désert, le doute, la soif, la révolte, disent la douloureuse marche que représente la construction d’une vie libre… La route est longue avant de pouvoir entrer en terre promise, là où coulent le lait et le miel. Cette histoire a été la véritable expérience des hébreux. C’est elle qui est la source de leur foi. C’est à travers elle qu’ils ont fait la connaissance de Dieu comme d’un libérateur, leur sauveur. C’est lui dont ils se sont transmis la mémoire, la présence, l’espérance, de génération en génération.

La Bible n’est pas un livre d’histoire tel que l’on comprend aujourd’hui ce terme : le compte-rendu le plus exact possible, le plus impartial possible, d’événements dûment contrôlés et de sources soigneusement recoupées. On sait d’ailleurs qu’une telle histoire n’existe pas, même de nos jours : toute histoire est nécessairement interprétation ; l’histoire n’est pas les faits, elle est leur relecture, leur mise en perspective, la tentative de leur trouver un sens. Il en est de même pour la Bible. L’histoire qu’elle nous rapporte est interprétation. Elle est lecture théologique des événements. Elle est recherche de sens à partir d’expériences. Elle est transmission d’une foi. Elle ne raconte pas pour raconter, elle raconte pour faire vivre. C’est pour cela qu’elle est vraie.

 

2 – La traversée de la Mer

Ainsi en est-il du récit du passage de la Mer Rouge. Il évoque l’expérience d’esclaves en fuite, aux alentours de 1250 avant notre ère. Leur libération a été dure à obtenir, ils ont eu peur de ne pas y arriver. Selon la logique humaine, les Hébreux n’auraient pas dû s’en sortir. Derrière eux les soldats étaient surarmés, à leur poursuite avec des chars et des armes, la mort était certaine. Devant eux la mer était hostile comme une barrière, la noyade certaine. Ils n’étaient rien, et leur histoire allait s’arrêter là. La peur les faisait paniquer. Alors Moïse a ouvert la bouche, pour partager la certitude que Dieu est présent, de nuit comme de jour : « N’ayez pas peur, tenez bon, et vous verrez comment le Seigneur interviendra aujourd’hui pour vous sauver. En effet, ces Égyptiens que vous voyez aujourd'hui, vous ne les reverrez plus jamais » (Exode 14, 13). Dieu est comme une nuée qui protège, comme un feu qui guide. Il est une force qui accompagne les siens. Le danger qui les poursuit encore aujourd’hui bientôt ne sera plus. Moïse les a appelés à la confiance en Dieu. Et l’incroyable s’est produit. L’obstacle de mort est devenu lieu de passage, chemin de liberté, naissance à la vie. La mer a été traversée, les égyptiens ont disparu. L’horizon s’est éclairé, la route barrée s’est ouverte, l’impossible est devenu possible !

Comment ? On ne peut savoir exactement. Le récit biblique est confus sur les faits, il ne permet pas de reconstituer l’événement comme l’a fait Hollywood – et il nous faut nous sortir de la tête cette représentation spectaculaire qui nous détourne du sens profond de ce texte. Si on s’en réfère à la géographie, on peut penser qu’il s’est produit une très forte marée d’équinoxe qui a ouvert un gué à travers une zone marécageuse. Les Hébreux à pied ont pu passer, tandis que les Égyptiens se sont embourbés avec leurs chars, puis ont été noyés quand la marée est revenue au galop. C’est possible. Mais peu importe.

Peu importe, car l’essentiel n’est pas de reconstituer un fait passé – dont le déroulement exact nous échappe –, mais de trouver un sens à l’événement de la liberté advenue, de l’impossible salut devenu réalité. L’essentiel, c’est qu’à travers ce passage de l’esclavage à la liberté, les Hébreux ont reconnu la main de Dieu. S’ils s’en sont sortis, ce n’est pas par leurs propres forces, mais grâce au Seigneur. Ce n’est pas une théorie, un savoir philosophique, un dogme qu’ils partagent dans la Bible. C’est une expérience vécue. Leur expérience. Dieu est celui qui libère. Celui en qui l’on peut mettre sa confiance. Celui qui fait vivre. Cela est vrai !

Cette expérience est tellement forte, qu’elle irrigue toute la Bible. J’en donne deux exemples. Le premier, c’est le récit de la création, en Genèse 1. De nombreux termes se retrouvent partagés avec le récit du passage de la Mer Rouge. Il y est question de vent et de ténèbres, de nuit et de jour, de la parole de Dieu, d’eau qui se retire pour laisser apparaître le sec… Le Dieu créateur est le même que celui qui a sauvé son peuple ! Le deuxième exemple, c’est l’annonce du retour d’exil. L’exil est, après l’exode, l’autre expérience fondamentale du peuple hébreu ; il a eu lieu plusieurs siècles après, au VIe siècle avant notre ère. Les habitants de Jérusalem ont été emmenés en exil à Babylone. Leur pays a été envahi, leur roi a été fait prisonnier, leur ville a été incendiée, leur temple a été détruit. Tous leurs repères se sont effondrés. Alors le prophète Esaïe s’est levé pour redonner espérance aux déportés. Pour leur annoncer la libération, le retour d’exil, il leur a parlé d’un nouveau passage de la mer : « N'est-ce pas toi [Seigneur] qui asséchas la mer, les eaux du grand océan ? Et toi qui traças un chemin dans les profondeurs de la mer, pour y faire passer ceux que tu as libérés ? Le Seigneur délivrera les siens. Ils reviendront à Jérusalem et ils y entreront en criant de bonheur. Une joie éternelle illuminera leur visage, une joie débordante les inondera, tandis que chagrins et soupirs se seront évanouis » (Esaïe 51, 10-11). On pourrait citer d’autres exemples, tels la traversée du Jourdain sous la conduite de Josué, pour entrer en terre promise – texte que nous avons lu mercredi dernier dans le groupe biblique du mercredi et qui fait écho au passage de la Mer Rouge ; en traversant à sec la Mer Rouge, les hébreux ont laissé derrière eux leur passé d’esclaves, en traversant à pied sec le Jourdain 40 ans plus tard, s’ouvre devant eux l’horizon d’une terre et d’un avenir.

Le passage de la Mer Rouge est ainsi un événement qui fonde la foi des hébreux. Ce passage de la mort à la vie est vrai parce que leur foi est vraie.

 

3 – Une histoire vraie pour nous

Et si cela est vrai pour les hébreux, alors cela peut être vrai pour nous. Car sommes-nous si différents d’eux, plus de trois mille ans après ? Si souvent nous sommes coincés dans des situations sans issue. Entre les Égyptiens et la mer, entre notre douleur de vivre et notre manque d’espérance, entre un passé trop lourd et un avenir bouché, entre des responsabilités écrasantes et une sérénité introuvable, entre des mauvaises relations et notre difficulté à partager... Ces situations sont sans issue à vues humaines. Mais la foi, c’est croire qu’aucune fatalité n’est plus forte que la Parole de Dieu. La Parole est force pour nos vies. Pas souvent de manière spectaculaire. Le plus souvent de manière tellement discrète qu’on peut ne pas la voir. Mais toujours comme une présence vraie. Comme une nuée qui protège, comme une lumière qui guide, comme une Parole qui fait s’ouvrir des passages sur notre chemin, comme une naissance qui fait advenir la liberté. C’est une expérience vraie, dans la foi !

Ce n’est pas une théorie, c’est une expérience, et chacun de nous pourrait témoigner de cela dans sa vie. Et chacun de nous a besoin du témoignage de ses frères et sœurs dans la foi quand parfois le doute le saisit, la peur de ne pas y arriver, la tentation de renoncer. C’est pour cela que nous nous rassemblons régulièrement, comme ce soir, en Eglise. Pour faire mémoire, c’est-à-dire, selon le sens biblique de la mémoire, rappeler l’espérance qui est devant nous, et en vivre, déjà, aujourd’hui.

Et pour cela, deux sacrements nous sont donnés. Un sacrement, c’est le signe visible de la grâce, un moment partagé en Eglise, dans la suite des paroles de Jésus, pour nous aider à vivre dans la foi, l’amour, l’espérance. C’est un acte qui se déroule au cours d’un culte – en Eglise – dans le partage simple d’un peu d’eau, d’une peu de pain et de vin. En protestantisme, nous avons deux sacrements, parce que Jésus lui-même nous a invités à les vivre, et parce qu’ils renvoient tous deux à sa mort et à sa résurrection.

Le premier sacrement, c’est le baptême. Que nous ayons été baptisés enfants, adolescents ou adultes, que nous ayons été baptisés par immersion totale ou pas aspersion de quelques gouttes d’eau sur la tête, peu importe ; l’essentiel, c’est que le baptême est un passage. Passage par l’eau, traversée vers la liberté à la suite du Christ mort et ressuscité au temps de Pâques, au cœur de la fête juive qui commémore la sortie d’Egypte. Passage de la mort à la vie. Dans le baptême, Dieu dit au baptisé qu’il le connaît personnellement, et qu’il chemine avec lui, qu’il lui donne son amour, totalement, sans conditions, définitivement ; c’est la foi, cette relation d’amour entre Dieu le Père et nous qui nous aide à grandir sereinement. Par le signe du baptême, Dieu appelle le baptisé à se mettre debout derrière le ressuscité, à quitter ce qui lui fait peur, à regarder devant, à avancer dans la vie ; c’est l’espérance, cette invitation à devenir libres. Par le signe du baptême, Dieu appelle le baptisé à rejoindre son Eglise, cette grande famille de ceux qui ont mis leur foi et leur espérance dans le Dieu qui aime et qui libère, et qui se soutiennent les uns les autres, et qui témoignent de cela ; c’est l’amour, ce partage fraternel au cœur de la communauté chrétienne. Comme le passage par la Mer Rouge a marqué pour les hébreux l’entrée dans la liberté, le baptême est, en Christ, passage par l’eau pour naître à la vie. C’est ce que Paul écrivait aux chrétiens de Corinthe : « Je veux que vous vous rappeliez, frères, ce qui est arrivé à nos ancêtres du temps de Moïse. Ils ont tous été sous la protection du nuage et ils ont tous passé à travers la mer Rouge. Dans le nuage et dans la mer, ils ont tous été baptisés en communion avec Moïse » (1 Co 10, 1-2).

Le baptême est signe de l’entrée dans la liberté. Mais cette liberté n’est que le début d’une longue route, et sur cette route il y parfois des épreuves, souvent de la fatigue ; il est besoin d’être nourris et abreuvés, régulièrement. C’est pourquoi nous est donné la cène, le repas du Seigneur. Dans ce même passage de sa première lettre aux Corinthiens, après avoir évoqué le passage de la Mer Rouge comme étant une figure du baptême, Paul continue ainsi : « Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et ils ont tous bu la même boisson spirituelle : ils buvaient en effet au rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher était le Christ » (1 Co 10, 3-4). La cène, ce repas où nous partageons le pain et le vin, est un repas de passage. Il est le repas du Seigneur, qui est passé de la mort à la vie pour ouvrir des chemins là où tout semblait être bouché. Il est le repas où des forces nous sont redonnées pour traverser les épreuves et marcher avec le Christ sur les chemins de la vie. Il est le repas qui fait de nous, ensemble, un peuple libéré, heureux, témoin de l’Evangile.

Comme pour les hébreux autrefois derrière Moïse, cela est vrai pour nous aujourd’hui. Portés dans la Parole de Dieu, emportés par la grâce de l’Evangile, transportés dans la joie de l’Esprit, nous pouvons vivre, vraiment. C’est-à-dire la mettre derrière nous ce qui fait mal, pèse et détruit, et avancer libres, sereins et confiants dans la vie. Le chemin de la vie chrétienne est un chemin qui prend source dans une libération, un chemin qui se dirige vers l’horizon du Royaume, un chemin accompagné chaque jour par le Christ. En lui, dans toutes les situations bloquées de notre existence, nous pouvons entendre la parole qui nous dit comme autrefois aux Hébreux : « N’ayez pas peur, tenez bon, et vous verrez comment le Seigneur interviendra aujourd’hui pour vous sauver ».

Oui, assurément, cette parole dit vrai !

Amen.

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