Quand un enfant nous révèle Dieu — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Quand un enfant nous révèle Dieu

Prédication du dimanche 3 décembre 2017, par le pasteur Christian Baccuet.
Matin : baptême d’Isaac, 20 mois.

Lectures

  • Esaïe 7, 10-16
  • Matthieu 1, 18-23

 

Aujourd’hui, jour de fête : baptême du petit Isaac, chants accompagnés par la chorale et le chœur liturgique, accueil des amis de la paroisse de St Colomba de Stirling (Ecosse), reconnaissance pour les deux journées de vente et d’amitié que nous venons de vivre, nos enfants dans les groupes de jardin biblique et d’école biblique nous préparant le culte « Noël avec les enfants » du 17 décembre… Aujourd’hui, 1er dimanche de l’Avent, temps de l’attente joyeuse, de la préparation à l’accueil du Seigneur. Temps de l’espérance renouvelée.

Aujourd’hui, aussi, bien des souffrances dans ce monde et peut-être dans la vie de certains d’entre nous. Par bien des aspects, notre temps est désespérant : guerres, attentats, familles sur les chemins de l’exil, injustices criantes, réchauffement climatique... Et dans nos vies et celles de ceux que nous aimons, combien de douleurs, de pression et de dépressions, d’égoïsmes et d’agressivité, de conflits et de déchirures…

 

Nous sommes comme pris dans un conflit : désespérer ou espérer ? Mais je ne voudrais pas plomber la joie de ce jour ! La Parole de Dieu n’est pas là pour nous écraser, nous faire porter un poids supplémentaire voire nous culpabiliser – bien des religions ou des religieux s’en chargent hélas… – mais elle nous est donnée pour nous élever, pour nous dé-désespérer. Et le temps de l’Avent, particulièrement, nous replace devant la dynamique de l’Evangile. Contrairement à bien des aspects de nos vies qui nous conduisent à la résignation ou à l’abandon, ou à la construction d’une carapace d’insensibilité, l’Evangile met en perspective nos vies. Dans la finitude de ce monde, dans l’éphémère de nos existences, il nous propose une espérance joyeuse.

Quel signe peut nous être donné pour nous aider à l’entendre et à la vivre, nous remettre debout, nous redonner cette espérance ? 

 

 

1. Au temps d’Esaïe, un signe

 

L’attente d’un signe n’est pas nouvelle. Elle est celle de notre humanité profonde et elle résonne au cœur de toute la Bible. Au VIIIe siècle avant notre ère, elle était celle des habitants de Jérusalem, plongés dans des tourbillons géopolitiques et une angoisse terrible, car des ennemis avançaient vers la ville.

En l'an 735 avant Jésus-Christ, la ville de Jérusalem et son roi, Akhaz, sont en effet dans une situation très difficile, sans véritable perspective. Le royaume d'Assyrie (l'actuelle Irak) est la puissance montante de la région. Face à cette puissance, il n'y a pour chaque petit royaume du Proche-Orient que deux solutions : ou se soumettre volontairement à la domination assyrienne, ou s'engager avec d'autres pour tenter de créer une coalition de résistance. Le roi Akhaz, du Royaume de Juda dont la capitale est Jérusalem, décide de tenter la voie du compromis avec les assyriens. Mais ses deux voisins du nord, le roi Retsîn, du royaume de Syrie dont la capitale est Damas, et le roi Péqah, du royaume d'Israël dont la capitale est Samarie, veulent résister. Pour contraindre Jérusalem à les suivre, leurs armées s'avancent vers le sud. C'est la guerre, guerre d'autant plus terrible qu'elle est une guerre entre hébreux, ceux du nord, du royaume d'Israël (appelé Ephraïm dans notre passage), contre ceux du sud, du royaume de Juda.

Le roi du sud, Akhaz, ne sait pas trop quoi faire. Il est presque au bord de la panique. Alors Dieu lui envoie un prophète, Esaïe, dont le nom signifie « Dieu sauve » (Yesha`yah – יְשַׁעְיָה), pour l’encourager et lui proposer un signe d’espérance. AKhaz, dans sa terreur ou dans son narcissisme, refuse ce signe ; il veut se débrouiller tout seul. Mais, quand on désespère, il n’est pas bon de s’enfermer sur soi-même, aussi Dieu lui donne-t-il quand même un signe.

 

Ce signe, c’est celui-ci : « la jeune fille est enceinte, elle mettra un monde un fils et l’appellera Emmanuel » (v. 14). Littéralement, Immanou-El (עִמָּ֫נוּאֵ֫ל), ce qui signifie « Dieu est avec nous ».

 

 

2. Quatre niveaux de lecture

 

Cette promesse peut se lire à quatre niveaux différents.

Le premier niveau de lecture de ce texte est celui de l’histoire. On ne sait pas exactement qui est l’enfant annoncé. Dans le contexte du VIIIe siècle au Proche-Orient, il est probable qu’est annoncé au roi Akhaz la naissance d’un fils, donc d’un héritier, d’un successeur, d’un prolongement de la dynastie, d’un avenir au-delà des événements en cours : le conflit ne sera pas la fin de son histoire [1].

Plus important que la personne elle-même est son nom : « Dieu avec nous », promesse que Dieu n’abandonne pas les siens. Et la perspective de sa vie : il sera nourri de crème (ou de lait fermenté) et de miel, qui sont des nourritures d’un temps d’abondance, signes d’une période de paix ; avant qu’il ait atteint l’âge de raison, les royaumes ennemis auront disparu, ce sera le temps de la délivrance.

 

Le deuxième niveau projette la lecture de ce texte plus loin que le court terme historique du règne d’Akhaz, pour lui donner une dimension messianique, c’est-à-dire une perspective d’espérance à une échelle plus large, plus lointaine aussi : l’espérance du jour où surgira un descendant de David pour inaugurer la présence définitive de Dieu avec les siens, dans un pays où, comme autrefois en terre promise, couleront le lait et le miel, vision paradisiaque dans la culture biblique.

C’est cette lecture qui conduit les juifs au cours des siècles, attente qui nourrit l’espérance d’un peuple par-delà le temps d’une vie, qui met des croyants en route. Attente mûrie dans les aléas de l’histoire et transmise de génération en génération.

 

Le troisième niveau de ce texte est celui de sa lecture chrétienne. Dès les débuts du christianisme, les croyants ont vu dans la personne de Jésus l’incarnation de cette attente messianique. L’annonce à Joseph dans l’évangile de Matthieu en est l’expression : un ange lui apparaît dans un rêve – manière biblique de dire que c’est Dieu qui lui donne d’entendre cette parole – pour lui annoncer que Marie, sa fiancée, est enceinte et qu’elle accouchera d’un fils ; ce messager cite le prophète Esaïe : « La vierge sera enceinte ; elle mettra au monde un fils et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous » (Mt 1, 23). C’est la première citation de l’Ancien testament dans le Nouveau. La promesse faite à Akhaz plus de sept siècles auparavant est renouvelée, l’attente messianique est accomplie, l’espérance de « Dieu avec nous » se réalise.

Cette naissance est comme une surprise – une divine surprise ! –, l’irruption dans le monde d’un inattendu qui ouvre des espaces nouveaux. Le fils qui va naître de Marie, comme celui qui était annoncé plusieurs siècles au temps d’Esaïe, est Emmanuel : Dieu avec nous. Cette présence est de l’ordre du salut, c’est-à-dire de la pleine relation à Dieu, et le nom même qui sera donné à l’enfant à naître le signifie : Jésus veut dire « Dieu sauve » (Ἰησοῦς, transcription de l’hébreu Yehowshuwa` –  יְהוֹשׁ֫וּעַ), comme « Esaïe ». Jésus est Dieu avec nous. Cette affirmation christologique ouvre l’Evangile de Matthieu, dans son premier chapitre.

Cette même affirmation se trouve à la toute fin du même évangile, après la résurrection, quand Jésus se manifeste à ses disciples et les envoie sur toute la terre avec la mission de faire des gens « de toutes les nations » des disciples, les baptiser et leur enseigner tout ce que Jésus leur a appris : nous avons lu ce passage tout à l’heure avant le baptême d’Isaac, avec cette phrase qui accompagne toute la vie chrétienne : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). « Je suis avec vous », dernière phrase de l’évangile, première phrase de notre vie chrétienne, promesse qui élargit l’espérance à la terre entière et aux confins de l’éternité ou, pour le dire autrement, englobe toute notre existence, chaque jour !

Entre le début de l’évangile et sa fin, cette promesse retentit une autre fois, au milieu de l’écrit de Matthieu : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18, 20) : le Christ, Emmanuel, Dieu avec nous, né de Marie et de l’espérance de tout un peuple, crucifié et ressuscité pour signifier la présence de Dieu chaque jour pour chaque être humain, est présent quand deux ou trois se rassemblent en son nom !

 

Et nous voilà au quatrième niveau de résonnance de ce texte, aujourd’hui dans ce temple, dans nos vies, dans notre monde. Au cœur de nos désespérances ou de nos résignations, cette promesse résonne encore, renouvelée ici et maintenant : Dieu est avec nous, au début de notre vie, au cœur de notre vie, à l’ouverture de notre vie !

 

 

3. Un petit enfant

 

Et quel est le signe de cela ?

Au temps d’Esaïe, le signe est ce petit enfant à naître. Au cœur de l’espérance messianique est la venue de Dieu parmi les siens. Au cœur de l’Evangile est la manifestation de Dieu en Jésus-Christ, incarné dans un petit enfant né en Judée il y a deux mille ans. Au cœur de notre espérance, aujourd’hui, le signe résonne encore fort : un petit enfant.

Ce n’est pas rien que le signe de la présence de Dieu soit un petit enfant ! Un petit enfant, c’est un signe plein de sens. Nous avons vu tout à l’heure combien un petit enfant est émouvant, au moment de son baptême : fragile, aimé, accueilli, ouvert à l’avenir. C’est ce signe qui nous est donné dans la foi chrétienne : dans un mode de performance, d’immédiateté, de « faire » et d’éphémère, c’est un enfant qui nous est donné comme fondement de notre existence.

 

Un petit enfant est fragile. Cela dit la révélation de Dieu dans la fragilité, la faiblesse – et ce depuis la crèche jusqu’à la croix –, en proximité avec nos propres fragilités, nos faiblesses.

Un petit enfant a besoin d’être entouré d’amour. Cela dit la révélation de Dieu dans une parole d’amour pour nos vies, comme un père ou une mère dit à son enfant « je t’aime », d’une manière inconditionnelle et définitive, dans l’élan d’une grâce prévenante.

Un petit enfant est dépendant. Cela dit la révélation de Dieu dans la relation, dans la confiance offerte et reçue, dans le soutien, dans l’apaisement.

Un petit enfant a la capacité à la découverte, à l’émerveillement. Cela dit la révélation de Dieu dans la beauté, la joie, la création, la lumière, le pardon.

Un petit enfant a l’avenir devant lui. Cela dit la révélation de Dieu dans une promesse d’un avenir en construction, ouvert au matin de Pâques, la vie plus forte que la mort, l’amour plus fort que la haine, le temps qui espère plus fort que les existences qui se recroquevillent.

Un petit enfant a besoin d’être accompagné sur le chemin de sa vie. Cela dit la révélation de Dieu dans l’histoire, dans le temps, dans les hésitations et les choix d’une vie, dans la liberté pour chacun de suivre son propre chemin.

Un  petit enfant est une personne qui nous rejoint pour cheminer avec nous. Nous l’avons dit lors du baptême d’Isaac tout à l’heure : sa place est désormais marquée dans l’Eglise et, quel que soit son chemin, elle restera marquée. Cela dit la révélation de Dieu qui rassemble les croyants en Eglise, dans une communauté fraternelle d’entraide, de bienveillance, d’accueil, d’ouverture.

Un petit enfant a besoin de nous, comme nous avons besoin de Dieu. Et, par ce petit enfant, sans doute Dieu nous dit-il qu’il a besoin de nous, lui aussi !

 

Bref, un petit enfant, cela nous dit que l’espérance nous est donnée comme un élan dans ce monde fragile, souvent obscur, parfois désespéré. Cela nous est dit dans la parole d’Esaïe qui se déploie à travers les siècles et se réalise en Jésus, promesse de paix. Cela nous est redit aujourd’hui par le baptême d’Isaac, promesse de joie – le nom d’Isaac signifie « il rit » : Yitschaq (יִצְחָק). Cela nous est dit sans cesse, tous les jours de nos vies, promesse d’espérance. Dieu est avec nous, joyeuse nouvelle !

 

Aujourd’hui, premier dimanche de l’avent, jour de fête. Jour où la présence du Seigneur avec nous, nous est renouvelée pour que nos vies, aujourd’hui, ici et maintenant, soient fête. Pour que, dans ce monde de finitude, nous puissions voir au-delà de tout ce qui peut décourager, vivre l’espérance et participer à son advenue, poser à notre tour des signes du règne de Dieu, déjà commencé, encore à venir.

Fête où nous sommes nous-mêmes les signes dont ce monde a besoin : enfants de Dieu, avec lui dans la confiance et l’espérance, témoins de sa grâce. Dieu est avec nous, pour que nous soyons nous avec Dieu, et ainsi nous avec les autres, ouverts, accueillants, libres… Comme des petits enfants, signes de la présence de Dieu dans ce monde !

Amen.

 

[1] Pour certains historiens, il s’agirait plutôt de l’annonce de la naissance d’un fils du prophète Esaïe, doté d’un nom symbolique comme d’autres de ses fils (voir Esaïe 8, 18 : « moi-même et les enfants que le Seigneur m’a donné, nous sommes des signes et des présages en Israël de la part du Seigneur »). Cela ne change pas le sens de ce signe.

 

Pour aller plus loin
L'Avent, cheminer vers Noël
Mots-clés associés : , , , , ,