Un cœur qui écoute (comment souhaiter un bonne année) — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Un cœur qui écoute (comment souhaiter un bonne année)

Prédication du dimanche 10 janvier 2021, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : 1 Rois 3, 5-15

 

En ce début d’année, nous sommes en pleine période des vœux… alors je vous souhaite une bonne année !

 

1. Que souhaiter, et comment ?

Mais qu’est-ce que l’on souhaite quand on dit « Bonne année » ?

a. Quels vœux ?

On complète souvent le « Bonne année ! » par « et bonne santé ! » : le vœu que la personne à qui l’on s’adresse ne soit pas meurtrie par des douleurs physiques, des souffrances morales, par ces épreuves qui pèsent quand nous les portons sur nous ou en nous ; le vœu que le corps et le moral de ceux qu’on aime soient paisibles. Vœu légitime et bien intentionné !
Traditionnellement, on ajoute parfois « Meilleur vœux de prospérité » ou « de réussite »… le souhait que la personne à qui l’on s’adresse ne soit pas dans le manque, l’angoisse de l’avenir, qu’elle puisse s’appuyer sur le confort d’une aisance matérielle, voire développer sa richesse. Vœu légitime et bien intentionné !
Et puis, la plupart du temps, avec des mots divers, on souhaite bonheur, amour, sérénité, paix… le vœu que la personne à qui l’on s’adresse soit heureuse, calme, confiante, joyeuse, que les soucis et les malheurs soient loin d’elle. Vœu légitime et bien intentionné !
En ce début 2021, ces vœux résonnent particulièrement. La question de la maladie est présente, avec la menace du virus qui peut se répandre si vite et parfois si douloureusement. Les conditions économiques et sociales sont dures, dramatiques pour certains. Nous vivons un temps de tensions, de violence, d’injustices, de diminution des libertés et de développement de la défiance, comme autant d’ennemis qui nous font mal… Nous ne sommes plus aussi naïfs qu’il y a un an et avons plus de peine à souhaiter une bonne année cette année, car nous savons que nous en avons au moins pour plusieurs mois d’incertitude. En même temps, nous avons peut-être plus envie que jamais envie de souhaiter une longue vie, la richesse et la disparition de ce qui fait mal aux relations. Car ce sont trois besoins fondamentaux : la sécurité physique, la sécurité matérielle, la sécurité relationnelle.
C’est ce que l’on souhaite aux autres, parce que l’on sait que c’est important pour nous. C’est ce que l’on désire pour soi-même. Si l’on pouvait demander ce que l’on veut et que cela nous soit accordé, alors sans doute est-ce cela que nous demanderions : une longue vie, la richesse, la disparition de nos ennemis. Ne plus être ennuyé par la crise sanitaire, la crise économique, la crise du vivre ensemble. Quand nous disons « Bonne année : », nous portons tout cela, pour les autres et pour nous. Pour ce monde aussi, au sein de notre humanité souffrante. Ce n’est pas rien de souhaiter bonne année !

b. Trois possibilités

Nous avons trois possibilités pour le faire.
Nous pouvons dire « bonne année » comme on dit « bonjour », en une formule de politesse : c’est ainsi que, la plupart du temps, se disent les vœux, notamment quand il s’agit des vœux institutionnels, ceux de la mairie, ceux d’une entreprise… Mais aussi mes vœux machinalement dit au voisin, écrits en bas d’un mail. Formules parfois toutes faites, qui peuvent être des vœux pieux. Certes, on fait des efforts pour renouveler les phrases, pour employer d’autres mots, d’autres formules. Mais cela revient au même : on souhaite des choses fortes, et cela ressemble à des banalités. Pire, le plus souvent ce que l’on a souhaité n’arrive pas, l’année ne peut pas être sans aspérités, la vie sans épreuves. Cela devient un automatisme qui n’engage pas à grand-chose. On n’a pas prise sur ce qui va advenir. On souhaite un monde meilleur mais, au fond, on ne croit pas qu’il advienne un jour…
Il y a une deuxième solution : dire bonne année comme on dit une formule magique, pour que se réalise ce que l’on souhaite. C’est la solution « lampe d’Aladin » ! Vous savez, cette lampe magique qui se trouve dans les contes, qu’il suffit de frotter pour qu’un petit génie apparaisse ; il nous demande ce que nous voulons et cela se réalise ! Hélas, ce n’est que dans les contes, pas dans la vraie vie… Ça ne marche pas et c’est bien décevant. On souhaite un monde meilleur, mais au fond on croit que ce serait un miracle s’il advenait…
Et puis il y a une troisième manière, c’est celle de Salomon. Le grand roi d’Israël, dans le récit que nous avons entendu tout à l’heure.

2. La demande de Salomon

Salomon, au moment de cet épisode, vient d’accéder au trône d’Israël, à la suite de David son père, vers 970 avant Jésus-Christ. Il accède au pouvoir dans des conditions difficiles : David, à la fin de son règne, est fatigué, affaibli, et sa succession suscite des convoitises ; Adonias, un de ses fils, estime que c’est à lui de succéder à son père. Salomon n’est que le onzième fils de David, et il est le fils de Bethsabée, celle dont David a fait tuer le mari pour la prendre pour femme. Situation de crise, et c’est finalement Salomon qui est choisi par son père. A la mort de David, il monte sur le trône. Il a enfin le pouvoir tant désiré, pour lequel il s’est préparé, pour lequel il s’est battu. Enfin l’honneur, la puissance. Et voici que Dieu lui fait cette proposition : demande ce que tu veux et je te le donnerai ! C’est une occasion en or ! Il va pouvoir demander ce que désire toute personne au pouvoir, ce que désire tout être humain, ce qui est au fond de chacun de nous : une longue vie, la richesse, la mort de ses ennemis.

a. Salomon demande

A l’offre de Dieu, Salomon répond. Et ce qu’il demande ce n’est ni une longue vie, ni la richesse, ni la mort de ses ennemis. Ce qu’il demande est bien plus fondamental : « Veuille, Seigneur, me donner l’intelligence nécessaire pour gouverner le peuple et discerner ce qui est bon ou mauvais pour lui », traduit la Bible en français courant (v. 9). Littéralement, il demande « un cœur qui écoute » .
Dans la Bible, le cœur ce n’est pas que le lieu de l’émotion et de l’affectif, c’est aussi celui de l’intelligence et de la volonté ; cela désigne la personne dans ces deux dimensions essentielles : ressentir et réfléchir. Salomon demande que toute sa personne soit ouverte à Dieu, attentive, sache discerner, c’est-à-dire choisir entre ce qui est bien et ce qui est mal.
Il fait cette demande pour lui, mais ce n’est pas un souhait égoïste : il demande ce dont il a besoin pour gouverner avec justice et sagesse, pour être en capacité d’accomplir sa responsabilité envers son peuple. Il demande un cœur qui écoute pour que, par lui, le bien puisse être partagé avec les siens.

b. Dieu répond

Et Dieu répond à sa demande ! Dieu exauce le vœu de Salomon. Il va lui donner la sagesse et l’intelligence, littéralement, en hébreu : « un cœur sage et intelligent »  (verset 12). Pas le fait d’être sage comme une image, poli, silencieux, soumis, conforme… Pas le fait d’être intelligent au sens d’une supériorité de culture ou de sens critique. La sagesse et l’intelligence au sens de ce qui lui permet de discerner entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. Et l’on sait que ce discernement est difficile, car ce qui est bon pour l’un peut être mauvais pour l’autre, ce qui est bon maintenant peut être mauvais demain. Et vice versa… Il va aussi lui donner une longue vie, la richesse et la victoire sur ses ennemis – le règne de Salomon sera définitivement associé, dans la mémoire, à une longue période de paix et de prospérité, même si la fin de son règne sera difficile (la vie reste toujours la vie, avec ses épreuves et nos faiblesses). Mais il lui donne surtout un cœur sage et intelligent, qui fera de lui le roi qui sait discerner.
L’épisode qui suit ce récit est d’ailleurs celui du fameux « jugement de Salomon », quand le roi reçoit deux femmes revendiquant chacune pour elle-même le même bébé et qu’il va trancher (!) avec justesse et rendre le bébé à sa vraie mère. Et toute la suite de son histoire le montre édifiant le temple de Jérusalem, fortifiant les villes de son royaume, développant le commerce, donnant du rayonnement culturel à son pays, établissant la paix avec ses voisins… Salomon le sage. Sage dans sa demande, et sage par la sagesse reçue, un cœur qui écoute. Le nom même de Salomon exprime cela, puisque Shalomon c’est l’homme du shalom, l’homme de la paix (cf. 1 Chroniques 22, 9 : « Il naît de toi un fils (…) : son nom sera Salomon (שְׁלֹמֹה), et j'accorderai la paix (שָׁלוֹם) et la tranquillité à Israël pendant ses jours ».

 

3. Trois enseignements

Je tire de ce récit trois enseignements pour nos vœux les uns pour les autres et pour ce monde. Ce « monde de demain » dont nous craignons qu’il ne soit pas différent de celui d’hier, peut-être même pire, mais dont nous aimerions qu’il soit meilleur, plus juste, plus équitable, plus fraternel... Comment formuler le vœu que ce monde advienne ?

a. Une prière

Le premier enseignement que je tire de notre récit, c’est que Salomon exprime sa demande dans un échange de parole avec Dieu, qui est une prière.
D’abord Salomon dit merci. Il ne se précipite pas dans la demande, dans l’exigence d’une satisfaction immédiate de ses désirs. Il n’attend pas d’être satisfait pour remercier. Il commence par exprimer sa reconnaissance. Reconnaissance pour la fidélité de Dieu à David son père, s’inscrivant ainsi dans une histoire, une tradition, une filiation, un mouvement qui le dépasse, le précède et le porte. Reconnaissance pour la fidélité de Dieu à sa promesse, pour la grâce que ce Dieu offre dans sa présence au fil d’une histoire mouvementée. La prière est d’abord mémoire, louange et reconnaissance.
Ensuite il se présente devant Dieu tel qu’il est : « me voilà roi, mais je suis comme un petit garçon, je ne sais rien faire ». Il est jeune, inexpérimenté. Même roi, il se présente en vérité avec sa faiblesse, sa dépendance, ses craintes. La prière est expression d’humilité, relation d’authenticité, dialogue de vérité.
Ce n’est qu’ensuite qu’il exprime sa demande, au cœur de sa reconnaissance, au creux de son humilité. Ainsi sa demande n’est pas une demande précipitée, égoïste, autocentrée, mais une demande vraie, essentielle.
Premier enseignement : que nos vœux s’enracinent dans la prière, pas dans une formulation vide et désincarnée mais dans la juste relation à Dieu, dans sa présence, dans une parole d’amitié partagée avec lui. Placer ce que l’on souhaite pour les autres dans le cœur de Dieu, dans la reconnaissance, dans l’humilité, dans la confiance. Remettre les autres à Dieu, dans ce lien fort qui redonne souffle à la vie, même quand celle-ci est éprouvée.
En Jésus-Christ, nous savons que Dieu n’est pas quelqu’un qui se désintéresse de nous. Dieu chemine avec nous dans la réalité de notre existence, dans le quotidien de ce monde, avec les hommes et les femmes, parmi nous, comme un compagnon. Sa présence n’évite pas l’épreuve, mais nous permet de nous appuyer sur lui pour la traverser, lui qui, à la croix, s’est fait compagnon de nos douleurs, et qui au matin de Pâques, a ouvert une route sur laquelle il nous entraîne, route d’amour, de foi et d’espérance ! Formuler nos vœux dans la prière, c’est finalement souhaiter que ceux que l’on aime puissent, comme nous, avoir Dieu comme compagnon fidèle, aimant, solide.

b. Un engagement

Deuxième enseignement important : cette prière, pour Salomon comme pour nous, est une manière de s’engager dans la réalisation de ce que l’on souhaite. Salomon demande un cœur qui écoute, afin de pouvoir bien gouverner son peuple. Il ne le demande pas pour lui, mais pour que par lui cela serve à d’autres. Il ne formule pas un vœu qui le dégage de toute responsabilité, au contraire c’est un vœu qui l’engage pour les autres. Ainsi en est-il des vœux que nous formulons pour les autres et pour ce monde, si ce ne sont pas des formules de politesse ou des demande magiques : ce sont des paroles qui nous engagent, pour, là où nous sommes, pouvoir apporter un peu de ce que nous sommes pour que se réalise ce que nous souhaitons.
La prière n’est pas formule vide, rite automatique et sans force. Elle n’est pas davantage lampe d’Aladin, attente passive que Dieu intervienne. Elle peut être confiance, expression de foi, c’est-à-dire réponse à la promesse de Dieu, responsabilité, engagement dans la relation à celui pour lequel on prie. Comme le dit Laurent Gagnebin, joindre les mains ce n’est pas croiser les bras. Souhaiter un monde plus juste, c’est s’engager dans sa réalisation, concrètement, ici et maintenant, autour de soi, dans des associations, des choix politiques, en Eglise. La prière, si elle est vraie, nous engage !

c. Une espérance

Ainsi, formuler des vœux dans la prière de confiance en Dieu et dans l’engagement de notre personne dans la relation aux autres, c’est ouvrir un chemin, voir au-delà du temps présent, se projeter vers demain. Bibliquement, on nomme cela l’espérance. Toute la Bible se déploie sur un axe d’espérance, dans un regard porté au-delà du poids du passé et des vicissitudes du présent. Elle est un livre de mémoire qui porte l’avenir, de présent habité par une promesse, de futur orienté dans l’espérance du Royaume, c’est-à-dire de la plénitude de la vie, de nos vies réconciliées en Dieu.
Nous sommes aujourd’hui dans un temps de crise sanitaire, certes, mais nous sommes portés par l’espérance d’un temps où la pandémie sera derrière nous, où nous serons à nouveau libres de nos déplacements, de nos rencontres, de notre temps. Nous traversons un temps de crise économique, mais nous sommes portés par l’espérance d’un monde plus équilibré, plus juste, un monde meilleur, où le partage sera une réalité. Nous sommes plongés dans un temps de crise d’angoisse, mais portés par l’espérance d’un jour où nos ennemis seront vaincus : la peur, l’injustice, la violence, le repli sur soi, un temps où la fraternité sera réellement vécue.
Cette espérance, c’est celle du Royaume de Dieu, quand toutes choses seront renouvelées en lui. Ce temps, c’est déjà ce que nous pouvons en construire, ici-bas, nous qui sommes appelés à être signes, instruments et avant-goût de ce Royaume.


A la fin du récit, Salomon se réveille : c’était un rêve. Dans la Bible, le rêve n’est pas ce qui est hors du réel, mais un lieu où Dieu parle. Salomon a réellement dialogué avec Dieu. Alors il se tient dans l’alliance avec le Seigneur (le coffre dans le temple de Jérusalem, qui contient les dix commandements), dans la relation à lui (des sacrifices) et dans la fête (un banquet).
Un jour, nous nous réveillerons du cauchemar sanitaire, économique et sécuritaire dans lequel nous sommes plongés, et nous ferons la fête en présence du Seigneur. Aujourd’hui, nous savons que Dieu est déjà là, au bord de notre prière, dans l’engagement de nos vies, dans l’espérance du jour d’après.
Qu’aujourd’hui, déjà, il nous donne un cœur qui écoute, et qu’ainsi, en Jésus-Christ, que cette année soit une année d’Evangile reçu, vécu et partagé, une année de fête… bonne année !


Amen.