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As-tu raison d'être en colère ?

Texte de la prédication du dimanche 11 septembre 2022, par le Pasteur Christian Baccuet. Cycle de prédications : "Jonas, le prophète rebelle"

As-tu raison d’être en colère ?

 

Lecture : Jonas 4

Pentemont-Luxembourg, 11 septembre 2022. Prédication du pasteur Christian Baccuet.

Vidéo du culte du matin : cliquer ici.

 

 

L’histoire de Jonas… magnifique conte biblique. Au mois d’août, nous avons parcouru les trois premiers chapitres de ce livre, qui sont pour nous éclats d’Evangile[1].

Un jour, Dieu s’adresse à Jonas pour lui demander d’aller dire à la grande ville de Ninive que le mal qu’elle fait lui déplait. Ninive est la cité ennemie des Hébreux. Jonas s’enfuit le plus loin possible de Dieu et de la mission qu’il lui donne. Il monte dans un bateau pour aller à Tarsis, au bout du monde, dans la direction opposée à Ninive. Mais voilà qu’une grande tempête se lève, le bateau dans lequel il se cache menace de couler. C’est Dieu qui rattrape Jonas, car Dieu a besoin de lui. Les marins du bateau se convertissent à Dieu, Jonas est jeté par-dessus bord et la tempête s’apaise. Jonas est alors avalé par un grand poisson dans lequel il reste trois jours et trois nuits ; c’est Dieu qui le sauve de la mort et qui l’envoie de nouveau en mission à Ninive. Cette fois-ci, Jonas y va, et il annonce aux habitants de la ville que Ninive va être détruite. Les habitants renoncent au mal qu’ils faisaient, prient Dieu, et Dieu renonce au mal qu’il avait prévu de leur faire.

Belle histoire que celle du livre de Jonas, qui dit la bonne nouvelle pour les marins qui se convertissent au chapitre 1, pour Jonas qui est sauvé de la noyade au chapitre 2, pour les habitants de Ninive qui reçoivent le pardon de Dieu au chapitre 3. Bonne nouvelle d’un Dieu qui s’intéresse à tous les êtres humains, dont la grâce est universelle, au-delà des appartenances nationales, culturelles, religieuses. Il n’y a que de quoi se réjouir… mais Jonas, lui, ne se réjouit pas du tout. Mais vraiment pas du tout. Il est franchement en colère.

Ce chapitre 4 est centré sur Jonas. Il est comme un parcours spirituel auquel Jonas est invité. Un chemin de foi qui est tracé devant lui. Un cheminement spirituel qui peut être le nôtre, à chacun des Jonas que nous sommes. Un parcours en 5 étapes.

 

1. Colère et dépression

Première étape, la colère. Le chapitre 4 commence ainsi. Jonas prend fort mal le fait que Ninive ne soit pas détruite. Il est furieux contre Dieu.

Rappelons-nous que Ninive n’est pas n’importe quelle ville. C’est la capitale de l’empire assyrien, la puissance dominante au temps de Jonas (8ème siècle avant notre ère), qui va bientôt envahir le Royaume d’Israël et le détruire. C’est la figure du mal absolu. Au temps où le livre de Jonas est écrit, au 5ème siècle avant notre ère, le souvenir de Ninive est vivace et ce nom résonne encore comme symbole de l’ennemi de Dieu et de son peuple. Le peuple hébreu se reconstruit après le retour de l’exil à Babylone, dans un moment de fièvre nationaliste et de zèle religieux exclusiviste.

 

On comprend la colère de Jonas. Il aurait aimé que Ninive soit détruite. Il est furieux. Il est furieux, et en même temps il glisse dans une sorte de dépression. Il a envie de mourir, de s’enfermer dans cet espace où l’on n’est plus sollicité, heurté, malmené, fatigué.

Situation douloureuse pour Jonas, ici, qui fait écho dans nos vies. Colère, dépression… nous les connaissons, ces moments, plus ou moins intenses, que nous traversons quand quelque chose nous heurte au plus haut point et nous fait mal. Colère de la révolte, tentation de l’abandon.

Le premier temps du chemin spirituel est celui de la situation dans laquelle nous nous trouvons, habités par tout ce que nous avons vécu, subi, fait jusque-là. Situation douloureuse ici, mais cela peut être aussi temps de sérénité, de confiance, d’engagement. C’est là où nous sommes, là où nous en sommes que commence notre chemin spirituel. Un parcours de foi n’est pas un horizon lointain, mais un premier pas qui se fait ici et maintenant, au creux de notre vie.

 

2. La prière

Deuxième étape, la prière.

Dans cette situation de colère et de dépression, Jonas va parler à Dieu. Il va lui dire ce qu’il a sur le cœur. Et ce qu’il lui dit explique tout son parcours jusque-là. Ce qu’il dit à Dieu est essentiel : « Je savais tu es un Dieu bienveillant et compatissant, patient et d'une immense bonté, toujours prêt à revenir sur tes menaces ». Belle confession de foi… mais tellement difficile à vivre. Que Dieu soit bienveillant, compatissant, patient et d’une immense bonté, d’accord, mais pas pour nos ennemis, quand même !

Jonas exprime ici les raisons de sa fuite loin de sa mission, au chapitre 1. Il se doutait bien que Dieu risquait de pardonner aux Ninivites, il ne voulait pas être complice de cela. Et l’on comprend ainsi qu’au chapitre 3 il a obéi à Dieu mécaniquement, sans adhérer au sens de sa mission. Alors, il s’adresse à Dieu pour tout déballer, sa colère, sa dépression, sa foi et le refus de cette foi.

J’aime cette prière de Jonas. Il s’adresse à Dieu avec tout ce qui l’habite, y compris le reproche à Dieu d’être ce qu’il est. La prière est un moment où l’on peut parler à Dieu en vérité, dire ce que l’on a sur le cœur, et même hurler contre lui. Quand on lit les Psaumes, on voit bien que ce sont des prières dans lesquelles s’expriment toutes les émotions humaines : détresse, appel à l’aide, reconnaissance, louange, tristesse, révolte contre Dieu, et même demande de mort pour nos ennemis. C’est-à-dire que l’on peut exprimer tout ce que l’on pense, et même ce que l’on ne pense pas mais que l’on ressent.

Car Dieu entend la prière et il y répond. La réponse de Dieu à nos prières n’est pas forcément l’exaucement de ces prières – heureusement, notamment si on demande la mort de nos ennemis ! La réponse de Dieu est sa présence, son écoute, la relation qu’il accepte, même si elle est mouvementée. Et la réaction de Dieu ici n’est pas dire à Jonas : tais-toi ! Elle est de lui dire : parle, continue à t’exprimer, va plus loin dans ce que tu vis. « As-tu raison d’être en colère ? » Ne reste pas là où tu en es, mais creuse, approfondis.

La prière est cet espace de disponibilité à Dieu, où l’on peut tout dire, où l’on peut se mettre en disponibilité aux paroles de Dieu, à ses questions qui nous poussent à aller plus loin, à avancer. C’est le deuxième temps d’une démarche spirituelle. A partir de là où on est, s’adresser en toute sincérité à Dieu et recevoir de lui une parole qui fait avancer.

Mais ça ne marche pas à tous les coups. Ce n’est pas une recette, c’est un chemin. Et le chemin, parfois, n’est pas simple et linéaire, mais complexe et tortueux. Jonas refuse de répondre à la question de Dieu. Il ne veut pas aller plus loin. Il sort de la ville, il quitte l’espace de réjouissance de ceux qui ont été sauvés par Dieu, il ne veut pas en être. Comme au premier chapitre, il s’enfuit mais, aujourd’hui, il ne s’enfuit pas à l’autre bout de la terre, loin de la face du Seigneur. Sans qu’il le sache, il est déjà en cheminement. Il reste dans les parages, pour voir ce qu’il va se passer dans la ville. Qui sait, Dieu va peut-être revenir à la raison et punir les Ninivites ?

La prière n’est pas une solution magique. C’est un moment important dans un cheminement spirituel, mais ce n’est pas l’arrivée de ce chemin. Il y a une troisième étape.

 

3. L’expérience personnelle de la grâce

Troisième étape : l’expérience personnelle de la grâce.

Jonas attend de voir ce qu’il va se passer dans la ville. Est-ce lui qui a raison, ou Dieu ? Il attend de voir ce qui va arriver aux autres, et c’est à lui qu’il va arriver quelque chose. Une expérience de vie et de mort.

Dieu fait pousser une plante pour donner de l’ombre à Jonas, pour l’abriter, le guérir de sa mauvaise humeur. Je trouve cela merveilleux ! Dans le dialogue avec Dieu, ce dernier s’en prend plein la tête, avec les reproches de Jonas, sa colère, son refus de répondre, sa fuite dans l’envie de mourir. Et ce qu’il fait, discrètement, c’est une tentative de guérir Jonas de sa mauvaise humeur. L’aider à aller plus loin, à revenir à la paix, à la sérénité, à la confiance. Dieu se soucie de Jonas.

Dieu fait pousser une plante. On ne sait pas exactement ce qu’est cette plante, qui s’appelle en hébreu un qiyqayown (קִיקָיוֹן) ; elle n’apparaît dans la Bible que dans le livre de Jonas. Là aussi, c’est merveilleux ! Dieu fait pousser une plante pour Jonas, uniquement pour lui. Pas une plante qui sert pour d’autres, pas une plante que l’on retrouve partout, pas une plante banale, connue, répertoriée. Une plante spéciale, rien que pour lui. Dieu se soucie de Jonas.

Et, encore une merveille dans ce récit : Jonas en éprouve une grande joie. Après la colère et la dépression, après la prière où il exprime ce qu’il a sur le cœur mais refuse d’entrer en dialogue véritable, le voilà qui ressent de la joie. Cela avance ! C’est la première fois de son histoire que l’on voit Jonas éprouver de la joie. Il ressent le geste de Dieu pour lui, cette plante offerte et son ombre apaisante. Il fait l’expérience de la grâce de Dieu pour lui, de son attention, de sa présence. Belle étape sur le chemin de la foi.

Mais patatras, tout s’effondre aussi vite que cela a été vécu. Dès le lendemain, Dieu envoie un ver qui attaque la plante et elle sèche. Puis Dieu fait souffler un vent brûlant, le soleil tape sur la tête de Jonas qui est à deux doigts de s'évanouir. Et le revoilà comme au départ du chapitre : il souhaite la mort. « Je préfère la mort à la vie », dit-il au verset 8 comme il le disait au verset 3.

Le chemin de foi est parfois heurté, il y a des incompréhensions, ce n’est pas linéaire, les étapes se mêlent, il y a des retours en arrière. Mais est-ce vraiment un retour en arrière ? Ne serait-ce pas une étape pour avancer encore ? Comme à l’étape 2, quand Jonas dit qu’il souhaite mourir, Dieu le questionne avec la même question : « As-tu raison d’être en colère ? ». Pas tout à fait la même question, car elle est ici plus précise : « As-tu raison d'être en colère au sujet de cette plante ? » La question n’est plus une question générale, mais une question qui touche un point particulier : la plante qui a donné de la joie à Jonas et dont la disparition lui fait mal. Ce n’est plus une question qui concerne l’avis de Jonas sur le sort des Ninivites, mais une question qui le renvoie à lui-même et à sa propre expérience de la grâce.

Une question qui le touche, car, au lieu de ne pas répondre et de quitter la ville, Jonas, cette fois, répond à Dieu : « Oui, j'ai de bonnes raisons d'être en colère au point de désirer la mort ». Sa réponse peut donner l’impression qu’il n’avance pas, mais le simple fait qu’il réponde est un pas vers le dialogue.

Jonas a fait l’expérience, longue et douloureuse, de la bienveillance de Dieu pour lui. Expérience personnelle des bienfaits de cette bonté, et expérience personnelle du manque et de la douleur quand la patience de Dieu semble absente, quand sa bonté n’est plus ressentie. Expérience personnelle de la grâce, troisième étape fondamentale sur le chemin de la foi.

 

4. Comprendre la bienveillance de Dieu

Alors peut s’ouvrir la quatrième étape. Ancrée sur l’expérience personnelle de la grâce de Dieu, ressentie pour soi, peut se recevoir une compréhension renouvelée de la bienveillance de Dieu, de sa compassion, de sa patience et de son immense bonté.

Dans le dialogue enfin accepté par Jonas, Dieu va lui révéler pourquoi il a pardonné aux Ninivites : parce que pour lui ils sont importants et source de joie. Comme la plante pour Jonas. Jonas a eu pitié de cette plante qui a été pour lui comme un don et il a trouvé insupportable sa destruction. Et Dieu n’aurait pas pitié de la population de Ninive, êtres humains et animaux ? Dieu pourrait se réjouir de leur destruction ? Sacrée question que pose Dieu à Jonas.

Sacrée question que pose le livre de Jonas à ses lecteurs du cinquième siècle, enfermés dans leur nationalisme étroit et leur religion exclusiviste. Sacrée question que nous pose le livre de Jonas, comme toute l’Ecriture, comme l’Evangile, comme le Christ : comment accepter la grâce de Dieu pour soi, dans une cheminement personnel parfois long et complexe ? Et comment l’accepter pour les autres, même pour ceux qui nous dérangent, qui sont d’une autre religion, qui nous font du mal ? Comment suivre l’Evangile qui nous montre Jésus allant sans cesse vers ceux qui, selon les critères des bien-pensants de son temps, ne méritent ni la bonté de Dieu ni la considération des autres êtres humains ? Jésus, sans cesse, rencontre des personnes impures à cause de leur maladie, de leur situation sociale ou de leur profession, des personnes rejetées, étrangères, d’autres religions. Sans cesse, il leur dit, en paroles et en actes, que Dieu les aime, les considère, les relève. Qu’il est un Dieu bienveillant, compatissant, patient et d’une immense bonté, pour tous.

Sur le chemin de foi qui nous est proposé, là où nous en sommes, dans les balbutiements de notre prière, dans l’expérience personnelle que nous pouvons faire de la grâce de Dieu, peut se comprendre l’étendue de la bienveillance de Dieu, de sa compassion, de sa patience et de son immense bonté. Elle peut se comprendre et se confesser avec d’autres, en Eglise, quand nous aidons les uns les autres à la vivre.

 

5. A suivre…

Reste une cinquième étape. C’est ce que nous faisons de cela, ce que nous en vivons, ce que nous en partageons.

L’histoire de Jonas se termine sur la parole de Dieu qui interpelle Jonas. Elle ne nous dit rien de la réaction de Jonas. A-t-il compris, accepté, s’est-il réjouit pleinement et profondément, enfin ? Est-il resté bloqué dans sa colère ? A-t-il eu besoin de temps encore pour cheminer ? Le conte ne le dit pas.

Il ne le dit pas, parce que c’est à nous de le dire. A chacun de nous de le dire pour soi-même. A chacun de nous, Jonas en colère ou déprimé, Jonas en prière ou en fuite, Jonas joyeux à l’ombre de Dieu ou furieux du soleil qui nous fatigue, Jonas sensible à la bonté de Dieu ou encore en peine de l’accepter pour les autres.

L’histoire de Jonas s’arrête ici car c’est à nous de la continuer. La cinquième étape est devant nous !

Amen.

 

[1] Le texte des prédications est sur le site de la paroisse :

- Sur Jonas 1, « Echapper à Dieu ? »

- Sur Jonas 2, « Dans le ventre du poisson »

- Sur Jonas 3, « Dieu renonce au mal »