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'Le loup et l'agneau dormiront ensemble"

Texte de la prédication du dimanche 11 décembre 2022, par le Pasteur Christian Baccuet

Le loup et l’agneau dormiront ensemble 

 

Lectures bibliques :           

  • Esaïe 11, 1-10
  • Romains 15, 7-13

 

Rue Madame, 11 décembre 2022.

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

 

 

Un loup et un agneau peuvent-ils dormir ensemble ?

N’importe quelle personne d’un peu sensée répondra que non, bien sûr ! Si l’on met ensemble un loup et un agneau, mieux vaut être le loup… Un loup et un agneau ne peuvent dormir ensemble. Et voici qu’un texte très ancien, datant d’il y a environ 2800 ans, nous parle d’un temps où le loup et l’agneau dormiront ensemble. Que penser de cela ?

 

1. Un rameau

Jérusalem, 735 avant Jésus-Christ. La situation est terrifiante pour les habitants de la ville. La guerre est aux portes de la ville, les armées assyriennes s’approchent chaque jour un peu plus, écrasant toute la région sous leurs bottes. Déjà le Liban, voisin du Nord, célèbre pour ses forêts de grands cèdres, est sous domination assyrienne. Bientôt ce sera l’exil pour le Royaume d’Israël, les tribus sœurs au nord du Royaume de Juda. A Jérusalem, capitale du Royaume de Juda, c’est une période difficile, effrayante. Tout s’écroule, la situation est désespérée. Le prophète Esaïe se lamente avec force : « Le maître, le Seigneur de l'univers, fait tomber les branches avec violence ; les plus hauts arbres sont abattus, les plus élevés sont jetés bas. Les taillis de la forêt tombent sous les coups de hache, les cèdres prestigieux du Liban sont à terre » (Esaïe 10, 33-34).

Mais une parole retentit, surprenante, inattendue, provocante : tous les arbres sont abattus… mais « un rameau sort du vieux tronc de Jessé, une nouvelle pousse sort de ses racines » (Esaïe 11, 1). Au cœur de la guerre, quand les arbres tombent sous le coup des haches, au plein cœur de cette obscurité de mort, un signe de résurrection, un petit rameau, une petite pousse, un brin de vie. Alors que les arbres tombent, symboles des royaumes qui s’écroulent les uns après les autres, un enfant naît du tronc de Jessé, le père du roi David. De cette vieille famille – David a régné environ 250 ans plus tôt –, de cette dynastie à bout de souffle – les rois qui ont suivi David et son fils Salomon se sont déchirés, ont souvent été corrompus, ont toujours été grisés par le pouvoir –, sort celui sur qui reposera le Souffle du Seigneur, l’Esprit de Dieu !

C’est une parole d’espérance, qui va se développer en une attente messianique, l’attente de celui qui va venir pour ouvrir un temps de justice et de paix, pour les habitants de Jérusalem comme pour tous les humains, sur toute la terre. Tous les humains et même toute la création, et même le loup et l’agneau. Dans la foi chrétienne, cette promesse s’accomplit en Jésus de Nazareth, le « Christ », du grec Χριστός (Christos) qui est la traduction de l’hébreu מָשִׁיחַ (mashiyach), messie, celui qui est désigné (« oint ») par Dieu, celui qui est attendu, celui qui ouvre l’avenir. C’est un arbre nouveau qui surgit ainsi au cœur de l’hiver. Un signal dressé pour tous les peuples du monde ; de lui rayonnera la gloire de Dieu !

Cet arbre est dans notre temple… Regardez la croix, le signe du Christ. Un tronc dressé, debout, vertical. Et deux branches écartées, horizontales. La croix, signe de Jésus-Christ, mémoire de sa mort et signe de sa résurrection. La croix, bois du supplice de celui en qui Dieu est venu au plus proche de nous. La croix nue, sur laquelle le vivant n’est plus, ouvrant une dynamique de vie, de foi, d’espérance et d’amour. La croix, symbole du messie, le rameau issu du vieux tronc de Jessé, rappel de celui qui est né pour nous et qui est pour nous le signe dressé pour l’univers tout entier.

Notre foi en Christ, le crucifié ressuscité, est éclairée par ce texte d’Esaïe.

 

2. La croix, trois dimensions

a- Un accomplissement

La croix est plantée dans le sol. C’est le rappel de nos racines. Le petit rameau pousse sur le tronc de Jessé, il prend sa sève de la famille de David, au cœur de l’histoire du peuple hébreu. Le Christ est le messie attendu par le peuple de la Bible. Le Christ vient du peuple juif. Ce sont là nos racines, le tronc sur lequel se développe notre foi. Le judaïsme est « la racine qui nous porte », comme l’écrivait Paul aux Romains (11, 18). Ou, plus loin dans la même lettre, dans le passage que nous avons lu tout à l’heure : « Le Christ s'est mis au service des Juifs pour attester que Dieu dit vrai. En cela il a confirmé les promesses que Dieu a faites à leurs ancêtres » (15, 8). Notre foi chrétienne ne tient debout que si elle est plantée dans le sol biblique, dans la racine juive. C’est toute la promesse de Dieu, au travers des générations, depuis Abraham, qui s’épanouit en Christ. Notre lien au judaïsme est un lien vital ! C’est ce que nous rappelle l’étoile de David au plafond de ce temple : la lumière de Dieu nous vient de là. Elle nous vient de là et elle élève nos regards.

b. Un élargissement

La croix est enracinée dans le sol mais elle s’élève verticalement. L’arbre est porté par des racines mais il s’élance vers le ciel. Notre foi est enracinée mais pas tournée vers le passé. Elle est orientée vers un horizon, ce temps annoncé par Esaïe, ce temps de réconciliation générale : le loup et l’agneau, la panthère et le chevreau, le veau, le lionceau et le petit garçon, la vache et l’ourse, le nourrisson et le serpent… Comme une nouvelle création, la fin de la loi de la jungle où le fort mange le faible, le temps de la paix, du shalom.

Un temps pour tous, ainsi que le rappelle Paul en citant Esaïe : « Le descendant de Jessé viendra, il se lèvera pour gouverner les autres peuples, et ils mettront leur espoir en lui » (Romains 15, 12, citation d’Esaïe 11, 10). « Il se lèvera », verbe grec ἀνίστημι (anistémi) qui peut se traduire par « il ressuscitera ». La résurrection du Christ, c’est l’élargissement de notre foi du particulier – Jésus – à l’universel – toutes et tous, l’univers entier, chacun.e de nous !

Ce temps de la résurrection a été inauguré par Jésus-Christ au matin de Pâques. Ce temps est devant nous, encore loin de notre réalité, au futur : dans les paroles d’Esaïe, en hébreu, les verbes sont à l’« inaccompli », un temps qu dit le futur, un temps encore à accomplir. Un temps devant nous, cela ne veut pas dire que ces paroles sont un rêve poétique, futile, naïf : c’est une espérance forte, vraie, attendue avec confiance et impatience. Attendue vraiment ! Un horizon qui éclaire notre présent. L’inaccompli, en hébreu, est un temps qui indique le futur, mais qui indique aussi le présent en tant qu’il est en dynamique de réalisation. Pas encore mais déjà.

c. Aujourd’hui

Là est la troisième dimension, aujourd’hui. La croix, c’est aussi deux bras. La verticalité de la croix, plantée dans le sol biblique et dressée vers l’espérance, croise l’horizontalité de notre monde et de nos vies. Enracinés dans l’histoire biblique que Jésus accomplit, entrainés vers l’horizon eschatologique que Jésus universalise, nous marchons aujourd’hui, encore au milieu des décombres, des arbres coupés, de la loi de la jungle, mais avec le Christ qui croise nos routes, Dieu présent à nos côtés. L’Esprit du Seigneur est avec lui, qui lui donne sagesse et discernement, justice et droiture, écrit Esaïe.

Voilà ce qui éclaire le présent de notre foi : la présence du Christ. Dans la foi, nous savons que le Souffle de Dieu qui est avec lui, le Saint-Esprit, nous est donné, communiqué. Si nous pouvons marcher avec la foi biblique vers un horizon de réconciliation, c’est avec la force de l’Esprit, la foi du Christ en nous, vive et lumineuse. Une foi qui nous met debout et qui nous pousse à agir dans ce monde, sur cette terre, dans cette histoire, pour être signes de réconciliation. Le Christ, porté par le Souffle de Dieu, gouverne avec justice et droiture, en faveur des défavorisés. Comme lui, avec lui, par lui, voilà nos engagements, nos actes, nos mots orientés ici-bas : la justice, le droit, le service du défavorisé, le souci du pauvre. Espérance combative ! Non pas une morale, mais un élan de vie et de foi. Comme la croix, qui ouvre ses deux bras en un geste d’accueil, comme en écho à la parole de Paul : « Accueillez-vous les uns les autres comme le Christ vous a accueillis » (Romains 15, 7). La croix, ce sont les bras ouverts de Dieu, nos bras ouverts en ce monde.

 

3. Un appel à l’engagement dans ce monde

C’est un véritable appel qui nous est adressé par les paroles d’Esaïe et leur reprise par Paul : enraciner notre foi dans l’histoire biblique, tourner nos regards vers le Royaume qui vient, vivre chaque jour dans l’Esprit Saint en travaillant pour la justice et le souci des plus petits. C’est un accomplissement des promesses, c’est un élargissement de l’espérance, c’est une rupture aussi. Car s’engager pour la paix et la justice, cela n’est pas un parcours tranquille. C’est renoncer à bien des lieux de confort, de repli, de tranquillité. C’est se battre contre des systèmes, des idéologies, des situations de haine, de violence, d’injustices. C’est de battre aussi, souvent, contre soi-même.

L’homme est bien souvent un loup pour l’homme. Voilà pourquoi la foi n’est pas que consolation, mais appel à s’engager. Le rameau qui va sortir du tronc de Jessé, le messie, sera prince de paix, homme de justice, mais, nous dit aussi Esaïe, « sa parole, comme un bâton, frappera le pays, sa sentence fera mourir le méchant » (11, 4). La paix et la justice passent par des combats. La promesse messianique nous pousse à réagir, à nous mettre à route, à ressusciter, à être témoins de vie. Pas à faire mourir des personnes, bien sûr, mais à tuer la méchanceté en nous et autour de nous.

Au temps d’Esaïe, au milieu des arbres coupés, est annoncé la venue d’un petit rameau sur le vieux tronc de Jessé… le Messie. En ce temps de l’Avent, nous nous mettons spirituellement à l’écoute de cette promesse qui a jailli un jour à Bethléem, dans la proximité de Dieu, pour nous laisser entraîner par elle. Aujourd’hui, nous voici au pied de la croix : plantée dans l’histoire biblique, pointant vers le Royaume, étendant ses deux bras comme un appel à l’accueil, signe donné pour toutes les nations, lieu de leur jugement, lieu de leur pardon. Signe donné pour nous, fondement de notre espérance, appel à porter des fruits de foi, d’amour et d’espérance. Le loup et l’agneau ne dorment pas encore ensemble mais, déjà, nous pouvons œuvrer pour que cela commence.

Le loup et l’agneau ne sont pas ici des descriptions naturalistes, mais des symboles. Il y a dans notre monde comme dans nos vies des loups qui dévorent les agneaux et notre foi nous pousse à les combattre, par nos engagements concrets, politiques, associatifs, humains, au plan structurel comme au plan interpersonnel. Il y a en nous du loup et de l’agneau, et notre foi nous pousse à un travail en nous pour faire reculer ce qui nous encline au mal et éveiller ce qui est amour à partager. Lutte concrète, qui peut coûter, mais à laquelle notre foi biblique nous engage, notre espérance en Christ nous appelle, notre amour chrétien nous porte. Chacun à notre manière et nous ensemble, comme tant d’autres qui nous ont précédés ou qui nous entourent.

Ainsi le pasteur Martin Luther King qui évoquait Esaïe dans son discours d’acceptation du prix Nobel de la paix à Oslo il y a tout juste 58 ans, le 10 décembre 1964. Pour lui, ce n’étaient pas des paroles en l’air mais la source d’une vie engagée dans de vrais et durs combats pour la liberté, pour la réconciliation des êtres humains, pour la justice dans la non-violence, dans la force de l’amour, dans la foi en Christ :

« Aujourd'hui, dans la nuit du monde et l'espérance de la Bonne Nouvelle, j'affirme avec audace ma foi en l'avenir de l'humanité.

Je refuse de croire que les circonstances actuelles rendent les hommes incapables de faire une terre meilleure.

Je refuse de croire que l'être humain n'est qu'un fétu de paille ballotté par le courant de la vie, sans avoir la possibilité d'influencer en quoi que ce soit le cours des évènements.

Je refuse de partager l'avis de ceux qui prétendent que l'homme est à ce point captif de la nuit sans étoiles, du racisme et de la guerre, que l'aurore radieuse de la paix et de la fraternité ne pourra jamais devenir réalité.

Je refuse de faire mienne la prédiction cynique que les peuples descendront l'un après l'autre dans le tourbillon du militarisme vers l'enfer de la destruction thermo-nucléaire.

Je crois que la vérité et l'amour sans conditions auront le dernier mot effectivement. La vie, même vaincue provisoirement, demeure toujours plus forte que la mort.

Je crois fermement que, même au milieu des obus qui éclatent et des canons qui tonnent, il reste l'espoir d'un matin radieux.

J'ose croire qu'un jour tous les habitants de la terre pourront recevoir trois repas par jour pour la vie de leur corps, l'éducation et la culture pour la santé de leur esprit, l'égalité et la liberté pour la vie de leur cœur.

Je crois également qu'un jour toute l'humanité reconnaîtra en Dieu la source de son amour. Je crois que la volonté salvatrice et pacifique deviendra un jour la loi. Le loup et l'agneau pourront se reposer ensemble, chaque homme pourra s'asseoir sous son figuier, dans sa vigne, et personne n'aura plus raison d'avoir peur.

Je crois fermement que nous l'emporterons. »

Amen.