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"Que ta foi est grande !"

Texte de la prédication du pasteur Christian Baccuet, dimanche 20 août 2023.

Que ta foi est grande !

 

 

Pentemont-Luxembourg, 20 août 2023

Prédication du pasteur Christian Baccuet

Cycle de prédications « Qui est-il ? », 3/4

 

Lecture biblique : Matthieu 15, 21-28

 

 

Qui est-il ?

Tout au long des cultes de ce mois d’août, nous méditons l’Ecriture autour de cette question essentielle. Qui est-il, ce Jésus qui a vécu il y a deux mille ans en Galilée et en Judée, a rencontré des hommes et des femmes, a témoigné du Royaume de Dieu, a été arrêté et crucifié à Jérusalem ? Qui est-il, ce Christ que des hommes et des femmes ont suivi, portés par ses paroles, ses actes, sa présence, jusqu’à le rencontrer vivant après sa résurrection et s’en faire les témoins ? Qui est-il, celui que nous confessons comme Seigneur, dans la suite de tant de générations qui ont trouvé en lui sens à leur vie ? Qui est-il ?

Il y a quinze jours, Moïse Mounkoro nous a fait traverser cette question à partir du récit de la « transfiguration » qui nous montre Jésus sur une montagne avec trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean[1]. Jésus change d’apparence, il est rejoint par Moïse (l’autre !) et Elie, et une voix retentit du ciel : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui je mets toute ma joie. Écoutez-le ! ». Récit chargé de symboles qui nous dit que Jésus s’inscrit dans l’histoire et l’espérance biblique (Moïse et Elie), que Dieu lui-même – une voix qui vient des cieux – dit de lui qu’il est son Fils que les disciples sont appelés à écouter. Il est celui qui est présence de Dieu parmi nous et ses paroles contiennent l’essentiel pour ses disciples comme pour nous : « Relevez-vous, n’ayez pas peur ! »

Dimanche dernier, nous sommes remontés en arrière dans l’évangile, pour méditer avec Christine Décamp-Batier un autre récit chargé de symbole, celui de Jésus qui marche sur l’eau et permet à Pierre de le faire aussi[2]. Confession de foi en Jésus plus fort que la mort – il domine l’eau symbole de mort et de peur – et confiance dans le fait que, porté par sa présence et sa parole, nous pouvons aussi dominer la peur de la mort, entendre dans notre vie la parole reçue ce jour-là par Pierre : « Viens ! »

Aujourd’hui, nous recevons un récit qui se trouve entre les deux, après la marche sur l’eau et avant la transfiguration. Alors que les deux dimanches qui précèdent nous avons été dans des récits à la symbolique cosmique, très haut – au sommet de la montagne, avec la voix qui vient du ciel – et très bas – Pierre qui s’enfonce de peur dans la mer, en pleine nuit, au cœur de la tempête –, aujourd’hui nous voici dans un autre registre, plus près de nous, sur terre, dans notre réalité. Le récit tout simple d’une rencontre entre une femme qui souffre et espère car sa fille est malade, et Jésus.

Qui est-il ? Trois dimensions me touchent dans ce récit.

 

1. Cris de détresse et vie allégée

D’abord la guérison de la fille. On peut être dérangé par l’aspect miraculeux d’un tel récit, la guérison d’une fille possédée par un démon. Mais est-ce réellement un « miracle » ? Le terme ne figure pas dans le texte. Rien n’est dit sur ce que Jésus fait ou non pour que la fille soit guérie. Il n’y a pas de spectaculaire dans ce texte, si ce n’est cette guérison, ce qui n’est pas rien ! Jésus, très certainement, a eu une activité de thérapeute, dans un temps et une culture où maladies physiques ou psychiques se mêlaient de conceptions où des « démons », figures du mal, étaient parties prenantes de ce qui arrivait à quelqu’un. Ici, on ne sait pas de quoi la fille est guérie. Mais elle l’est. Et cela est important.

Qui est Jésus ? Il est quelqu’un dont la rencontre bouleverse une vie. Ici, deux vies : celle de la fille guérie, et celle de sa mère qui est venue implorer la pitié de Jésus. Ici c’est une histoire de guérison, mais nous savons d’expérience que la foi n’est pas une recette miraculeuse qui guérit de toute maladie et enlève toute souffrance. Nous vivons dans la finitude humaine, et Jésus lui-même n’y échappera pas, cloué sur la croix, appelant lui aussi du fond de sa détresse : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »[3] Jésus connaît les cris de détresse et il y répond. Qui est-il ? Il est celui qui entend la femme appeler « Seigneur, fils de David, prends pitié de moi ! Seigneur, aide-moi ! »

La rencontre avec le Christ n’enlève pas la finitude, mais permet de la vivre plus sereinement, de la traverser sans couler comme Pierre marchant sur l’eau la semaine dernière, d’être libéré d’un poids de souffrance comme la femme du récit d’aujourd’hui, plus modestement d’être allégé d’un fardeau comme beaucoup d’entre nous ont pu le vivre, parfois. Dire cela, ce n’est pas énoncer une théorie, c’est témoigner d’une expérience de vie. La foi ici n’est pas dogmatique mais existentielle, un appel et une réponse.

Qui est Jésus ? Il est celui qui vient pour que le règne de Dieu croise nos vies, fasse irruption dans notre quotidien, éclaire nos jours, les plus sombres comme les plus heureux, les temps où les démons de la peur, de la jalousie, de la souffrance nous enferment, comme les temps où nous sentons ces poids s’alléger.

 

2. Des obstacles

Pourtant, la rencontre avec Jésus n’arrive pas toujours. Cela n’aurait pas dû arriver, d’ailleurs, ce jour-là. Le récit est plein d’obstacles. Et là se trouve la deuxième dimension qui me touche dans ce récit.

D’abord, Jésus n’est pas chez lui. Il est en transit dans une région étrangère, le territoire de Tyr et de Sidon. Une région qui se situe au nord de la Galilée. Une région païenne. Un peu plus tôt dans l’évangile de Matthieu, Jésus a déjà évoqué les villes de Tyr et de Sidon comme modèles de villes païennes, c’est-à-dire, selon la conception du judaïsme du 1er siècle, éloignées de Dieu[4]. Il ne fait semble-t-il que traverser cette région impure. Là, c’est une femme qui vient à sa rencontre. Nous savons que Jésus n’a pas de problème pour rencontrer toutes sortes de gens, quels que soient leur genre, leur classe sociale ou leur piété. Mais dans la culture de son temps, cela ne se fait pas ! Qui plus est, elle est étrangère, dans un temps où la séparation stricte entre juifs et étrangers recouvrait une séparation purs-impurs ; juste avant cet épisode, Jésus a eu un échange vif avec des pharisiens sur cette question du pur et de l’impur[5]. Cette femme est étrangère, et pas n’importe quelle étrangère : une Cananéenne, ce qui est le type même de l’ennemi ! Et puis sa fille est possédée par un démon, raison de plus de s’écarter d’elle ! Selon les critères de l’époque, cette rencontre n’aurait pas dû avoir lieu.

Et puis, outre les obstacles culturels qui la rendent improbable, ou peut-être à cause d’eux, elle a failli ne pas avoir lieu à cause de Jésus lui-même ! Il y a une réticence surprenante de Jésus vis-à-vis de l’appel de cette femme. Dans un premier temps, il ne répond pas à sa demande, il se tait, il l’ignore. On peut comprendre cela, dans la culture de son temps qui lui impose de se tenir à distance de l’impure, femme étrangère à l’enfant possédée par un démon. Cela nous choque car on pense que Jésus est doué naturellement d’un sens de l’accueil inclusif, ouvert à tous et toutes. Mais ici, non… Sans doute, dans son humanité, est-il prisonnier des schémas, habitudes et a priori de son temps. Cela est sans doute la raison pour laquelle, ensuite, il explique à ses disciples qu’il n’a été « envoyé que vers les moutons perdus de peuple d’Israël ». Il est le Messie d’Israël, et le récit de la transfiguration le confirmera en mettant en scène la venue autour de lui de Moïse et d’Elie, c’est-à-dire la Loi et les prophètes, toute la religion d’Israël, la Torah, l’histoire, l’espérance messianique. Jésus, le Messie, vient dans cette culture, pour ce peuple.

La question de la conscience messianique de Jésus a toujours intrigué : comment et jusqu’où, dans son humanité, avait-il conscience de son rôle ? Le récit d’aujourd’hui semble montrer qu’il concevait au départ cette mission comme interne à son peuple et à sa religion. Et de manière radicale puisque, quand la femme insiste, il lui répond cette phrase terrible : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». Phrase terrible qui met la Cananéenne loin des enfants, du côté des chiens – et l’on sait que dans la culture de son temps, les chiens étaient considérés comme impurs, comme les cochons. Aujourd’hui encore, pour nous, traiter quelqu’un de « chien » n’est pas d’une grande amabilité ! Jésus en est là, sans doute, de sa conscience messianique, uniquement pour son peuple. Cette femme vient le déranger !

Et elle insiste. « Même les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres », dit-elle. Elle insiste, à la fois parce que sa détresse est grande et parce qu’il n’est pas facile pour Jésus de se laisser déplacer d’une conception tournée exclusivement vers les siens vers une ouverture inclusive, pour toutes et tous. La femme insiste, et elle déplace Jésus !

C’est alors qu’il lui dit cette phrase bouleversante, au vu de la distance entre elle et lui pour toutes les raisons que nous venons de dire : « Oh ! que ta foi est grande ! » La foi de cette femme est grande. Quelle est cette foi ? La femme s’est exprimée avec des mots corrects, quand elle a appelé par trois fois Jésus « Seigneur », formule de politesse envers quelqu’un que l’on sollicite mais titre qui résonne comme prière à Dieu. Elle l’a appelé « Fils de David », expression qui dit les racines généalogiques et juives de Jésus mais qui est aussi un titre messianique. Mots banals et forte confession de foi ! Mais ce qui compte le plus dans ce dialogue entre elle et Jésus, c’est son insistance, du plus profond de sa souffrance et de son espérance : « Prends pitié de moi ! », puis « aide-moi ! ». Elle a compris que Jésus est celui qui peut ouvrir sa vie alors elle l’appelle du cœur de son malheur. « Ta foi est grande » : Jésus admire son insistance et sa confiance.  C’est cela une « grande foi » : pas une adhésion doctrinale parfaite, mais une confiance et une insistance, presque un combat, bref une relation.

Qui est Jésus ? Il est cet homme inséré dans une culture particulière, qui accepte la rencontre, l’appel à l’aide, et qui en est lui-même bouleversé, étonné, déplacé. Cet homme qui entre en relation véritable. Cet homme qui, ainsi, dit que Dieu est un Dieu qui se laisse approcher, au-delà de toutes les barrières humaines, pour recevoir chacun dans sa particularité et l’accueillir dans l’universalité de son amour. Un Dieu qui, à chaque rencontre, élargit l’espace de son amour.

 

3. Renvoie-la… ou libère-la ?

Il y a encore un obstacle dans ce texte, que je n’ai pas encore évoqué. Ce sont les disciples de Jésus. Obstacles entre la femme et Jésus, quand ils disent à Jésus « Renvoie-la, car elle ne cesse de crier en nous suivant ». Phrase terrible de fermeture. Peut-être veulent-ils protéger Jésus qui est sollicité de toutes parts ? Sans doutent sont-ils choqués que cette femme étrangère se permette d’approcher le Messie d’Israël ? Sont-ils importunés ? Veulent-ils bien faire ?

Je nous retrouve dans ces disciples, heureux de suivre le Christ mais prompts à élever des obstacles entre lui et les autres. Dans ce récit, c’est sans doute à nous en tant que disciples que le texte s’adresse. Matthieu rapporte ici cet épisode pour annoncer Jésus qui libère, pour témoigner que Jésus s’ouvre à une messianité universelle, mais aussi pour bousculer le lecteur, le disciple qui lit, l’Eglise qui partage ce texte, qui ont besoin de s’ouvrir à leur tour, de ne plus faire obstacle mais d’être des facilitateurs de rencontre entre les gens et Jésus.

« Renvoie-la ! » Quelle parole terrible, quel écho interpelant quand c’est le miroir de nos propres paroles, de nos gestes, de notre entre-soi, bref de tout ce que nous mettons volontairement ou non, consciemment ou non, parfois avec les meilleures intentions du monde, comme barrière entre Dieu et les autres.

« Renvoie-la ! » Mais les disciples ont-ils vraiment dit cela ? Dans le grec de l’évangile de Matthieu, c’est le verbe ἀπολύω (apoluo) qui est utilisé. Ce verbe revient 19 fois dans l’évangile de Matthieu. Il est utilisé pour parler de renvoi de manière négative dans les situations de répudiation où un homme renvoyait sa femme (8 fois)[6]. De manière plus neutre, il est utilisé quand il s’agit de renvoyer une foule pour que chacun rentre chez soi après avoir écouté Jésus (5 fois)[7]. Cinq autres fois, il est employé de manière positive pour dire la dette remise à un esclave qui est libéré de ce poids, ou pour un prisonnier que l’on relâche[8].

Et puis ici. « Renvoie-la ». Mais on pourrait traduire aussi « Libère-la ». J’ai regardé de nombreuses Bibles disponibles en français ; elles traduisent toutes par « Renvoie-la », ou « fais-la partir ». Pourquoi les traducteurs choisissent-ils de traduire par « Renvoie-la » plutôt que « Libère-la » ? Je ne sais pas… Mais je me dis que c’est à nous de changer la traduction, dans la réalité de nos vies, de notre Eglise. Passer du « Renvoie-la » au « Libère-la ». De la position exclusive et excluante à l’attitude inclusive, accueillante. Suivre Jésus dans son déplacement, son ouverture, sa sollicitude. Et si c’était là le signe d’une « grande foi » ?

Qui est Jésus ? Si nous croyons qu’il est celui qui accueille les cris, qui se laisse déplacer dans la relation, qui s’ouvre à l’autre et lui ouvre la vie, si nous croyons qu’il est celui qui libère, alors portons la parole essentielle, dans la prière : libère-la !

Amen

 

 

 

[1] Matthieu 17, 1-9.

[2] Matthieu 14, 22-33.

[3] Matthieu 27, 46.

[4] Matthieu 11, 20-24.

[5] Matthieu 15, 1-20.

[6] Matthieu 1, 19 : « Joseph, son époux, qui était un homme de bien et qui ne voulait pas la diffamer, se proposa de rompre (apoluo) secrètement avec elle. »

Matthieu 5, 31 : « Il a été dit : Que celui qui répudie (apoluo) sa femme lui donne une lettre de divorce. »

Matthieu 5, 32 : « Mais moi, je vous dis que celui qui répudie (apoluo) sa femme, sauf pour cause d’infidélité, l’expose à devenir adultère, et que celui qui épouse une femme répudiée (apoluo) commet un adultère. »

Matthieu 19, 3 : « Les pharisiens l’abordèrent et dirent, pour l’éprouver : Est-il permis à un homme de répudier (apoluo) sa femme pour un motif quelconque ? »

Matthieu 19, 7 : « Pourquoi donc, lui dirent-ils, Moïse a-t-il prescrit de donner à la femme une lettre de divorce et de la répudier (apoluo) ? »

Matthieu 19, 8 : « Il leur répondit : C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier (apoluo) vos femmes ; au commencement, il n’en était pas ainsi. »

Matthieu 19, 9 : « Mais je vous dis que celui qui répudie (apoluo) sa femme, sauf pour infidélité, et qui en épouse une autre, commet un adultère. »

[7] Matthieu 14, 15 : « Le soir étant venu, les disciples s’approchèrent de lui, et dirent : Ce lieu est désert, et l’heure est déjà avancée ; renvoie (apoluo) la foule, afin qu’elle aille dans les villages, pour s’acheter des vivres. »

Matthieu 14, 22 : « Aussitôt après, il obligea les disciples à monter dans la barque et à passer avant lui de l’autre côté, pendant qu’il renverrait (apoluo) la foule. »

Matthieu 14, 23 : « Quand il l’eut renvoyée (apoluo), il monta sur la montagne, pour prier à l’écart ; et, comme le soir était venu, il était là seul. »

Matthieu 15, 32 : « Jésus, ayant appelé ses disciples, dit : Je suis ému de compassion pour cette foule ; car voilà trois jours qu’ils sont près de moi, et ils n’ont rien à manger. Je ne veux pas les renvoyer (apoluo) à jeun, de peur que les forces ne leur manquent en chemin. »

Matthieu 15, 39 : « Ensuite, il renvoya (apoluo) la foule, monta dans la barque, et se rendit dans la contrée de Magadan. »

[8] Matthieu 18, 27 : « Emu de compassion, le maître de ce serviteur le laissa aller (apoluo), et lui remit la dette. »

Matthieu 27, 15 : À chaque fête, le gouverneur avait coutume de relâcher (apoluo) un prisonnier, celui que demandait la foule. »

Matthieu 27, 17 : « Comme ils étaient assemblés, Pilate leur dit : Lequel voulez-vous que je vous relâche (apoluo), Barabbas, ou Jésus, qu’on appelle Christ ? »

Matthieu 27, 21 : « Le gouverneur prenant la parole, leur dit : Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche (apoluo) ? Ils répondirent : Barabbas. »

Matthieu 27, 26 : « Alors Pilate leur relâcha (apoluo) Barabbas ; et, après avoir fait battre de verges Jésus, il le livra pour être crucifié. »