Voir les cieux ouverts, c’est risqué ! — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Voir les cieux ouverts, c’est risqué !

Prédication du dimanche 2 juin 2019, par le pasteur Christian Baccuet.

Lectures : Actes 7, 51 à 8, 4

 

Tout va bien ? J’espère que vous n’avez pas eu de problèmes pour venir. Que vous êtes tranquilles dans ce temple. Que vous n’avez pas peur de rentrer chez vous. Que le fait de participer au culte n’est pas trop dangereux pour vous. Que le fait d’être chrétien ne met pas votre vie en péril. Si tel est le cas, vous avez de la chance !

Nous avons de la chance, car nous pouvons ici vivre notre foi tranquillement, à la différence de beaucoup de chrétiens dans d’autres lieux du monde. Il est en effet des pays où il ne fait pas bon être chrétien. Des pays où les chrétiens doivent se réunir en cachette, où le culte chrétien est interdit, où des pasteurs sont régulièrement assassinés, où des fidèles sont traînés devant les tribunaux, où des bombes explosent dans des Eglises. De la Corée du Nord à l’Arabie saoudite, du Sri Lanka au Pakistan, aujourd’hui environ un chrétien sur neuf dans le monde n’est pas libre de vivre sa foi dans le monde et cela touche une cinquantaine de pays[1]. Aujourd’hui je pense particulièrement au Burkina Faso où, dimanche dernier, une attaque dans une Eglise a tué quatre personnes, à peine trois semaines après que, le 13 mai, des hommes armés ont mitraillé une Eglise dans ce même pays, tuant 6 personnes, un mois après que, le 28 avril, un commando ait assassiné un pasteur, deux de ses enfants et trois fidèles à l’issue du culte.

Depuis les premiers chrétiens jusqu’à ceux d’aujourd’hui, notre histoire est faite d’hommes et de femmes qui, pour leur fidélité à Jésus-Christ, affrontent la mort. Dans les arènes romaines, sur les bûchers du Moyen Age, aux galères ou dans la ligne des fusils assassins, sous les bombes des terroristes ou par la persécution d’un Etat… pour beaucoup de chrétiens, être témoin de Jésus-Christ conduit au martyre.

Etre témoin, c’est risqué. Le mot « témoignage » dans la langue du Nouveau Testament se dit d’ailleurs μαρτύριον (marturion), qui a donné en français « martyr »… Etre témoin du crucifié, c’est être martyr. Comme Etienne, dans le livre des Actes des apôtres.

 

1 – Etienne

Etienne est le premier des martyrs chrétiens. Il fait partie des sept hommes qui ont été nommés par l’Eglise naissante pour aider à la mise en commun des biens, à la distribution de la nourriture et qui, chargés de la diaconie, se sont mis à prêcher l’Evangile (Actes 6). Etienne est un homme rempli de force par la bénédiction de Dieu, il accomplit des signes et parle avec la sagesse que lui donne l’Esprit Saint. Inévitablement, il se heurte à la résistance des dirigeants du peuple, ceux-là même qui ont condamné à mort Jésus, quelques temps auparavant. Il est arrêté et emmené devant le Sanhédrin, tribunal religieux suprême dirigé par le grand prêtre. On le somme de s’expliquer, et il se lance dans un grand discours, une relecture critique de l’histoire biblique ; il retrace la longue histoire de la résistance des hommes à la Parole de Dieu. Les juges religieux en colère décident de le mettre à mort, et Etienne est lapidé comme un blasphémateur, tué à coups de pierres comme un être impur.

Etienne est le premier chrétien à être mis à mort pour sa foi. Le récit de son procès et de sa mise à mort est étrangement parallèle au récit de la passion de Jésus. Comme son maître, il est accusé de blasphème contre le Temple (cf. Marc 14, 58), il confesse le Fils de l’homme à la droite de Dieu (cf. Lc 22, 69), il remet son esprit au Seigneur (cf. Luc 23, 46), il demande pardon pour ses bourreaux (cf. Luc 23, 34), il meurt en poussant un grand cri (cf. Marc 15, 37)… Par sa mort, il suit le même chemin que Jésus. Comment mieux dire que le témoignage chrétien est de l’ordre de la suivance, de la croix à porter à la suite du Christ ? Témoigner de la foi chrétienne c’est, comme Jésus, être exposé aux moqueries, aux insultes, aux coups et à la haine. Au rejet. A la mort. L’Evangile de Jésus-Christ n’est pas une parole fade et sans goût, qui n’appelle que des bâillements. Elle est une parole vive et aiguë qui entraîne l’hostilité.

En lisant ce récit, je me suis posé trois questions. La première, c’est : pourquoi l’Evangile, bonne nouvelle, déclenche-t-il ainsi une hostilité folle ? Pourquoi cette parole de vie entraîne-t-elle la mort pour ceux qui en sont témoins ?

 

2 – Une parole vive

Dans le récit de ce jour, ce qui déclenche la violence des autorités est la dernière phrase que prononce Etienne devant le Conseil supérieur. Une seule phrase, qui fait hurler de colère les prêtres : « Ecoutez, je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Actes 7, 56).

« Je vois les cieux ouverts… ». A l’époque, on pensait que la terre était plate comme une assiette, et que le ciel la recouvrait comme une cloche à fromage. Le ciel était une grande tenture à laquelle étaient accrochés le soleil, la lune, les étoiles, et derrière laquelle était contenue l’eau qui, parfois, tombe en pluie. Dieu habitait au-delà de cette voute céleste. Voir les cieux ouverts, c’est dire que ce voile qui sépare de Dieu n’est plus un obstacle, qu’entre Dieu et nous il y a une communication directe. On peut voir Dieu ! Phrase inouïe pour les hébreux qui ne pouvaient voir Dieu sans mourir. Etienne confesse que désormais Dieu se fait voir, qu’il n’y a plus d’écran entre Dieu et nous. Je vois les cieux ouverts…

« Et le Fils de l’homme… ». Le « Fils de l’homme », c’est une expression messianique qui évoque, dans l’espérance juive, celui qui viendra à la fin des temps pour juger les hommes, pour les révéler à eux-mêmes, les mettre face à la vérité. Elle vient du livre de Daniel qui, dans un langage symbolique, annonçait aux hébreux en exil à Babylone que Dieu ne les avait pas oubliés et allait intervenir pour les libérer ; Daniel le fait en racontant la vision d’un fils d’homme venant du ciel, à qui Dieu donne souveraineté éternelle sur tous les peuples de la terre (Daniel 7, 13-14). Jésus a beaucoup utilisé cette expression, « Fils de l’homme », qui dit à la fois sa messianité et son incarnation, sa venue dans l’humanité. « Le Fils de l’homme » : ici, c’est Etienne qui utilise cette expression ; c’est la seule fois de tout le Nouveau Testament qu’elle est dans la bouche de quelqu’un d’autre que Jésus pour dire la messianité de ce dernier.

« Debout… ». Le Fils de l’homme est « debout », dit Etienne. Il est dressé, relevé, ressuscité. C’est le même verbe, ἵστημι (istémi), utilisé quand Jésus ressuscité se présente devant ses disciples (cf. Luc 24, 36). L’homme qui se disait le Fils de l’homme et que vous avez crucifié, je le vois debout, vivant. Celui que vous avez crucifié est ressuscité !

« A la droite de Dieu ». Il est debout « à la droite de Dieu ». En langage biblique, cela signifie que Jésus est auprès de Dieu, avec Dieu, en Dieu. Le crucifié ressuscité est Dieu.

« Je vois les cieux ouverts et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu » : c’est une confession de foi que prononce ici Etienne. Il confesse qu’en Jésus-Christ, l’homme ressuscité, Dieu se dévoile, se révèle, se fait voir. Etienne confesse que Jésus-Christ est le Seigneur. Cette parole dérange violemment. Car, en ce temps-là, dire que Jésus est debout à la droite de Dieu, c’est dire que Dieu n’est plus dans le Temple, dans les rites, dans la Loi, mais qu’il se donne dans une rencontre vivante avec les êtres humains, directement, sans intermédiaire, sans clergé. Dire que Jésus est Seigneur, c’est dire qu’en lui Dieu se donne tout particulièrement, qu’il y a Dieu en lui, qu’il est Dieu. Blasphème suprême qui fait bondir les prêtres car il délégitime leur pouvoir ; ils condamnent Etienne à mort. L’Evangile bouscule les seigneurs de ce monde, ceux qui veulent dominer sur les autres, alors se déclenche le force hostile de ceux qui veulent garder leur puissance.

 

3 – Une force reçue

Etienne est condamné à mort pour avoir confessé que Christ est Seigneur. Et là se pose à nous une deuxième question. S’il n’avait pas prononcé ce discours, il aurait été tranquille. S’il avait caché sa foi, il serait resté en vie. Pourquoi, et surtout comment, assume-t-il ce risque insensé ? Le récit est clair : Etienne ne cherche pas à éviter le martyre. Pour lui, l’Evangile est plus fort que la vie de son corps. Le Christ ressuscité lui donne paix et liberté, et cela est si important pour lui qu’il veut le partager. Et cela est si essentiel pour lui que les souffrances à endurer ne font pas le poids. Cela ne cesse de nous étonner ! Comment être capable d’une telle force ?

Etienne n’a pourtant rien de plus que nous. C’est un chrétien engagé, heureux de partager sa foi. Comme nous. Ce qu’il a, ce n’est pas un caractère plus fort, une prédisposition quelconque, une personnalité exceptionnelle. Ce qu’il a, c’est la présence de Dieu avec lui. L’auteur du livre des Actes nous dit qu’il était « rempli de force par la bénédiction de Dieu » (6, 8), qu’il parlait « avec la sagesse que lui donnait l’Esprit Saint » (6, 10) et que, alors qu’il allait prendre la parole, « son visage était semblable à celui d’un ange » (6, 15). Il est, pour le dire autrement, inspiré par Dieu ; c’est Dieu qui parle à travers lui. Il est disponible à la présence de Dieu et c’est cela qui lui donne force et confiance. Et, comme pour le confirmer, cela est répété à la fin de son discours, au moment où la violence va se déchaîner : il est « rempli du Saint-Esprit », « regarde le ciel » et « voit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu » (7, 55) : il est en lien avec Dieu, c’est Dieu qui lui donne de faire face à cette épreuve.

Ancré en Dieu, Etienne a la force d’affronter son martyre, de prier pendant qu’il reçoit des pierres, de s’en remettre en toute confiance à son Seigneur Jésus, de demander pardon pour ceux qui sont en train de le tuer. Paradoxe de l’Evangile quand il est une parole vivante. Il déclenche l’hostilité vive des uns, et suscite la paix profonde des autres. Le témoin devient martyre, mais le témoin exprime ainsi sa liberté. Rejeté par les hommes, le chrétien est porté par Dieu. Mis à mort, Etienne entre dans la vie.

Un autre témoin du Christ, martyr de la foi, l’a exprimé. Le pasteur Dietrich Bonhoeffer, théologien et résistant au nazisme, a prononcé ces quelques mots la veille de son exécution, à l’âge de 39 ans, en avril 1945 : « C’est la fin ; pour moi, c’est le début de la vie ». Pour Etienne, c’est la fin de sa vie terrestre, mais c’est le début de sa vie dans l’espérance, en Dieu.

Et ce paradoxe est plus grand que lui. Car la mort d’Etienne est destinée à le faire taire, et le même jour la persécution s’abat sur l’Eglise de Jérusalem ; les croyants sont mis en prison ou obligés de s’enfuir. Mais, au lieu de faire disparaître l’Evangile, cela va contribuer à le répandre ! Ceux qui ont été dispersés se mettent à annoncer la bonne nouvelle partout où ils vont (8, 4). Rien ne peut arrêter l’Evangile et sa puissance libératrice !

Cela va se vivre tout au long de l’histoire du christianisme. Aux premiers siècles du christianisme, appeler Jésus « Seigneur » c’était refuser d’adorer l’empereur romain comme un dieu ; cela conduisait aux arènes, mais l’Evangile s’est répandu dans tout l’Empire. A la fin du Moyen Age, suivre le Christ c’était protester contre une Eglise toute-puissante, se suffisant à elle-même, s’autoproclamant intermédiaire entre Dieu et les hommes ; cela a entraîné de nombreuses persécutions mais l’Evangile a réformé en profondeur l’Eglise. Sous Louis XIV pour les protestants français, les hommes étaient condamnés aux galères et les femmes à la prison, pour vouloir simplement tutoyer Dieu ; « résister », comme l’ont écrit les prisonnières de la tour de Constance, est devenu un témoignage de foi qui nous marque encore.  Aujourd’hui, là où les chrétiens sont persécutés, rien ne peut empêcher de vivre l’Evangile et de prier le Christ.

A chaque époque, confesser Jésus-Christ comme le Seigneur c’est refuser tous les seigneurs que notre monde construit, tous les dieux qu’il adore. Cela entraîne hostilité mais c’est un témoignage de liberté, un acte de foi porté par l’Esprit saint.

 

4 – Une interpellation pour nous

A chaque époque. Hier et aujourd’hui, là-bas et ici. Et là se pose une troisième question, vive, nette, directe. Elle nous est adressée. Qu’en est-il pour nous, ici, aujourd’hui ? L’Evangile est-il encore pour nous une Parole vivante ? Comment résonne-t-il aujourd’hui pour nous, par nous ? Nous impacte-t-il au point que nous risquions notre liberté ? Nous touche-t-il en profondeur, ou n’est-il qu’une parole sans risque, confortable mais fade ?

Bien sûr, posant cette question, je ne sous-entends pas qu’il nous faudrait devenir des martyrs, sacrifier nos vies, souffrir. L’Evangile n’appelle pas au sacrifice ou à la souffrance, mais à la paix et à la liberté. Le mot martyr est dévoyé quand il est utilisé par des hommes qui se font sauter avec des bombes ou qui mitraillent des Eglises. Le témoignage chrétien, ce n’est pas chercher la souffrance, c’est vivre et agir pour la justice et la vie. Et justement parce que l’Evangile appelle à la paix et à la liberté, à la justice et à la vie : cela nous concerne-t-il vraiment, dans ce monde ?

Si nous confessons Jésus-Christ comme notre Seigneur, cela remet-il en cause les autres seigneurs qui veulent s’emparer de nos vies ? A combien d’idéologies, de profits, d’égoïsmes sacrifions-nous nos vies, nos biens, nos enfants ? L’Evangile nous bouscule-t-il dans tout ce qui nous enferme, nos opinions toutes faites, les modes qu’il faut suivre, le tout-économique, le culte de l’identité qui nous fait rejeter l’autre, l’image que nous croyons devoir donner de nous, le masque que nous mettons sur nos fragilités, la parole faussée qui gangrène notre société ? L’Evangile bouleverse-t-il ce sur quoi nous construisions notre monde et nos vies ? Nous fait-il mourir à tous nos esclavages ? Nous pousse-t-il à en être témoins ? Nous remplit-il de force et de liberté, de courage et de vie ? Engage-t-il notre existence ?

Le martyre d’Etienne nous parle aujourd’hui, même à nous qui avons la chance de vivre dans un temps et un lieu où nous sommes libres d’être chrétiens. Il nous rappelle que suivre Jésus est un chemin d’épreuve et de paix. Etre témoins du crucifié, c’est courir le risque de devoir bousculer nos certitudes. Etre témoins du ressuscité, c’est savoir qu’à travers ce bouleversement il nous permet d’accéder à l’essentiel : la vie. Etre témoins de Jésus-Christ, c’est quitter notre confort et nos habitudes pour nous laisser entraîner dans la foi, l’espérance et l’amour. Etre témoins ensemble, en Eglise, c’est accueillir largement, s’engager résolument, protester vivement, construire amoureusement.

Et c’est source de joie ! Dimanche dernier j’animais la retraite des catéchumènes du consistoire qui vont être baptisés ou vont confirmer dimanche prochain. Chacun a écrit des mots pour dire sa foi. En recopiant son texte sur son ordinateur, une catéchumène a fait une faute : au lieu d’écrire « Jésus sauveur », elle a écrit « Jésus saveur ». Tout est dit dans cette expression involontaire : si l’Evangile est pour nous saveur, s’il a du goût, s’il est délicieux, s’il nous emplit, alors nous en vivons véritablement et en témoignons fidèlement.

Cela nous engage, et cela est très bon car sur ce chemin le Christ nous précède, lui le crucifié ressuscité. En lui, nous voyons les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu !

Amen.

 

[1] https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens.

Voir aussi https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/persecution-chretiens-proche-dun-genocide-certaines-regions-monde-2019-05-08-1201020374