Reste avec nous… — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Reste avec nous…

Copyright : Brooke Lark

Prédication du dimanche 17 mars 2019, par le pasteur Christian Baccuet. Culte autour de la cantate BWV 6 de Bach, Bleib bei uns, chantée par la chorale de Pentemont-Luxembourg.

Lectures : Luc 24, 13-35

 

Reste avec nous… Cri déchirant de celui qui a peur de rester seul ? Appel amoureux de celui qui veut prolonger un moment de grâce ? Invitation chaleureuse à partager un bout de chemin ensemble ? Dans nos vies, sans doute ces trois mots résonnent-ils dans ces trois dimensions, selon les circonstances. Reste avec nous… et si ces trois mots étaient les mots de notre foi ?

 

1 – Les disciples d’Emmaüs

Reste avec nous, c’est la parole adressée par les disciples d’Emmaüs à l’inconnu qui a cheminé avec eux.

C’est le jour de la résurrection du Christ, mais les deux disciples qui partent de Jérusalem, qui ont quitté le groupe des disciples, sont encore au stade de la mort de Jésus, du deuil, de l’absence. Ils s’éloignent de la ville, ils s’éloignent de leur vie et de leur foi, ils ont perdu leur innocence et leur espérance. Ils plongent dans les ténèbres du doute, quand tout semble devenu vide de sens.

En chemin un homme les rejoint. Nous qui lisons l’Evangile, nous savons qu’il s’agit de Jésus. Mais eux ne le reconnaissent pas ; ils sont trop pris dans leur deuil, et puis c’est inimaginable que ce soit lui – même si on leur a raconté que le tombeau a été trouvé vide et qu’un messager de Dieu a dit qu’il était vivant… Ce n’est pas croyable.

Ils se confient à l’inconnu, ils lui disent leur détresse. Alors lui se met à leur expliquer les Ecritures, à leur raconter la Bible, à leur transmettre le sens de la venue du Messie. On ne sait pas le détail de ce que Jésus leur a dit, c’est bien dommage… mais si on lit le Nouveau testament on sait qu’il leur a expliqué que Dieu est venu partager le chemin des hommes – la souffrance, la croix – pour les entraîner dans la vie – la résurrection, la « gloire », la vie en plénitude. On ne sait pas ce que les disciples en ont compris sur le moment ; mais ils ont écouté car, après, plus tard, ils diront cette parole si forte : « n’y avait-il pas comme un feu qui brûlait au-dedans de nous quand il nous parlait en chemin et nous expliquait les Ecritures ? » (v. 32). On ne sait pas combien de temps cette prédication a duré, on sait seulement que le soir est tombé.

Quand le soir tombe, toujours une petite angoisse nous étreint. Est-ce la fin du chemin ? La nuit va-t-elle nous séparer ? Peut-on prolonger encore un peu ? Alors les deux hommes veulent le retenir, et c’est là qu’ils lui disent ces trois mots, ce cri, cet appel, cette invitation : Reste avec nous… « Reste avec nous, le jour baisse déjà et la nuit approche… » (v. 29).

L’inconnu entend cette parole, le Christ accepte l’invitation, il entre dans la maison pour rester avec eux. Et là, il partage avec eux le repas traditionnel du soir ; mais ce repas, ce soir-là, à cet endroit de l’évangile, résonne comme un geste de sainte cène : prendre le pain, remercier Dieu, le rompre, le donner (v. 30)… A la Parole proclamée sur le chemin, succède la Parole partagée au cours du repas. Le Christ se donne à eux, encore, à nouveau !

C’est là qu’ils le reconnaissent. Avec cette dimension paradoxale : quand ils marchaient avec lui, ils le voyaient mais ne le reconnaissaient pas, et quand ils le reconnaissent, le Christ disparaît de leur vue. Ils ne le voient plus, mais ils savent désormais qu’il est vivant. Quand il était à leurs côtés ils ne savaient pas, quand il n’est plus visible ils croient. Reste avec nous, ont-ils dit, et désormais reste avec eux l’illumination de cette rencontre. La foi ce n’est pas voir, avoir des preuves, posséder le savoir ; c’est reconnaître une présence, vivre dans la confiance, s’ouvrir à une relation.

De cette foi qui est désormais la leur, le passé s’éclaire – un feu brûlait en nous quand il nous parlait – et l’avenir s’ouvre – ils se lèvent pour repartir ; il fait nuit mais en eux il fait lumière, et ils n’ont plus qu’une hâte, c’est de retrouver les autres disciples pour leur raconter ce qu’ils ont vécu. Leur vie en est chamboulée, joyeusement !

Reste avec nous… le Christ ressuscité est resté avec eux, physiquement pour le repas du soir, puis spirituellement – mais pas moins véritablement – dans leur vie de foi. Reste avec nous, parole émouvante de ces hommes au creux de leur quête, au carrefour de leur vie, au point de basculement de leur foi !

 

2 – La cantate de Bach

Reste avec nous, c’est le titre de la cantate de Bach avec laquelle nous prions ce matin. Bleib bei uns. Le titre de cette cantate est le verset 29 de notre texte : « reste avec nous, le jour baisse déjà et la nuit approche ».

Bach, cantor de Leipzig, devait composer une cantate différente pour chaque dimanche, pour accompagner la liturgie de la Parole. Celle-ci, il l’a composée en 1725, pour le culte du 2 avril, lundi de Pâques. Bach a alors 38 ans, il n’est que depuis deux ans à Leipzig ; arrivé le 22 mai 1723, il va y rester jusqu'à sa mort en 1750.

En ce temps-là, le dimanche à Leipzig, le culte principal du dimanche commençait à sept heures du matin. Selon la durée de la liturgie, de la prédication et de la cène, il durait entre trois et quatre heures, pour se terminer vers 10 h ou 11 h du matin. La structure du culte était quasiment la même que celle de nos cultes : louange, prières, lectures bibliques, avec chants et musique. Puis venait la cantate, jouée d’un seul tenant, ou parfois en deux temps si elle était composée de deux parties. Elle était exécutée (ou sa première partie) entre la lecture de l’évangile et la confession de foi, laquelle était suivie par la prédication. La prédication durait 1h30, voire plus ; elle était un temps d’enseignement, d’édification, aussi un temps d’information dans un contexte où il n’y avait pas de de journaux, de radio, de télévision, d’internet… Si la cantate était en deux parties, la deuxième était jouée alors. Puis le culte continuait avec la sainte cène, pendant laquelle l’assemblée chantait, puis il se terminait avec la bénédiction. Ensuite avait lieu un culte de mi-journée, puis en début d’après-midi les vêpres qui duraient deux à trois heures, avec musique, prédication et reprise de la cantate du matin. Aujourd’hui, nous faisons plus court ! Mais le cœur y est tout autant !

Le plus important n’est pas la durée, mais ce qui se vit dans le culte. Ce que les cantates apportaient. Elles étaient au service du culte de la communauté, au service de la Parole de Dieu, pour aider l’Evangile à résonner. La charge de cantor était une fonction ecclésiale, et Bach a dû passer un examen de théologie pour être nommé cantor de Saint Thomas à Leipzig.

Bach était un luthérien classique ; un quart de sa bibliothèque théologique était composée de livres de Luther. Pour lui, dans la ligne de Luther, la foi s’origine dans la Parole prêchée ; la prédication doit donc faire ressortir le sens spirituel de l’Ecriture, aider la foi à se saisir des promesses de Dieu que la Bible contient. La finalité de la cantate est la même : elle est une prédication de l’Evangile, un moyen d’entende la Parole de Dieu. Pour Luther, cette foi qui naît de la Parole est avant tout confiance joyeuse qui se traduit dans l’existence du croyant. La cantate n’est donc pas d’abord destinée au plaisir esthétique, mais à une invitation spirituelle à la rencontre avec Dieu. Une rencontre qui fait sens pour la vie.

L’Evangile que cette cantate accompagne est la route que le ressuscité fait aux côtés de ses disciples. Les disciples sont plongés dans l’obscurité, qui est à la fois celle du soir qui tombe sur leur journée et celle, plus profonde, de leur détresse en ce jour où se bousculent trop d’émotions, de questions, d’incompréhension. Et la présence de l’inconnu, ses paroles, son compagnonnage, ses explications de l’Ecriture sont comme un feu, son geste de rompre le pain une révélation, la foi devient lumière dans la nuit, le ressuscité lumière dans leur vie, le Christ lumière du monde. Toute la cantate joue sur le dialogue entre ces deux réalités, ténèbres et lumières. Passage des ténèbres à la lumière, comme expression de la foi, comme expérience du croyant.

Cette cantate est chère au cœur de Denise qui la dirige aujourd’hui, car elle l’a dirigée à l’âge de 21 ans en Allemagne, avec 500 choristes, dans un contexte de réconciliation européenne, quand se reconstruisaient les liens entre la France et l’Allemagne après les années de guerre. Passage des ténèbres à la lumière ! Passage fragile mais passage réel, même après les ténèbres les plus profondes, la guerre, les massacres, la haine. Passage fragile car l’humanité reste faible, oublieuse du passé, toujours prête à repartir dans des affrontements terribles. Même après Pâques, les disciples auront besoin que le Christ reste avec eux. Même dans notre foi et notre espérance, nous avons besoin que le Christ reste avec nous.

 

3 – Notre vie

Reste avec nous, c’est le cri de notre foi.

La distance entre la Prusse du XVIIIe siècle et notre vie en France au début du XXIe siècle est grande ! Une cantate, par sa musique et encore plus par ses paroles, ne parle pas pour nous comme elle le faisait à Leipzig. On l’entend souvent pour le plaisir esthétique qu’elle procure, qui est aussi une joie intérieure et parfois une élévation de l’esprit et de la pensée, un apaisement du cœur aussi. Mais elle bien plus que cela. Elle est appel à entendre l’Evangile. A le comprendre, c’est-à-dire, étymologiquement, à le « prendre avec soi », à le vivre.

Le parcours des deux disciples sur la route d’Emmaüs, puis dans la maison où ils entrent le soir venu pour partager le repas, puis sur la route de retour, de nuit, vers Jérusalem et les autres disciples, est le parcours de notre foi. La foi, comme toute l’existence, est un chemin. Chemin éclairé par des souvenirs forts et plombé par des douleurs profondes. Chemin où le Christ chemine avec nous, même si nous ne le reconnaissons pas encore. Chemin où, l’espace d’un instant, se révèle comme une évidence une présence qui pourrait être celle de Dieu. Chemin qui se poursuit, dans la rencontre avec d’autres disciples, eux aussi témoins, à leur manière, d’une rencontre avec le ressuscité.

Au cœur de ce chemin, ces trois mots : « reste avec nous ». Ces trois mots qui se trouvent entre les paroles de Jésus sur le chemin et son geste de prendre le pain, remercier Dieu, le rompre et le donner. Entre la prédication et le sacrement. Au cœur du culte. Au cœur de la vie. Oui, ces paroles, « reste avec nous », sont les paroles du cœur de notre vie. En elles s’expriment le cri de notre angoisse quand le soir tombe et que nous avons peur de rester seuls, perdus, vides. En elles se partage l’appel à prolonger le moment délicieux passé ensemble. En elles se dit l’invitation à partager la route. Reste avec nous, ce n’est pas garder le Christ pour nous, mais le rencontrer pour être remis debout. Reste avec nous, ce n’est pas s’enfermer dans la maison le soir tombé mais repartir dans la vie, le cœur brûlant. Reste avec nous, c’est ce qui permet la rencontre décisive avec le Seigneur.

Dans quelques minutes, nous allons partager la cène. Nous allons revivre le dernier repas de Jésus avant sa mort ; nous allons revivre le premier repas de Jésus après sa résurrection. Nous allons prendre le pain, remercier Dieu, le rompre et le partager. Jésus ne sera pas présent à notre regard ; mais il sera présent, vraiment, avec nous, dans ce moment de communion. C’est ce que nous lui demanderons, dans la prière qui ouvre le moment où nous serons en cercle, et qui s’appelle techniquement « épiclèse », c’est-à-dire « invocation », c’est-à-dire appel à l’Esprit pour que ce simple partage d’un peu de pain et d’un peu de vin soit signe pour nous de la présence du ressuscité. Prière qui pourrait se résumer dans ces trois mots : reste avec nous.

Reste avec nous. C’est une parole de relation, une parole de mise en disponibilité pour rencontrer l’autre. La cène, comme tout le culte, n’est pas un moment magique. C’est un moment où peut surgir le signe de la présence vivante de celui qui nous rassemble. Cela ne marche pas à tous les coups, parfois on ne sent rien. Parfois, c’est après, parfois très longtemps après, qu’on se souvient qu’un feu brûlait en nous. Parfois, la conscience émouvante d’une présence qui transcende nos existences se donne à nous. Mais toujours le Christ est là. Sa présence n’est pas liée à notre sentiment ou à nos sensations, mais à sa grâce. Même quand nous croyons mal, ou pas, ou plus, Dieu demeure avec nous. Car c’est lui qui vient à nous, bien avant que nous ne venions à lui ! Cela est source de paix, de joie, de confiance. C’est pourquoi, que nous soyons plein de foi ou plein de doutes, ces paroles sont essentielles car elles disent le désir, la disponibilité, le besoin : reste avec nous. Comme les deux disciples sur la route d’Emmaüs, qui prononcent cette phrase alors qu’ils ne sont pas encore dans la foi, puisqu’ils n’ont pas encore reconnu que l’inconnu qui chemine avec eux est le Christ ressuscité. Ils ne le savent pas encore mais demandent déjà : reste avec nous.

Voilà pourquoi cette phrase est si belle, si importante. Trois mots tout simples, presque banals, mais l’expression de la vie. La quête de sens : reste avec nous. La disponibilité à la rencontre : reste avec nous.  La prière essentielle : reste avec nous. La confession de foi : reste avec nous. La force pour marcher dans la vie : reste avec nous. Le passage des ténèbres à la lumière : reste avec nous. Le chemin d’espérance : reste avec nous.

Oui, Seigneur, reste avec nous…

Amen.