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Ce que le masque nous dévoile

Ce que le masque nous dévoile - Prédication EPU Pentemont-Luxembourg

Prédication du dimanche 7 juin 2020, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : 2 Corinthiens 3, 12-18.

 

Nous voici rassemblés dans le temple de Pentemont, ce matin, pour le premier culte en ces lieux depuis le 8 mars. Rassemblés, moins nombreux que d’habitude en présence, mais en communion avec ceux qui sont avec nous depuis chez eux. Nous voici rassemblés, et c’est une joie de nous retrouver, une fête de se retrouver autour de l’Evangile ! C’est aussi un moment étrange, car nous ne sommes rassemblés qu’à moitié. A moitié parce que les contraintes sanitaires nous obligent à être moins nombreux, à moitié parce qu’une partie importante de notre paroisse n’est pas dans ce temple, à moitié parce que nous ne reprenons pas encore les cultes du soir rue Madame. A moitié aussi parce que nous sommes, dans ce temple, espacés les uns des autres, et que nous ne voyons que la moitié du visage des autres.

Nous portons un masque. Ici ce matin, mais aussi dans les transports en commun, dans les magasins, dans la rue. Il y a trois mois aucun d’entre nous n’aurait imaginé vivre cela. Porter un masque. C’est étrange car inhabituel. C’est nécessaire car cela diminue grandement les risques de propagation du virus. C’est difficile aussi, pour beaucoup d’entre nous. Pas seulement à cause de la sensation physique, de la chaleur. Aussi parce que cela donne à voir une société de protection et de méfiance, l’autre est à la fois dangereux et rassurant, on se croise et on se rencontre moins, on ne voit plus nos sourires.

Ce masque nous voile. Ce masque, en même temps, dévoile beaucoup de choses de notre société. Le masque est comme le symbole de ce qui nous arrive.

 

1. Le masque, symbole d’une crise de la parole

D’abord, le masque comme symbole de ces mois de confinement me rappelle le fait que tout le monde (ou presque), depuis le mois de mars, a un avis définitif sur tout, et en particulier sur ce que l’on ne sait pas : ce qu’il faudrait faire, l’immunité ou pas, la force ou pas de tel traitement, l’avenir du virus... Danger du savoir qui n’en est pas un mais qui se pose comme vérité qui nous enferme. Mes impressions, mes peurs et mes désirs deviennent certitude. Le masque, pourtant, nous révèle que nous ne savons pas tout, que nous ne maîtrisons pas grand-chose, que nous sommes ramenés à notre fragilité humaine et collective. Notre société technocratique, scientifique, rationnelle, est ramenée à sa pauvreté. Notre désir de toute-puissance est ébranlé. Mais "ma" parole est "la" vérité.

Le masque, comme symbole de ce qui nous arrive, révèle aussi la complexité de notre humanité. Combien de gestes généreux, de dévouement, de sympathie pour les soignants, les employés de supermarché, les éboueurs. Quelle attente forte d’un monde différent, où la solidarité et le partage ne seront pas des incantations mais de vraies réalités. Quels engagements concrets, et je pense comme simple exemple à celles et ceux qui, dans notre paroisse, se sont mobilisés pour fabriquer et distribuer des masques. Paroles d’espérance. Mais combien aussi de gestes égoïstes, de dénonciation des voisins, de repli sur soi-même, de retour aux peurs ancestrales, à la violence des relations. Combien d’élans pour garder pour soi ce qui protège, les stocks de masques, la concurrence mondiale pour prendre ce dont les autres auraient besoin, la guerre économique à venir autour du vaccin… Paroles de mensonge ? Je ne développe pas plus, mais nous connaissons la complexité de nos cœurs et de notre humanité où se mêlent la grandeur et le sordide. Parole vide.

Et puis le masque a montré, comme une loupe, le mal profond qui ronge notre société, la perte de confiance dans la parole. La défiance qui ébranle profondément le vivre ensemble. Ne pas mettre de masque car cela ne sert à rien… puis mettre un masque car cela est indispensable ; certes, l’hésitation, les balbutiements sont inévitables, mais l’impression que la justification du non port du masque n’était pas sanitaire mais le cache-misère d’une pénurie est tenace. Si une parole cache la vérité, elle perd tout crédit. Si une parole masque la réalité, elle devient mortifère. Si une parole voile les véritables intentions, elle ouvre à la défiance. Et une société ne peut vivre sur la défiance. Une société a besoin de la confiance. Le masque ne fait que révéler cette tendance forte, depuis plusieurs années, à communiquer, inventer une novlangue, positiver, maquiller, manipuler. Parole qui travestit la réalité.

Prétendre savoir, cacher l’égoïsme derrière de belles paroles, perdre confiance dans les mots des autres. Autant de symptômes d’une crise de la parole. La crise de notre société est une crise de la confiance. C’est une crise grave. Ce masque qui cache notre bouche voile la parole.

Mais, bonne nouvelle, si le masque cache notre parole, il n’obstrue pas nos oreilles ! Nous pouvons recevoir, entendre, écouter la parole dans laquelle nous mettons notre confiance. La Parole de Dieu. Elle nous rejoint là où nous sommes, dans notre réalité, dans notre humanité, dans notre complexité. Cette histoire de masque fait écho pour moi dans plusieurs passages de la Bible. Des passages importants. J’en partage trois avec vous ce matin.

 

2. Le voile sacré de Moïse

Le premier nous ramène au temps de l’exode, quand Moïse conduit son peuple de l’esclavage en Egypte vers la terre promise, pendant quarante années de cheminement éprouvant. Après avoir reçu de Dieu, sur le Mont Sinaï, les « Dix paroles », inscrites sur les tables de la loi, et les avoir cassées dans sa colère devant le veau d’or, Moïse remonte sur la montagne et reçoit à nouveau les dix paroles.

Ecoutez ce récit, en Exode 34, 29-35 : « 29Moïse descendit du mont Sinaï : les deux tablettes du Témoignage étaient dans la main de Moïse lorsqu'il descendit de la montagne ; Moïse ne savait pas que la peau de son visage s'était mise à rayonner lorsqu'il avait parlé avec lui. 30Aaron et tous les Israélites regardèrent Moïse : la peau de son visage rayonnait, et ils avaient peur de s'approcher de lui. 31Moïse les appela : Aaron et tous les princes de la communauté vinrent auprès de lui, et Moïse leur parla. 32Après cela, tous les Israélites s'approchèrent, et il institua pour eux tout ce que le SEIGNEUR lui avait dit sur le mont Sinaï. 33Lorsque Moïse eut achevé de leur parler, il mit un voile sur son visage. 34Quand Moïse entrait devant le SEIGNEUR pour parler avec lui, et jusqu'à ce qu'il sorte, il retirait le voile ; quand il sortait, il disait aux Israélites ce qui lui avait été ordonné. 35Les Israélites regardaient le visage de Moïse et voyaient que la peau du visage de Moïse rayonnait ; Moïse remettait alors le voile sur son visage jusqu'au moment où il rentrait pour parler avec lui. »

Moïse porte un voile. Ce n’est à proprement parler un masque comme le nôtre, mais il a une fonction équivalente : protéger les autres. Dans le récit de l’exode, Moïse, qui a parlé avec le Seigneur, en est plein de lumière divine, son visage en rayonne, et cela éblouit les Israélites. Moïse porte donc un voile sur la tête quand il est avec son peuple, et il le retire quand il rencontre le Seigneur.

Ce récit est riche d’enseignement. Il évoque d’abord, et principalement, la rencontre avec Dieu. Cette rencontre se passe dans l’intimité d’une relation directe, d’une personne à une autre, de Dieu à Moïse. Mais ce texte présente pour deux difficultés.

La première, c’est que seul Moïse accède à la relation directe avec Dieu. Lui seul monte le rencontrer sur la montagne, puis il descend seul pour communiquer sa parole au peuple. Il est l’intermédiaire entre Dieu et les autres. On est dans une conception où le chef du peuple est le représentant de Dieu.

Deuxième difficulté, c’est que Moïse, parce qu’il a rencontré Dieu, devient porteur d’un danger. Dans l’Ancien testament, Dieu est quelqu’un que l’on ne peut pas voir. Il est trop sacré, trop puissant, trop différent ; le voir c’est dangereux[1]. Dieu, le sacré, il vaut mieux le tenir à distance.

 

3. Le voile déchiré du Temple de Jérusalem

En Jésus-Christ, cette vision de Dieu est profondément modifiée. Un Dieu qui ne peut se voir, un Dieu qui est dangereux à rencontrer, un Dieu qui ne se manifeste que par l’intermédiaire du chef, devient un Dieu proche, un Père que son Fils révèle, un ami à qui l’on peut s’adresser en toute paix, accessible directement à tout le monde.

Jésus vient montrer le visage de Dieu. « Celui qui m’a vu a vu le Père », dit Jésus à Philippe dans l’évangile de Jean (14, 9).

Celui qui m'a vu a vu le Père. Jean 14, 9

Jésus vient rendre Dieu proche de nous ; en Jésus, Dieu s’approche de nous pour que nous puissions nous approcher de lui, non plus dans la peur du sacré, mais dans la confiance de l’amitié. Et Jésus, par ses paroles, se gestes, toute sa vie, n’a de cesse de rendre Dieu proche de ceux qui en ont été éloignés, que ce soit par les règles de pureté, l’exclusion sociale, le jugement moral, les épreuves de la vie. La croix, c’est la proximité ultime de Dieu avec ceux qui souffrent,

Et là, un autre texte important, une autre histoire de voile. Symboliquement, quand Jésus meurt sur la croix, les trois évangiles synoptiques nous disent que le voile du Temple se déchire en deux. Le voile du Temple, c’est un épais rideau qui se trouvait au cœur du temple de Jérusalem. Ce Temple, symbole de la religion et du pouvoir, lieu des sacrifices et de la présence de ce Dieu qui fait peur, était un lieu très réglementé, avec beaucoup de ségrégation. Plus on s’approchait du sacré, moins nombreux étaient ceux qui étaient admis. En zone concentriques, il y avait la cour des non-juifs, puis la cour des femmes, puis la cour d’Israël (c’est-à-dire des hommes), puis la cour des prêtres, puis le lieu saint, et en son cœur le lieu très saint. Dans ce dernier, le saint des saints, le « débir » en hébreu, seul le grand-prêtre avait le droit d’aller, une fois par an, pour la fête du Kippour, le jour du pardon. Cet espace sacré était fermé par un grand voile.

C’est ce voile qui se déchire à la mort de Jésus. La séparation entre Dieu et les êtres humains n’a plus lieu d’être, la rencontre est offerte directement à tous. Matthieu (27, 51) et Marc (15, 38) précisent que le voile se déchire de haut en bas, pour signifier que c’est l’initiative de Dieu lui-même d’ôter cet obstacle. Luc (23, 45), quant à lui, écrit que le voile se déchire par le milieu, comme pour ouvrir un passage. Dieu nous rejoint dans nos misères pour nous entraîner dans la résurrection, pour nous entraîner dans l’espérance, dans la vie, dans la joie ! En Jésus-Christ, il n’y a plus d’obstacle, plus de voile, plus de masque entre Dieu et nous, mais un passage où souffle l’Esprit saint.

 

4. Paul : le voile ôté par le Seigneur

Troisième texte important, l’extrait de la deuxième lettre de Paul aux Corinthiens que nous avons entendu tout à l’heure. L’apôtre y aborde la question de la relation à Dieu, en référence au voile dont se couvrait Moïse dans l’exode. Dans cette lettre, de manière un peu compliquée mais très profondément, Paul partage le cœur de l’Evangile et ses joyeuses conséquences pour nous.

Attention, il ne faut pas mal comprendre ce texte et l’utiliser comme un argument polémique contre le judaïsme d’aujourd’hui. Ce texte date du milieu du premier siècle de notre ère. Paul est juif, comme la plupart des premiers chrétiens, et c’est au sein de la tradition juive qu’il discute sur la relation à Moïse et à la parole de Dieu.

Dans le passage que nous avons lu, il rappelle que nous ne portons pas de voile comme Moïse ; symboliquement, dit Paul, ce voile voilait l’intelligence de la Parole, il était comme un voile sur le cœur des croyants. Mais en Jésus, dit Paul, ce voile est enlevé, ce voile disparaît ; chaque croyant est comme Moïse, dans une relation directe avec Dieu. Alors, comme Moïse, nous sommes illuminés par la rencontre avec le Seigneur.

« Nous tous qui, le visage dévoilé, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, de gloire en gloire ; telle est l’œuvre du Seigneur, qui est l’Esprit. »                  2 Corinthiens 3, 18

Mais cette lumière n’est pas dangereuse pour les autres, elle rayonne de nous pour les autres, elle fait de nous des témoins de l’Evangile. L’Evangile n’est plus voilé ! L’Evangile est pour tous, par nous. Plus d’angoisse mais l’espérance. Plus de crainte mais l’assurance. La présence de l’Esprit. La liberté : « Là où est l’Esprit du Seigneur, dit Paul, là est la liberté » (v. 17). Magnifique parole qui dit notre liberté devant Dieu, et notre liberté devant les êtres humains ; porteurs de la grâce en ce monde : « Nous tous qui, le visage dévoilé, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, de gloire en gloire ; telle est l’œuvre du Seigneur, qui est l’Esprit » (v. 18). Comment mieux dire ce Dieu proche qui illumine nos vies, et cette lumière en nous qui rayonne dans ce monde ? La foi, c’est ne plus être séparé de Dieu, et être chargés en ce monde du ministère de la réconciliation des êtres humains avec Dieu.

Nous vivons des temps difficiles, des temps d’épreuve, une crise de la parole, une crise de confiance. La tentation du désespoir, de l’abandon, du repli sur soi peut être forte. Mais l’Evangile nous dévoile la présence de Dieu, nous révèle son amour pour nous, sa force en nous, son espérance par nous. Le dernier livre de la Bible s’appelle « dévoilement » ; « apocalypse », cela veut dire littéralement « voile enlevé », dévoilement, révélation. Le Nouveau Testament ne s’achève pas dans un récit de catastrophe, mais nous ouvre à un espace de dévoilement : au milieu de l’épreuve, Dieu est avec nous.

Alors, nous qui sommes masqués ce matin, réjouissons-nous ! Ce masque ne nous sépare pas d’avec Dieu : nous pouvons prier, entendre sa parole, connaître sa proximité, recevoir sa lumière. Ce masque ne nous sépare pas des autres : nous pouvons les saluer de la main, les regarder, leur sourire avec les yeux. Ce masque ne nous sépare pas de ce monde : il est le signe de notre attention aux autres, de notre responsabilité sur cette terre. L’Evangile traverse nos masques. Il vient vers nous, il passe par nous. Il dévoile notre péché et nous ouvre au pardon de Dieu, il dévoile nos illusions et nous ouvre à la grâce de Dieu, il dévoile nos fragilités et nous ouvre à la force de Dieu, il dévoile notre complexité et nous ouvre à la fidélité de Dieu.

Nous sommes masqués mais Dieu nous voit tels que nous sommes, en vérité, dans son regard d’amour. Dans l’Esprit saint, cela nous remplit d’espérance, nous donne de l’assurance, nous rend libres, nous transfigure, nous envoie dans ce monde comme témoins engagés pour un monde où tous les voiles de haine, de ségrégation, d’injustices sont appelés à tomber. Où nous sommes appelés à les faire tomber. Pour que plus rien ne vienne masquer la dignité de chaque être humain, pour que chacun soit dévoilé, révélé comme image de Dieu. Voir dans l’autre le visage du Christ, voilà ce que réalise le Seigneur, qui est l’Esprit !

Amen.

 

 

[1] Moïse ne le voit pas, d’ailleurs, quand il s’entretient avec lui. Au chapitre 33, voici ce qu’il est précisé : "18Alors Moïse dit : Fais-moi voir ta gloire, je t'en prie ! 19Il répondit : Je ferai passer devant toi toute ma bonté et je proclamerai devant toi le nom du SEIGNEUR (YHWH) ; je ferai grâce à qui je ferai grâce, et j'aurai compassion de qui j'aurai compassion. 20Il ajouta : Tu ne pourras pas voir ma face, car l'être humain ne peut me voir et vivre. 21Le SEIGNEUR dit : Voici un lieu près de moi ; tu te tiendras sur le rocher. 22Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu'à ce que je sois passé. 23Puis je retirerai ma main, et tu me verras par-derrière ; mais ma face ne pourra pas être vue."