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La crise d'adolescence de Jésus

Texte de la prédication du dimanche 14 janvier 2024, par le pasteur Christian Baccuet.

 

La crise d’adolescence de Jésus

 

Prédication du dimanche 14 janvier 2024, par la pasteur Christian Baccuet.

Lecture biblique : Luc 2, 41-52

 

 

1. Un adolescent et ses parents

Jésus à douze ans dans le Temple de Jérusalem… J’aime cette histoire de face à face, d’amour et de rupture, d’incompréhension. Elle fait écho aux relations entre les parents et les enfants, aux difficultés entre les générations… à la vie, quoi !

Jésus a douze ans, il n’est plus un petit enfant, il n’est pas encore un adulte. Il est dans cet âge que nous nommons aujourd’hui l’adolescence. Dans le judaïsme du 1er siècle, douze ans est l’âge où l’on passe de l’enfance à l’âge adulte.

Jésus et ses parents sont venus en famille, comme chaque année, fêter la Pâque à Jérusalem. Marie et Jésus sont venus avec Joseph. C’est donc une famille pieuse, car habituellement seuls les hommes devaient accomplir le voyage à Jérusalem pour la fête de la Pâques. Ils ont fait plusieurs jours de voyage depuis Nazareth où ils habitent, dans la lointaine Galilée. Ils ont passé une semaine à Jérusalem, pour participer au culte dans le Temple et écouter les maîtres qui débattent de Dieu et de sa Loi sous les portiques du sanctuaire. Les voilà sur le chemin du retour.

Mais au bout d’une journée de marche, les parents de Jésus s’aperçoivent que leur fils n’est pas avec eux. Ce n’est pas de la négligence de leur part : à douze ans, un garçon est considéré comme religieusement adulte, il peut donc voyager avec d’autres pèlerins qui font avec eux le voyage de retour vers la Galilée ; il pouvait y avoir plusieurs centaines de personnes faisant le déplacement ensemble. Mais il n’est pas non plus avec les autres membres de la famille qui font le voyage. Ils le cherchent activement pendant trois jours. On peut imaginer leur angoisse : quoi de plus stressant pour des parents que de chercher son enfant sans le trouver ?

Le troisième jour, enfin, ils le retrouvent à Jérusalem. Il est tranquillement assis dans le temple, en train de discuter avec les théologiens. Il les écoute et il les interroge, comme tout jeune homme pieux ; il leur répond aussi, il dialogue avec eux. Il est doué, il fait l’admiration de tous par ses réponses, on s’extasie devant son intelligence. Il s’y connait déjà en culture biblique et est déjà habile à interpréter les Ecritures.

Ici, je pense à Marie, cette pauvre mère dont le cri révèle tout à la foi l’inquiétude folle et le soulagement intense, la joie de l’avoir retrouvé et l’envie de le couvrir de reproches : « Pourquoi nous as-tu fait cela ? »[1]. On t’a cherché partout, tu nous as fait peur ! Je pense à Joseph, ce pauvre père sans voix, dont le silence dans ce récit est peut-être la marque d’un homme qui se trouve soudain démuni devant son fils, dépassé par l’événement. Pauvres parents confrontés à un fils qui leur échappe. D’accord, il est en lieu sûr, au milieu des savants dans le temple. D’accord, il ressemble ainsi au jeune Samuel, mille ans auparavant, cet enfant à qui Dieu parlait dans le sanctuaire et dont on disait qu’il faisait déjà preuve de sagesse[2]. D’accord, il est brillant. Mais tout de même… il n’a que douze ans !

Et lui, Jésus, ne semble pas trop s’émouvoir de l’angoisse de ses parents. Il s’en étonne même, il répond comme un effronté : « Pourquoi me cherchiez-vous ? »[3] Mon père était inquiet ? Mais ici, je suis « dans la maison de mon Père ! ». Comme il parait prétentieux, ce Jésus enfant qui remet publiquement son père à sa place.

Jésus n’a que douze ans mais, déjà, il échappe à ses parents. J’aime ce passage où Dieu se fait ainsi présent au cœur de nos tensions familiales, de nos conflits entre générations, de nos existences ! L’enfance de Jésus, dont la Bible ne nous dit rien d’autre que cet épisode, a donc été une vraie enfance, jusque dans les conflits d’un adolescent avec ses parents. Ce récit enracine Jésus dans l’existence humaine. A travers lui, j’entends la prise au sérieux de nos vies, comme de l’histoire des êtres humains. Nos souffrances, nos épreuves, nos conflits ne sont pas des échecs. Ils sont la pâte même de la vie. La foi n’est pas une évasion. Elle se vit au cœur de la vie. C’est là que le Christ est présent. Il sait ce qu’est la vie. Il sait donc ce qu’est ma vie. Il la rejoint dans ce qu’elle a de plus vrai, de plus personnel, de plus intime. Jésus se fait proche de moi, pour que moi aussi je prenne au sérieux l’existence humaine et sa complexité, la mienne et celle des autres.

 

2. Une crise qui révèle l’essentiel

Le récit de Jésus enfant dans le Temple fait écho à ma vie. Il n’en est pourtant pas le miroir. Il ne m’enferme pas dans un simple face à face avec moi-même. Car la réponse de Jésus à ses parents n’est pas que la réponse spontanée d’un adolescent effronté qui remet ses parents à la place qu’il leur assigne. Elle est une réponse fondamentale. C’est une crise, mais pas au sens contemporain du terme. Dans le monde antique, le terme κρίσις (krisis) désigne un moment décisif, un moment où l’essentiel se découvre. Ici, c’est une crise, dans le sens où se joue quelque chose de fondamental sur l’identité de Jésus.

C’est la première prise de parole de Jésus dans l’évangile de Luc. C’est la première fois qu’il parle. En une phrase, l’essentiel est dit. « Ton père te cherche », lui reproche sa mère ; « mais je suis dans la maison de mon Père ! », répond le fils. Littéralement, il répond : « Il me faut être aux choses de mon Père ». Sa réponse ne dit pas seulement le lieu où il se trouve, le Temple demeure de Dieu, mais le lien privilégié : j’ai à faire avec mon Père !

« Mon Père ». Jeu de mots autour de l’identité du père. Ton père, Joseph, te cherche ; mais je suis avec mon Père, Dieu ! Jésus est un enfant comme un autre, il est le fils de Joseph, Joseph est son papa. Mais il n’est pas n’importe quel enfant : il est le fils de Dieu. Dieu est son Père ! Jésus est à la fois fils de l’homme et fils de Dieu. C’est le cœur de la foi chrétienne. La réponse de Jésus est ainsi une confession de foi. Jésus est le fils de Dieu.

Cette affirmation traverse tout l’évangile de Luc. Une quinzaine d’années plus tard, au tout début de son ministère public, au moment de son baptême par Jean le Baptiste, la voix de Dieu lui dira : « Tu es mon Fils bien-aimé »[4]. Elle le répètera lors de la transfiguration, quand Pierre, Jacques et Jean, en haut de la montagne, entendront Dieu dire : « Il est mon Fils, celui qui a été choisi »[5]. Jésus dans ses paraboles mettra en scène Dieu comme un père, comme dans celle du « Père prodigue »[6]. Il apprendra à ses disciples à prier Dieu comme il le prie lui-même, en le nommant « Père »[7] ; dans l’évangile de Marc, il l’appelle même « abba »[8], ce qui en araméen veut dire « papa ». Et, tout à la fin de l’évangile de Luc, les derniers mots que Jésus prononcera évoqueront encore son Père, quand il promettra aux disciples réunis après sa résurrection de leur envoyer l’Esprit saint : « J’enverrai moi-même sur vous le don que mon Père a promis »[9].

Le cœur de l’Evangile jaillit du texte que nous méditons aujourd’hui. Jésus est le fils de Dieu. Lui, l’enfant de douze ans au milieu des théologiens, dit déjà le lien fort qui le relie à Dieu. C’est pourquoi tout le monde s’étonne de la sagesse dont il fait preuve ; il n’a pas une intelligence hors de mesure, mais une connaissance nouvelle de Dieu, une compréhension profonde de sa parole, une relation étroite à son Père.

Jésus révèle ainsi que Dieu est Père. Que Dieu s’offre comme un père pour nous. Parce que Jésus est notre frère en humanité, nous voilà appelés avec lui à une relation nouvelle avec Dieu. Un Dieu qui n’est pas une puissance qui organiserait les événements du monde et jugerait le comportement des êtres humains, mais un père. Notre Père.

Peut-être que pour vous l’image d’un père renvoie à une expérience douloureuse, d’écrasement ou d’absence. Mais quand Jésus parle de Dieu comme d’un Père, c’est pour ouvrir à une relation fait d’amour, de confiance, de responsabilisation. Un lien qui pousse à grandir. Recevoir l’amour de Dieu, c’est devenir adulte, libre, responsable. C’est un défi, dans un monde où beaucoup de choses, depuis le fanatisme religieux jusqu’à la consommation marchande, cherchent à nous soumettre. Dieu nous veut libres, comme un Père aide son enfant à devenir autonome.

Cette révélation est là, en germe, dans ce petit enfant de douze ans. Il demeure le fils de Marie et de Joseph, il va rentrer avec eux à Nazareth, il va continuer à grandir, à émerveiller ses parents, à les troubler aussi. La révélation ne va se faire que peu à peu. Il va falloir du temps. Comme il nous faut du temps pour découvrir dans notre vie à quel point Dieu est pour nous un Père…

 

3. La crise d’adolescence de notre foi

Il nous faut du temps. Quelque chose me touche particulièrement dans ce récit. Après l’avoir retrouvé dans le Temple, après avoir été saisis d’admiration de le voir brillamment discuter avec les théologiens, après l’avoir entendu dire « je suis aux affaires de mon Père », ses parents, nous dit Luc, « ne comprirent pas ce qu’il leur disait »[10].

Marie, avant d’être enceinte, a pourtant bénéficié de la révélation de l’ange qui lui a dit le destin de son fils à naître : « Il sera grand et on l'appellera le Fils du Dieu très-haut. Le Seigneur Dieu fera de lui un roi, comme le fut David son ancêtre, et il régnera pour toujours sur le peuple d'Israël, son règne n'aura pas de fin. »[11]  Puis l’ange a dit : « l'enfant qui va naître sera saint, on l'appellera Fils de Dieu »[12]. Elle a reçu la salutation d’Elisabeth : « Dieu t'a bénie plus que toutes les femmes et sa bénédiction repose sur l'enfant que tu portes ! »[13]. Quand Jésus bébé a été présenté par ses parents dans le Temple, Siméon a béni Dieu à propos de Jésus : « C'est la lumière qui te fera connaître aux populations et qui sera la gloire d'Israël, ton peuple. »[14] Ils sont déjà préparés, mais Marie et Joseph ne comprennent pas ce que leur fils leur dit, ce jour-là.

Comme eux, nous pouvons déjà avoir entendu, mais avoir encore de la peine à comprendre. Pour comprendre, « com-prendre », prendre avec soi, il faut du temps. Marie, à la fin de cet épisode, comme elle le faisait après la naissance de Jésus, « gardait en elle le souvenir de tous ces événements »[15]. Elle sent l’importance de ce qu’il se passe mais elle n’en comprend pas vraiment le sens. Elle a besoin de cheminer encore.

L’identité véritable du Christ n’éclatera que plus tard. Dans quelques années. C’est en effet par sa mort et sa résurrection que le Fils de Dieu va se révéler pleinement. Notre récit, déjà, en pose comme des signes. C’est à Jérusalem que Jésus va être arrêté. C’est à cause de ses paroles contre les sacrifices pratiqués dans le Temple qu’il va être condamné[16]. C’est lors de la fête de la Pâques qu’il va être crucifié. Sur la croix, ses dernières paroles avant de mourir seront celles du Fils de Dieu : « Père, je remets mon esprit entre tes mains ! »[17]. La résurrection éclatera, comme dans notre récit, au troisième jour. Et, au matin de Pâques, en écho aux paroles de Jésus enfant interpellant ses parents – « Pourquoi me cherchez-vous ? » –, les messagers de la résurrection diront aux femmes en deuil : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? »[18].

A douze ans, Jésus échappait à ses parents. Adulte, il échappe à toute conformité. A Pâques, il échappe à la mort. Confesser le Christ ressuscité, c’est dire qu’aujourd’hui encore il échappe à toute main mise. Il échappe même à nos définitions, à nos récupérations. Il nous permet ainsi d’être libérés de tout ce qui nous enferme et nous retient, pour que nous puissions vivre librement, d’une vie renouvelée, d’une Parole vivante.

Il faut du temps pour comprendre cela, pour le vivre. C’est nous qui sommes en crise d’adolescence, dans ce temps d’entrée dans l’âge adulte de la foi ! Ce temps de crise, de bouleversement, de décision, est le nôtre. Durant ce temps, nous pouvons garder en nous, comme Marie, le souvenir de tous ces événements. Même si nous ne comprenons pas encore tout ce que cela signifie, nous pouvons conserver au fond de nous notre étonnement devant ce Dieu Fils, proche de nous dans son humanité, ce Dieu Père, proche de nous dans son amour. Le garder en nous, pour le laisser germer en nous et ainsi donner du fruit.

Amen.

 

[1] Luc 2, 48.

[2] 1 Samuel 3, 19.

[3] Luc 2, 49.

[4] Luc 3, 22.

[5] Luc 9, 35.

[6] Luc 15.

[7] Luc 11, 2.

[8] Marc 14, 36.

[9] Luc 24, 49.

[10] Luc 2, 50.

[11] Luc 1, 32-33.

[12] Luc 1, 35.

[13] Luc 1, 42.

[14] Luc 2, 32.

[15] Luc 2, 51. Voir Luc 2, 19 : « Quant à Marie, elle gardait tout cela dans sa mémoire et elle y réfléchissait profondément. »

[16] Luc 19, 45-48.

[17] Luc 23, 46.

[18] Luc 24, 5.