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Qui sera élu ?

Texte de la prédication du dimanche 10 avril 2022, par le Pasteur Christian Baccuet

Qui sera élu ?

 

Genèse 25, 1-11

Luc 19, 28-40

 

Pentemont, 10 avril 2022. Dimanche des Rameaux.

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

 

 

Aujourd’hui, premier tour des élections présidentielles. Qui sera élu ? De quoi sera fait demain, dans un monde en crise ? A quelle parole se fier, quel homme ou femme choisir, quel avenir construire ?

Aujourd’hui, dimanche des Rameaux. L’entrée de Jésus dans Jérusalem, accueilli par une foule en liesse qui attend cet homme comme on attend le messie.

Aujourd’hui, dernier dimanche de notre cycle de prédications sur Abraham. Le chapitre qui nous raconte sa mort, la fin d’une histoire, et le début d’une autre, celle de son fils Isaac.

Quel lien entre ces trois événements ?

 

1. Abraham

Abraham d’abord. Récit émouvant que celui d’aujourd’hui qui nous rapporte la mort du patriarche. Après une très longue vie de cheminement dans les épreuves, la confiance, la promesse… Isaac, le fils attendu, est enfin né et il a grandi. Sara, la femme d’Abraham, sa compagne des bons et des mauvais jours, qui a cheminé avec lui à travers douleurs et joie, est morte, très âgée ; elle a été enterrée à Hébron, sur un terrain que la nomade a acheté pour l’occasion (Genèse 23). La vie a continué, Isaac s’est marié avec Rébecca (Genèse 24). Abraham, nous dit le texte de ce jour, a eu d’autres enfants avec d’autres femmes. Sa descendance s’est multipliée et s’est répandue sur d’autres territoires. Puis Abraham a donné ses biens à Isaac, le fils de la promesse, et il meurt, comme le traduit délicieusement la Bible Segond, « après une heureuse vieillesse, âgé et rassasié de jours ». Mort naturelle, paisible. Abraham rejoint ses ancêtres, il est enterré auprès de Sara. Belle histoire et belle fin.

Une fin qui est en même temps un nouveau départ, puisque le texte nous dit, aussitôt, qu’« après la mort d'Abraham, Dieu bénit son fils Isaac. Isaac habita près du puits de Lahaï-Roï ». Dieu bénit Isaac : la bénédiction dont Abraham était porteur est transmise à son fils, c’est ce dernier qui en est maintenant le bénéficiaire, c’est lui qui la transmettra à son tour à son fils Jacob. Histoire de la fidélité de Dieu. Des générations se succèdent et transmettent à leur tour la bénédiction de Dieu à la suivante.

Isaac habite près du puits de Lahaï-Roï. Rappelez-vous, c’est le puits près duquel Agar, la servante de Sara, enceinte d’Abraham, portant en elle Ismaël, chassée par sa maîtresse, en perdition, avait été secourue par Dieu (Genèse 16). Lieu de vie. Lahaï-Roï, c’est aussi le lieu où Isaac et Rebecca se sont vus pour la première fois, lieu de leur rencontre et de leur amour naissant (Genèse 24). Lieu de vie. En hébreu, Lahaï-Roï signifie « Le Vivant qui me voit » ; c’est une confession de foi en Dieu qui voit, qui secourt, qui remet en vie, qui donne sa bénédiction. Dieu de vie.

L’histoire d’Abraham avait commencé comme une histoire fermée, sans avenir, et voici qu’elle se termine en s’épanouissant, ouverte vers l’avenir, porteuse de transmission, de bénédiction d’espérance. Abraham a été choisi par Dieu pour être son ami, il laisse la place à Isaac pour que l’histoire se poursuive et il devient ainsi le « père des croyants » (Romains 4, 11). Il va être suivi par une foule de descendants aussi nombreux que les étoiles dans le ciel et les grains de sable au bord de la mer. Abraham meurt mais l’histoire de la promesse continue. Sa vie porte fruit au-delà de lui-même. Le chapitre suivant fera entrer le lecteur dans le cycle d’Isaac, puis dans celui de Jacob fils d’Isaac, puis dans celui des douze fils de Jacob, ancêtres des douze tribus d’Israël, puis Moïse, Josué, les Juges, les Rois, l’attente messianique… une histoire de promesse et d’espérance que chaque génération est appelée à vivre à son tour. L’histoire d’Abraham est une histoire qui ouvre fondamentalement vers l’avenir.

 

2. Jésus

Parmi les descendants d’Abraham, près de deux mille ans plus tard, figure Jésus. En lui, l’histoire de la bénédiction de Dieu va être pleinement manifestée, l’alliance renouvelée ; c’est le sens de l’expression « Nouveau Testament », littéralement « alliance nouvelle », qui ne remplace pas l’ancienne mais l’accomplit, lui donne se profondeur, sa réalité, son incarnation.

Dans le Nouveau Testament, on trouve 69 fois mention d’Abraham. Il y est mentionné dans la confession de foi dans le Dieu qui accompagne l’histoire des siens de génération en génération, ce que l’expression « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » signifie : le Dieu de nos ancêtres est aussi notre Dieu, le même hier, aujourd’hui et demain… Pas dans le sens d’un Dieu immuable mais dans celui d’un Dieu à la fidélité sans faille, sur lequel on peut compter, source de toute confiance. Abraham y est cité comme celui qui fait lien entre nous et Dieu (Luc 16), celui qui a cru en la promesse, celui qui incarne la foi en Dieu (Romains 4, Galates 3, Hébreux 11), celui qui est l’ami de Dieu (Jacques 2, 23). Il y est présenté dans une dimension spirituelle dont Jésus est l’héritier (Actes 3, 13 ; Galates 3).

Il y est aussi désigné comme l’ancêtre d’un peuple. Et là surgit un gros problème ! Les Pharisiens, les scribes, les Maîtres de la Loi du temps de Jésus revendiquent d’être les descendants d’Abraham, ils s’en vantent, ils tiennent de là non seulement leur fierté mais aussi leur légitimité à être de bons croyants. Ils retirent supériorité du fait d’avoir cet ancêtre célèbre, ils considèrent qu’ils ont des droits supérieurs parce qu’ils sont bien nés. Leur identité les sépare des autres, les étrangers, les impurs, les mauvais croyants, tous ceux qui sont forcément moins bien qu’eux, voire un danger pour eux.

C’est dans ce contexte que Jésus fait son entrée dans Jérusalem, entouré de ses disciples et acclamé par la foule, monté sur un ânon en référence à Zacharie 9, 9 : « Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion ! Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse ». Dans son temps, parmi ceux qui se revendiquent être les descendants d’Abraham, le contexte est à la crise. Dans un pays occupé par les Romains, les tensions nationalistes sont fortes, les révoltes se multiplient, des leaders surgissent comme autant de messies prêts à en découdre, entraînant quelques fidèles à leur suite dans une dérive violente et sans issue. Ainsi avons-nous trace, dans l’histoire, de soulèvements autour de Judas le Galiléen en 6, de Theudas en 45, d’un égyptien dans les années 50, de Jésus fils d’Ananias dans les années 60, puis de la grande révolte contre Rome à partir de 66, jusqu’à la destruction de Jérusalem et du Temple par les Romains en 70.

Dans ce siècle agité, l’entrée de Jésus à Jérusalem est paradoxale. On l’acclame parce qu’il a fait des miracles ; malentendu pour ceux qui attendent du spectaculaire, alors que les miracles ne sont pas des actes extraordinaires mais des signes qui disent la présence de Dieu et ouvrent à l’avenir ; certes ces gestes sont parfois puissance inattendue, mais ils sont souvent des actes sur lesquels Jésus demande discrétion, et qui ne s’imposent pas comme une évidence puisqu’ils suscitent de l’opposition. L’accueil de Jésus ce jour-là est cri de foi pour les disciples qui l’acclament en citant le Psaume 118, v. 26 : « Que Dieu bénisse celui qui entre ici au nom du Seigneur ! ». Le Psaume 118 est un psaume messianique qui célèbre Dieu qui vient délivrer son peuple. Il était chanté lors de la fête de la Pâque pour faire mémoire du Dieu qui a libéré son peuple de l’esclavage en Egypte, qui a ramené son peuple de l’exil à Babylone, qui vient encore aujourd’hui pour les siens. Dans le contexte du 1er siècle, cela peut faire écho à l’attente d’un messie royal qui viendra chasser les Romains. Mais Jésus arrive assis sur un ânon, monture pacifique. Il ne vient pas comme un messie nationaliste mais comme celui qui vient révéler Dieu ; non comme un Dieu de violence, d’exclusion, mais comme le Dieu qui libère de toutes les puissances de mort, à commencer par celles que nous avons au fond de nous-mêmes.

Cela nous le savons bien, même si cela nous dérange. Jésus vient mettre à bas nos prétentions à croire en nous-mêmes, à rejeter les autres, à diviser. Il se présente comme un messie pacifique. Non pas un messie fade ou lâche, mais comme celui qui donne la vraie paix, faite de justice et d’accueil, de souci du démuni, de l’étranger, de l’exclu. Fondamentalement, il ouvre à l’avenir ceux qui n’en avaient plus. Toute la vie de Jésus, ses paroles, ses actes, ses rencontres le montrent. Ce messie-là nous gêne parfois, dans nos pulsions de mort. Nous aimerions parfois le faire taire. C’est d’ailleurs ce que voudraient les Pharisiens qui se trouvent dans la foule à Jérusalem, ce jour-là : « ordonne à tes disciples de se taire ! » (Luc 19, 39).

Et là, Jésus leur répond avec cette phrase célèbre : « S’ils se taisent, les pierres crieront ! » (Luc 19, 40). Jésus leur dit qu’il n’est pas possible de faire taire les disciples ; on peut en faire taire quelques-uns, mais il y en aura toujours d’autres qui surgiront, et même si on les faisait tous taire, d’autres encore surgiraient, même là où c’est improbable, même les pierres deviendraient ces disciples. Cela résonne dans l’histoire des chrétiens, qu’aucune persécution n’a jamais pu faire taire. Vous voulez faire taire les disciples ? C’est impossible ! Cela fait aussi écho à une parole de Jean-Baptiste, plus haut dans l’évangile de Luc. Jean disait à la foule qui venait le voir et qu’il appelait à être plus cohérente : « Montrez par des actes que vous avez changé de mentalité et ne vous mettez pas à dire en vous-mêmes : “Abraham est notre ancêtre.” Car je vous déclare que Dieu peut utiliser les pierres que voici pour en faire des descendants d'Abraham ! » (Luc 3, 8).

Tiens, nous revoilà avec Abraham !

 

3. Fils et filles d’Abraham

Ou plutôt, avec les descendants d’Abraham. Car la grande question est : qui est descendant d’Abraham ? La parole de Jean-Baptiste était claire : on n’est pas descendant d’Abraham parce qu’on se glorifie de l’avoir comme ancêtre, mais parce que l’on change de mentalité – on se convertit – et qu’on le montre par des actes, comme Abraham, en vivant confiant dans la promesse de Dieu et le regard porté au-delà de soi-même.

Qui est descendant d’Abraham ? C’est une polémique qui traverse le Nouveau Testament. Au chapitre 8 de l’évangile de Jean, par exemple, Jésus dit à des personnes qui ont cru en lui : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jean 8, 32). Mais ses auditeurs protestent : « Nous sommes les descendants d'Abraham et nous n'avons jamais été les esclaves de personne. Comment peux-tu nous dire : “Vous deviendrez libres” ? » (v. 33). S’ensuit une discussion serrée entre eux et Jésus, au sujet de la manière d’être descendants d’Abraham : par le sang, ou par l’obéissance à la Parole de Dieu ? C’est un passage polémique. Jésus s’adresse à des personnes qui ont mis leur foi en lui, mais qui prétendent tenir leur identité de leurs ancêtres et de leurs traditions. Elles estiment ne pas avoir besoin que Jésus leur apporte la liberté. Elles s’enferment ainsi sur elles-mêmes. La fin du passage marque une rupture entre elles et Jésus ; quand Jésus leur dit le lien spirituel entre Abraham et lui, elles cherchent à le lapider (v. 56-59).

Comme nous ressemblons à ces personnes qui veulent croire en Jésus mais n’y arrivent pas vraiment, quand nous mettons notre confiance en nous-mêmes, dans nos propres forces, notre patrimoine, nos ancêtres ! Quand nous n’avons pas de place en nous pour le Christ, nous restons esclaves de notre prétention à être libres tout seuls. Quand nous plaçons notre foi en lui, nous le suivons, lui qui est le chemin, la vérité et la vie (Jean 14, 6). Pour chacun de nous, et pour nous ensemble, c’est un appel à mettre notre confiance fondamentale non pas dans notre nationalité, notre histoire, nos richesses, notre confort, ou dans l’attente d’un messie politique – on sait la fragilité de tout cela – mais dans la parole qui nous rend libres, dans la vérité de ce que nous sommes fondamentalement, intérieurement : notre identité reçue du regard de Dieu sur nous, qui nous ouvre, fondamentalement, à l’avenir.

Paul le dira clairement dans sa lettre aux Galates : « Vous êtes tous enfants de Dieu par la foi qui vous lie à Jésus Christ. Vous tous, en effet, vous avez été unis au Christ dans le baptême et vous avez ainsi revêtu la manière d'être du Christ. Il n'y a plus ni Juif ni païen, il n'y a plus ni esclave ni citoyen libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; en effet, vous êtes tous un, unis à Jésus Christ. Si vous appartenez au Christ, vous êtes alors les descendants d'Abraham et vous recevez l'héritage que Dieu a promis » (Galates 3, 26-29).

En Christ, être enfants d’Abraham, c’est marcher dans l’espérance, cahin-caha mais tournés vers l’avenir. C’est être confiants dans la bénédiction que le Dieu d’Abraham a promise au patriarche et à ses descendants. C’est suivre le Christ sur cette terre et nous y engager avec lui pour qu’elle soit plus juste, fraternelle et solidaire, au-delà de l’horizon de notre confort personnel, fondamentalement ouverts aux autres et à l’avenir. C’est chercher les moyens les meilleurs, ou les moins mauvais, pour cela. C’est ne jamais élever nos choix politiques au niveau d’une parole divine, sans les rejeter car ils participent de notre vie ensemble. C’est ne pas relativiser les conséquences de nos engagements collectifs tout en assumant leur précarité. C’est, en « réponse » à l’Evangile, être « responsables » dans ce monde.  

Je crois que je viens de faire allusions aux élections présidentielles… Alors, qui sera élu aujourd’hui ?

Le livre de Néhémie nous dit que Dieu « a choisi » Abraham, avec un verbe qui peut se traduite par « élire » (Néhémie 9, 7). Abraham a été élu par Dieu pour être porteur de bénédiction pour toute l’humanité. Les disciples ont été choisis/élus par Jésus pour être ses témoins. C’est à notre tour, aujourd’hui, d’être choisis/élus ! Car l’histoire d’Abraham est la nôtre, dans toutes ses péripéties, par la bénédiction reçue et transmise, par la promesse crue et vécue, par l’espérance répandue. Nous sommes les descendants d’Abraham, nous sommes les disciples de Jésus-Christ, au seuil de cette semaine sainte qui nous fait acclamer aujourd’hui le messie de Dieu, qui nous fera partager le repas avec lui jeudi, nous retrouver au pied de la croix vendredi et nous réveiller au matin de Pâques dans la joie de la résurrection. Nous sommes les descendants d’Abraham parmi les hommes et les femmes de notre temps, nos frères et sœurs en humanité. Nous sommes les disciples du Christ sur cette terre assoiffée de paix et de justice, de fraternité et d’espérance. Nous sommes appelés à vivre aujourd’hui l’Evangile, ici et maintenant.

C’est nous qui sommes élus aujourd’hui pour être sur cette terre signes, instruments et avant-goût du Royaume. Quelle responsabilité, mais surtout quelle joie !

Amen.