Qu'est-ce qu'on attend (?...!) — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Qu'est-ce qu'on attend (?...!)

Texte de la prédication du dimanche 10 décembre 2023, par le Pasteur Christian Baccuet

 

Qu’est-ce qu’on attend (?...!)

 

Prédication du dimanche 10 décembre 2023, deuxième dimanche de l'Avent, par le Pasteur Christian Baccuet

Lectures bibliques :

  • Esaïe 40, 1-11
  • 2 Pierre 3, 8-14
  • Marc 1, 1-8

 


 

Ma prédication aujourd’hui sera en trois parties.

Première partie : qu’est-ce qu’on attend.

Deuxième partie : qu’est-ce qu’on attend.

Troisième partie : qu’est-ce qu’on attend.

 

Mais tout est une question de ponctuation…

 

1. Qu’est-ce qu’on attend ?

Commençons par un point d’interrogation : qu’est-ce qu’on attend ?

Vendredi soir, au cours du dîner des 30-45 ans, nous avons eu un échange autour de cette question. Voici quelques échos de ce partage.

Attendre. Cela résonne comme un plaisir, une excitation, un mélange de patience et d’impatience, On peut attendre le bus ou attendre au restaurant, on peut aussi, plus fondamentalement, espérer. Parfois trouver que c’est frustrant, voire insupportable. Souvent, l’attente est importante, car si on avait tout sans attendre, on n’en profiterait pas autant. Et puis on peut être disponibles à accueillir ce qu’on n’attend pas.
Qu’attendons-nous pour le monde ? Très majoritairement la paix, la paix entre le peuples, et ici l’apaisement des tensions. Une planète avec de la biodiversité, du vivant, la décarbonation. Arrêter de courir : respirer, regarder, changer. Attendre le Sauveur, aussi, celui qui aidera l’humanité incapable de s’en sortir toute seule.

Qu’attendons-nous pour nous-mêmes ? Bonheur, sagesse, santé, avenir des enfants. Un nouveau projet professionnel. Les vacances dans sa maison à la campagne, calme, nature, tranquillité, quiétude, solitude paisible, culture, musique, beauté. L’harmonie joyeuse. L’inspiration. L’élévation. Voir le chemin. « A la veille de ma mort, me dire : c’était chouette ». Attendre que le Seigneur nous guide.

Voila ce que nous avons partagé vendredi. Chacun de nous, ici, peut se retrouver dans ces attentes, les compléter par d’autres. Elles disent quelque chose de notre espérance, de notre attente positive.

Parfois, cependant, nous pouvons être pessimistes et n’attendre que la catastrophe, les malheurs qui risquent de nous arriver dans notre vie personnelle, la fin du monde dans la violence, une attente désespérée.

Parfois encore, nous pouvons sombrer dans une attente dépressive, celle qui n’espère plus, ah quoi bon, on verra bien, une attente qui n’attend rien.

Que sera demain ? Qu’attendons-nous ? Cette question résonne dans le temps de l’Avent. Ce temps liturgique nous est donné pour nous replacer devant la question de l’attente. Attente de Noël qui vient dans quelques jours, bien sûr, et mise en perspective de la naissance du Christ portée par une attente séculaire. Attente de l’Evangile dans nos vies, d’une bonne nouvelle venue à nous pour nous relever et nous faire retrouver le goût de l’espérance.

Cette attente résonne dans la première lecture de ce jour. Il s’agit d’un extrait du livre d’Esaïe. Plus précisément, le début de la deuxième partie de ce livre, qui se situe au cœur d’une épreuve terrible. Au début du VIe siècle, le Royaume de Juda, avec sa capitale Jérusalem, a été envahi par les troupes de Nabuchodonosor, le roi de Babylone. Le Temple et les murailles ont été détruits, le roi capturé et emmené en exil avec une grande partie de la population dans la lointaine capitale de l’Empire. C’est un moment où tout s’écroule, les repères de la vie quotidienne, la liberté politique et religieuse. Un temps de grande souffrance. Les fils du roi ont été tués, il n’y a plus d’avenir ; le roi a eu les yeux crevés, il n’y a plus de vision.

C’est un temps de bouleversement du système de pensée, avec des questions gigantesques : qu’avons-nous fait de mal pour que cela arrive ? Notre Dieu nous a-t-il puni ? Nous a-t-il abandonné ? Est-il moins fort que les dieux des Babyloniens ? Que devons-nous faire ?

L’exil va durer une cinquantaine d’années. Plus longtemps que la traversée du Désert au temps de Moïse !

Et voici qu’au cœur de cet exil, surgit la Parole de Dieu, par la bouche du prophète. Une bonne nouvelle : « réconfortez mon peuple », « sa peine est finie » ! « L’herbe sèche », la vie est fragile, l’espérance peut se faner, « mais la Parole de Dieu demeure pour toujours » ! Votre Dieu est là, et il va vous ramener « comme un berger qui mène son troupeau et le rassemble, qui porte les agneaux contre lui ». Oui, le temps de l’exil va se terminer : « Dans le désert, ouvrez le chemin au Seigneur ; dans cet espace aride, frayez une route pour notre Dieu ! ».

Bonne nouvelle. Au verset 9, c’est cette expression qui est employée : « annonce une bonne nouvelle ». En hébreu, c’est le verbe בָּשַׂר (basar), traduit dans la Septante – la Bible en grec datant des IIIe et IIe siècles avant notre ère – par le verbe εὐαγγελίζω (euaggelizo), « dire l’évangile ».

Au VIe siècle avant notre ère, l’évangile, la bonne nouvelle, c’est que Dieu n’a pas oublié les siens, que leur exil n’est pas infini, qu’un avenir se prépare, qu’une route se dégage dans le désespoir.

Qu’est ce qu’on attend, nous, aujourd’hui, dans les épreuves de nos vies et le désespoir de ce monde ? Comment la Parole de Dieu nous rejoint-elle pour nous relever et nous remettre en attente, en espérance ?

Qu’est-ce qu’on attend ? (Point d’interrogation).

 

2. Qu’est-ce qu’on attend…

Mais aussi, qu’est-ce qu’on attend… (points de suspension).

Que le temps est long. Car il y a 2 600 ans entre Esaïe et nous, et on peut se dire que pas grand-chose n’a changé. Les puissances mondiales se dressent encore les unes contre les autres, et le Proche-Orient en est encore une victime, et tant d’autres endroits sur cette terre. Tant de souffrances, tant de haines, tant de vies fracassées et d’espérance anéantie. Oui, le temps est long. Il est particulièrement long quand nous traversons nous même des périodes difficiles, personnellement ou collectivement, que nous en voyons pas le bout du tunnel et que nous sommes écrasés par le manque d’espérance.

Le temps est long, aussi, parce que nous vivons dans un temps d’immédiateté, où il nous faut avoir tout, tout de suite. Quand nous ne supportons pas qu’un colis mette deux jours pour arriver, qu’il faille attendre 5 mn à la caisse, comment pouvons-nous attendre que les choses aillent mieux dans le monde et dans nos vies, si ce n’est pas tout de suite ?

Ici résonne le deuxième texte de ce jour, un extrait de la deuxième Lettre de Pierre. Celui qui a écrit cette lettre dit cette chose magnifique : « Il est une chose que vous ne devez pas oublier, très chers amis : c'est que, pour le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour. » (v. 8). C’est magnifique, c’est terrible aussi. Nous attendons, et cela peut-il nous consoler de savoir qu’un jour ou mille ans, c’est pareil ? Certes, parfois, dans la douleur, un jour qui nous écrase semble durer mille ans. Mais, au cœur d’une attente, devoir patienter encore mille ans est insupportable !

La deuxième Lettre de Pierre est écrite vers la fin du Ier siècle de notre ère, à un moment où la question du temps et de l’attente se pose de manière forte pour les Chrétiens. Portés par l’Evangile, transformés par la bonne nouvelle de Jésus-Christ, ils sont orientés par la promesse de revoir bientôt le Christ. Cette venue du Christ sera spectaculaire ; la manière dont cet extrait décrit la venue du « jour du Seigneur » est écrite dans un style « apocalyptique », avec des images impressionnantes qui disent la fin de ce qui écrase et l’épanouissement de ce que Dieu a promis, « de nouveaux cieux et une nouvelle terre, où la justice habitera ». Espérance inouïe, qui dépasse toutes nos attentes ! Bonne nouvelle !

Mais le temps passe, et Jésus n’est pas encore revenu. Les chrétiens de la fin du Ier siècle doivent s’installer dans le temps, vivre leur foi chaque jour, construire, transmettre. Patienter dans la confiance. C’est ce que cette Lettre leur dit de vivre. Attendre, et vivre chaque jour dans cette attente, mais sans désespérer. Vivre, tout simplement, au quotidien, de cette espérance qui renouvelle et qui se traduit par le fait de rester « purs et irréprochables aux yeux de Dieu ». L’apôtre exagère un peu, ici ! Cela peut paraître écrasant ! Mais tout l’Evangile nous dit le Christ venu pour ceux qui sont impurs, rejetés, imparfaits, exclus ; la foi n’est pas un concours vain de perfection mais l’accueil humble de ce Dieu qui s’approche de nous, qui se fait tout proche de nous, par pour nous faire des reproches, mais pour que nous soyons en paix avec lui. C’est ce que dit la Lettre : soyez « en paix avec lui » !

Vivre le temps non pas dans la peur de ne pas y arriver mais dans la confiance d’une présence aimante. Non pas dans l’impatience du temps humain mais dans la force du temps de Dieu.

En grec biblique, il y a trois mots principaux pour dire le temps. αἰών (aion), qui désigne l’éternité. C’est le temps du bout de notre espérance. χρόνος (chronos), qui désigne le temps qui s’écoule ; c’est ce temps-là dans lequel nous sommes plongés, et qui peut nous paraître si long. Et puis il y a un autre mot pour dire le temps : καιρός (kairos), qui dit le temps favorable, le moment habité, la plénitude de l’instant. C’est ce temps-là, le kairos, que nous sommes appelés à vivre. Un jour ou mille ans… la présence du Seigneur aujourd’hui, chaque jour. Un appel à nous décaler de l’impatience ou de la résignation, pour rester éveillés à la vie. Tenir ensemble ce jour et demain, le quotidien et l’espérance. « Attendre et hâter la venue du Seigneur », dit la Lettre. Attendre et hâter, on pourrait dire aussi faire confiance et s’engager. Aujourd’hui, ici.

Qu’est-ce qu’on attend… Transformer les trois points en point d’exclamation : qu’est-ce qu’on attend !

 

3. Qu’est-ce qu’on attend !

Avec un point d’exclamation, la phrase devient interpellation, mise en mouvement, appel d’air. Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, comme dit la chanson chantée par Ray Ventura et tant d’autres :

« Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ?

Qu'est-ce qu'on attend pour faire la fête ?

La route est prête

Le ciel est bleu ».

La route est prête, le ciel est bleu. J’entends ici résonner le troisième texte de ce jour, le début de l’évangile de Marc. « Commencement de la bonne nouvelle – évangile – de Jésus, Christ, Fils de Dieu ». Jésus, cet homme né à Bethléem il y a 2 000 ans, qui a parcouru la Galilée et la Judée pour dire la bonne nouvelle qui relève des vies. Christ, titre qui désigne le « Messie », celui qui est attendu comme porteur de la présence définitive de Dieu dans ce monde. Fils de Dieu, intimement lié à ce Dieu qui est Père, le Seigneur qui baptisera dans l’Esprit saint, qui fait le lien intime entre Dieu et nous. Dieu dans ce monde, ouverture du Royaume des cieux – « ciel » étant dans la Bible une manière de parler de Dieu.

Le ciel est bleu, la route est prête… La venue de Dieu dans ce monde ouvre des chemins dans le désert, comme le prêche Jean le Baptiste, en citant le verset d’Esaïe, manière de dire que la libération de l’exil à Babylone, autrefois, se joue aujourd’hui en Jésus-Christ par la libération de nos exils personnels et collectifs. La venue de Jésus est la source de l’espérance, le début de l’accomplissement de notre attente.

Nous vivons le kairos dans cette tension entre « déjà » et « pas encore ». Christ déjà venu et pas encore revenu, foi déjà inaugurée et pas encore totalement vécue, attente pas encore pleinement accomplie et espérance déjà vivifiée. Dans cette tension entre déjà – la force de notre foi au quotidien – et pas encore – la dynamique de notre espérance –, se tiennent nos engagements.

Jaques Brel chantait, dans sa chanson « L’Ostendaise » :

« Il y a deux sortes de temps

Y a le temps qui attend

Et le temps qui espère ».

« Qu’est-ce qu’on attend ! », c’est le temps qui ne se résigne pas à attendre passivement, mais le temps qui espère. Le temps qui nous fait crier dans les déserts, comme Jean le Baptiste : « Préparez le chemin du Seigneur ! ».

Qu’est-ce qu’on attend ! Appel à l’engagement actif et confiant, dans nos vies, dans ce monde, pour que le règne de Dieu, le jour du Seigneur, les nouveaux cieux et la nouvelle terre où la justice habite soient déjà à l’œuvre, comme des tâches de lumière dans la nuit du monde. Qu’est-ce qu’on attend ! Que nos attentes, si belles et fortes, si lentes à se réaliser, commencent à se vivre ici et maintenant. Qu’est-ce qu’on attend pour s’y mettre !

 

4. Qui est-ce qu’on attend ?

Un dernier mot – ou plutôt une dernière lettre –, pour terminer – ou plutôt pour ouvrir. L’évangile de Marc s’ouvre avec ces mots : « commencement de l’Evangile ». L’Evangile est un commencement.

Qu’est-ce qu’on attend… si on fait glisser la première apostrophe vers le bas, comme du ciel sur la terre, elle devient une petite lettre, un « i », et cette  espérance, cette impatience, cette mise en mouvement devient « Qui est-ce qu’on attend ». 

Car c’est là le fondement de l’Evangile : une personne. Non pas d’abord nos propres désirs, nos propres découragements et nos propres actions, mais ce qui les fonde, celui qui les fonde. Le Christ. Jésus. Jésus, dont la première lettre du nom, en grec, est un « i » : Ἰησοῦς (Iesous), transcription de l’hébreu הוֹשֻׁעַ  (Yehoshoua’), qui veut dire « Dieu sauve » – et qui a aussi donné le prénom Esaïe, et celui de Josué. Jésus, Dieu sauve.

Qui est-ce qu’on attend ? Le Christ, Dieu avec nous. Qui est-ce qu’on attend… mais le Christ est déjà là, avec nous ! Qui est-ce qu’on attend ! Le Christ, qui nous appelle à le suivre sur les chemins de l’espérance !

Alors, qu’est-ce qu’on attend pour faire la fête ?

Amen.