Porter du fruit — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Porter du fruit

Prédication porter du fruit

Prédication du dimanche 25 août 2019. par le pasteur Christian Baccuet.

Lectures :

  • Romains 7, 18-24
  • Luc 6, 43-45

 

Je vais vous parler de deux frères. Deux frères dont la vie est étroitement liée, mais dont les relations sont parfois difficiles. Nous le savons souvent par expérience, les relations au sein des fratries ne sont pas toujours faciles, elles peuvent même être éprouvantes. La Bible, ce livre qui nous parle de Dieu dans notre réalité humaine, le sait aussi : Caïn tue son frère Abel, puis l’histoire est tendue entre Isaac et Ismaël, entre Jacob et Esaü, entre Joseph et ses frères, entre Marthe et Marie, et l’histoire dite du fils prodigue en est encore un exemple. Il en est de même pour les deux frères dont je vais vous parler. Vous les connaissez, ils sont là ce matin, parmi nous ; il s’agit des frères Térieur : Alain et Alex… Alain Térieur et Alex Térieur. A l’intérieur et à l’extérieur !

 

1. Un déchirement

Ces deux frères ont des relations tendues. Il y a toujours dans notre existence un tiraillement entre notre intérieur et notre extérieur, entre ce que nous ressentons au plus profond de nous et ce que nous faisons dans ce monde. Entre notre intimité et notre vie en société, entre notre vraie personne et notre paraître social, entre notre « être » et notre « faire ». Nous faisons souvent des actes qui ne correspondent pas à ce que nous pensons. Et nous n’arrivons pas à faire le bien que nous voudrions. C’est là tout le déchirement qu’évoque l’apôtre Paul, avec des mots intenses, à la hauteur de son désespoir :

« Il est à ma portée de vouloir, mais non pas de produire le bien. Je ne fais pas le bien que je veux, mais je pratique le mal que je ne veux pas » (Romains 7, 18-24).

Entre notre intérieur (nos sentiments, nos pensées, notre foi) et notre extérieur (nos gestes, nos paroles, nos engagements), il y a une grande distance. Il nous faut bien sûr composer avec la vie en société, s’adapter à la relation avec d’autres que nous-même. Mais l’écart est parfois la marque de notre hypocrisie. Elle est souvent le signe de notre impuissance. Elle peut être l’objet de notre découragement voire de notre désespérance.

Notre société ne nous aide pas en cela. Elle nous soumet à une injonction paradoxale. D’un côté elle nous appelle à un épanouissement personnel qui mettrait en accord parfait notre intérieur et nos actes, dans une transparence totale et une pureté absolue, avec toute la violence qui en découle, insatisfaction, tiraillement insupportable, névroses, dépression. De l’autre côté, notre société ne cesse de dissocier notre intérieur et notre extérieur, en faisant de nous des statistiques, des consommateurs, nous proposant l’idole du paraître (toujours jeune et beau) et du faire (toujours performant), avec toute la violence qui en découle, hypocrisie, mensonge, défiance.

Comment être soi-même, si nous ne pouvons ni fusionner notre intérieur et notre extérieur, ni les dissocier ? Je trouve écho de cette question dans une magnifique prière de Dietrich Bonhoeffer, pasteur et théologien allemand, engagé dans la lutte contre le nazisme et exécuté pour cela en avril 1945, à l’âge de 39 ans. En juillet 1944, il écrivait, depuis sa cellule[1] :

Qui suis-je ? Souvent, ils me disent
Que je sortirais de ma cellule
Détendu, ferme et serein,
Tel un gentilhomme de son château.

Qui suis-je ? Souvent ils me disent
Que je parlerais avec mes gardiens
Aussi libre, amical et clair
Que si j’allais donner des ordres.

Qui suis-je ? De même ils me disent
Que je supporterais les jours de malheur,
Impassible, souriant et fier,
Comme un homme accoutumé à vaincre.

Suis-je vraiment celui qu’ils disent de moi ?
Ou seulement cet homme que moi seul connais ?
Inquiet, nostalgique, malade, pareil à un oiseau en cage,
Cherchant mon souffle comme si on m’étranglait,
Avide de couleurs, de fleurs, de chants d’oiseaux,

Assoiffé d’une bonne parole et d’une proximité humaine,

Tremblant de colère devant l’arbitraire et l’offense mesquine,
Agité par l’attente de grandes choses,
Craignant et démuni pour des amis dans un lointain sans fin,
Si las, si vide que je ne puis prier, penser, créer,
N’en pouvant plus et prêt à l’abandon ?

Qui suis-je ? Celui-là ou celui-ci ?
Aujourd’hui cet homme et demain cet autre ?
Suis-je les deux à la fois ? Un hypocrite devant les hommes
Et devant moi un faible, méprisable et piteux ?
Ou bien ce qui reste en moi ressemble-t-il à l’armée vaincue
Qui se retire en désordre devant la victoire déjà acquise ?

Qui suis-je ? Dérision que ce monologue.
Qui que je sois, tu me connais, je suis tien, ô Dieu !

Magnifique texte, déchirant, qui exprime la distance entre ce que je suis et ce que je donne à voir. Prière émouvante dans sa conclusion, confession de foi en un Dieu qui sait ce que je suis, au-delà des apparences, qui me connaît et me réconcilie, en lui, avec moi-même : tu me connais, ô Dieu, et tu sais que je suis à toi.  Paroles profondes de celui qui confesse qu’en Dieu ce que je suis et ce que je fais peuvent trouver leur unité.

 

2. Une réconciliation

Alain et Alex Térieur ne sont pas condamnés à être des frères ennemis. Jésus, dans le texte biblique que nous méditons aujourd’hui, nous appelle à les réconcilier au fond de nous-mêmes, dans le quotidien de notre existence. Il utilise deux images pour le dire.

Un image est celle du lien entre le cœur et la bouche. Le cœur, dans la culture biblique, est le siège des sentiments, mais aussi de la pensée, de l’intelligence, du raisonnement, de la volonté et des décisions. C’est le « moi », mon intérieur. La bouche, c’est ce qui sort de moi, ce que je transmets par des paroles mais aussi par des gestes ou des attitudes, des engagements ou des silences, des vérités ou des mensonges. C’est mon extérieur. « La bouche de chacun exprime ce dont son cœur est plein » (v. 45) : le cœur et la bouche sont étroitement liés. Le cœur s’exprime par la bouche, la bouche exprime ce que le cœur ressent.

L’autre image est celle de l’arbre et du fruit. Elle dit la même chose. L’arbre qu’est notre vie porte du fruit quand il s’exprime. « Chaque arbre se reconnaît à ses fruits » (v. 44) ; à l’arbre correspond le fruit. Un bon arbre produit du bon fruit et un mauvais arbre du mauvais fruit. Un buisson d’épines ne produit pas des figues et on ne cueille pas de raisin sur des ronces.

Il y a un lien étroit entre ce que je suis et ce que je fais. Entre ce que je vis en moi et ce que je partage avec les autres. Pour le dire en catégories de foi, il y a un lien entre ce que je crois et ce que je fais, entre ma prière et mon action, entre ma foi et mes œuvres, entre la grâce reçue et la réponse donnée. Les dissocier, c’est entrer dans une relation mortifère, dans une tension destructrice. C’est s’enfermer dans l’hypocrisie ou la culpabilité, l’impuissance ou l’indifférence, le cynisme. C’est mourir. Les associer, c’est être cohérent avec la vie reçue, la foi donnée, la grâce de Dieu. Ainsi l’exprime la lettre de Jacques :

« A quoi cela sert-il à quelqu’un de dire : "J’ai la foi", s’il ne le prouve pas par ses actes ? […] Si la foi ne se manifeste pas par des actes, elle n’est qu’une chose morte » (Jacques 2, 14-17).

Alain Térieur et Alex Térieur sont deux frères parfois fâchés, mais ils sont indissolublement liés. Ce que nous souhaitons tous, pour notre propre existence, c’est de trouver l’équilibre entre eux, entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, la cohérence, le lien, l’harmonie entre notre « être » et notre « faire ». C’est là la source du bonheur.

Alain Térieur et Alex Térieur sont frères et rien ne peut les séparer. Ils sont pourtant deux, et il importe de ne pas les fusionner. Chacun d’eux a ses traits propres et, surtout, l’un est l’aîné de l’autre. Quand la bouche s’exprime, elle dit ce qui est dans le cœur. Quand le fruit mûrit, il est l’aboutissement de l’arbre. Le texte de l’évangile que nous méditons nous invite à travailler d’abord sur notre cœur, d’abord sur l’arbre, d’abord sur notre être intérieur. Avant de faire, j’existe par ce que je suis. Avant de pouvoir parler et agir, je reçois déjà : un désir qui m’a précédé, l’amour de mes proches, le lieu et le temps où je nais, la langue que je vais parler. Ce n’est qu’à partir de cela que je vais l’extérioriser.

En langage de foi, on dit qu’il y a prééminence de la grâce sur les œuvres. Avant que je puisse donner, j’ai déjà reçu. Et c’est parce que je reçois en moi la grâce de Dieu, que mes actes peuvent prendre sens. Etre aimé de Dieu, c’est comme le priait Bonhoeffer, savoir que qui que je sois, Dieu me connait et que je suis profondément uni à lui. Savoir que je suis aimé de Dieu, c’est pouvoir l’aimer à mon tour. Aimer le Seigneur Dieu de tout mon cœur, de toute mon âme et de toute mon intelligence se décline dans l’amour de mon prochain comme moi-même (Matthieu 22, 37-40). Etre empli de la grâce de Dieu, c’est agir librement, sereinement, guidé par les paroles et la présence du Christ.

Ainsi, pour pouvoir agir dans ce monde, il me faut d’abord avoir un cœur ouvert, être un arbre bon. Si je mets mes actes en premier, mes efforts, mes bonnes œuvres, je suis dans une théologie des mérites, tout repose sur moi et c’est bien fragile. Si je mets en premier la grâce de Dieu, son Evangile pour moi donné, sa venue dans ma vie, alors ce que je fais découle naturellement de sa présence. Ma bouche exprime la confiance qui est dans mon cœur, le fruit que je porte vient d’un arbre serein.

 

3. Les fruits de l’Esprit

Alain Térieur est le frère aîné d’Alex. La grâce est première, l’action en découle. Et l’action vient signifier l’œuvre de la grâce en moi. C’est la conviction de foi qui se tient aux origines de la Réforme, portée par Martin Luther dans la suite de l’apôtre Paul. Luther vivait l’angoisse du déchirement entre la volonté de plaire à Dieu et son incapacité à en faire assez, jusqu’au jour où il réalise que l’on n’est pas justifié par ce que l’on fait, mais par la grâce de Dieu. Ce ne sont pas mes œuvres, mes mérites, mes actes – mon être extérieur – mais le don de l’amour de Dieu en moi – mon être spirituel – qui m’apporte et m’emporte dans la liberté et la joie de vivre. Ainsi l’a t-il exprimé en 1523 :

« Un bon arbre n’a besoin ni d’enseignement ni de droit pour porter du bon fruit, mais sa nature fait qu’il en porte sans droit ni instruction, selon son espèce. Je tiendrais pour un être absolument fou celui qui voudrait écrire un livre rempli de lois et de droits pour apprendre à un pommier de porter des pommes et non pas des épines, étant donné qu’il le fait par sa nature beaucoup mieux qu’on ne pourrait le décrire et l’ordonner dans tous les livres. C’est ainsi que par l’Esprit et la foi, tous les chrétiens ont, en toutes choses, une telle nature qu’ils font le bien beaucoup plus qu’on ne pourrait le leur enseigner au moyen de toutes les lois et qu’ils n’ont pas besoin pour eux-mêmes d’aucune loi ni d’aucun droit »[2].

Le problème, poursuit Luther dans ce traité, après avoir ainsi dit la prééminence de l’intérieur sur l’extérieur, c’est que « nul homme n’est, par nature, chrétien et bon, mais que tous sont pécheurs et mauvais »[3]. Alors il faut deux choses, pour le Réformateur. D’une part des lois qui nous obligent à contenir nos pulsions, à empêcher nos mauvaises actions, à vivre ensemble en société ; on pourrait dire à tenir en laisse notre être extérieur. D’autre part le saint Esprit qui nous donne l’assurance de la grâce de Dieu, qui nourrit notre être intérieur à tel point qu’il peut nous entraîner dans une vie chaque jour renouvelée. A partir de là, Jean Calvin développera de manière systématique une réflexion sur la sanctification (la vie chrétienne), sur l’éthique, sur la manière dont un chrétien est guidé, dans sa vie de foi, par les paroles bibliques qui, reçues dans l’Esprit, commandent une vie où l’être intérieur peut irriguer l’être extérieur.

D’un cœur heureux s’exprime une bouche positive. D’un arbre bon sort un fruit bon. Pour que la bouche et le cœur vivent, il faut qu’ils soient arrosés de sang. Pour que l’arbre et le fruit soient bons, il faut qu’ils soient irrigués de sève. Pour que mon engagement soit vrai et fort, il faut qu’il vienne d’une vie régénérée, emplie de la vie que donne Jésus-Christ, illuminée par sa grâce. Pour mon être extérieur porte du bon fruit, pour que la grâce reçue et les œuvres accomplies soient réelles, il me faut l’Esprit saint, la présence de Dieu, son souffle, sa respiration, sa vie. Cette présence n’est pas au bout de mes efforts, elle se tient au creux de ma disponibilité à l’Evangile. Et elle me rend bon à un point tel que je peux porter du bon fruit ! Ces « fruits de l’Esprit » sont « l’amour, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi », écrit Paul aux Galates (5, 22-23). C’est ce que nous espérons tous vivre !

Entendre l’Evangile ce matin, c’est tout simplement accueillir Dieu comme venant à notre rencontre, simplement mais profondément. Le laisser entrer dans notre intérieur. Recevoir l’Esprit saint, accueillir Jésus-Christ dans sa vie, c’est emplir son cœur et donner du fruit. C’est réconcilier son être intérieur et ses actes dans le monde. C’est trouver le chemin équilibré d’une vie heureuse avec Dieu, avec soi-même, avec les autres. Dans l’Esprit saint, les frères Térieur peuvent se réconcilier. A l’intérieur et à l’extérieur de nous, l’Esprit les irrigue, les lie, les met en communion. Prier, méditer la Parole, rencontrer des frères et des sœurs dans la foi, vivre en Eglise… autant de moyens pour cultiver notre être intérieur, devenir bons et donner du bon fruit. Les sœurs protestantes de Pomeyrol, près de Tarascon, ont cette magnifique phrase dans leur règle :

« Ne cherche pas faire le bien ; sois en Dieu, et le bien tombera de toi, comme le fruit mûr tombe de l’arbre ».

Que notre être intérieur soit plus chaud, plus vrai, plus serein, pour que notre être extérieur soit paroles justes et gestes d’amour. Que la grâce de Dieu pour nous soit en nous source d’engagements vrais dans ce monde, et que ces engagements viennent donner vie à la grâce reçue ! Que Jésus-Christ nourrisse notre cœur pour que notre bouche dise la bonne nouvelle, qu’il irrigue notre arbre pour que nos fruits soient bons… Alors les hommes et les femmes bons que nous sommes tirerons du bien du bon trésor que contient notre cœur !

Amen.

 

[1] Dietrich Bonhoeffer, Résistance et soumission. Lettres et notes de captivité, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 414-415.

[2] Martin Luther, De l’autorité temporelle et des limites de l’obéissance qu’on lui doit, 1523, dans Œuvres, t. 4, Genève, Labor et Fides, 1958, p. 18.

[3] Ibid..