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La foi, c’est pouvoir changer d’avis

Copyright : Timon Studler

Prédication du dimanche 22 septembre 2019, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Matthieu 21, 28-32

Au cours du culte du matin : présentation d’Héloïse R. (19 mois), baptême de Vadim A. (21 mois), confirmation de Victoria B. (15 ans).                      

Je vais partager avec vous ma première grande émotion littéraire. C’est le souvenir du premier livre que j’ai lu : « Oui-Oui au pays des jouets ». Oui-Oui est un petit bonhomme qui a la tête toute ronde, un polo rouge, un foulard jaune à pois rouges, un bonnet bleu avec un grelot… Il porte ce drôle de nom, Oui-Oui, parce que sa tête est montée sur un ressort et se balance sans cesse d’avant en arrière, comme pour dire « oui, oui ». C’est quelqu’un de très gentil et très serviable, toujours prêt à dire oui et à aider. Quand j’étais petit, j’aimais beaucoup lire les histoires de ce petit pantin de bois qui vit au pays des jouets. Un livre fabuleux !

Mais la vie n’est pas le pays des jouets. Le monde est dur, la vie est compliquée. Des gens comme lui, il en existe peu. Le Oui-Oui est une denrée rare. Tellement rare d’ailleurs, que l’expression est un brin péjorative quand elle est appliquée aux croyants : des « bénis-oui-oui », dit-on, pour se moquer des personnes prêtes à avaler toutes les couleuvres, soumises en permanence à la voix de leur maître, bien naïves.

Nous ne sommes pas des Oui-Oui. Nous sommes rarement dociles, cohérents. Nous sommes plutôt des personnes tantôt disant « oui » du bout des lèvres quand il s’agit de rendre service et s’empressant d’oublier l’engagement pris, tantôt disant « non » mais le regrettant.

 

1 – Deux dimensions fondamentales

Dans la petite parabole que nous venons de lire, Jésus ne parle pas de Oui-Oui. Jésus n’a pas un regard naïf sur le monde et sur nous. Au contraire, le regard de Jésus vient révéler ce qui se trouve réellement dans le cœur humain, dans la complexité de notre vie. Jésus ne parle pas dans le monde des jouets, Jésus parle vrai. Il ne nous présente pas un type idéal de chrétien, inatteignable et utopique. Il nous place face à nous-mêmes, dans la réalité. C’est en cela que sa parole est vérité pour nos vies.

C’est l’histoire de deux fils, que leur père appelle à aller travailler dans sa vigne. L’un des fils dit « non » et va travailler quand même dans la vigne, l’autre dit « oui » mais n’y va pas. Il n’y a pas de Oui-Oui, il y a Non-Oui et Oui-Non ! « Lequel des deux a fait la volonté de son père ? », demande Jésus. Les auditeurs d’il y a deux mille ans répondent ce que nous répondrions nous-mêmes aujourd’hui : le premier, celui qui commence par dire non et qui va quand même faire ce que son père lui a demandé. Car lui, au moins, il va aider son père.

Mais attention, cette réponse est risquée. On pourrait y entendre un appel à l’activisme : l’important c’est d’agir plutôt que de dire… Mais cela est dangereux dans notre monde où on déconnecte « être » et « faire », où on les oppose même, où il faut toujours faire plus, aller plus vite, être plus efficace, plus compétent, où on évalue, valide, quantifie, où on demande la perfection jusqu’à l’épuisement ou la culpabilisation… Ce monde où la parole est dévaluée à force de mensonges, de manipulations, de promesses vides de sens, d’engagements non suivis des faits.

La réponse est pourtant juste… Celui qui a raison, c’est celui qui dit « non » mais qui va quand même dans la vigne. Mais pourquoi ? Je relève deux dimensions essentielles dans cette parabole.

 

a – Une question de relation

Il y a d’abord une question de relation. Aux versets 28 et 29, nous avons le dialogue entre le père et le premier fils. Ce premier fils est dans une juste relation à celui qu’il entend l’appeler « mon enfant ». Il sait que c’est son père qui lui parle. Et il lui répond en disant : « Je ne veux pas ». Il dit sa propre parole, une parole vraie, sincère. Une parole juste parce qu’elle est dans une juste relation.

Et puis, au verset 30, la réponse du deuxième fils à son père : « Oui, maître ». Cela ne vous paraît pas bizarre ?  Il n’appelle pas son père « papa », mais « maître » (κύριε[1]) ! Il parle à son père comme un esclave parle à son maître ! Comme si la demande de son père était une mise au travail obligatoire, contraignante, à laquelle on ne peut dire « non » sans craindre une punition. Il a cru que son père le prenait pour un esclave en lui demandant de travailler pour lui ! Alors il a dit oui, mais son oui voulait déjà dire non, comme on se rebiffe devant un tyran. Son « oui » n’en est pas un. D’ailleurs, dans le grec de l’Evangile, ce qui est traduit par « oui » ou « bien sûr » dans nos Bibles, est le mot : « ego » (ἐγώ) ! Comme s’il était plein de lui-même, satisfait, au centre, égocentré... Sa parole signe une relation faussée à lui-même et à son « maître ». Dès lors, elle ne débouche sur rien.

Cette parabole des deux fils, c’est une question de relation : être soi-même dans une juste relation à celui qui appelle, ou être dans une relation faussée et une parole qui ne fait pas de place à l’autre.

 

b – Une question de temps

Cette histoire des deux fils, c’est aussi une question de temps. Le verset 28 nous dit que le premier fils « plus tard », « fut pris de remords » (μεταμέλομαι – metamellomai, littéralement : s’inquiéter après, ou envers quelqu’un). Ce qui caractérise ce fils, c’est sa capacité de changement. Il sait qu’il est en relation avec son père, il sait que son père l’appelle à travailler mais qu’il le laisse libre de son choix. Il sait qu’il peut ne pas rester enfermé dans sa première réponse, il peut en sortir, il est libre. Il a compris que son père lui offrait son amour en l’invitant à travailler dans la vigne. Il prend le temps – « plus tard » – et il accepte de changer – « pris de remords ».

Le deuxième fils, lui, est dans une mauvaise relation à celui qu’il prend pour un tyran qui obligerait à pratiquer du bout des lèvres, en essayant de filer doux pour éviter d’être à son service. Alors son « oui » est immédiatement suivi de l’inverse. Il n’en prend pas le temps. Il dit oui et il n’y va pas, sans espace de temps, de réflexion, de relation entre le dire et le geste.

Le premier sait que son père l’aime, accepte ses craintes, ses doutes et sa faiblesse, l’aide à bouger, à vivre, à être libre, lui permet de changer et de participer à sa mission. Le deuxième n’a que faire de tout cela et reste figé dans l’hypocrisie. Cette parabole des deux fils est une question de temps. Le temps qui donne la possibilité de bouger, de changer, d’avancer, de renoncer, d’écouter. Ou l’absence de temps, l’absence d’espace, l’impossibilité de vivre. Un temps figé ou un temps ouvert.

Le premier fils reçoit Dieu comme un père qui l’aime, qui accepte ses craintes, ses doutes et sa faiblesse, qui l’aide à bouger, à vivre, à être libre, qui lui permet de changer et de participer à sa mission. C’est lui qui a compris…

 

2 – Une histoire de foi

Jésus ne se contente pas ici de raconter une histoire. Il l’applique dans la réalité, notamment de notre rapport à Dieu. Il est venu nous dire que Dieu nous appelle non pas comme un maître mais comme un père, c’est-à-dire dans une relation de confiance qui nous permet de changer d’avis.

 

a – Provocation

Certains l’entendent, mais ne le comprennent pas, comme ces hommes qui cherchent à piéger Jésus et à qui il raconte cette parabole. Ce sont les grands prêtres et les anciens du peuple, c’est-à-dire les chefs religieux de son temps, habitués à dire oui au Dieu qu’ils craignent. Ils sont dans un rapport d’esclavage par rapport à leur conception de Dieu, et ils ne souhaitent pas en changer. Ils ne souhaitent pas plus bouger dans leur avis tout fait sur eux-mêmes, les bien-pensants, et sur les gens qui leur paraissent perdus, mauvais croyants ou de mauvaise vie. À ces hommes pleins d’eux-mêmes, tournant autour de leur ego, Jésus, vigoureusement, fait comprendre qu’ils sont comme le deuxième fils, que le oui de leurs lèvres n’est pas le oui de leur cœur, qu’ils sont facilement vides, lâches, hypocrites.

Et pour que ce soit bien clair, il ajoute : « En vérité, je vous le dis, les collecteurs d’impôts et les prostituées vous devancent dans le Royaume de Dieu ! ». Phrase provocante pour ces hommes qui sont persuadés d’être les meilleurs ! Au temps de Jésus, les prostituées et les collecteurs d’impôts sont des personnes mises au ban de la société. Les prostituées parce qu’elles ont des mœurs choquantes, qu’elles dérangent dans ce que nous avons de plus fragile, la sexualité ; cela n’a pas changé, deux mille ans plus tard. Et les collecteurs d’impôts parce qu’ils sont au service des romains, qu’ils récoltent l’impôt pour les occupants et qu’ils en profitent pour s’en mettre plein les poches.

Les prostituées et les collecteurs d’impôts sont, dans la mentalité de l’époque, les personnes les plus éloignées de Dieu. Ils sont rejetés par les bien-pensants, enfermés dans le « non », exclus par les prêtres de la relation aux autres et à Dieu. Et pourtant, ce sont eux qui viennent écouter Jésus, qui sont touchés par sa parole qui guérit et qui libère. Ce sont eux qui le suivent, les évangiles nous en rendent témoignage. Matthieu le disciple et Zachée le mal-aimé étaient collecteurs d’impôts, la femme qui verse du parfum sur les pieds de Jésus était une prostituée... C’est à ces personnes-là, dit Jésus, que Dieu dit « oui ».

« Elles vous précèdent dans le Royaume de Dieu », dit-il. Pas parce qu’elles sont des personnes de mauvaise vie ! Mais parce qu’elles sont mises en mouvement par la parole de Dieu. Elles ont un creux, un manque au fond d’elles-mêmes, alors elles peuvent bouger, entendre la voix de Dieu comme celle d’un père qui aime, qui permet de dépasser tous les « non » qu’on peut lui opposer, et aller travailler avec son amour dans le monde. « Elles vous précèdent »… Le verbe est au présent : elles sont déjà plus proches de Dieu que vous, parce qu’elles en vivent. Elles vous précèdent auprès de Dieu, car vous, « vous n’avez pas eu de remords » (v. 32) – le même mot « remords » que pour le premier fils qui, lui, en a eu.

Provocation de la part de Jésus, c’est-à-dire parole qui dit vrai, qui bouscule, qui appelle au changement.

 

b – La foi comme changement d’avis / de vie

C’est bien autour de la capacité de changement que tourne ce texte. Il s’adresse à nous. Changement d’avis sur Dieu, non plus un maître sévère et lointain, mais un père qui aime ses enfants et les met en marche dans une vie nouvelle. Changement d’avis sur soi-même, non plus fuyant sa place dans le monde, mais assumant librement et joyeusement de travailler dans la vigne, dans l’Eglise, dans le monde. Changement d’avis qui se traduit dans un changement de vie !

C’est une question de relation à Dieu comme à un père, de temps qui permet de passer d’une parole balbutiante à des actes vrais. C’est une question de foi. Jésus met en parallèle « faire la volonté du père » et « croire » (πιστεύω : pisteuo) : vous n’avez « pas cru » Jean-Baptiste, alors que les collecteurs de taxe et les prostituées « ont cru ». La foi, c’est la relation à Dieu qui ouvre à une relation renouvelée à soi-même et aux autres : pouvoir dire « je », accéder à soi-même par la parole d’un autre : son appel et ma réponse. La foi, c’est une dynamique. Le remords n’est pas ici le regret ou la culpabilité – qui enferment – mais la capacité au repentir, au changement, à la conversion, au nouveau départ.

Par cette parabole, Jésus nous dit que Dieu est pour nous comme un père et non pas comme un maître. Son appel à travailler avec lui à la construction d’un monde meilleur, de vies plus heureuses, de liens de paix entre nous, n’est pas un ordre mais une invitation, une parole vive qui nous laisse libres et nous rend responsables. Il nous dit que, si nous n’avons pas encore fait le chemin vers la vigne, nous pouvons encore changer. Car ce qui compte pour Dieu, ce n’est pas notre première réaction à son appel. Ce n’est pas d’avoir dit non un jour. Ce qui compte pour Dieu, c’est notre capacité à s’ouvrir. C’est la simplicité de cœur qui permet de ne pas se sentir lié, enfermé, emprisonné par nos propres refus.

Dire non à Dieu n’est jamais définitif. Il peut sembler humiliant de se mettre à faire ce qu’on avait dit haut et fort ne jamais faire. Accepter ce que l’on refusait, c’est souvent très difficile. La peur du jugement et du regard des autres peut devenir paralysante. Et pourtant, Dieu nous dit de ne pas craindre de changer. De ne pas craindre de nous convertir. Car il ne demande pas une justification ou une explication au changement de vie, il ne demande pas pourquoi on avait dit « non » et pourquoi on se met à dire « oui ».  Il accueille avec une grande joie ceux qui se tournent vers lui, d’où qu’ils viennent.

 

c – la grâce de Dieu au baptême, à la cène

Dieu ne se formalise pas de ne pas être approuvé tout de suite, de ne pas être accepté tel quel immédiatement. Sa seule volonté, c’est que son amour, un jour, puisse être réellement et pleinement vécu. C’est cela l’entrée dans le Royaume. C’est cela la grâce : une invitation à la vie.

Cette grâce a été annoncée à Héloïse par sa présentation tout à l’heure, elle a été signifiée à Vadim lors de son baptême ; le « oui » de Dieu sur leur vie leur a été dit, dans l’espérance qu’ils découvriront en grandissant l’appel du Seigneur à le suivre et y répondront un jour, comme va le faire dans quelques minutes Victoria qui, baptisée en 2003 à l’âge de deux ans et demi, va confirmer ce baptême, dire avec ses propres mots là où elle en est de la foi à bientôt 16 ans. Dire « oui » au « oui » de Dieu.

Et puis, tout à l’heure, nous allons partager le repas du Seigneur. Un repas où il nous invite. Un repas qui signifie l’invitation faite par le Père à nos vies : suivre le Christ, aller avec lui dans la vigne, partager sa vie, prendre notre place dans l’Eglise, devenir témoin de l’Evangile dans le monde. Nous ne sommes pas des Oui-Oui au pays des jouets. Nous sommes des Oui-Non ou des Non-Oui dans la complexité de la vie.  Qu’aujourd’hui nous soyons plutôt Oui-Non comme le deuxième fils, comme les chefs des prêtres et les anciens, comme les bien-pensants, ou que nous soyons plutôt Non-Oui comme le premier fils, comme les collecteurs d’impôt et les prostituées, comme les rejetés d’aujourd’hui, l’essentiel est que nous entrions dans une relation d’amour et non de crainte avec Dieu, dans une relation vivante où aucun « non » n’est jamais définitif, où le pardon est toujours offert, où l’amour peut toujours ressusciter, où le « oui » de Dieu sur nos vies peut toujours être accueilli !

Il n’est jamais trop tard pour Dieu !

Amen.

 

[1] Vocatif de κύριος (kurios), nom qui désigne un maître, un seigneur, un propriétaire, un chef, un prince… Hélas, des traductions en français écrivent ici « père », en effaçant un aspect essentiel de la parabole.