Jouir de la vie comme d’un don de Dieu — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Jouir de la vie comme d’un don de Dieu

Prédication du dimanche 16 juin 2019, par le pasteur Christian Baccuet. Baptême de Jacques, 2 ans (culte du soir).

Lectures :

  • Cantique 8, 5-7
  • Ecclésiaste 9, 7-10
  • Jean 15, 1-11

 

Jouir de la vie, c’est notre désir le plus profond. Aimer intensément, profiter du chaque instant, porter du fruit. Tous nous désirons vivre cela. Mais jouir de la vie, hélas, ce n’est pas évident…

 

1 – Il est difficile de jouir de la vie

Jouir de la vie, ce n’est pas évident. Pour trois raisons au moins.

La première, c’est que la vie n’est pas toujours sereine, elle ne nous apporte pas seulement du bonheur. Des épreuves surgissent, souvent douloureuses, parfois même destructrices. Nos relations ne sont pas toujours faciles. Notre corps ne répond pas toujours comme on voudrait. Notre caractère nous emporte parfois dans des mots ou des attitudes que nous regrettons. Notre histoire personnelle nous fait peut-être voir toute chose du mauvais côté. Et notre âge, peut-être, nous a apporté bien des désillusions… Pas toujours facile de jouir de la vie comme d’un don.

Cela est amplifié par une deuxième raison, la pression que nous met la société, avec son impératif : tu dois jouir ! Tu dois éprouver des émotions intenses, sinon cela ne vaut pas la peine d’être vécu ; tu dois jouir de chaque instant sinon tu as raté ta vie. Injonction qui fait notre malheur car il est impossible de vivre en permanence dans un état d’euphorie, de sensations maximum ; on le sait et pourtant on cherche en permanence à vivre cela, comme des drogués en manque, frustrés que notre quotidien soit banal. Ici, il ne s’agit plus de jouir de la vie comme d’un don, mais d’en jouir comme d’un dû.

Jouir de la vie, c’est un désir légitime, au fond de nous, mais c’est un horizon inatteignable, souvent. Alors nous sombrons facilement dans la déprime, la nostalgie, le regret, le découragement, l’aigreur… Et là surgit une troisième dimension qui nous empêche de jouir sereinement de la vie ; on nous propose un remède à notre mal-être : penser à nous d’abord. Remède proposé sur le versant négatif par les idéologies de repli sur soi : moi (ou nous) d’abord, avec les logiques d’exclusion qui en découlent. Remède proposé sur le versant positiviste par les injonctions publicitaires : moi au centre, avec la dérive narcissique que cela entraîne, quand nous sombrons dans le vide de notre propre reflet. Ce remède se transforme vite en poison, car il fait reposer sur nous la réussite ou non de notre vie, la validité ou non de notre existence. Malheur à nous si nous sommes trop vieux, trop lents, trop laids, trop pauvres, trop inadaptés. Pour se sauver, il faut penser à soi d’abord, il faut se mettre au centre, il faut faire son salut soi-même, malgré les autres, contre les autres. Jouir de la vie, cela revient finalement à jouir de soi-même. Et le désir se transforme en cauchemar quand on n’y arrive pas, ou quand on s’isole dans une solitude autocentrée et égoïste.

Vous me direz : voilà une prédication qui commence mal ! On vient au culte pour se poser, pour re-poser nos vies, et voilà que le pasteur nous renvoie une réalité bien déprimante… Eh bien non ! C’est déprimant si nous nous arrêtons là, mais l’Evangile (littéralement « bonne nouvelle ») nous appelle à aller au-delà. Les trois lectures de ce jour nous renvoient à notre réalité, mais elles ne sont pas déprimantes. Elles sont au contraire bonne nouvelle : il est possible de jouir de la vie comme d’un don, pleinement, joyeusement, sereinement. Même au sein des épreuves de nos vies, même au cœur de cette société égoïste.

 

2 – La Bible nous appelle à jouir de la vie

La première lecture est un extrait du Cantique des Cantiques, livre du premier testament attribué au roi Salomon (Xe siècle avant notre ère). C’est un long poème d’amour, un dialogue entre deux amoureux qui se cherchent, se trouvent, se rencontrent, s’aiment. On a parfois tenté d’en faire une lecture purement allégorique, comme si c’était l’histoire d’amour entre Dieu et son peuple, ou entre le Christ et l’âme du croyant. Pourquoi pas ? Mais c’est avant tout un chant d’amour passionné entre deux personnes : garde-moi près de toi comme une pierre précieuse ; l’amour est fort comme la mort, la jalousie est de l’ordre de l’enfer, les flammes de l’amour frappent comme un coup de foudre, toute l’eau des océans serait incapable d’éteindre le feu de l’amour ! Amour passion, comme celui que nous désirons vivre. La Bible parle de nous et de nos désirs, et elle le fait avec jubilation !

La deuxième lecture est un passage du livre de l’Ecclésiaste (ou Qohéleth), texte également attribué au roi Salomon. C’est un livre fort intéressant, qui conteste les avis dominants de son temps concernant l’existence humaine. Il peut parfois donner l’impression d’être cynique ou désabusé – il commence avec le fameux « vanité des vanités, tout est vanité ! ». Je le trouve plutôt lucide sur ce qu’est la vie de l’être humain pendant son passage sur la terre, bien peu de choses au regard de l’histoire et de l’univers. L’auteur de ce livre appelle, comme dans notre passage, à profiter tout simplement de l’existence, chaque jour : mange et bois joyeusement, comme dans une fête, jouis de la vie avec celle ou celui que tu aimes. Une vie simple et comblée, comme celle que nous désirons vivre. Là aussi, la Bible parle de nous et de nos désirs, pour les déployer !

La Bible parle de nous, et nous invite à jouir de la vie comme d’un don ! Elle n’est pas un livre de morale ou de culpabilisation, d’illusion ou de condamnation. Certes, elle a souvent été lue comme cela, et elle l’est encore hélas par certains chrétiens qui se comportent comme les scribes et les pharisiens du temps de Jésus, qui reprochaient à ce dernier de jouir de la vie, de prendre des repas avec des infréquentables (cf. Matthieu 9, 11), de festoyer au lieu de jeûner (cf. Matthieu 9, 14), de ne penser qu’à manger et à boire du vin (cf. Matthieu 11, 19) ! Etre chrétien, c’est être joyeux, profiter de chaque jour, jouir de la vie. Et d’en jouir comme d’un don de Dieu, comme le dit le passage de l’Ecclésiaste. La foi est un hymne à la vie !

 

3 – Trois dimensions essentielles d’une vie en plénitude

La foi est un hymne à la vie, et l’Ecriture nous dit comment y arriver. Elle nous donne même la manière de le vivre. L’extrait de l’évangile de Jean que nous avons lu nous montre le chemin d’une vie pleinement vécue. C’est le passage célèbre du pied de vigne et des sarments. Image agricole familière dans le monde biblique, image qui nous parle encore directement : un cep de vigne, sur lequel sont unis des rameaux, et, au bout des rameaux, des fruits. Et le thème dominant de ce passage, c’est l’amour et la joie ; encore nous et nos désirs ! De cette image que Jésus emploie, je retiens trois dimensions fondamentales, pour pouvoir jouir de la vie comme d’un don de Dieu. Elles aident à dépasser ce qui nous en empêche.

La première, c’est une mise en perspective de notre « moi », un décentrement. Dans l’image que Jésus utilise, nous sommes les rameaux. « Vous êtes les rameaux », dit-il. En amont des rameaux, il y a le cep de vigne, d’où vient la sève qui leur permet de grandir et de se développer. En aval des rameaux, il y a les fruits qu’ils portent, qui se déploient à partir d’eux. Il y a un avant le rameau et un au-delà du rameau. La vie n’est pas concentrée sur « moi », avec les impératifs qui pèsent dessus si tout se joue là. La vie n’est pas qu’un moment intense, qui ne vaudrait le coup qu’à condition d’éprouver des émotions, des sensations ou des sentiments forts en permanence. Notre vie ne se limite pas à « maintenant ». La vie est un mouvement qui nous précède et qui nous suit. Il y a de la mémoire et de l’espérance. De la reconnaissance et du fruit. C’est ainsi qu’il est possible de jouir de la vie : pas un présent esseulé, mais une dynamique reçue et prolongée. Une dimension qui me dépasse et m’entraîne. Un don à recevoir et à laisser fructifier. L’expression « porter du fruit » (φέρω καρπόν) revient six fois dans ce passage !

Une deuxième dimension est celle de la relation. Pour que le rameau vive, il doit être uni au cep. Ce thème de l’union est très présent dans notre passage : le verbe « demeurer » (μένω) – dans le sens de demeurer uni – y revient dix fois, c’est l’axe dominant que Jésus met en avant dans l’image qu’il utilise. Cela nous renvoie à une dimension essentielle de notre existence : un rameau ne peut pas exister tout seul, sinon il sèche, se dessèche, ne vit plus. Pour vivre un rameau a besoin d’être uni au cep de vigne. Il a besoin d’un autre que lui-même. Pour jouir pleinement de la vie, cette dimension relationnelle est fondamentale : ne pas chercher à faire son salut tout seul mais le recevoir de l’arbre qui nous porte, ne pas chercher à posséder la vie comme une jouissance permanente et égoïste, mais se réjouir de la recevoir d’autres que soi-même.

Troisième dimension : dans l’image que prend Jésus, le pied de vigne, c’est lui. Ce cep sur lequel nos vies peuvent trouver vie, c’est Jésus-Christ. Le cœur de la foi chrétienne, c’est de vivre en Christ et de pouvoir ainsi jouir pleinement de la vie, c’est-à-dire de manière vivante, féconde, sereine. Même quand des épreuves surgissent, même quand notre quotidien nous semble difficile, Jésus-Christ est avec nous. Etre uni à lui, c’est recevoir de lui la sève d’une présence aimante, d’une parole réconfortante, d’une amitié inconditionnelle. Etre unis au Christ est l’appel que reçoit tout être humain, et que vit tout chrétien. Pour jouir de la vie comme d’un don de Dieu, tout ce qui nous aide à demeurer en lui est essentiel : la lecture et la méditation de la Bible, la prière personnelle et communautaire, le culte avec des frères et sœurs, l’engagement et le témoignage chrétiens. Sans cela, on se dessèche et l’on est comme un sarment sec. Beaucoup d’entre nous pourraient témoigner de la nourriture que leur donne un rendez-vous régulier avec Dieu, et a contrario des moments desséchés de leur vie quand ils étaient éloignés de ce pied de vigne.

C’est une belle image que celle du Christ pied de vigne auquel les sarments que nous sommes sont unis et, grâce à lui, portent fruit, un fruit d’amour et de joie, de joie complète. C’est ainsi que nous pouvons jouir de la vie comme d’un don de Dieu, partager l’amour, être joyeux d’une joie complète.

 

4 – Une image dure

L’image, vous l’avez entendu, porte pourtant en elle une dimension brutale : celle des sarments qui ne sont plus unis au pied de vigne et qui, desséchés, sont coupés et jetés au feu par le vigneron. Nul n’est besoin d’être vigneron pour savoir qu’une vigne, cela s’entretient, et que les sarments morts pèsent inutilement sur les sarments vivants, et qu’il faut les couper pour que ceux qui sont dynamiques puissent porter fruit. Entretenir, c’est permettre de croître, et cela passe par l’élimination des branches mortes. Dans l’image utilisée par Jésus, le vigneron c’est Dieu, « mon Père », dit Jésus. Et les sarments les croyants. Et il y a des sarments unis à Christ qui portent fruit, et puis des sarments qui s’en sont détachés et qui sont éliminés.

Il me semble important ici de m’arrêter quelques instants sur cette image qui est terrible si on y entend que ceux qui ne croient pas, ou des croyants qui perdraient la foi, qui ne seraient pas assez pieux ou qui douteraient, seraient ainsi jetés dehors. L’histoire chrétienne est trop remplie de bûchers pour les hérétiques ou d’excommunications, d’exclusions, de condamnations, pour que nous ne prenions pas le temps de comprendre ce que Jésus dit là.

Je crois profondément que le sens de cette image, quand Jésus l’emploie, n’est pas de distinguer entre les bons et les mauvais croyants, entre les élus et les réprouvés, entre ceux du dedans et ceux du dehors. L’Evangile distingue, en notre vie intérieure à chacun, ce qui est uni à lui et qui porte fruit, et que Dieu entretient pour que cela porte davantage encore de fruit, de ce qui, en nous, est loin de lui, détaché de lui, égoïste et mortifère, et que Dieu coupe, éloigne, brûle. Il ne s’agit pas de trier entre des gens, mais de faire en sorte qu’en nous se déploie ce qui est bon et fécond, les fruits de l’amour. Il s’agit de faire grandir en nous la vie. De nous aider à jouir de la vie comme d’un don de Dieu. Dieu le Père coupe en nous les branches stériles, pour qu’elles n’étouffent pas celles qui sont belles et chargées de promesse. Il nous aide à grandir ! Dieu entretient la vigne. Et le fruit de cette vigne, c’est l’amour. L’amour que Dieu le Père porte à Jésus, le Fils ; l’amour que le Fils porte à ses disciples ; l’amour que les disciples, à leur tour, peuvent partager. Et cela est de l’ordre de la joie parfaite !

 

5 – Le baptême, la cène

Une dernière dimension de ce texte, et non la moindre. Quand Jésus donne cette image du cep de vigne, des sarments et des fruits, il le fait à un moment fondamental de son existence. Cette image, il la donne à ses disciples au cœur du long discours qu’il leur fait juste avant d’être arrêté. C’est dans le contexte de sa mort prochaine que le Christ appelle ses disciples à rester unis en lui. La croix est le moment essentiel de la révélation de Dieu pour nous. Jésus-Christ crucifié nous rejoint au plus profond de nos souffrances, de nos échecs, de nos épreuves ; même là, Dieu est là ! Et il ressuscite pour ouvrir un espace de vie, de joie, d’amour, d’espérance. A la croix le monde bascule, à la croix nos vies sont bouleversées. Unis en Christ, nous passons comme lui de la mort à la vie, du desséchement aux fruits, d’une vie difficile à une vie dont on peut jouir comme d’un don qu’il nous fait.

Deux moments importants de la vie chrétienne en témoignent, en sont signes, nous donnent de participer à cet élan de vie. Le baptême, où l’eau symbolise le passage de la mort à la vie, à la suite du Christ mort et ressuscité ; mourir à une vie vide de sens pour s’ouvrir à une vie pleine de joie ! Et la cène, repas où se partagent le pain mémoire du corps de Jésus rompu sur la croix, et le vin mémoire de sa vie donnée pour le monde, pour que nous vivions pleinement, dans une fête sans fin. Ces deux sacrements renvoient à la mort de Jésus, pour nous entraîner dans sa vie, dans la vie. Deux moments pour nous nourrir sur notre chemin de vie chrétienne : l’un, le baptême, une seule fois, et l’autre, la cène, autant de fois que nous en avons besoin !

Le baptême comme la cène, nous renvoient aux trois dimensions que l’image du cep et du sarment nous donnent. Une mise en perspective entre mémoire et espérance : le souvenir de Jésus sur cette terre et l’attente de le rencontrer pleinement, pour que nous puissions vivre aujourd’hui pleinement une vie ainsi mise en mouvement. Une relation profonde à d’autres que nous-même, dans la communion de tous ceux qui sont baptisés, membres de l’Eglise, cette communauté de chercheurs de Dieu, et dans la communion sans cesse renouvelés de ceux qui participent à la table du Seigneur, unis dans la fraternité, la solidarité, l’amour et la joie. Une union à Christ, dans le quotidien de l’existence, qui nous donne de recevoir chaque marque d’amour, chaque moment qui passe, chaque fruit reçu ou donné, comme un temps de présence de Dieu avec nous.

Un présent habité de mémoire et d’espérance, une existence habitée par la présence de frères et sœurs dans la foi, un quotidien où le Christ demeure en nous. C’est ainsi que, dans nos vies souvent malmenées, dans notre monde qui nous appelle à être performants, dans cette civilisation de repli narcissique, nous pouvons vivre notre existence comme un don de Dieu, un don inconditionnel, inaltérable, éternel, car il ne repose pas sur nous mais sur sa grâce. Notre foi se base sur celle de Dieu, sur sa foi en nous, sur la confiance qu’il nous donne. Rester uni en Christ, c’est, je le crois profondément et je le ressens jour après jour, jouir de la vie comme d’un don de Dieu.

Amen.

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