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Choisir... à partir du quoi ?

Texte de la prédication du pasteur Christian Baccuet, dimanche 23 janvier 2022.
Sur Genèse 13 : la séparation d'Abram et Loth

Choisir… à partir de quoi ?

 

Genèse 13

 

Pentemont, 23 janvier 2022.

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

Où mettons-nous notre confiance ? C’est la question que nous renvoie le récit que nous venons de lire.

Nous poursuivons notre route avec Abram. Il y a quinze jours, l’appel qui le sort d’une vie moribonde pour entrer dans la promesse d’un avenir, dans la présence du Seigneur (Gn 12, 1-9). Puis, très vite, les épreuves et le doute, la famine qui le pousse à aller en Egypte, le mensonge pour sauver sa peau en sacrifiant sa femme (Gn 12, 10-20). Et voilà que les difficultés continuent.

 

1. Crise et séparation

Une crise au sein de la famille, qui se termine par une séparation. D’un côté Loth, le neveu d’Abram, dans la vallée du Jourdain, terre fertile et irriguée, généreuse pour les troupeaux. De l’autre Abram sur la montagne désertique. Le pays promis, déjà occupé, est maintenant partagé en deux, et la meilleure partie échappe à Abram. Abram et Loth cheminent ensemble depuis le début, compagnons de la même espérance. Loth est le neveu d’Abram, il est presque son fils puisque son père, le frère d’Abram, est mort et que, depuis, Loth et Abram partagent le même quotidien. Mais la vie va les séparer. La vie, ou plus exactement la richesse. Ces deux hommes ont tellement de biens, des troupeaux si nombreux, que leurs bergers se disputent à propos des maigres pâturages ou de l’accès à un puits. C’est une situation classique pour des nomades, on la retrouve en d’autres endroits de la Genèse, entre Abraham et Abimélek (Gn 21, 25), puis entre Isaac et Abimélek (Gn 26, 20) et encore entre Esaü et Jacob (Gn 36, 7). Trop de biens et pas assez de ressources, des disputes qui peuvent dégénérer, le tout en milieu hostile puisque d’autres personnes habitent le même espace, les Cananéens et les Périzzites. Situation de crise familiale, qui oblige à un choix difficile : la séparation, le partage du pays.

Ici, l’épisode se passe dignement, grâce à la générosité d’Abram. Lui qui est l’oncle, l’aîné, aurait pu choisir la région sur laquelle il irait conduire ses troupeaux, mais il laisse ce choix à Loth. Geste généreux qui est preuve de sagesse, car il vaut mieux régler un conflit de manière paisible, se quitter en bons termes car « nous sommes frères », comme le dit Abram (v. 8). Episode émouvant qui nous dit la difficulté du vivre ensemble, le conflit et sa résolution en une séparation à l’amiable. Une banale dispute et une solution classique.

Mais je vous propose d’aller plus loin dans ce texte, car je crois qu’il nous dit des choses beaucoup plus profondes que le simple souvenir d’une tension dans la vie de nos ancêtres. Il parle de nous et de nos manières de choisir. Il nous questionne : dans cette histoire, sommes-nous plutôt Loth ou plutôt Abram ? La séparation d’Abram et de Loth révèle en effet deux manières différentes de choisir sa vie. Deux figures inversées.

 

2. Loth, son propre regard

D’un côté, Loth. Loth, aime la stabilité et la tranquillité. Il aspire au repos et à la prospérité. Quand Abraham, dans sa générosité, lui propose de choisir le premier le territoire qu’il va prendre, Loth « lève les yeux et regarde » (v. 10), depuis la montagne de Béthel qui domine toute la vallée du Jourdain. Et il choisit logiquement la plus favorable à ses troupeaux, cette vallée arrosée dans laquelle il pourra trouver l’herbe et l’eau en abondance. Pour lui le nomade, la vie d’errance, la survie de pâturage en pâturage au gré des pluies et des sécheresses est terminée. Dans la vallée il va pouvoir s’arrêter et profiter tranquillement de l’espérance ainsi réalisée. Du moins c’est ce qu’il souhaite. Loth choisit de descendre dans la vallée, de se sédentariser près de la ville. A vues humaines, il fait le meilleur choix. Plutôt que de continuer à errer sur la montagne désertique, ses troupeaux vont pouvoir prospérer dans des prairies irriguées. Et la ville est le lieu des échanges, des marchés, du commerce, de la richesse à échanger. Loth gère bien son affaire, il choisit le meilleur ! Mais en croyant faire le bon choix, Loth s’avère faire un très mauvais choix. Le texte nous donne trois indices de cela.

Premier indice : Loth ne descend pas dans n’importe quelle vallée. Il va se perdre parmi les foules qui peuplent Sodome et Gomorrhe, villes de sinistre mémoire, à tel point que leurs noms sont encore, aujourd’hui dans notre culture, synonymes de lieux de perdition. Loth choisit la vie confortable, la vie garantie par les biens matériels, mais dans des villes peuplées par le mal et la mort. Les habitants de Sodome offensent gravement Dieu. Loth quitte Abram et la promesse de Dieu pour se précipiter dans la vallée, pour planter ses tentes aux portes de la ville des ténèbres. Ville violente et éphémère, qui sera détruite au chapitre 19 mais cela est déjà indiqué dans le texte (v. 10).

Deuxième indice : Loth croit choisir la vie, mais les apparences peuvent être trompeuses. Quand Loth regarde la vallée à ses pieds, il voit une vallée fertile, bien arrosée, prospère. Elle est « comme le pays d’Egypte » dit notre texte (v. 10). Quelle comparaison ! Certes, la vallée du Nil est très fertile, elle est un lieu de richesse et de grande civilisation, mais l’Egypte est aussi, dans la Bible, le lieu de la méchanceté, des ennemis. C’est là que dans plusieurs générations les descendants d’Abram vont se trouver réduits à l’esclavage. L’Egypte, c’est aussi le lieu d’où reviennent juste Abram et Loth, là où l’histoire a bien failli s’arrêter quand, avec la quasi-complicité d’Abram, sa femme Saraï a été prise par Pharaon (Gn 12, 10-20, voir la prédication d’Andreas la semaine dernière). Voilà que cette vallée qui attire Loth ressemble étrangement à l’Egypte. Funeste rapprochement !

Et puis, troisième indice. Loth semble vouloir aller de l’avant, mais se pourrait-il qu’il désire revenir en arrière ? Sans doute, car cette vallée, nous dit encore notre texte, est tellement fertile que l’on croirait se trouver devant « le jardin du Seigneur » (v. 10), c’est-à-dire dans le jardin d’Eden. Ce jardin que Dieu avait créé pour l’homme et la femme, mais que ceux-ci ont été incapables d’habiter, victimes dès le début de leur manque de confiance dans la parole de Dieu. Ce jardin dans lequel on ne peut pas revenir. Ce passé à jamais révolu qu’on ne peut revivre, mais qui est là, derrière, attirant, qui appelle à la nostalgie et au repli sur soi-même. Voilà Loth attiré par ce paradis perdu. Loth s’enferme dans son envie de sécurité, dans sa nostalgie.

Sodome, l’Egypte, le paradis perdu… Loth a cru trouver la voie du bonheur, mais il se trompe. En s’arrêtant, en regardant en arrière, il va aller à la rencontre de la mort. Lui qui voulait prendre le meilleur pour lui va se retrouver, dans le chapitre suivant, en pleine guerre, pris en otage (rendez-vous dimanche prochain !). Il voulait retenir pour lui le meilleur du pays et il va se retrouver retenu, privé de sa liberté, pour le pire. Cette ville de Sodome dans laquelle sa vie devait s’épanouir va être son malheur, la perte de ses gendres, la mort de sa femme (Gn 19). En voulant s’installer, retenir le temps, tenir une terre, Loth se perd dans espérance stérile, comme on attend la mort. Il a voulu prendre le meilleur, il va hériter du pire. Il a fait le mauvais choix.

 

3. Abram, le regard de Dieu

Abram, quant à lui, suit une voie opposée. Il reste sur la montagne. Il n’a pas vraiment le choix, c’est tout ce qui lui reste. Mais il l’accepte. Et cela va être pour lui un moment très fort de renouvellement de la promesse. Pourquoi ? Qu’est-ce qui le conduit à cela ? Là aussi, le texte nous donne trois indices précieux.

Premier indice : quand Loth a choisi, le texte nous dit qu’« il leva les yeux et regarda » (v. 10). De sa propre initiative, il cherche ce qu’il veut, il choisit ce qui le fascine. Quand Abram reste seul, le texte nous dit que « le Seigneur lui dit : lève les yeux et regarde » (v. 14). Même geste de « lever les yeux et regarder », mais là ce n’est pas de lui-même comme Loth, mais à l’invitation de Dieu. C’est fondamentalement différent. Loth a compté sur lui-même, Abram répond à l’invitation de Dieu. L’origine du regard n’est pas la même.

Deuxième indice : Abram est invité à regarder « depuis le lieu où tu es » (v. 14). Abram est alors sur la montagne. Dans la Bible, la montagne c’est toujours le lieu de la rencontre avec Dieu. Pensez au Mont Sinaï quand Dieu donnera les tables de la Loi à Moïse. Pensez à la transfiguration de Jésus. Abram ne descend pas se noyer dans la vallée. Il reste sur les hauteurs, à cet endroit où il se tient en présence du Seigneur, ce lieu où il a déjà bâti un autel (Gn 12, 8 et 13, 4), ce lieu où il invoque le nom du Seigneur (v. 4), entre Aï – « la ruine » - et Beth El – « la maison de Dieu », entre son désespoir et la promesse de Dieu. Depuis le lieu où il est, sure le chemin de l’espérance. Non pas chimère mais réalité, non pas fuite mais plénitude, non pas fascination pour la fausse sécurité de la richesse mais appui dans la disponibilité à Dieu, le creux où sa parole peut s’entendre.

Troisième indice : alors que Loth a regardé dans une seule direction, vers l’herbe verte qui va l’attirer dans un piège fatal, le regard d’Abram est appelé à regarder tout l’horizon, sur 360 degrés, « vers le nord, vers le sud, vers l'est et vers l'ouest » (v. 14) ! Partout où se regard se pose, il sera chez lui, parce que Dieu sera avec lui.

Loth regarde avec un regard humain. Il est fasciné par l’avoir. Abram regarde à l’invitation de Dieu, il regarde avec le regard de Dieu, il regarde en présence de Dieu, il est disponible à être. Ainsi, Abram ne s’en remet pas à lui-même comme Loth, mais place sa vie rentre les mains de Dieu. C’est de Dieu qu’il attend la vie, et non de ses propres forces. En se donnant à la promesse de Dieu, Abram fait un choix bien aventureux à vues humaines. Ce qui compte pour Abram, ce n’est pas la recherche de la sécurité, mais la confiance. Et pas la confiance en lui-même et en ses choix, mais la confiance dans les promesses de Dieu. Mais c’est ainsi qu’il prend le chemin de la vie. Son regard n’est pas tourné vers un passé à jamais révolu, il ne verse pas dans l’attirance de la facilité, ni dans la fascination de la sécurité, ni dans le retour nostalgique sur soi-même. Il s’en remet au Dieu qui lui a dit « pars » (Gn 12, 1) et qui le lui répète une nouvelle fois : « lève-toi et parcours ce pays de long en large » (v. 17). On pourrait presque entendre « lève-toi et marche ! ».

Abram entend alors à nouveau la promesse, mais démultipliée, approfondie, précisée : « Tout le pays que tu vois, je te le donnerai, à toi et à ta descendance, pour toujours. Je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les grains de poussière de la terre : si l'on pouvait compter les grains de poussière de la terre, alors on pourrait aussi compter ta descendance » (v. 15-16). Au chapitre 12, la promesse qui avait mis Abram en marche était celle d’un pays donné à sa descendance, ce qui était déjà bouleversant pour lui qui n’avait ni lieu ni enfant. Ici elle s’élargit à « tout le pays » et à « pour toujours », innombrable et déjà visible.

La vie d’Abram se tourne alors une nouvelle fois vers Dieu – il construit à nouveau un autel (v. 18) – et vers l’avenir – il est remis en marche par le don de Dieu qui le fait vivre, il poursuit sa route. En acceptant de donner la moitié de la région, la meilleure moitié, la moitié fertile, en consentant à perdre, Abram a posé un acte de grande confiance. Et ce choix va être le bon. En voulant retenir pour lui, Loth va tout perdre. En acceptant de perdre, Abram trouve Dieu. En lâchant la terre, il tient ferme à la Parole.

 

4. Et nous aujourd’hui ?

C’est un enseignement fort pour nous. Comment vivons-nous nos choix de vie, la Parole de Dieu, la promesse, l’espérance ?

Comme Loth ? Vivre comme lui, c’est tenir la terre et lâcher la Parole, choisir la richesse plutôt que la rencontre, la sécurité dans notre prospérité à court terme plutôt que l’aventure avec Dieu, l’enfermement sur nous-mêmes, attendre frileusement à l’abri de nos vieilles habitudes, de nos préjugés, de nos rancœurs ou de notre nostalgie en oubliant la Parole de vie…

Ou bien comme Abram ? Vivre comme lui, c’est lâcher la terre pour tenir la Parole, se mettre debout dans la foi, marcher pour la paix et la justice, espérer en la vie qui vient à nous, accueillir la promesse sans cesse renouvelée. Etre vraiment libres, comme Abram, c’est être porté par Dieu. C’est consentir à perdre pour vivre. C’est une démarche spirituelle profonde. C’est la démarche d’Abram, le père des croyants.

Où mettons-nous notre sécurité, notre identité, notre confiance, notre vie ? En nous-mêmes ou en Dieu ? Dans les richesses éphémères de ce monde ou dans la force de la présence de Dieu ? Cette question résonne dans toute notre existence. Dans notre vie personnelle, au moment de choix importants comme dans le quotidien de nos jours. Dans notre vie d’Eglise, nos replis ou nos ouvertures, notre confiance ou notre enfermement. Dans notre vie avec les autres Eglises, en cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens où se pose le défi de vivre ensemble en Dieu, au-delà des séparations humaines. Dans notre vie en société, quand se crispent les discours identitaires, les peurs qui virent rapidement en nostalgie d’un temps fantasmé et en rejet de l’autre. Pour le dire autrement, allons-nous comme Loth continuer à chercher à faire notre salut par nous-mêmes, ou comme Abram nous en remettre dans la confiance en la fidélité de Dieu qui n’est pas une formule mais une réalité vive ? Sommes-nous Loth ou Abram ? A chacun de nous de donner la réponse qui le concerne.

Pour ce qui me concerne, je suis Loth et Abram, tantôt l’un tantôt l’autre, parfois les deux en même temps. Alors j’ai besoin de vous. Nous avons besoin les uns des autres pour discerner ensemble la Parole de Dieu pour nous, pour nous aider les uns les autres à entendre sa voix qui dit « Lève les yeux et regarde », à vivre dans la confiance en sa promesse. Malgré les difficultés, malgré nous-mêmes, le Parole nous appelle à nouveau : reprends ta route, continue à croire et à espérer. Continue à marcher à mes côtés.

Et Dieu continue à marcher à nos côtés ! La route d’Abram va être longue encore, les tentations, les épreuves et les échecs nombreux. Mais, au travers de cette histoire mouvementée, l’espérance va mûrir, grandir, s’épanouir… Et, toujours et inlassablement, Dieu interviendra pour relancer l’espérance. La route de Loth va être dure après ce choix malheureux. Son nom signifie « voile, couverture, enveloppe », comme s’il était en difficulté pour voir clairement. Mais, à plusieurs reprises, aux moments cruciaux, Abram sera à ses côtés pour l’aider à revenir dans la vie et la promesse. Et cet homme auquel nous ressemblons tant va devenir, malgré tout, malgré lui, un des ancêtres de Jésus-Christ, par Ruth la Moabite, descendante de Moab, fils de Loth. La promesse va passer aussi par lui.

Cela est plus fort que tout, que nos penchants à faire les mauvais choix comme Loth, ou à écouter le Seigneur comme Abram : la promesse de Dieu est plus forte que nous, elle nous traverse malgré nous, elle nous entraîne au-delà de nous. Bonne nouvelle !

Amen.