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Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour

Texte de la prédication du dimanche 5 février 2023, par le Pasteur Christian Baccuet

 

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour

 

Pentemont-Luxembourg, 5 février 2023.

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

Lectures bibliques : Exode 12, 17 ; Matthieu 15, 32-38 ; Jean 6, 32-35

 

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Phrase banale ! Nous la connaissons par cœur, tant nous l’avons souvent dite à haute voix. Elle figure au cœur de la prière que Jésus a enseignée à ses disciples, le « Notre Père », que nous trouvons en Matthieu 6 (v. 11) et Luc 11 (v. 3). Phrase banale ? Pas si sûr !

Le « Notre Père » est la prière enseignée par Jésus comme modèle de toutes les prières. Cette prière est commune à tous les Chrétiens, et nous la disons ensemble à haute voix au cours de chaque culte pour manifester son importance. Cette prière s’enracine dans la foi juive. Jésus était juif, nourri par cette tradition religieuse, porté par elle, né en son sein pour accomplir les promesses qu’elle recèle : la venue du temps de Dieu, la manifestation du Messie, l’alliance nouvelle entre Dieu et les êtres humains, l’espérance du Royaume, encore attendu mais déjà commencé. En Christ, cette prière se dit dans la proximité de confiance, par le Fils, en Dieu nommé « Père », et dans la fraternité de celles et ceux qui prient ensemble « notre » Père.

Cette prière est cette année le fil conducteur du programme des catéchumènes de 1ère et 2ème année (13-14 ans). De septembre à juin, au cours de nos rencontres mensuelles, l’ensemble de cette prière est parcouru, phrase après phrase. Hier soir, la rencontre de KT était centrée sur cette phrase : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ».

Une demande qui peut sembler bien superficielle, après le début de la prière qui adresse à Dieu de grandes louanges : que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Après un élan cosmique, une demande toute simple. Elle est au cœur de cette prière, parce qu’elle est au cœur de notre vie.

Elle n’est pas banale mais riche de sens. Je vous propose de traverser chaque mot de cette demande.

 

1. PAIN

Il y est question de « pain ». Le pain, c’est la nourriture de base de bien des cultures, que ce soit il y a deux mille en Galilée et en Judée, ou aujourd’hui dans notre pays. Au-delà du pain fait de farine, de levain, de sel et d’eau, le « pain » est devenu synonyme de toute nourriture. Toute nourriture : nourriture matérielle, à la fois banale – nous mangeons tous les jours – et indispensable – nous ne pouvons vivre si nous ne mangeons pas. Mais aussi symbole de tout ce qui est nécessaire à la vie, notre vie qui est bien plus que simplement matérielle : elle est aussi relationnelle, culturelle, spirituelle. Le pain, c’est tout ce dont nous avons besoin pour vivre : la joie, l’amitié, la confiance, l’amour, l’espérance…

Dans la foi, ce qui est important pour vivre, c’est aussi la relation à Dieu. Cette relation passe par deux dimensions qui s’entrecroisent dans le culte, dont le déroulement est comme un dialogue entre Dieu et nous. La Parole, Parole de Dieu qui nous est donnée, qui nous rappelle l’amour de Dieu pour nous, incarnée en son Fils Jésus, vécue dans l’Esprit saint. Le pain, c’est aussi le pain de la Parole. Et la prière qui lui répond, quand nos paroles humaines sont adressées à Dieu, avec leurs limites, leurs balbutiements, leur fragilité mais aussi leur vérité, leur intensité, leur intimité. Le pain, c’est aussi le pain de la prière.

Le pain que nous demandons dans le Notre Père, c’est tout cela, nourriture pour notre corps, nourriture pour notre vie, nourriture pour notre relation à Dieu.

 

2. La pain DE CE JOUR

Le pain « de ce jour ». Dire « de ce jour » est une marque de confiance. Ce n’est pas la demande d’un grenier rempli de pains, un stock pour la vie ou même plus que ce que l’on pourrait consommer. C’est la demande confiante de ce qu’il nous faut pour aujourd’hui. « A chaque jour suffit sa peine », dit Jésus dans le même chapitre de Matthieu que le Notre Père, dans un magnifique passage qui nous appelle à la confiance en Dieu : « Cherchez d'abord le règne de Dieu, cherchez à faire sa volonté, et Dieu vous accordera aussi tout le reste. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain car le lendemain s'inquiètera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine » (Matthieu 6, 33-34).

Cette confiance s’enracine loin dans la Bible. Près de 1 300 ans avant Jésus, au XIIIe siècle avant notre ère, les Hébreux esclaves en Egypte ont été délivrés par Dieu, par l’intermédiaire de Moïse. D’esclaves ils sont devenus un peuple libre. Cela ne s’est pas fait en un jour. Pharaon a longuement résisté, puis il a poursuivi les fugitifs ; jamais un oppresseur n’autorise les opprimés se libérer. Après le passage de la Mer Rouge, quand le risque d’être rattrapés n’était plus, l’aventure de la liberté a commencé pour les Hébreux. Mais ce fut long avant qu’ils soient vraiment libres. 40 années à errer dans le désert, avec des moments de lassitude, de déprime et de révolte. Mais la bonté de Dieu envoyait chaque jour la « manne », une matière dont on ne sait pas bien ce que c’est, qui servait de pain quotidien (Exode 16). Dieu en envoyait chaque jour pour le jour même, il n’était pas possible d’en faire des réserves, mais chaque jour il y en avait et chacun avait assez à manger. La manne symbolise la confiance en la bonté quotidienne de Dieu. Le pain de ce jour évoque cette confiance quotidienne, confiance pour aujourd’hui et pour demain.

C’est à la manne que Jésus fait référence dans le passage de l’évangile de Jean que nous avons lu, quand il évoque « le pain des cieux », « pain de Dieu […] qui donne la vie au monde » (Jean 6, 32-33). La manne, le pain de ce jour, est plus que de la nourriture physique, elle est le signe de la vie de Dieu. Et, poursuit Jésus, cette vie c’est lui qui en est le véritable signe : « Je suis le pain de vie » (v. 35). Il ne s’agit pas d’une déclaration d’un narcissisme absolu, mais d’une affirmation libératrice : la vraie vie nous est donnée en Christ. Le pain de ce jour, c’est lui.

« De ce jour » est la traduction d’un mot grec qui ne se trouve qu’ici dans la Bible, et nulle part ailleurs dans toute la littérature antique. C’est le mot ἐπιούσιος (epiousios), littéralement « qui survient », d’où la traduction « de ce jour ». Il peut aussi se traduire par « surnaturel » ou « essentiel », et faire ainsi allusion à la présence du Christ, le pain de vie. Plus particulièrement, il peut ainsi évoquer le moment du culte au cours duquel nous partageons le pain. La « sainte cène », ce qui veut dire le « repas du Seigneur », est ce moment où le Christ nous fait signe.

Le repas du Seigneur, c’est la mémoire du dernier repas qu’il a pris avec ses disciples, avant d’être arrêté (Matthieu 26, 26-29). C’est aussi la mémoire du premier repas qu’il a pris après sa résurrection, avec deux autres de ses disciples, dans une maison sur la route d’Emmaüs (Luc 24, 28-32). Mêmes gestes : « prendre du pain », « prononcer la bénédiction », « rompre le pain » et « le donner ». C’est à ces gestes que les disciples le reconnaissent. C’est à ces gestes que nous reconnaissons sa présence.

Le pain rompu lors du repas du Seigneur renvoie au moment le plus important de l’histoire des Hébreux, dont nous avons parlé tout à l’heure : la libération de l’esclavage en Egypte. Pour commémorer cela, la confection de pains sans levain – pour un départ dans l’urgence, pas possible d’attendre que la pâte ait levé – et le repas de la Pâque étaient célébrés, chaque année (Exode 12, 17). C’est lors de cette fête que Jésus a pris son dernier repas, rompt le pain et le partage en disant « ceci est mon corps », c’est-à-dire ma vie. C’est lors de cette fête qu’il a été crucifié puis que le tombeau a été retrouvé vide au matin de Pâques, le dimanche, jour qui est devenu celui du rassemblement des Chrétiens, le jour de la vie avec le Christ vivant. Pâques, la croix et la résurrection, le moment le plus important de l’histoire chrétienne.

Nous ne mangeons plus des pains sans levain, mais du pain quotidien, pour signifier cette présence du Christ dans notre vie de tous les jours. Le pain de ce jour, c’est le signe de la confiance, quotidiennement renouvelée, en la présence du Christ vivant au milieu de nous.

 

3. NOTRE pain de ce jour

Le pain de ce jour. « Notre » pain de ce jour. Ce « notre » est important. Notre pain, ce n’est pas « mon » pain. La demande n’est pas solitaire, égoïste. Elle est collective. C’est une dimension importante, fondamentale. La prière, vécue personnellement, est fondamentalement communion avec les autres. C’est pourquoi nous disons le Notre Père à haute voix, pour manifester cette dimension d’être ensemble. Nous demandons ensemble « notre » pain à « notre » Père.

En protestantisme, on a beaucoup développé l’importance de la personne, de la liberté de conscience, de la responsabilité individuelle, de la liberté de chacun et chacune. C’est fondamental, et ce fut le geste émancipateur de Martin Luther qui, parce qu’il avait reçu la grâce de Dieu dans sa conscience, est entré en désobéissance contre l’institution ecclésiale qui le sommait de se taire. Il a dit « je » contre le « nous », et a ouvert ainsi les temps modernes. La relation à Dieu est directe. Mais on a eu parfois tendance à relativiser le nous, les autres, l’Eglise, voire à les oublier. Les autres sont pourtant indispensables, nécessaires. Nous sommes fondamentalement des êtres de relation. Dire « notre pain », c’est exprimer cela. C’est dire l’importance de partager le pain. L’importance des « co-pains » et copines, des « com-pagnons » et compagnes : étymologiquement ceux avec qui nous partageons le pain.

Avec les catéchumènes de 3ème année, hier soir, nous avons travaillé sur le sens de la sainte cène. Cette dimension du repas, joie avec d’autres, nous est apparue comme fondamentale. Voilà pourquoi, pour communier, nous formons un cercle, manière de symboliser que ce n’est pas chacun de son côté que nous recevons le pain de vie, mais ensemble, en communauté, en Eglise : les compagnons, frères et sœurs qui nous entourent, et tous les Chrétiens rassemblés le même jour partout sur la terre. La cène est fondamentalement repas ensemble, repas de partage.

« Notre pain », cela dit la communauté. Mais cela ne dit pas « notre » comme si ce pain n’était qu’à nous, bien à nous, qu’il fallait le protéger jalousement de peur de se le faire prendre et de le perdre. « Notre » est bien plus large que « à nous ».

C’est ce que Jésus montre par le signe de nourrir des milliers de personnes avec peu de pain (Matthieu15, 32-38). C’est un récit qui est très important, c’est le signe le plus raconté dans les évangiles : six fois, deux dans l’évangile de Matthieu, deux dans Marc, une dans Luc, une dans Jean. Ce qui compte dans ce récit, ce n’est pas le spectaculaire ; on l’appelle « multiplication des pains » mais à aucun moment il n’y est évoqué une quelconque multiplication. Simplement, il y a beaucoup de personnes et très peu de pain ; on ne va pas y arriver, ce n’est pas raisonnable, et pourtant il y en a assez pour tout le monde, et il en reste encore à partager. C’est le miracle du partage, de la foi, de la confiance.

Si c’est difficile à entendre matériellement, cela résonne en profondeur : la joie, l’espérance, la foi, l’amour peuvent se partager bien au-delà du raisonnable, du rationnel, du quantifiable. La foi, c’est ce vaste partage. Partage qui résonne alors aussi matériellement, quand on sait que tant de personnes à travers le monde ne mangent pas à leur faim. Prendre la cène, c’est se trouver en solidarité avec les démunis, engagés à partager avec eux. Le culte et la diaconie vont ensemble, comme nous nous le sommes rappelé hier matin lors de la deuxième matinale de l’Entraide, et comme nous nous le rappellerons mercredi soir avec la conférence de Stéphane Lavignotte, « mettre en gestes notre foi ».

Il y a d’ailleurs des résonnances fortes entre le repas de la sainte cène et les récits de Jésus qui nourrit des milliers de personnes. Dans ces récits-là, il fait les mêmes gestes que lors de son dernier repas avant sa mort et de son premier repas après sa résurrection : il « prend les pains », il « rend grâce », il « les rompt » et « les donne » à ses disciples (Matthieu 15, 36). Puis ceux-ci, à leur tour, les donnent à tous. La cène est fondamentalement communautaire, au sens de la communauté humaine présente. Et le cercle que nous formons n’est pas un cercle fermé sur lui-même mais ouvert à l’humanité.

 

4. DONNE-NOUS notre pain de ce jour

Notre pain de ce jour… c’est ce que nous demandons à Dieu. « Donne-nous » notre pain de ce jour. Ce pain de vie, présence du Christ, confiance quotidienne, appel au partage, ce n’est pas évident de le vivre. C’est pourquoi il est demandé dans la prière.

Donne-nous. Appel à Dieu pour qu’il nous donne cette grâce de sa présence. Ou plus exactement, car nous croyons qu’il nous la donne avant même que nous la demandions, avant que nous la connaissions, avant que nous la méritions, de manière inconditionnelle et prévenante, nous lui demandons de nous donner d’en vivre, d’en avoir conscience, de la partager. C’est une confession de foi dans la grâce de Dieu. Au cœur de notre foi, un don. Un cadeau.

Et parce que ce n’est pas toujours évident, il importe de le demander régulièrement, dans la confiance partagée que Dieu sait ce dont nous avons besoin.

 

5. Donne-nous AUJOURD’HUI notre pain de ce jour

Reste un dernier mot, mais c’est peut-être le premier : « aujourd’hui ». Donne-nous « aujourd’hui » notre pain de ce jour.

La demande n’est pas pour demain, pour plus tard, pour quand j’en aurai le temps… elle est pour aujourd’hui. Tout de suite, pas comme un caprice ou une exigence, mais comme la conscience de l’importance de cette présence de Christ. Quand nous célébrons la cène, quand nous partageons le pain, nous faisons mémoire des gestes, des paroles, de la vie de Jésus. Nous disons notre espérance dans un temps à venir où nous le verrons face à face, le jour où il boira le vin nouveau, avec nous, dans le Royaume de son Père (Matthieu 26, 29). Mais nous le vivons déjà, ici et maintenant, dans la force de l’Esprit saint.
Nous le vivons maintenant, et nous le partageons maintenant, dans ce monde qui a faim de pain, de paix et de justice, de solidarité, de sens, d’amour, de foi et d’espérance. Aujourd’hui.

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Prière qui est loin d’être banale, prière fondamentale, essentielle, qui demande en toute confiance à Dieu, avec nos frères et sœurs, ce qui est nécessaire à notre vie quotidienne (manger, aimer) et aussi ce qui est fondamental à notre existence (la présence du Christ). Demande qui est une manière de nous rendre disponibles à recevoir le pain de vie, à le recevoir pour le partager.

Amen.

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