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Abraham prêt à sacrifier son fils : écouter la voix de Dieu ?

Texte de la prédication du dimanche 20 mars 2022, par le pasteur Christian Baccuet

Lecture : Genèse 22

 

 

Abraham prêt à sacrifier son fils… Quand on pense à Abraham, on bute immédiatement sur ce texte, l’un des plus dramatiques de la Bible. Le patriarche entend Dieu lui demander de sacrifier le fils de la promesse, son fils bien aimé attendu si longtemps. Demande effroyable. Ce récit exige-t-il du lecteur une soumission aveugle à la violence divine ?

Et si, au contraire, il proposait un chemin pour naître à un lien d’amour ? Je trouve que ce texte est magnifique et j’aimerais partager cela avec vous aujourd’hui.

 

1. Histoire de soumission ou de confiance ?

Pour Abraham, après des années de marche dans la promesse, après un long chemin de doute et de foi, la naissance d’Isaac a résonné comme l’aboutissement de la Parole de Dieu. Enfin il va pouvoir goûter à une joie sereine. Mais tout s’écroule quand une voix l’appelle par son nom pour lui dire : « Prends ton fils Isaac, ton fils unique que tu aimes tant » (v. 2). La voix insiste, comme pour mieux marquer l’insoutenable dureté de l’ordre : Isaac, ton fils, l’unique, que tu aimes tant… « Va dans le pays de Moria, sur une montagne que je t'indiquerai ». On se retrouve presque au début de l’histoire d’Abraham, quand le Seigneur l’a appelé en termes similaires : « Va dans le pays que je te montrerai » (Gn 12, 1). Mais cette fois, il ne s’agit pas de quitter le passé pour trouver la vie ; il va falloir rompre avec l’avenir en donnant la mort : « Et là offre-le-moi en sacrifice. » En hébreu, ce sacrifice s’appelle עֹלָה (`olah), qui a donné « holocauste », et qui désigne un sacrifice complet où la victime est brûlée entièrement, où il ne reste plus rien d’elle, signe d’un don total à Dieu. Voilà l’épreuve qui tombe d’un coup sur Abraham : non plus partir pour recevoir une descendance, mais partir pour tuer son enfant. Perdre son fils, renoncer à la promesse et être celui qui tiendra le couteau pour le faire disparaître à tout jamais… Abraham est brutalement plongé dans la nuit, confronté aux ténèbres, livré à l’incompréhensible.

Le texte biblique ne nous dit rien de cette nuit passée par Abraham entre la parole reçue et la réponse donnée. Nuit qui n’appartient qu’à lui, confronté à ce Dieu qui se donne et qui se dérobe, à ce Dieu qui a donné Isaac et qui maintenant veut le reprendre, à ce Dieu qui paraît bien incohérent et cruel. Nuit terrible de la foi au cœur de l’épreuve… Et au petit matin Abraham se lève et se met en route, sans un mot, avec son fils et deux serviteurs. Réponse terrible que celle de son obéissance silencieuse (v. 4).

Face à une telle demande, on s’attendrait à une révolte, à des cris, des pleurs, des supplications, une contestation désespérée. Abraham en est capable. Il a déjà marchandé avec Dieu pour le salut de Sodome à cause des justes qui y habitent. Mais là, pas un mot. Trois jours de marche silencieuse. Comment comprendre cela ? Est-il tétanisé par la douleur, saisi d’incompréhension, dans cet état où on ne pense plus parce c’est impensable ? S’agit-il d’un aveuglement fanatique, d’une foi prête à tous les meurtres au nom de Dieu, d’une résignation fataliste à la mort plus forte que la vie ? Ou bien est-ce un acte d’espérance, un geste de confiance en ce Dieu de la promesse qui, même si sa Parole est parfois incompréhensible, ne peut vouloir la mort ; en un Dieu qui, sûrement, donnera une issue favorable à l’épreuve ? Peut-être est-ce le passage de l’aveuglement à la confiance ?

 

2. Une épreuve : de la religion à la foi

En regardant de plus près le texte, on trouve de précieuses clefs de lecture, comme des indices placés dans le récit pour nous aider à comprendre le déplacement spirituel que nous sommes appelés à faire à la suite d’Abraham.

Premier indice. Le premier verset du récit précise : « Dieu mit Abraham à l'épreuve ». Précision essentielle. Car l’épreuve, dans la Bible, c’est toujours un moment douloureux à passer, un moment de doute, d’angoisse ou de souffrance, mais un temps qui permet de mûrir, de grandir, d’être renforcé dans sa vie. Un chemin proposé par Dieu. Ainsi, cette exigence incompréhensible de Dieu peut se comprendre comme une manière d’aider Abraham… à ne plus sacrifier. Au temps d’Abraham, vers 1800 avant notre ère, la pratique est courante chez les peuples du Proche-Orient de sacrifier le fils premier-né. Cette mise à mort est un acte de piété, un geste nécessaire qui garantit les naissances futures. La mort de l’aîné rachète la vie des suivants. C’est un geste considéré comme normal. Et c’est ce geste qu’Abraham part accomplir ; pour lui, il est naturel que Dieu lui demande cela, puisque tous les dieux de tous les peuples demandent cela à leurs fidèles. Abraham va accomplir ce geste, mais au moment où il lève le couteau sur son fils, l’ange du Seigneur le retient : « Ne porte pas la main sur l'enfant » (v. 12). Abraham aperçoit un bélier dans un buisson, et c’est ce bélier qui est sacrifié (v. 13). Par cette épreuve, Abraham comprend que le Seigneur ne veut pas qu’il tue son fils. Le Seigneur ne veut pas de sacrifices humains. Il ne veut pas que l’on sacrifie quiconque pour lui. Il n’est pas une idole. Il interdit que l’on tue en son nom. L’épreuve est douloureuse pour Abraham, mais sans doute doit-il passer par là pour comprendre qui est vraiment Dieu. Non pas une divinité sanguinaire, mais un Dieu de relation et de promesse. Non plus le dieu des religions, mais le Seigneur vivant.

Deuxième indice. Symboliquement, toute la première partie de ce texte parle de Dieu avec un nom commun, אֱלֹהִים (Elohim), terme générique qui veut dire « la divinité », et la deuxième partie, à partir du verset 11, emploie le nom propre de Dieu, יְהֹוָה (Yavhé), que nos Bibles traduisent par « le Seigneur » ou « L’Eternel ». Abraham passe de la soumission à la divinité qui ordonne le sacrifice, à l’écoute du Seigneur qui l’interrompt. Il passe de la religion à la foi. Il découvre le vrai visage de Dieu, celui en qui on peut mettre toute sa confiance car il est le Seigneur de la vie. Cette nouvelle compréhension de Dieu lui permet alors d’avoir une nouvelle compréhension de la relation humaine, en particulier avec son fils Isaac.

Et là, une série de plusieurs indices ! Au début, le père et le fils marchent d’un même pas, ils marchent « tous deux ensemble » (v. 6 et 8). Leur proximité va jusqu’au lien physique, quand Abraham attache son fils sur l’autel, par cette ligature (עָקַד - ‘aqad), qui a donné son nom à cet épisode dans la tradition juive : la Aquédah (v. 9). Puis le couteau levé passe comme une séparation entre eux (v. 10). Et comme si cette coupure le libérait, Isaac, qui jusque-là a été passif, va pouvoir aller vers l’avenir. Son avenir. Nous allons bientôt quitter l’histoire d’Abraham, il va laisser la place à celle de son fils. Abraham, à ce moment-là, « relève la tête » (v. 13) ! Il se redresse, il n’est plus plongé dans la douleur ou la soumission aveugle. Et, alors qu’il s’apprêtait à sacrifier son fils, l’animal qui est substitué est un bélier : non pas l’animal fils – l’agneau comme on s’y attendrait (cf. v. 7-8) – mais l’animal père. Ce qui est sacrifié, c’est le pouvoir d’Abraham, celui du père sur son fils. L’avenir va s’ouvrir, la transmission se faire, la descendance va pouvoir se multiplier et la bénédiction se répandre.

A la fin du récit, encore un indice. La fin du récit ne mentionne plus Isaac. Abraham redescend tout seul de la montagne (v. 19). Isaac va pouvoir commencer son propre cheminement, prendre le relai de l’espérance. Au chapitre 12, Abraham avait dû rompre avec son passé pour s’ouvrir à la promesse ; au chapitre 22, il doit se détacher de l’avenir pour permettre à celui-ci d’advenir. La descendance promise va pouvoir proliférer « aussi nombreuse que les étoiles dans les cieux ou les grains de sable au bord de la mer » (v. 17). Et l’on apprend au même moment que la vie, soudain, se multiplie dans la famille, chez son frère Nahor, 12 enfants dont l’un est le père de Rébecca (v. 23) qui deviendra plus tard la femme d’Isaac. L’espérance peut se poursuivre à travers les générations, au-delà d’Abraham. Sara va mourir au prochain chapitre (Gn 23), puis Isaac se marier avec Rébecca (Gn 24), puis Abraham va mourir à son tour (Gn 25), et l’histoire d’Isaac se développer. Tout cela est une affaire de vie, une histoire de foi.

Un dernier indice pour aujourd’hui. Symboliquement, la montagne sans nom vers laquelle Abraham se dirigeait (« sur une montagne que je t'indiquerai », v. 2) devient nommé יְהוָה יִרְאֶה (Yahvé Yiré), « le Seigneur y veillera », ou « le Seigneur a pourvu », ou « le Seigneur a vu », ou « le Seigneur est vu »… C’est une confession de foi. Sur cette montagne, dans cette épreuve, le Seigneur a vu la foi confiante d’Abraham. Abraham a vu la grâce vivante du Seigneur. Dieu a pourvu : Abraham s’est laissé conduire et Dieu a montré son véritable visage. Un visage de tendresse. Abraham le pressentait déjà, au verset 8, quand sur le chemin il disait à Isaac : « Mon fils, Dieu veillera lui-même à procurer l'agneau ». Dieu a veillé, Dieu veille, Dieu veillera. C’est un chemin qui se continue, celui de Dieu qui veille. Et celui du croyant qui écoute la voix de Dieu, comme le dit le verset 18 : « À travers eux, je bénirai tous les peuples de la terre parce que tu as écouté ma voix ». Ecouter la voix de Dieu, c’est quitter celle d’une divinité qui appelle au meurtre (v. 1) pour s’ouvrir à celle du Seigneur qui appelle à la vie : « Abraham, Abraham ! […] Ne porte pas la main sur l'enfant, ne lui fais aucun mal » (v. 11-12).

Tant d’indices qui sont comme des jalons sur le chemin éprouvant qui va de la soumission aveugle au dieu des religions qui demande obéissance totale et fanatique, jusqu’à l’écoute de la parole du Seigneur qui redresse et libère, qui ouvre à la vie, à jamais. Epreuve pour Abraham, dans laquelle il avance d’un grand pas dans la rencontre avec le Seigneur vivant et à l’issue de laquelle il laisse aller Isaac vers son avenir.

 

3. Jésus-Christ

Pour nous, chrétiens, un autre indice nous est donné. Bien plus qu’un indice : un signe, une révélation.

C’est sur une autre montagne et dans une autre épreuve que Dieu nous montre son véritable visage. Depuis le Golgotha, depuis le jour terrible où Jésus meurt sur la croix, nous savons que « Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (Jean 3, 16). Son fils unique, son bien-aimé. Isaac n’est pas mort dans le récit de Genèse 22 ; il y a comme une « happy end » à l’histoire. Il va se marier et avoir des enfants, il va vivre longtemps. Sur la croix, il n’y a pas de fin joyeuse. Comme Isaac a marché vers le lieu du sacrifice en portant le bois sur ses épaules, Jésus monte au calvaire en portant sa croix. Comme Isaac a été lié sur l’autel, Jésus est accroché à la croix. Mais aucun ange du Seigneur n’arrête le bras de ceux qui plantent les clous, aucun bélier ne vient remplacer le fils de Dieu. Il est lui-même l’animal immolé, l’agneau de Dieu. Jésus meurt véritablement.

L’Evangile n’adoucit pas l’histoire ; au contraire, il la radicalise pour nous dire que c’est Dieu lui-même qui traverse l’épreuve, qui se donne à nous dans la souffrance, les larmes et le sang. Il meurt sur la croix pour se révéler à nous comme le Dieu proche de nous, le Seigneur qui nous aime jusqu’au bout, totalement, qui vient à notre rencontre pour prendre sur lui nos souffrances nos douleurs et nos épreuves. Il nous montre ainsi l’impasse de la violence sacrificielle qui, en supprimant des vies, met à mort Dieu lui-même. Il nous révèle que Dieu n’est pas une divinité parmi d’autres, qui exigerait de nous une soumission fanatique. Il est le Seigneur d’amour qui nous appelle à marcher avec lui dans la confiance en la vie plus forte que la mort, qui le fait en venant à nous, en marchant avec nous, en traversant l’épreuve avec nous, en portant l’épreuve en lui, pour nous.

Abraham et Isaac ont marché pendant trois jours. Le troisième jour, ils arrivent sur la montagne qui va les rendre à la vie. Le troisième jour est le jour où la vie retentit. C’est le jour de la résurrection. Depuis le matin du troisième jour, rien ne pourra plus nous séparer de l’espérance. La bénédiction est pour toute la terre

Le récit de Genèse 22 nous dit la douleur de croire dans la nuit et l’épreuve, quand nous ne savons pas vraiment si c’est Dieu qui nous parle, quand les chemins que nous prenons semblent si contraires à la promesse… Mais ce récit nous dit surtout que le Seigneur accompagne nos chemins pour nous ouvrir à la vie. Il met fin aux sacrifices en prenant la mort sur lui. Il nous appelle à ne plus en rester aux dieux de la désespérance et de la violence, mais à le suivre lui, le Seigneur de l’espérance.

En Christ, le Seigneur nous invite, parmi les voix de tous les dieux qui nous appellent à la mort, à entendre l’appel du ressuscité. L’appel à poser un nouveau regard sur Dieu, sur les autres, sur soi-même, pour ainsi laisser l’espérance suivre son cours, se développer plus loin que soi, se multiplier à travers la terre. Puissions-nous à notre tour quitter les rivages de la religion pour entrer dans la dynamique de la foi, en Jésus-Christ !

Amen.