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La ZAD de Pentemont-Luxembourg

Prédication du dimanche 23 septembre 2018 par le pasteur Christian Baccuet

Lecture : 1 Corinthiens 13

 

Ah l’amour ! On peut en rêver comme d’un idéal, ainsi que le chanteur et poète belge Julos Beaucarne le décrit : « l’amour est la totale totalité totalisant totalement le tout, tout le temps ». Ou en désespérer comme le chante Hubert-Félix Thiéfaine : « L'amour ça mord, l'amour c'est mou, l'amour ça meurt à la mi-août sans mots sans remords ni remous ». Alors l’amour ? Idéal ou désenchantement ? Horizon inatteignable ou origine perdue ?

Le texte biblique que nous lisons ce matin est connu. Il parle de l’amour, il est bien écrit, bien balancé, il a une certaine esthétique. C’est un très beau texte : « L'amour est patient, l'amour est bon, il n'a pas de passion jalouse ; l'amour ne se vante pas, il ne se gonfle pas d'orgueil, il ne fait rien d'inconvenant, il ne cherche pas son propre intérêt, il ne s'irrite pas, il ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il se réjouit avec la vérité ; il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout ». Mais un doute me prend. Ce que l’apôtre Paul décrit ici de l’amour, est-ce possible à vivre ? Est-ce un idéal écrasant car trop haut, qui se transforme vite en découragement devant nos limites et les accidents de la vie ?

C’est quoi l’amour dont nous parle Paul ? Est-ce possible à vivre ? Oui ! C’est même essentiel de le vivre. Et c’est même facile ! Je vais vous dire comment. Je ne vais pas vous donner une recette qui garantit quoi que ce soit ; la vie est difficile et les épreuves sont inévitables, vivre n’est jamais prévisible. Mais je vais partager avec vous trois dimensions qui me paraissent essentielles. Je vais vous parler grec, je vais évoquer la coupe du monde de football, et je vais vous proposer d’ouvrir une ZAD dans le quartier...

 

1 – Aimer

Dans ce texte, il est question d’amour. Mais c’est quoi « aimer » ? Le mot est utilisé aujourd’hui dans tous les sens, si bien qu’il veut tout dire… donc ne plus rien dire. J’aime le chocolat, j’aime retrouver mes amis, je t’aime. Et les chrétiens que nous sommes paraissent souvent bien naïfs d’appeler sans cesse à aimer, aimer Dieu et aimer son prochain. En français, dans toutes ces dimensions, c’est le même verbe qui est utilisé, mais ce ne sont pas les mêmes résonnances de l’amour. Mais voilà, Paul ne parlait pas le français. Notre belle langue – elle est belle, même si sur le sujet de l’amour, le sujet le plus central de l’existence, elle se retrouve bien pauvre – n’existait même pas. Paul parlait grec. Ce que nous lisons de lui, comme tout ce que nous lisons du Nouveau Testament, est donc traduit du grec vers le français. Et, vous le savez, un mot dans une langue ne se traduit pas forcément par un seul mot dans une autre. « Traduire », c’est en partie « trahir » le sens. C’est ce qui se passe dans le texte que vous avez choisi. Le grec ancien, langue dans laquelle le Nouveau Testament est écrit, connaît trois verbes principaux pour dire « aimer », là où nous n’en avons qu’un en français.

Il y a le verbe φιλέω (philéo), qui a donné en français « philatélie », « philosophie », « philanthrope », etc. Un verbe qui dit l’amour dans sa dimension d’amitié : aimer faire quelque chose, apprécier quelqu’un, approuver, traiter avec bonté. Je t’aime bien… C’est un verbe plein de tendresse, et c’est important la tendresse dans la vie. Mais ce n’est pas ce verbe-là qui est utilisé ici. Aimer, ici, c’est bien plus qu’apprécier…

Il y a le verbe ἐράω (erao), et le nom « eros » qui lui est associé, qui ont donné en français « érotique ». C’est l’amour sentiment, passion, l’amour des amoureux, l’élan vers l’autre avec lequel on dit : je t’aime… C’est un verbe plein de désir et c’est important le désir dans la vie. Mais ce n’est pas non plus ce mot-là qui est utilisé ici.

Il y a en effet un troisième verbe en grec pour dire « aimer », avec le mot « amour » qui lui correspond et que l’on trouve dans ce passage comme fréquemment tout au long du Nouveau Testament. C’est le verbe ἀγαπάω (agapao), et le mot « agapè », qui a donné en français un mot que l’on n’utilise guère, le mot « agapes », festin, repas communautaire. Cette dimension de l’amour, c’est celle d’un lien fort, d’une relation volontaire faite de partage, de mise en commun, de la construction d’une communauté. L’amour, dans ce sens, c’est accueillir l’autre, créer ensemble un lien, être solidaire. C’est de l’ordre de la volonté, d’un choix de vie, d’un engagement. L’amour dont il est question dans ce texte – comme dans la Bible, quand on parle d’aimer son prochain ou d’aimer Dieu –, cela peut comporter la tendresse et le désir, mais c’est fondamentalement la volonté de construire ensemble, de développer la justice, la solidarité, le respect, l’attention à l’autre. C’est cet amour dont nous parle Paul dans ce texte. La volonté de vivre une relation de confiance, durable, au quotidien.

Aimer, au sens biblique, ce n’est pas d’abord de l’affectif, car sur ce plan-là on ne peut aimer tout le monde, il y a des gens plus ou moins aimables – à commencer par soi-même ! Quand Paul nous parle d’amour, comme quand Jésus invite à aimer Dieu et à aimer son prochain, c’est l’amour volonté, engagement. Si je n’ai pas cet amour, dit Paul, je ne suis rien.

 

2 – Supporter

Il me faut maintenant évoquer la coupe du monde de foot... Nous ne l’avons pas encore fait ici, bien que ce fut il y a deux mois un grand moment collectif de communion dans la victoire, même pour ceux qui ont tenté de s’en extraire – jusqu’à être au culte rue Madame le dimanche soir pendant la finale ! Ce spectacle qui se déroule tous les quatre ans, ce rassemblement de sportifs, cette grande compétition où, même si l’essentiel c’est de participer, dit-on, le but est de gagner. Il faut être meilleur que son adversaire pour pouvoir le vaincre. Il s’agit de gagner contre les autres. C’est amusant quand c’est un jeu, mais la vie est-elle un sport de compétition ?

C’est dans un contexte de compétition que Paul écrit ce texte, dans les années 50 de notre ère. Il écrit aux chrétiens qui vivent à Corinthe, en Grèce. Cette ville était réputée pour son culte de la compétition, pour la course perpétuelle aux records. Il fallait toujours être le premier, le meilleur, le plus fort. Avoir plus de temples que les autres villes, des jeux sportifs plus fréquents que ceux d’Olympie (les jeux isthmiques avaient lieu à Corinthe tous les deux ans pour faire mieux que les olympiades tous les 4 ans !), etc. Cette culture du concours rejaillissait dans la vie de la communauté chrétienne, où l’on cherchait à être celui qui prie le mieux, qui a le plus de foi, qui est le plus généreux, le meilleur chrétien. A ces chrétiens en compétition, Paul rappelle que le chemin de la vraie vie ne passe pas par la compétition. C’est le début du texte. Cela ne sert à rien de vouloir parler toutes les langues, y compris celle de Dieu, si je n’ai pas l’amour. Cela ne sert à rien de tout connaître, tout savoir, si je n’ai pas l’amour. Cela ne sert à rien d’être le premier en générosité ou en martyre, si je n’ai pas l’amour. La prophétie, le savoir, le dévouement même ne sont rien si l’on n’a pas l’amour.

Notre monde fonctionne comme celui des Corinthiens il y a 2000 ans. Nous vivons dans une société où la course à la performance et à la rentabilité empoisonne le monde du travail, de l’argent, des loisirs, de la famille même, et engendre bien des souffrances, nous le savons tous bien. C’est pourtant là, dans ce monde, que nous vivons. C’est dans ce monde qu’il nous appartient d’aimer dans la simplicité et la vérité, dans la justice et la solidarité, dans l’attention portée aux plus faibles. Le chemin de la vie, ce n’est pas celui de la compétition ou du record. La vie n’est pas une perfection à atteindre – c’est impossible – mais une plénitude à vivre. Le chemin de la vie, c’est celui de l’amour-agapè, cette volonté de s’engager les uns avec les autres, de construire les uns pour les autres, d’être ensemble dans ce monde acteur de justice et de solidarité. C’est ce à quoi nous sommes appelés à vivre, dans notre monde traversé de tant de tensions, de douleurs, de désespérance.

Cet amour n’est pas un lieu de compétition, il est fait de liens quotidiens, de patience, de bonté, de vérité, de place ouverte à l’autre. L’amour « endure » tout, dit notre texte (fin du verset 7). Le verbe grec est ὑπομένω (hupomeno), littéralement « se tenir dessous » ; il serait plus exact de traduire par : « l’amour supporte tout ». Le verbe « supporter » a deux sens en français. Il est le verbe qui dit que l’on prend sur soi, que l’on supporte l’autre même quand il est pénible, que l’on peut endurer ce qui fait mal… Il y a de cela dans l’amour. Mais il y a aussi le sens de supporter comme un supporter d’une équipe ou d’un champion sportif, c'est-à-dire de porter par en dessous, d’encourager, de soutenir. Il y aussi de cela dans l’amour. Dans ce texte, Paul nous appelle à traverser la vie non pas en compétiteurs prêts à tout pour écraser les autres, mais comme des porteurs d’amour, aimant partager, accueillir, construire, semer de l’espérance.

 

3 – Construire

Aimer, c’est s’engager dans une relation de solidarité. Reste à la vivre ! Et c’est ici que je vais parler de la ZAD de Pentemont-Luxembourg.

Ce n’est pas facile de vivre ce à quoi Paul nous invite, dans notre monde qui utilise le mot amour à toutes les sauces mais le vit essentiellement comme une émotion de l’instant, avec toute la force mais aussi la violence que cela représente : il faut tout éprouver, intensément, tout de suite, sinon on passe à autre chose, à quelqu’un d’autre, à une autre passion, à un autre vide. Ce n’est pas facile de vivre l’amour solidaire, juste, qui construit, dans un monde de compétition acharnée où quelques-uns s’en sortent en écrasant les autres, où la réussite est indexée sur le classement, la quantification, la performance. Ce n’est pas facile, et c’est pourtant essentiel. La vie ensemble n’est pas une compétition avec un vainqueur et un perdant, mais une volonté de s’engager pour se supporter mutuellement. Mais comment faire pour vivre cela ? Trois dimensions nous sont données. La foi, l’espérance et l’amour ; des trois, écrit Paul, la plus grande est l’amour.

La première dimension, c’est l’amour. Pour pouvoir aimer, il faut d’abord se laisser aimer. S’il nous est possible de vivre en aimant véritablement, humblement, quotidiennement, c’est qu’un amour dépasse notre amour, le déborde et le porte. Un autre que nous-même nous supporte. Tous les écrits de Paul, comme toute la Bible, résonnent d’une immense conviction : pour pouvoir aimer, il faut d’abord accepter d’être aimé. L’amour n’est pas d’abord ce que nous possédons, mais un cadeau que nous recevons. Il y a quelqu’un d’autre, qui n’est pas nommé dans le texte de Paul que nous avons lu, mais qui est au cœur de sa lettre aux Corinthiens, au cœur de sa foi, au cœur de sa vie. C’est le Christ, Jésus, l’amour de Dieu incarné. Jésus ne s’est pas manifesté dans la puissance, le record, l’évidence éclatante et définitive, mais dans des paroles d’amour et des gestes de partage, des mots simples et des relations vraies, dans la fragilité de la croix et la lumière de la résurrection, dans la présence discrète et vivifiante de l’Esprit saint. En Jésus-Christ, l’amour de Dieu pour nous est loin de ce monde de compétition et de rentabilité. Dieu nous aime sans que nous ayons à le mériter, à l’acheter, à le justifier. Il nous aime gratuitement. En protestantisme, on appelle cela la grâce : un cadeau gratuit, une présence qui nous porte quand nous sommes faibles, quand nous avons raté, quand nous sommes en échec, pour nous relever. Du souffle qui nous est redonné quand nous sommes essoufflés. Dieu nous aime véritablement, sereinement, dans la confiance, dans le cheminement quotidien ; c’est pourquoi nous pouvons aimer les autres sans calcul. Dieu s’approche de nous pour nous soigner, nous relever, nous accompagner ; c’est pourquoi nous pouvons rencontrer ceux que la vie met sur notre chemin. Dieu nous supporte, c’est pourquoi nous pouvons supporter les autres. C’est simple, finalement : pour pouvoir vivre d’amour dans ce monde, pour épanouir l’amour les uns pour les autres qui nous rassemble aujourd’hui, pour aimer ceux que la vie nous fait croiser... laissons-nous aimer par Dieu ! Cela est premier, et de cela découlent l’espérance et la foi, comme deux manières de le vivre.

L’espérance. Paul dit bien dans ce texte que cette réalité d’amour à laquelle nous sommes appelés n’est pas encore pleinement la réalité. Nous ne connaissons pas tout, dit-il. Nous ne voyons pas tout clairement ; nous voyons comme dans un miroir – les miroirs dans l’antiquité étaient en métal poli, renvoyant la réalité de manière floue. Un jour, nous connaîtrons, un jour nous verrons Dieu face à face. C’est l’espérance, qui met notre quotidien en perspective, qui l’inscrit dans un projet durable.

La foi. Portés par l’amour de Dieu pour nous manifesté en Jésus-Christ, portés par l’espérance en l’amour de Dieu universellement vécu un jour, c’est aujourd’hui que nous construisons un monde éclairé par l’Evangile. Un monde de foi partagée, de confiance mutuelle, de justice, de solidarité, d’entraide, un monde où les questions de sauvegarde de la création nous engagent, un monde où nous devons entrer en résistance contre tout ce qui défigure l’humanité et la création toute entière. Un monde où notre vie ensemble, en Eglise, ici et maintenant, est déjà signe, instrument et avant-goût du Royaume, dans un amour simple, hors compétition, solide.

C’est bien ici et maintenant, en Eglise, que nous pouvons expérimenter cet amour-agapè, le développer, le partager. En ce lieu qui nous rassemble et tisse des liens de foi entre nous, en ce lieu où l’espérance se déploie dans un temps actif et engagé, en ce lieu où l’amour se déploie dans des gestes de solidarité et de témoignage. Bref, un lieu qui résiste, un lieu qui construit, un lieu qui croit, qui espère et qui aime… Une ZAD : une Zone d’Amour Durable !

Amen.

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