Dire sa foi en patois de Canaan ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Dire sa foi en patois de Canaan ?

Prédication du dimanche 19 janvier 2020, par le pasteur Christian Baccuet.

Lectures :

  • Esaïe 49, 3-6
  • 1 Corinthiens 1, 1-3
  • Jean 1, 29-34

           

 

Ecoutez-moi bien, je vais dire quelque chose de bizarre : « Voici l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde »…

Vous comprenez ce que je viens de dire ? Peut-être que ces mots résonnent familièrement pour vous car vous les avez déjà entendus dans une liturgie, et on vient de les chanter, mais vous ne savez pas trop ce qu’ils veulent dire, en fait. Peut-être que vous les entendez pour la première fois, et qu’alors c’est pour vous une phrase qui ne veut rien dire du tout. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un peu comme si elle était écrite dans une autre langue que la vôtre. C’est normal, car en disant cette phrase je n’ai pas parlé en français. J’ai parlé en patois de Canaan !

 

1. Le patois de Canaan

Un « patois », c’est une langue minoritaire, le plus souvent méprisée et en voie de disparition. C’est un terme à résonnance péjorative, qui oppose un dialecte local ou régional aux « langues », plus nobles. « Patois » évoque une manière de parler qui sent bon le passé mais qui, comme le passé, est renvoyé à quelques rares survivants, ou à quelques spécialistes de linguistique. Cela est particulièrement le cas en France où la République a voulu éradiquer tous les patois locaux pour unifier la Nation autour d’une seule et même langue.

« Canaan », c’est le nom de la région qui est aujourd’hui Israël, la Palestine, le Liban, l’ouest de la Jordanie et l’ouest de la Syrie. Dans la Bible, c’est ainsi qu’est désignée la terre promise aux hébreux, celle qui sera conquise par Josué, le successeur de Moïse, après les quarante ans dans le désert, aux alentours du XIIIe siècle avant notre ère. C’est la région où l’essentiel de l’histoire biblique se déroule.

Le « patois de Canaan », c’est cette langue particulière, pétrie de vocabulaire biblique, que nous pratiquons facilement en Eglise, qui parle à ceux qui la comprennent mais ne dit rien à ce qui ne la connaissent pas. Le patois de Canaan est désuet comme une langue presque morte, il est exotique comme une époque et un pays lointains. Cette espèce de jargon est incompréhensible pour qui n’est pas du sérail chrétien ; il est composé de mots chargés de sens pour qui en possède la clef, le symbolisme, les références, mais qui sont vides de sens pour qui ne les parle pas. Un parler d’entre-soi. On reproche souvent aux Eglises de parler cette langue démodée, entre initiés, et c’est vrai que nos paroles, nos liturgies, nos cantiques sont pleins de ces mots pleins à la fois de sens et d’obscurité. Leur compréhension en français d’aujourd’hui est un défi important.

Traduire le patois de Canaan pour nos contemporains qui n’ont plus de culture biblique n’est cependant pas facile. Certains proposent, par exemple, plutôt que de parler de « communion », de parler de « connexion ». Être « en communion » avec Dieu et les uns avec les autres n’est pas compréhensible, alors il vaudrait mieux dire être « connecté » à Dieu et les uns aux autres ! Vous n’êtes pas convaincus par cette traduction ? Moi non plus ! Il est difficile de passer des termes bibliques aux termes français sans risquer de les trahir, ou d’en perdre le sens profond.

 

2. L’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ?

Un bel exemple de patois de Canaan nous est donné dans le texte de l’évangile de ce jour. C’est la phrase que je vous ai dite au début de cette prédication : Christ est « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jean 1, 29). Le début de l’évangile de Jean nous rapporte une scène qui se situe le lendemain du baptême de Jésus. Jean-Baptiste est entouré de ses disciples, et quand Jésus vient vers lui, il le désigne par ces mots : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ».

a- une phrase obscure…

Cette phrase résonne familièrement dans la culture chrétienne, mais que signifie-t-elle aujourd’hui ? Que dirait-elle à nos contemporains si nous la leur donnions ainsi ?

D’un côté un agneau… petite bête fragile, mignonne, attendrissante, symbole de pureté. La foi serait-elle un sentiment naïf, une émotion faite pour de grands enfants ? De l’autre le péché… le mal, le jugement, la culpabilité. La foi serait-elle une morale, une condamnation de nos pensées et de nos vies ? Il faut le reconnaître, pour la majorité de nos contemporains, pour certains parmi nous peut-être, la foi, la vie d’Eglise, Dieu, c’est soit une histoire pour les enfants, soit une question de morale austère. Être chrétien, c’est soit être immature, soit être triste… Mais moi, je ne me reconnais dans aucune de ces dimensions !

Nous sommes doublement démunis pour comprendre cette phrase : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Nous manquons de mémoire… et nous avons trop de mémoire !

b- l’agneau de la Pâque, l’agneau d’Esaïe

« Voici l’agneau de Dieu ». Ici, nous manquons de mémoire.

Nous avons perdu la mémoire de l’ancien testament, cette culture dans laquelle baignent les auditeurs de Jean-Baptiste et les premiers lecteurs de l’Evangile. Pour eux, « l’agneau de Dieu » n’est pas une image bucolique, mais la référence nette et immédiate aux deux événements les plus marquants de leur histoire.

L’exode d’abord. L’expression se réfère à l’agneau offert en sacrifice dans la nuit de la sortie d’Egypte, la nuit de la libération pour les hébreux esclaves de Pharaon, la liberté durement arrachée par Moïse, quand Dieu se révèle comme le sauveur de son peuple. Cette nuit-là, les hébreux ont été appelés à tuer un agneau, ils ont badigeonné leurs portes avec son sang, en signe de protection. Puis ils ont mangé la chair de cet agneau, debout, prêts à partir. L’agneau pascal (et pas Pascal l’agneau, comme le croyaient les catéchumènes l’an dernier, qui pensaient que c’était son prénom – bel exemple de difficulté à comprendre le patois de Canaan !), l’agneau de la Pâque, l’agneau de Dieu, c’est le signe d’un Dieu qui protège, qui libère et qui nourrit. Jean-Baptiste désigne le Christ comme celui qui nous apaise, nous fortifie et nous libère.

Des centaines d’années après l’exode, au VIe siècle avant notre ère, l’exil est une nouvelle grande épreuve. Jérusalem est détruite par les armées de Nabuchodonosor, le Temple démoli et la population emmenée en déportation à Babylone. C’est dans cette période d’effondrement des repères que le prophète Esaïe transmet la bonne nouvelle : Dieu n’a pas abandonné son peuple, il va le libérer, il va envoyer son serviteur. C’est de ce serviteur dont il est question dans le passage du prophète qui nous a été lu tout à l’heure. Quelques versets plus loin, Esaïe (52, 13 à 53, 12) dit que ce serviteur va être conduit à la mort « comme un agneau que l’on mène à l’abattoir » (Esaïe 53, 7), prenant sur lui le péché de son peuple… mais Dieu va le relever, le ressusciter ! Après Pâques, les chrétiens verront dans cette promesse un sens donné à la croix du Christ, à sa mort et à sa résurrection : le Christ est l'agneau de Dieu, il est signe du Dieu qui nous libère pour une vie nouvelle.

L’agneau de Dieu, c’est le Christ vivant qui nous libère, nous apaise, nous fortifie, nous rassemble. Sans cette mémoire de l’ancien testament, nous ne comprenons plus cette image. Il nous faut lire et relire toute la Bible pour comprendre qui est le Christ, le crucifié ressuscité, le fils de Dieu, le sauveur, celui qui donne la vie !

c- le péché, lien rompu

« Voici l’agneau de Dieu… qui enlève le péché ». Ici, nous avons trop de mémoire.

Entre nous et le Christ, notre compréhension est encombrée de trop de représentations et de souffrances, et les mots prennent un autre sens. Ainsi en est-il du mot « péché », que nous entendons résonner comme un mot négatif, culpabilisant, austère, moralisant. Dans la Bible, le péché n’est pourtant pas une catégorie morale. Il y a d’ailleurs de très nombreux épisodes dans l’Ecriture qui ne sont pas des modèles de récits édifiants sur le plan de la morale ! Dans la Bible, le péché est une catégorie relationnelle. Le péché, c’est la relation cassée entre deux personnes, ou entre une personne et Dieu, ou encore entre les hommes et Dieu. Beaucoup de choses peuvent casser cette relation, la principale d’entre elles étant l’égoïsme, le repli sur soi, le « moi tout seul », le « moi d’abord ». Moi sans mon prochain, moi sans Dieu.

L’histoire de l’humanité, notre histoire personnelle, l’histoire de nos Eglises, sont malheureusement pleines d’exemples de relations cassées. En ce dimanche de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, nous reconnaissons particulièrement qu’il y a encore aujourd’hui des divisions entre les chrétiens ; nous n’arrivons pas encore à être pleinement en communion (en connexion, si vous préférez !!!) les uns avec les autres. Le péché est une réalité forte et douloureuse.

Mais cette réalité n’a pas le dernier mot. Car le Christ « enlève le péché ». Pour le dire autrement : le Christ rétablit le lien là où il est rompu. Il est le Fils de Dieu, celui qui nous dit que Dieu est un Père pour nous, et voilà le lien établi entre Dieu et nous. En Christ, nous sommes tous frères et sœurs, enfants du même Père, et voilà le lien entre nous rétabli. Le contraire du péché, c’est ainsi le Christ. Tel est le cœur de l’Evangile, et voilà pourquoi « évangile » est « bonne nouvelle » !

« Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché » : Jean-Baptiste désigne ainsi en Jésus la manifestation du Dieu qui nous apaise, du Dieu qui nous fortifie, du Dieu qui nous libère, du Dieu qui nous relie à lui et aux autres. C’est pourquoi c’est une joie d’être chrétien, c’est une espérance, c’est un bonheur à vivre.

d. Un monde libéré

 « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché… du monde ». Du monde ! Le « monde », dans le grec de l’évangile de Jean, c’est ici le mot κόσμος (kosmos). On l’entend, il s’agit d’une réalité beaucoup plus large que notre vie, nos rencontres, nos Eglises. Plus large même que l’humanité. Le pardon de Dieu est pour toute la terre, pour toute la création, pour tout l’univers. Cela nous dépasse infiniment !

La joie, la force, la liberté, nous en sommes bénéficiaires en Christ, mais nous n’en sommes pas les seuls bénéficiaires. Il y a une dimension universelle au salut de Dieu. Le messie est « la lumière des nations, pour que le salut [de Dieu] s'étende jusqu'au bout du monde », comme le dit Esaïe (49, 6). Le Christ « nous affermira jusqu’à la fin », comme Paul l’écrit aux chrétiens de Corinthe (1 Corinthiens 1, 8).

Comme Jean-Baptiste désigne en Jésus celui que Dieu envoie pour apporter la réconciliation, nous voilà appelés à être des témoins du Christ. À traduire en gestes, en paroles, en manière de vivre, en nous, entre nous et autour de nous, chacun et ensemble, la force de l’Evangile, la joie d’être chrétien, la liberté qu’offre le Christ. Partager la paix qu’il nous donne, la force qu’il met en nous, la libération qu’il promet à chacun, la réconciliation possible dans ce monde meurtri, l’espérance vivante au cœur de notre foi. C’est la mission de tout chrétien et c’est le défi du projet œcuménique. Être ensemble témoins pour toute la terre de l’amour de Dieu pour tous les hommes, en Jésus-Christ, et de la paix possible entre tous les hommes.

 
3. Devenir traducteurs du Christ

Le Christ est l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Cette phrase est une belle et profonde confession de foi, quand on comprend ce qu’elle veut dire : Jésus est celui qui vient de Dieu pour nous libérer, nous porter, nous relier à Dieu et aux autres, nous rendre porteurs de la bonne nouvelle pour tous.

Le défi est maintenant devant nous : que cette phrase ne soit pas que du patois de Canaan mais l’expression d’une réalité vivante et universelle. Une grande question s’ouvre ici : comment la dire aujourd’hui pour nos contemporains ? Faut-il abandonner ce patois… au risque de perdre la mémoire de la signification biblique des images et des expressions, d’en perdre le sens ? Ou faut-il leur apprendre ce patois pour pouvoir leur parler en cette langue vieillotte mais porteuse de sens, de mémoire, d’émotion ?

Ni abandon de la langue biblique, ni fuite de la langue d’aujourd’hui, c’est à la rencontre des deux que nous nous tenons. Nous sommes appelés à être des traducteurs. Le traducteur, c’est celui qui aide à passer d’une langue à l’autre, pour comprendre, communiquer. Il le fait sans abandonner la langue de départ, ni celle d’arrivée. Il possède les deux langues, il est traversé par elles. Oui, il nous faut comprendre la langue biblique : c’est le but de la catéchèse, des groupes de partage biblique, de la prédication, de la liturgie, de toutes les occasions qu’il y a de plonger dans l’Ecriture. Et il nous faut parler la langue d’aujourd’hui, celle de nos contemporains, pour leur transmettre les merveilles de l’Evangile en sorte qu’ils puissent le comprendre et, espérons-le, en vivre. Il nous faut lire sans cesse la Bible et il nous faut vivre pleinement dans notre temps. Il nous faut être des traducteurs, des passeurs de sens. Comme Jean-Baptiste qui désigne le Christ et invite à le suivre.

En faisant cela, Jean-Baptiste parle d’un signe, le baptême. Baptême d’eau, un jour, baptême dans l’Esprit saint qui, chaque jour, renouvelle notre foi et notre vie. Le Saint-Esprit, c’est la présence de Dieu, son souffle, sa respiration en nous. Être chrétien, ce n’est pas avoir été baptisé ; c’est jour après jour recevoir en son cœur l’assurance de l’amour de Dieu, de la présence du Christ, de la paix de l’Esprit Saint. Moi je baptise d’eau, dit Jean-Baptiste, mais lui, le Christ, baptise dans l’Esprit Saint. C’est l’Esprit saint qui fait vivre en nous cette réalité, qui nous rend participants de la vie donnée par l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Dans l’Esprit saint, cette phrase qui sent bon le patois de Canaan parle d’une réalité essentielle : la vie donnée par Dieu, en Christ, pour tous !

Il s’agit de mots, mais pas que de mots. Car traduire l’Evangile aujourd’hui, c’est surtout le vivre aujourd’hui. Comme l’écrit Paul aux chrétiens de Corinthe – des chrétiens comme nous, pleins de défauts –, nous sommes « appelés à vivre pour Dieu », nous qui sommes ceux « qui lui appartiennent dans l’union avec Jésus-Christ » (1, 2). Le vivre et en être témoins. Le vivre au point où cela déborde de nous et se partage. Être témoin du Christ, c’est avant tout vivre de son pardon, de sa présence qui relève, qui libère, qui fortifie.

C’est ainsi, et ainsi seulement, que dire qu’il est « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » pourra être compris comme témoignage rendu à Jésus-Christ : il est la manifestation de Dieu qui m’ouvre, qui t’ouvre, qui nous ouvre à une vie nouvelle. Et cela, en patois de Canaan comme en français contemporain, c’est une parole bouleversante !

Amen.