« Noël a un cœur très fragile » — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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« Noël a un cœur très fragile »

Prédication du dimanche 22 décembre 2019 par le pasteur Christian Baccuet.

Lectures :

  • Matthieu 1, 18-25
  • Romains 6, 1-11

Matin : baptême de Raphaëlle, 2 ans.

 

« Noël a un cœur très fragile »…

Dimanche dernier, juste avant que commence le culte « Noël avec les enfants », une maman est venue me voir avec sa fille de 7 ans, Milla, pour me demander si cette dernière pouvait lire un petit texte qu’elle avait écrit elle-même la veille, pour ce culte. J’ai fait lire à Milla son texte au début du culte. Petit texte très émouvant, écrit par cette petite fille avec ses mots et avec son orthographe encore chancelante. Je vous lis ce texte :

« Noël a un cœur très fragile. Noël est une fête magique où tout le monde peut participer. Tous les anges de la vallée se réunissent. Les sapins dans les maisons avec des cadeaux, mais aujourd’hui c’est nous le père Noël pour les enfants dont les parents sont en prison. Noël est un moment joyeux et amusant. Le jour de Noël est magique ; le bébé de Marie naît, il s’appelle Jésus, fils de Dieu »[1].

« Noël a un cœur très fragile », a écrit Milla. Je ne crois pas que, de la bouche des enfants, sorte toujours la vérité mais là, il me semble que Milla a exprimé une vérité profonde.

 

1. Fragilités

Noël a un cœur très fragile… Cette phrase a résonné en moi toute cette semaine.

Au cœur de la fête de Noël, bien des fragilités se déposent. Parmi toutes les fêtes chrétiennes, celle de Noël est sans doute celle qui sollicite le plus notre sensibilité. Lumières, cadeaux, sapin, cantiques, tout parle à notre cœur. Noël est une fête qui réjouit car elle rassemble, mais pour beaucoup elle est aussi un moment qui fragilise ; je pense à tous ceux qui attendent trop de cette fête et qui sont déçus, parce que leur vie est difficile et que cela ne peut pas se mettre de côté, ou parce que les liens avec leurs proches sont tendus ou distendus, ou parce qu’ils ne retrouvent plus l’émerveillement de leur enfance, ou parce que cela fait remonter de mauvais souvenirs, ou parce que la solitude est plus vive quand d’autres font la fête... Noël peut être un temps où la nostalgie et la mélancolie nous gagnent. Et Noël devient une fête où l’on fuit en avant dans une surconsommation effrénée, comme pour cacher le vide existentiel de notre existence. Et puis, dans bien des lieux ce monde, le temps de Noël se vit dans la guerre, la misère, la peur, la prison. Dans nos vies comme dans notre monde, Noël a un cœur très fragile.

En méditant pour ce culte le texte de l’évangile de ce jour, il m’a semblé que toute cette fragilité s’y trouvait déjà. Matthieu nous y raconte l’annonce à Joseph, par un ange – un messager de Dieu –, de la naissance d’un enfant, Jésus. Cela se produit dans un monde en crise, au sein d’une famille en difficulté.

Fragilité d’un monde en crise : au chapitre suivant, après la naissance de Jésus et la visite des mages, le roi Hérode va chercher à éliminer cet enfant qu’il perçoit comme un rival ; il va faire tuer de nombreux enfants, dans un geste de délire totalitaire, et la famille de Jésus devra partir en exil en Egypte. Dans ce monde en crise, au sein d’un pays occupé par une armée étrangère – les romains – et gouverné par une élite politico-religieuse attachée à sa son pouvoir, Jésus devenu adulte se heurtera à de nombreuses tentatives de déstabilisation, jusqu’à être arrêté et mis à mort sur la croix.

Fragilité d’une famille en difficulté : dans les versets qui précèdent le texte de ce jour, Matthieu nous donne la prestigieuse généalogie de Joseph, « fils de David » (v. 20) : il est descendant d’Abraham le patriarche et descendant de David le roi. Joseph, homme d’une belle lignée, homme « juste » (v. 19), est fiancé à une jeune femme Marie. On ne sait rien d’elle, si ce n’est qu’elle est enceinte alors qu’elle et Joseph ne vivent pas encore ensemble ; dans la culture de l’époque, cela représente une faute morale, une honte sociale, un péché. Ebranlement dans la notabilité de Joseph.

Je n’entre pas ici dans les discussions théologico-scientifiques sans fin sur la question de la « virginité » de Marie, mais je voudrais rappeler deux dimensions importantes de cette information que donne l’évangéliste.

La première dimension est une question de traduction. Matthieu cite le prophète Esaïe (7, 14) à partir de la Septante, la traduction grecque de l’Ancien Testament, qui a traduit le terme hébreu עַלְמָה (`almah, « jeune fille ») par παρθένος (parthenos, « vierge »). En hébreu, il ne s’agit pas d’une question physique mais d’un statut social, celui d’une jeune femme qui n’est pas mariée. Au temps du premier Esaïe, au 8ème siècle avant notre ère, promesse est ainsi faite au roi Akhaz que, malgré toutes les apparences, il aura un descendant ; l’avenir de sa dynastie lui est annoncé alors même que l’environnement géopolitique fait craindre que l’invasion assyrienne entraîne la chute de la maison royale. Plus tard, cette parole prophétique a été appliquée au Messie, descendant du roi David dont on attend la venue et qui ouvrira le temps du règne de Dieu. Pour Matthieu, citer ici Esaïe, évoquer la jeune femme qui va mettre au monde un fils, c’est placer le petit enfant à naître comme réalisation de l’espérance messianique. La fragilité du couple Joseph et Marie est la corbeille dans laquelle naît le Messie !

Deuxième précision : quand Matthieu indique que Marie attend un bébé avant de s’être unie à Joseph car elle est enceinte par le fait de l’Esprit saint, ce n’est pas pour nous compliquer la vie avec une impossibilité scientifique. Ce qui l’intéresse n’est pas la question biologique mais l’expression d’une confession de foi : c’est pour lui une manière de signifier que l’enfant qui va naître sera pleinement homme – fils de Marie – et pleinement Dieu – né du Saint-Esprit. C’est la confession de foi chrétienne classique, que de dire qu’en Jésus, Dieu et l’homme se rencontrent.

Noël a un cœur très fragile, mais dans ce monde en crise et au sein de cette famille en difficulté, au cœur de la fragilité sociale et existentielle, Dieu accomplit l’espérance messianique et se donne à l’humanité dans la naissance d’un petit bébé.

 

2. « Il sauvera son peuple de ses péchés »

Ce petit bébé qui va naître est le Messie, celui qui vient de Dieu, qui ouvre son règne, qui nous entraîne dans l’espérance. Il est en effet chargé d’une mission qui est une promesse. Quand l’ange du Seigneur apparaît en rêve à Joseph, il lui dit que cet enfant à naître « sauvera son peuple de ses péchés » (v. 21). Et nous voilà avec trois mots chargés de sens par l’histoire et la théologie. « Péchés », « sauver », « son peuple ». Pour les comprendre, je vous propose un petit détour par un texte que les parents de Raphaëlle ont choisi pour ce jour : les onze premiers versets du chapitre 6 de la lettre de Paul aux Romains. Un texte dense, loin du style narratif de l’évangile de Matthieu. Un texte fondamental qui nous parle du baptême.

a. « Péché »

Le terme « péché » est un mot piégé, car dans notre culture nous l’entendons comme une liste de fautes, de désobéissances, il résonne pour nous dans une dimension morale qui entraîne souvent la culpabilité ou le jugement. Mais, fondamentalement, bibliquement, le péché n’est pas une question morale ; c’est une catégorie existentielle, qui touche à la relation à Dieu et aux autres ; le péché, c’est la rupture de la relation avec Dieu et avec les autres. Le péché ce n’est pas ce que je « fais » de mal, c’est l’état faussé dans lequel je « suis ». Cela peut se traduire par des paroles, des attitudes, des gestes mauvais, mais le péché n’est un acte : il est la marque de mon humanité puisque, par nature, je ne suis pas parfait, je ne suis pas Dieu.

Dans sa lettre aux Romains, Paul expose le cœur de sa compréhension de la foi chrétienne. Au début de cette lettre, il dit l’échec radical des tentatives de l’être humain pour s’approcher de Dieu, l’échec des tentatives de perfection ; nous ne pouvons pas aller vers Dieu par nos actes, nos performances, notre recherche de sainteté. Entre nous et Dieu, il y a trop de distance et Dieu n’est pas au bout de nos efforts. 

Dans le chapitre 6, le mot « péché » est très présent (7 fois en 11 versets !), ainsi que le terme « mort », donnant l’impression qu’il s’agit d’un texte négatif. Il est vrai que dans bien des espaces de nos vies et de notre monde règnent le mal, la souffrance, la destruction. Mais quand on lit de près ce qu’écrit Paul, on s’aperçoit que ces termes sont en balance avec les termes « vie », « résurrection », « grâce »... Ou, plus exactement, que la vie, la résurrection, la grâce les bousculent, les renversent. Car l’Evangile est bonne nouvelle : il nous dit que la distance entre Dieu et nous, Dieu la comble, en venant vers nous. La vie n’est pas une lutte permanente pour tenter de s’approcher de Dieu, mais une disponibilité à accueillir sa venue, tout simplement. C’est ce que l’on appelle la « grâce », le geste gratuit de Dieu, le don qu’il nous fait. Ou la « justification », le fait que Dieu nous « fait justes » par sa présence, bien « ajustés » à lui.

b. « Sauver »

Ce lien indéfectible que Dieu crée avec nous, c’est ce qu’on appelle le salut. Un lien qui ne dépend pas de nous mais de Dieu. Un lien inconditionnel. Le péché c’est l’absence de relation avec Dieu et les autres, le salut c’est cette relation rétablie.

En grec, le verbe « sauver » est σῴζω (sozo), qui peut dire aussi « guérir ». Le substantif σωτηρία (soteria) qui en est tiré peut se traduire par « salut », « délivrance », « libération ». Le salut, c’est être remis dans de justes relations à Dieu, aux autres, à soi-même, être à sa juste place dans l’existence pour la vivre pleinement. Cela ne concerne pas seulement notre existence future, cela concerne notre présent.

Le salut, c’est Dieu qui rétablit la relation cassée par le péché. Le contraire du péché ce n’est ainsi pas la perfection, c’est Christ, c’est Christ qui vit en moi, la foi, la relation de confiance de Dieu en moi et, en réponse, de moi en lui. Voilà ce que Paul dit dans ces quelques versets de Romains 6 : vivre en Christ, c’est vivre dans la relation rétablie avec Dieu, c’est recevoir de lui le sens de mon existence, c’est être délivré du poids de devoir faire mon salut tout seul – de devoir prouver que je mérite d’exister. C’est me laisser porter par Dieu. C’est être en chemin de résurrection. C’est « accepter d’être accepté », comme le disait le théologien Paul Tillich.

c. « Son peuple »

Mais, objectent certains, c’est trop facile ! S’il n’y a rien à faire, alors où est la motivation, la récompense, à quoi bon chercher à faire des efforts pour bien se comporter ? C’est la porte-ouverte à l’irresponsabilité ! Objection classique, inévitable ; le théologien Karl Barth disait que si cette objection ne surgit pas, c’est que l’Evangile n’a pas été correctement annoncé. A cette objection, Paul lui-même a répondu, dans le passage que nous avons lu : en Christ, la grâce est donnée et le péché est vaincu. En profiter pour demeurer esclave du péché, c’est ne pas avoir compris la grâce, c’est ne pas l’avoir « com-prise », prise avec soi, prise en soi.

La vie ne cesse pas pour autant d’être difficile et éprouvante. Comme le disait Luther, nous sommes toujours à la fois pécheurs et pardonnés, vivant dans nos faiblesses et portés par la grâce de Dieu, dans une tension permanente au creux de la quelle notre existence se déroule. C’est une expérience personnelle ; c’est aussi quelque chose que l’on vit collectivement, avec d’autres croyants, d’autres chercheurs de Dieu, d’autres personnes en quête de sens, d’autres cœurs fragiles qui s’entraident et partagent, qui essaient de se mettre dans les pas du Christ, de suivre le sillon de vie qu’il nous trace. Toutes ces personnes ensemble, on appelle cela l’Eglise. Le peuple de Dieu. Le peuple de Dieu, ce n’est pas une institution, pas des rites ou des traditions, pas des dogmes ou des habitudes, mais des hommes, des femmes, des enfants réunis autour du Christ. L’Eglise, on en connaît le centre : le Christ. On n’en connaît pas les limites. Le peuple de Dieu est sans frontière, il va au-delà des croyants et des non croyants, il touche aussi à toute la création, sur la terre comme au ciel.

 

3. Un signe

Au cœur de Noël, la naissance d’un bébé tout fragile, qui sauvera son peuple de ses péchés, qui rétablira l’humanité dans une plénitude de vie, de justice, de paix. Et, comme signe de cela, dit Paul, le baptême. Signe de l’accueil inconditionnel de nos fragilités par Dieu, en Jésus-Christ.

Ce matin, Raphaëlle, deux ans a été baptisée. Petite fille, miracle d’une naissance, fragilité d’une existence. Ses parents savent le cadeau qu’est cette naissance, le don précieux qu’est Raphaëlle. Son baptême ce matin a dit que Dieu accueille Raphaëlle dans sa grâce, que l’Eglise lui fait place, qu’elle est invitée à marcher avec nous sur la route de la vie, fragile mais accompagnée, habitée, fortifiée par la présence de Dieu. Pour elle comme pour nous, l’enfant de Noël, Jésus, le Christ, est allé jusqu’à la croix, nous rejoignant au plus profond de nos fragilités et ouvrant un chemin d’espérance et de vie, mettant à bas toutes les prétentions humaines à vivre sans lui, les renverser, le subvertir, les ouvrir à la résurrection. L’eau versée sur le front du baptisé symbolise ce passage par la mort et la résurrection, à la suite du Christ ; elle est invitation à vivre cette dynamique chaque jour dans la fragilité de nos existences : ne pas se laisser enfermer dans le mal, le découragement, l’abandon, mais se réveiller, se relever (les deux verbes pour dire la résurrection), espérer, aimer, croire. Baptisés, nous sommes mis dans la suivance du Christ, mais la fragilité de la vie demeure. Nous restons imparfaits, prompts au repli et à la défiance, mais sans cesse le Christ nous donne son pardon, sa présence, son élan de vie. Sans cesse la Christ nous invite à mourir au péché pour naître à la vie nouvelle.

C’est le chemin ouvert à Noël par l’enfant de Marie, don du Saint-Esprit, que Joseph va accueillir et nommer, selon les paroles de l’ange, « Jésus ». Jésus, cela signifie, en hébreu, « le Seigneur sauve », « le Seigneur délivre ».[2] Le nom même de Jésus contient sa mission. Il est écho à celui du fils annoncé par Esaïe : « Emmanuel », qui veut dire en hébreu « Dieu avec nous »[3]. Et le prénom de Raphaëlle est porteur de cet élan de vie, puisqu’en hébreu il veut dire « Dieu guérit »[4], ou « Dieu pardonne », rétablit, remet dans la vie.

Oui, Noël est une fête au cœur très fragile. Comme la vie. Comme la foi. Comme un bébé. Comme Dieu. Comme l’essentiel. Dans cette fragilité Dieu se donne à nous. En Jésus, Noël est la fête du Christ qui met sa force dans notre faiblesse. Nous voilà invités à vivre ensemble cette fête qui est, comme l’a écrit Milla, « magique ». Magique dans le sens de merveilleuse, étonnante, bonne nouvelle, joie, force partagée. Nous voilà portés par cette force qui nous appelle à prendre soin les uns des autres, à être attentifs à ceux qui, en ce temps de Noël, sont fragiles. Nous sommes invités à être pour eux signes de la force que nous donne le Christ.

Amen.

 

 

 

[1] Voir le texte manuscrit de Milla en illustration de cette page.

[2]יְהוֹשׁוּעַ  - Yeoshoua, de יהוה  - YHWH/le Seigneur - et יָשַׁע - yasha/sauver.

[3] עִמָּנוּאֵל , de עִמָּנוּ emmanou/avec nous et אֵל - El/ Dieu.

[4] רָפָא - rapha/guérir et אֵל – El/Dieu.