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Pierre, l’Eglise, les clefs du Royaume… Mais de quoi parle Jésus ? Et à qui ?

Pierre, l’Eglise, les clefs du Royaume… Prédication EPUPL

Texte de la prédication du dimanche 23 août 2020, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Matthieu 16, 13-19

 

J’aime les jeux de mots, car ils ouvrent des espaces de sens. Et je suis heureux que Jésus lui-même en ai fait ! La lecture de ce jour nous donne d’entendre son célèbre jeu de mots : « tu es Pierre et sur cette pierre je construirai mon Eglise ». Ce n’est pas une illusion de traduction, c’est un jeu de mots dans le grec même du Nouveau Testament : Pierre le disciple, Πέτρος (Petros), et pierre le rocher, πέτρα (petra). « Tu es Πέτρος et sur cette πέτρα je construirai mon Eglise »[1].

Ce jeu de mots est risqué, car l’interprétation de ce texte est vite polémique, notamment entre les différentes traditions chrétiennes. Je vous invite ce matin à rester le plus proche possible du texte, pour essayer de voir ce qu’il nous dit – et ce qu’il ne nous dit pas ! Je vous propose de nous concentrer sur les trois thèmes qui crispent : l’Eglise, Pierre et le pouvoir des clefs.

 

1. L’Eglise

Si l’utilisation de ce texte est vite polémique, c’est qu’il touche à une identité forte des traditions chrétiennes, leur conception de ce qu’est l’Eglise. Il est en effet ici question de l’Eglise, ce mot dans la bouche même de Jésus.

Dans les quatre évangiles, ce mot n’apparaît que deux fois, uniquement dans l’évangile de Matthieu, dans ce passage et dans le chapitre 18, verset 17, quand Jésus appelle ses disciples, en cas de contentieux avec un membre de la communauté, à aller lui parler seul à seul, puis, si ça ne marche pas, à y retourner avec une ou deux personnes, et si là encore cela ne marche pas, de le dire à l’Eglise, et alors seulement, s’il n’écoute toujours pas l’Eglise, de rompre les liens avec lui ; c’est un passage qui appelle à tenter le maximum pour garder le lien entre frères et sœurs dans la communauté chrétienne, même en cas de conflit. Car l’Eglise a un lien étroit avec la dimension fraternelle et communautaire.

L’Eglise, en grec, c’est ἐκκλησία (ecclésia), mot formé à partir du préfixe ἐκ (ek) – de, avec… – et du verbe καλέω (kaléo) – appeler. Dans le grec classique, cela désigne l’assemblée du peuple citoyen, convoquée pour délibérer ; repris dans le Nouveau Testament, cela désigne l’assemblée des croyants, convoquée par Dieu, rassemblée dans le Saint Esprit. Ainsi, fondamentalement, avant d’être une organisation, une institution, une série de coutumes ou de doctrines, un corps social, l’Eglise est le rassemblement des croyants, que Dieu appelle à former ensemble un corps spirituel, le corps du Christ.

C’est un premier point fondamental. L’Eglise, ce n’est pas l’Eglise de Pentemont-Luxembourg, l’Eglise protestante unie de France, l’Eglise catholique… Quand Jésus parle ici de l’Eglise, il dit « mon Eglise », que « je construirai ». L’Eglise, c’est l’Eglise du Christ. Une Eglise contre laquelle, dit Jésus, « la mort elle-même ne pourra rien ». Une Eglise plus forte que la mort, car elle est l’Eglise du ressuscité. Plus exactement, l’Eglise du crucifié que la mort n’a pu retenir, qui a ouvert au matin de Pâques une réalité nouvelle, celle de l’espérance. L’Eglise – et cela est valable pour chaque Eglise particulière – n’a pas de sens si elle n’est pas Eglise de Jésus-Christ. C’est lui qui en est le centre car elle est « son » Eglise, fondée sur lui, sur sa Parole, sur sa présence vivante.

Voilà pourquoi Jésus, juste avant cette parole sur son Eglise, interroge ses disciples : « que disent les gens au sujet du Fils de l’homme ? » - cette expression « Fils de l’homme » étant courante dans le Nouveau Testament pour désigner Jésus. Les disciples rapportent ce que disent les gens : tu es Jean-Baptiste, tu es Elie, tu es Jérémie, tu es un autre prophète… En fait les gens ne savent pas qui est Jésus ! Avec leurs faibles connaissances, ils essaient de dire quelque chose de lui, mais cela est à côté de la réalité. Si on demandait aux gens dans la rue ce qu’ils diraient au sujet de Jésus, nous aurions une série de réponses très variées, la plupart embarrassées ou fausses. Ce serait intéressant pour mesurer la culture des gens ou leur réception du message évangélique, mais la question « que disent les gens ? » n’est pas la plus intéressante. La question fondamentale, c’est celle qui nous est adressée à nous, à chacun de nous comme aux disciples dans notre passage : « et vous, leur demande Jésus, qui dites-vous que je suis ? ». Question qui implique, et à laquelle Pierre répond par une belle confession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».

Cette confession de foi dit l’essentiel sur l’identité de Jésus. Il est « le Christ », ce qui en grec est la traduction de l’hébreu Messie, celui qui est envoyé par Dieu pour ouvrir le temps de sa révélation, celui qui est attendu depuis des générations, celui qui accomplit l’espérance de tout un peuple, pour toute l’humanité. Il est « le Fils de Dieu », c’est-à-dire bien plus qu’un prophète, celui qui a un lien direct et particulier avec Dieu, qui est participant de la dynamique divine, qui par cette relation fondamentale avec lui, celle d’un Fils, le révèle comme Père, dans une filiation faite de confiance, de partage et de liberté. Il est le Fils du Dieu « vivant », non pas une théorie, une belle phrase, une réponse dogmatique parfaite mais froide : une relation vivante, une vie partagée, une présence.

Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Magnifique réponse de Pierre. Pas parce que Pierre serait un bon élève, un maître de sagesse, un super théologien ou un modèle de foi. Mais parce que c’est Dieu qui lui a inspiré cette réponse : « Tu es heureux, Simon fils de Jean, lui dit Jésus, car ce n’est pas un être humain qui t’a révélé cette vérité, mais mon Père qui est dans le cieux ». Confesser sa foi en Christ n’est pas un exploit, c’est simplement l’écho en soi de la grâce que dépose Dieu. C’est juste après cela que Jésus dit à Pierre qu’il construira sur lui son Eglise. L’Eglise de Jésus-Christ n’est pas construite sur une étude de marché, des objectifs et des évaluations, mais sur une confession de foi, une relation vivante à Dieu par Jésus le Christ, Fils de l’homme et Fils de Dieu.

L’Eglise n’est pas si elle n’est pas l’Eglise du Christ. Voilà qui nous appelle à approfondir notre ancrage en Christ, notre confession de foi, notre disponibilité à l’Esprit Saint !

 
2. Tu es Pierre et sur cette pierre…

Cette Eglise de Jésus-Christ, Jésus dit à Pierre que c’est sur lui qu’il va la construire. « Tu es Pierre et sur cette pierre je construirai mon Eglise ». Après ce que nous venons de mettre en avant, pas de confusion possible : il s’agit bien de l’Eglise de Jésus-Christ, pas de l’Eglise de Pierre. L’Eglise n’est pas fondée en Pierre mais en Christ. Pierre reçoit pourtant ici une énorme promesse : je construirai mon Eglise sur toi ! Toi qui viens de confesser si fortement la foi chrétienne, le lien à Dieu.

Mais qui est Pierre ? Si on lit l’évangile de Matthieu, celui duquel notre texte est tiré – ce passage ne figure d’ailleurs que dans cet évangile –, on voit que Pierre est un disciple important. Il est cité dans 14 passages ! Nous n’avons pas le temps de regarder maintenant ces passages en détail, mais deux choses me touchent quand on le fait.

La première, c’est la foi de Pierre. Il est un des tout premiers à avoir été appelé par Jésus, au bord du lac de Galilée où il pêchait avec son frère André (4, 18). Jésus va dans sa maison, à Capharnaüm (8, 14). Parmi les douze apôtres, il est cité comme « le premier » (10, 2). Quand Jésus marche sur l’eau dans la tempête, c’est lui qui se précipite à sa rencontre (14, 29). Il prend plusieurs fois la parole pour interroger Jésus (15, 15 ; 18, 21 ; 19, 27). Avec Jacques et Jean il est invité par Jésus pour monter sur la montagne de la transfiguration (17, 1) puis, plus tard, pour aller prier à Gethsémani avant l’arrestation. C’est à lui que des gens viennent poser une question sur Jésus (17, 24). Pierre paraît ainsi être quelqu’un qui est souvent là, toujours disponible, du début jusqu’à la fin, un disciple fidèle, sans doute un des moteurs du groupe, le premier des apôtres. Ainsi, on pourrait penser que Jésus le choisit pour être celui sur qui il construira son Eglise, car c’est un disciple fiable, le leader, et qu’il est logique de sélectionner le meilleur pour une telle entreprise.

Mais si on regarde les passages de l’évangile de Matthieu dans lesquels Pierre est cité, on trouve aussi une autre face de la personnalité de cet homme. Il doute : quand il marche sur l’eau à la rencontre de Jésus, il prend peur et coule – heureusement Jésus le rattrape – et Jésus lui dit : « homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » (14, 30-31). Il ne comprend rien : alors que Jésus annonce qu’il va être arrêté et crucifié, Pierre le prend à part, se met à le rabrouer en lui disant : non, « cela ne t’arrivera jamais » et Jésus lui dit cette parole très forte : « arrière de moi, Satan ! tu es pour moi une cause de chute, car tu ne penses pas comme Dieu mais comme les humains ! » (16, 22-23). Il passe à côté de l’essentiel : au sommet de la transfiguration, alors que Moïse et Elie s’entretiennent avec Jésus, il interrompt la discussion pour proposer à Jésus de dresser trois tentes (17, 4). Il se croit plus fort que ce qu’il est : quand Jésus annonce que Pierre va le renier, ce dernier jure que cela n’arrivera pas (26, 33-35). Il est faible : quand Jésus prie dans l’angoisse à Gethsémani avant son arrestation, Pierre s’endort trois fois comme les autres disciples, et Jésus lui dit « vous n’avez pas été capables de veiller une heure avec moi ? » (26, 40). Il est prêt à abandonner Jésus pour sauver sa peau : épisode terrible après l’arrestation de Jésus, trois fois Pierre va jurer qu’il ne le connaît pas (26, 70 ; 72 ; 74) ; alors le coq chante, il se rappelle que Jésus lui avait dit qu’il le renierait trois fois, « il sort et dehors il pleure amèrement » : cette note pathétique est la dernière fois que Pierre est nommément cité dans l’évangile de Matthieu.

Pierre paraît très humain, plein de foi et de lâcheté, prêt à s’emballer mais en se trompant, sûr de lui alors qu’il va se débiner, et surtout capable de prendre à part Jésus pour lui certifier qu’il se trompe en évoquant sa future mort ! Pierre, à la fois premier et dernier des disciples, chronologiquement et qualitativement. Un homme complexe. Pétri de certitudes et de doutes. Fort et fragile à la fois.

C’est pourtant bien à lui que Jésus dit : « tu es Pierre et sur cette pierre je construirai mon Eglise ! ». L’Eglise du Christ n’est pas construite sur les qualités de Pierre mais sur la Parole de Dieu, cette parole qui peut inspirer à Pierre le disciple complexe la confession de foi qui est au cœur de l’Eglise ! Quelle merveille que l’évangile qui nous dit ainsi le choix que le Christ fait non pas du plus grand, du plus fort, du plus jeune, du plus riche, du plus performant, mais d’un homme dans son humanité, fragile mais disponible, emporté tantôt par sa passion ou ses peurs, tantôt par l’Esprit saint. C’est un appel personnel que lui lance le Christ : « tu es Pierre » ; appel qui vaut invitation, invitation forte, impérative, promesse qui engage. Voilà Pierre, l’être humain qui confesse le Christ, sur lequel Jésus va construire son Eglise ! Pierre, ce frère en humanité qui nous ressemble tant !

La polémique entre les traditions chrétiennes, à partir de là, est de savoir si cet appel que Christ adresse à Pierre ce jour-là est personnelle et pour lui uniquement. Ou si, après Pierre, d’autres que lui ont en charge de prendre sa succession, d’être à leur tour ceux sur lesquels le Christ construit son Eglise ; qui sont alors ces successeurs ? A ce stade-là nous sommes dans l’interprétation puisque le texte n’en dit pas plus… Mais si l’Evangile n’est pas une histoire ancienne, s’il est bonne nouvelle pour nous aujourd’hui, alors nous pouvons – nous devons – laisser résonner cette parole en nous et nous demander, comme pour tous les témoins bibliques, en quoi leur histoire nous concerne, chacun et ensemble, nous qui sommes disciples du Christ, nous qui sommes membres de son Eglise. Comment, chacun et ensemble, dans notre humanité complexe, notre foi et nos doutes, nos prétentions et nos failles, notre élan et nos peurs, notre quotidien balbutiant, nous sommes les pierres sur lesquelles le Christ construit son Eglise, quand nous confessons qu’il est « le Christ, le fils du Dieu vivant ».

Si l’Eglise est fondée sur le Christ, c’est sur nous qu’il la construit. Chacun de nous (« tu es Pierre ») et ensemble (Eglise-assemblée). Il s’agit pour nous d’entendre, à notre tour, comme Pierre ce jour-là, l’appel personnel que nous lance le Christ. Ce texte ainsi nous parle aujourd’hui, non comme le témoin d’un épisode d’autrefois, mais comme l’appel pour nos existences : être l’Eglise de Jésus-Christ, chacun des Pierre, chacune des pierres que nous sommes dans ce temple ce matin.

 

3. Les clefs du Royaume

Reste un aspect important de ce texte. Successeurs ensemble de Pierre dans notre humanité croyante, dans notre suivance de disciples, dans notre confession de foi en Christ, nous sommes son Eglise. Mais cette Eglise n’a pas sa finalité en soi. Il ne s’agit pas uniquement d’avoir le plaisir de nous retrouver autour de la Parole de Dieu – même si c’est essentiel ! Etant Eglise du Christ, nous sommes porteurs de la mission qu’il a confiée à Pierre.

Quelle est la mission de cette Eglise ? « Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : ce que tu excluras sur terre sera exclu dans les cieux ; ce que tu accueilleras sur terre sera accueilli dans les cieux » (v. 19). Verset à haut risque ! Dans l’histoire des Eglises chrétiennes, il a souvent été interprété comme un pouvoir que Jésus remettait à Pierre, puis à ses successeurs, le « pouvoir des clefs » : des hommes d’Eglise ayant mandat de décider qui sera exclu ou accueilli dans les cieux. Et l’on sait combien de croisades, de bûchers d’hérétiques, de procès d’inquisition sont des taches indélébiles dans l’histoire de l’Eglise… au nom de ce « pouvoir des clefs ». Je voudrais juste remarquer trois dimensions importantes dans cette phrase.

La première c’est que le mot « pouvoir » n’y figure pas. Il n’est pas question de « pouvoir des clefs » mais des « clefs du Royaume des cieux », de ce qui permet d’ouvrir la porte. Quel drame que cette interprétation en termes de pouvoirs, si conforme à la nature humaine attirée et rongée par le pouvoir, mais si loin de l’Evangile !

La deuxième, c’est qu’il n’est pas dit à Pierre qu’il va décider qui entre ou pas dans le Royaume de Dieu ; quelle terrible mission ce serait ! Il lui est dit, comme un constat, que ce qu’il fera sur terre (exclure ou accueillir) aura une répercussion dans les cieux, c’est-à-dire en Dieu. C’est à la fois un avertissement et une promesse. Un sacré avertissement : ce que tu détruis sur terre, c’est aussi en Dieu que tu le détruis ; fais attention à tes gestes et tes paroles, car elles peuvent détruire bien au-delà de ce que tu peux penser, dans la vie, la spiritualité, le cœur de ceux qui te croisent ; comment ne pas entendre résonner ici les scandales de pouvoir, d’argent, de pédophilie ou autres qui ont brisé des vies et éloigné des hommes, des femmes, des enfants de la foi ? Une promesse aussi, parce que ça marche dans l’autre sens : tout ce que tu auras accueilli, délivré, pardonné, relevé, c’est en Dieu que tu l’auras épanoui, c’est de l’Evangile que tu auras été témoin, c’est le lien entre la terre et le ciel que tu auras tissé.

La troisième, c’est que cette mission donnée à Pierre, être témoin de l’Evangile, elle ne lui est pas donnée uniquement à lui. Ce verset figure à l’identique dans l’autre passage où il est question de l’Eglise, dont je vous parlais tout à l’heure ; mais là, il ne s’adresse pas en « tu » à Pierre, mais en « vous » à l’ensemble des disciples. A nous tous.

 

4. S’avancer sur des routes d’humilité

L’Eglise, Pierre, les clefs du Royaume. Ainsi ce texte du jour est-il fondamental pour nous. Il nous appelle à centrer notre vie d’Eglise en Jésus-Christ. Il nous appelle à être ensemble les pierres sur lesquelles son Eglise est construite. Il nous appelle à poursuivre ensemble la mission du Christ : ouvrir sur terre les portes du Royaume de Dieu. Avec nos forces et nos fragilités, c’est le chemin sur lequel il nous appelle.

Dans la Règle de Reuilly, la page 20 porte le titre « Eglise ». Elle ne comporte qu’une seule ligne de texte : « S’avancer sur des routes d'humilité ». Que, sur ces routes d’humilité, il nous soit en aide, le Christ, le Fils du Dieu vivant !

Amen.

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Matthieu 16, 18 : […] σὺ εἶ Πέτρος, καὶ ἐπὶ ταύτῃ τῇ πέτρᾳ οἰκοδομήσω μου τὴν ἐκκλησίαν […]