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Il n’est pas anormal que Noël ne soit pas normal !

Culte de Noël. Prédication du vendredi 25 décembre 2020, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Luc 2, 1-20

 

Début novembre, le ministre de la santé a annoncé que Noël « ne sera pas une fête normale cette année ». Il avait raison. Dans cette année 2020 marquée par la crise sanitaire qui est loin de nos habitudes, beaucoup de choses sont déplacées, désorganisées, perturbées. Les règles sanitaires nous font porter des masques, être éloignés les uns des autres, ne pas sortir le soir, ne pas manger ensemble, être moins nombreux au culte ; cela impacte toute notre vie, et cette fête de Noël en particulier.

Noël n’est pas normal cette année, le ministre avait raison, du point de vue du contexte sanitaire et des décisions gouvernementales. Mais je ne sais pas s’il sait que de dire que cette fête n’est pas normale relève peut-être d’une vérité plus profonde. Car, au fond, c’est quoi, un Noël « normal » ?

 

1. C’est quoi, un Noël normal ?

Lors de notre dernière rencontre de catéchisme, avec les adolescents de notre paroisse, il y a quelques jours, nous leur avons demandé ce qu’est, pour eux, un Noël normal. Voici ce qu’ils ont répondu[1]. En premier lieu, et de manière quasi unanime, un Noël normal pour eux c’est un repas en famille, un grand repas, un repas gastronomique, avec de la dinde rôtie (et pour certains du maïs… je n’ai pas très bien compris pourquoi !). Ce moment en famille doit être convivial. Il faut qu’il y ait un sapin, une crèche, de la neige, un feu de cheminée. Il faut faire les courses de Noël, offrir et recevoir des cadeaux. Nos catéchumènes sont très classiques ! Ils sont aussi des adolescents de leur temps, puisqu’ils ont dit que cette fête, pour être normale, devait être sans couvre-feu ni masques, sans gestes barrière ni coronavirus. Et puis certains ont évoqué Jésus, le culte de Noël… ce sont des bons élèves aussi ! Voilà pour eux un Noël normal. Ils ont fait les réponses que beaucoup auraient faites. La famille, le repas, les cadeaux, le sapin, la neige, un peu de Jésus et de culte… Normal, quoi ! Mais ont-ils raison ? Est-ce cela, un Noël normal ?

Pour nous, la référence ultime est l’Ecriture. Alors que nous dit la Bible de la fête de Noël ? D’abord, le mot « Noël » ne figure pas dans la Bible ! En français, il est attesté à partir du XIIe siècle seulement ! C’est un mot dérivé du latin « Natalis », naissance. Normal, puisqu’il s’agit de la naissance de Jésus. De cette naissance, il est bien question dans le texte biblique. Mais, nous qui avons entendu le récit qu’en fait Luc, qu’y avons-nous trouvé qui soit conforme au normal que les catéchumènes expriment, et que nous avons tous au fond de nous ? Dans le texte biblique, on ne trouve pas de grand repas en famille, pas de dinde rôtie – ni de maïs ! Pas de sapin, pas de santons dans une crèche, pas de neige, pas de feu de cheminée. Pas de cadeaux chez Luc, mais on peut se dire que le récit de Matthieu évoque quant à lui les trésors offerts par les Mages (Mt 2, 11). Pas de Jésus, même. Enfin, si, il y a bien la naissance de l’enfant dont l’ange, au chapitre qui précède, a dit qu’il s’appellerait « Jésus » (Lc 1, 31), mais ses parents ne lui donneront ce nom que huit jours après la naissance, selon la coutume juive de l’époque (Lc 1, 21). Dans le récit biblique, on ne trouve pas une fête de Noël normale !

 

2. Dans le récit biblique, tout n’est pas normal…

Il y a même beaucoup d’anormal dans ce récit.

Il y a une femme enceinte, près d’accoucher, qui est là avec son fiancé. Pensez-vous, ils ne sont pas mariés… voilà qui n’est pas normal dans la culture juive du début de notre ère : c’est un péché, c’est condamnable… L’accouchement a lieu dans une étable, ce n’est pas normal non plus, cette mère aurait dû être chez elle. Et le bébé est déposé dans une mangeoire pour animaux ! Ce n’est pas normal !

Et puis surgit un ange, puis une foule d’anges. Alors on est complètement dans l’anormal ! Presque le paranormal ! Et même si vous vous dites que c’est quand même normal, des anges à Noël – on en met dans les sapins, sur les décorations lumineuses de nos villes, dans les vitrines des magasins –, vous êtes sans doute déçus, car ils ne sont pas décrits ici : pas d’angelots joufflus qui soufflent de la trompette, pas d’ailes blanches et d’auréoles. Les anges, dans la Bible, ne sont pas des êtres folkloriques, ce sont, étymologiquement, des « messagers », des envoyés de Dieu, des porteurs d’une parole qu’il nous adresse. Pas des décorations de fête mais des porte-voix de l’Eternel.

Portant la parole de Dieu, ce qu’ils disent est important. Mais là aussi ce n’est pas normal. Ils annoncent la venue du Messie, celui qui est attendu depuis des générations, « un sauveur », « le Seigneur », qui va normalement être une roi glorieux qui va enfin chasser les romains qui occupent le pays et rétablir le Royaume de David, l’illustre ancêtre… Mais le signe de cette toute puissance, c’est « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire ». Non, vraiment, ce n’est pas normal !

Et puis qui sont les premiers qui sont avertis, les premiers qui apprennent la nouvelle, les premiers qui vont voir cette révélation ? Des bergers ! Les bergers, au début de notre ère, ce ne sont pas des personnes romantiques, qui évoquent la nature qui nous manque ; ce ne sont pas non plus des personnes qui sont honorées d’avoir le même métier que les grands ancêtres bibliques, Abraham, Isaac, Jacob et des fils, Moïse, Saül, David, Amos… On a beau dire comme le psalmiste que « l’Eternel est mon berger » (Ps 23), au temps de Jésus ceux qui exercent ce métier sont des personnes de seconde zone, considérées comme impures car ne pouvant pas respecter les règles rituelles de pureté. Les bergers sont payés une misère pour un travail dur, dans le froid de la nuit, dans la peur des bêtes sauvages ou des voleurs… et même, souvent, considérés eux-mêmes comme malhonnêtes. C’est à eux que la révélation est donnée en premier, et ça vraiment, ce n’est pas normal, ils ne le méritent pas. Et, pour couronner le tout, voilà qu’ils abandonnent leur troupeau dans la nuit pour se précipiter à Bethléem pour voir si ce que l’ange a dit est vrai…

Non, pas beaucoup de normal dans ce texte… Mais est-ce si sûr ?

 

3. Le banal nous semble normal…

Si on regarde de plus près, il y a beaucoup de dimensions normales dans ce récit.

Il est question d’un pouvoir fort, structuré : Auguste, l’empereur romain, et Quirinius, le gouverneur de la province romaine de Syrie à laquelle appartient la Palestine. Cette administration développée et toute puissante entreprend de compter et ficher tous ses administrés, pour mieux les contrôler, pour percevoir l’impôt, pour asseoir son pouvoir. C’est banal dans notre monde, c’est normal.

Il y a des populations déplacées par ces décisions politiques. Chacun doit aller dans le lieu de ses ancêtres pour se faire inscrire, peu importe la fragilité de sa situation, même une femme enceinte n’en est pas dispensée ; chacun est mis sur la route en fonction de décisions géopolitiques qui le dépassent. C’est banal, au premier siècle comme au XXIe, dans la Palestine romaine comme partout sur la terre, c’est normal.

Dans ce grand déplacement de misères, une famille arrive dans une ville où il n’y a pas de place, personne pour les loger, les recevoir, les accueillir. La femme sur le point d’accoucher doit trouver un coin pour la naissance, dans une étable, au milieu des animaux quand plus aucun humain ne lui fait place. C’est banal, cela arrive si souvent pour les exilés, c’est normal.

Et puis il y a des hommes qui travaillent durement la nuit pour gagner petitement leur vie, méprisés de tous ; c’est banal dans ce monde, c’est ce qui nous permet de vivre normalement : nous dormons et mangeons, nous avons chaud, nous sommes dans notre confort grâce à tous ceux qui sont en première ou deuxième ligne. Tant pis si certains sont traités comme des moins que rien pour garder des moutons dans la nuit, nettoyer nos bureaux ou vider nos poubelles, creuser le sol pour ramasser les terres rares nécessaires à nos téléphones… C’est banal, c’est normal.

Oui, tout cela est normal. C’est ainsi que fonctionne notre monde. C’est terriblement normal, mais qu’y pouvons-nous ?

 

4. Quand surgit du nouveau

Il y a donc de l’anormal dans ce récit, et du normal. Il y a rencontre entre les deux. Et c’est comme un grand choc. Et c’est le cœur de l’Evangile. C’est dans ce que tout le monde vit comme normal que surgit la bonne nouvelle. C’est dans l’ordinaire de vies difficiles que surgit l’extraordinaire d’une parole qui relève des personnes.

Le petit village où échoue cette famille, l’étable où cette femme va accoucher, ces bergers en loque, c’est là que l’histoire humaine va basculer. Leur histoire personnelle. Jusque-là, ce sont des personnes banales, dont le quotidien est fait de douleurs et de joie, de souffrances et d’espérance. Et voilà dans la nuit des bergers la lumière de la bonne nouvelle donnée par le messager de Dieu. Et voilà dans la vie de la jeune femme beaucoup de choses à retenir, à réfléchir, à prendre en soi. Et voilà dans ce petit bébé la présence de Dieu qui se manifeste. Et, à travers leurs vies, c’est l’histoire de l’humanité qui bascule. Voilà que dans la banalité de l’humanité, dans sa normalité, surgit quelque chose de bouleversant. La vie des croyants ne sera plus la même. L’histoire du monde ne sera plus la même. Nos vies ne sont plus les mêmes.

Dieu vient à nous. Dieu s’approche de nous ; Dieu vient vers nous, en nous, pour nous. En nouveauté. Un dieu normal, c’est, comme dans toutes les religions, un dieu tout-puissant, lointain, que l’on craint, qui nous surveille pour nous prendre en faute et nous punit, ou bien qui nous dédaigne, tellement nous sommes peu intéressants ; un dieu que l’on doit servir pour être sûr qu’il nous soit favorable, ou fuir pour être sûr d’être libre de son regard. Et voilà que le dieu qui se manifeste à Bethléem il y a environ 2020 ans n’est pas ce dieu-là. Il se présente dans l’humilité, dans la fragilité, dans la banalité ; ce n’est pas normal, mais c’est ainsi qu’il est le Messie, le Sauveur, le Seigneur... Un Dieu hors-norme !

C’est une brèche qui s’ouvre. C’est comme si soudain, dans le cycle de la vie humaine, cycle des jours qui se succèdent, des saisons qui reviennent régulièrement, des épreuves qui pèsent sur nous, des événements de l’histoire qui semblent se répéter à chaque génération, dans le cycle qui nous enferme dans un éternel recommencement, quelque chose venait ouvrir, donner de la respiration, de la liberté. Briser le cercle vicieux. En Jésus-Christ, la vie n’est plus un cycle fermé sur lui-même, mais désormais un axe sur lequel nous avançons. Dans l’éternelle normalité qui tourne en boucle, s’ouvre l’espérance, l’horizon qui nous fait lever la tête, le ciel qui rencontre la terre, Dieu qui rencontre nos vies.

 

5. Noël aujourd’hui, un éclat de vivre

Voilà qui nous questionne sur nos manières de vivre la fête de Noël. Cette fête serait-elle devenue pour nous un autre cycle, une autre normalité ? Il faudrait que chaque année, à date fixée à l’avance, nous ayons les mêmes rites, les mêmes habitudes, les mêmes repères ? Certes, cela souvent nous rassure. Nous avons besoin de retrouver des émotions, des rendez-vous, des récits familiers, des cantiques traditionnels, une ambiance. Cela nous ressource. Mais cela peut aussi nous engourdir, et c’est ainsi que nous nous trouvons déstabilisés si cela ne se passe pas comme prévu, si quelque chose manque, si une nouveauté surgit. Aurions-nous perdu le sens de Noël ? Nous en faisons une norme, alors que c’est ce qui fait éclater la norme ! Si Noël devient une habitude, c’est que nous nous habituons à tout. C’est que nous perdons l’espérance ! Si nous trouvons normal que sur cette terre les injustices augmentent de manière exponentielle, et les souffrances, et les violences, et les exils, et notre propre misère existentielle, alors cette normalité devient un piège pour nous.

Si nous retrouvons le sens de l’anormal – de l’extraordinaire –, alors nous sommes relevés, rendus au combat, engagés pour que dans ce monde la parole de l’ange devienne réalité : gloire à Dieu dans les cieux et paix sur la terre parmi les humains. Si nous confessons dans le petit bébé couché dans une mangeoire la réalité de la présence de Dieu, alors nos vies bouleversées deviennent témoins de cette présence dans le monde, pour nos frères et sœurs les humains. Si nous suivons le Christ, alors aucune norme ne tient plus, aucune définition, aucun enfermement, aucun jugement, aucun rejet. Avec lui, nous voilà témoins de la résurrection, l’anormal événement, l’ouverture définitive, l’appel à la liberté et à la solidarité, en particulier pour ceux, avec ceux qui sont enfermés dans le mépris, l’abaissement, l’exclusion.

Lors de la rencontre des catéchumènes, à la question posée sur ce qu’est un Noël normal, une catéchumène a dit : « la normalité n’existe pas ». Parole d’Evangile ! La normalité enferme et rejette. Ce qui est normal, c’est la mort. Ce qui est anormal, c’est la résurrection. Choisir la vie, c’est, au creux de notre fête aujourd’hui, la vivre comme anormale, ou plutôt comme hors-norme, c’est-à-dire comme vivante, nouvelle, exceptionnelle, présence de Dieu parmi nous, et par nous dans ce monde.

Et ainsi, ce que nous vivons de cette fête peut nous renvoyer à Jésus-Christ : la famille réunie (qu’elle soit notre famille de sang ou la famille spirituelle que nous sommes en Eglise) comme signe de la fraternité en Dieu, le repas en commun comme signe du partage auquel nous sommes appelés, le sapin décoré comme signe lumineux de la vie même au cœur de l’hiver, les cadeaux échangés comme signes de la joie que l’on s’offre mutuellement, la crèche et ses santons comme signes de ces hommes et ces femmes bouleversés par la naissance de Jésus, Jésus au cœur de notre foi et ce culte de Noël comme un éclat de vivre.

Non, cette fête n’est pas normale. Pourvu qu’elle ne le devienne jamais !

Amen.

 

[1] KT 5 décembre 2020. Partage en 4 groupes, « Un Noël normal, c’est… » :

1. Culte de Noël. Pas de gestes barrières.

2. Noël, pour nous, c’est un moment en famille avec la dinde rôtie, les cadeaux, le sapin, et Jésus et pas le coronavirus.

3. Un Noël normal est un Noël convivial, sans couvre-feu ni masque, gastronomique (bonne bouffe), avec de la neige et un sapin, un feu de cheminée (avec, non négociable, du maïs venant de chez Naturalia). Bien sûr, il devra y avoir des cadeaux. La famille doit être présente…

4. Repas en famille. Aller faire les courses de Noël. La normalité n’existe pas (Manon). Offrir/recevoir des cadeaux. Grand repas. Le sapin. La crèche.

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