"Minuit... quelqu'un frappe à la porte" — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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"Minuit... quelqu'un frappe à la porte"

Texte de la prédication du dimanche 19 novembre 2023, par le pasteur Christian Baccuet

 

Minuit… quelqu’un frappe à la porte

 

Prédication du dimanche 19 novembre 2023, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture biblique : Luc 11, 5-8

 

Matin : baptême d’Ernest, 4 ans.

 

 

Ernest vient d’être baptisé. Pour lui, la grâce de Dieu a été signifiée, son accueil dans l’Eglise a été manifesté. Jour de joie ! Et chemin de vie devant lui, à la suite du Christ, dans une dynamique de joie. Joie portée, ce matin, par l’orgue et l’alto, et par notre chorale qui, au cours de ce culte, nous chante trois extraits de la « Messe de minuit pour Noël » de Marc-Antoine Charpentier.

« Messe de minuit pour Noël »… Problème : nous ne sommes pas dans une messe mais dans un culte. Mais nous sommes dans une célébration chrétienne, et le baptême qu’a reçu Ernest est commun à toutes les Eglises chrétiennes, un seul et même baptême que l’on soit protestant, catholique ou orthodoxe. Alors passons au-delà des mots !

« Messe de minuit pour Noël »… Problème : nous ne sommes pas à Noël. Mais le message de Noël, n’est pas réservé à la nuit du 24 au 25 décembre, la venue de Dieu dans notre monde est chaque jour bonne nouvelle !

« Messe de minuit pour Noël »… Problème : il n’est pas minuit mais 11h du matin. Mais est si sûr ? A bien des égards, on peut estimer qu’il est minuit dans le monde. En tout cas, il est minuit dans la parabole que raconte Jésus. C’est le milieu de la nuit et quelqu’un frappe à la porte pour demander trois pains à un ami.

« Minuit… quelqu’un frappe à la porte » est le titre d’une prédication du célèbre pasteur baptiste américain Martin Luther King, dans laquelle il traite du rôle de l’Eglise face aux défis de son temps. Je vous propose de nous laisser instruire par cette magnifique prédication qu’il a donnée à plusieurs reprises dans les années soixante, et dont le texte se trouve dans le livre « La force d’aimer »[1]. Je voudrais partager avec vous l’essentiel de ce qui peut résonner pour nous aujourd’hui, dans un temps, un lieu, un contexte différents. C’est à partir du texte de l’évangile de Luc que Martin Luther King prêche.

Le contexte de la prédication de Martin Luther King il y a 60 ans, c’est le combat contre la ségrégation raciale, la lutte pour les droits civiques, l’engagement pour la justice et la paix. Le début des années soixante, ce sont aussi les tensions internationales, la guerre froide et la course aux armements, les guerres dans le sud-est asiatique. C’est le temps de la conquête spatiale, du développement de la science, et aussi de l’accroissement des inégalités. Notre temps n’est pas le même. Mais il est plongé lui aussi dans des bouleversements profonds. Le racisme et l’antisémitisme gangrènent notre monde, les tensions internationales sont fortes, la crise climatique de plus en plus aiguë, les inégalités continuent de se creuser, la parole est malmenée, la confiance se perd, les relations sont tendues.

La prédication de Martin Luther King n’a rien perdu de sa force.

Il l’ouvre par ces mots : « Bien que cette parabole concerne la puissance de la prière persévérante, elle peut aussi servir de base à notre réflexion sur beaucoup de problèmes actuels et la façon dont l'Église y est affrontée. Il est minuit dans la parabole ; il est minuit aussi dans notre monde et les ténèbres sont si épaisses que nous pouvons à peine discerner où va notre chemin. »

Puis il décrit comment il est minuit dans l’ordre social, dans l’ordre psychologique et dans l’ordre moral.

 

1. Il est minuit

« Il est minuit dans l'ordre social. Au plan international, les nations sont engagées dans une lutte colossale et rude pour la suprématie ». Ici il décrit le contexte de son époque, mais nous voyons bien aujourd’hui comment cette lutte se déroule en divers endroits de notre monde. Puis il rappelle que, dans le passé, les êtres humains se sont tournés vers la science, et que cela les a souvent sauvés. « Dans la nuit de la faiblesse physique et de l'inconfort matériel, la science nous a portés jusqu'au clair matin du confort physique et matériel. Quand nous étions dans la nuit paralysante de l'ignorance et de la superstition, la science nous a conduits vers l'aube de la liberté et de l'ouverture d'esprit. Quand nous étions dans la nuit redoutable des maladies et des infirmités, la science […] a fait se lever le jour lumineux de la santé physique ». Mais, dans les problèmes du monde d’aujourd’hui, la science ne peut pas nous secourir car les scientifiques sont eux-mêmes perdus dans la nuit. Et c’est même « la science qui nous a donné les instruments mêmes qui menacent de conduire au suicide universel. L'homme moderne est donc affronté dans l'ordre social à une nuit lugubre et effrayante. »

King poursuit : « Cette nuit dans la vie collective et extérieure de l'homme est parallèle à la nuit qui règne dans sa vie individuelle et intérieure. Il est minuit dans l'ordre psychologique. » En effet, anxiété, dépression, troubles émotifs sont fréquents, « plus fréquents qu'à nulle époque de l'histoire humaine. ». Cela s’est sans doute encore accentué depuis les années soixante.

« Il est aussi minuit dans l'ordre moral. Au milieu de la nuit, les couleurs perdent leurs caractéristiques et se fondent en une ombre d'un gris terne. Les principes moraux ont perdu leurs caractéristiques. Pour l'homme moderne, l'absolument bon et l'absolument mauvais dépendent de ce que fait la majorité. » King évoque ici le onzième commandement que les hommes essaient de respecter : « Tu ne te laisseras pas prendre. » Le péché, c’est de se faire prendre. Mentir est parfaitement correct si on ne se fait pas prendre. Voler est parfaitement correct, et si l’on se fait prendre on parle seulement d’abus de confiance. On peut même haïr, si l'on est assez habile pour déguiser cela en amour !

 

2. Demande de pain

Et voilà que dans cette nuit sociale, psychologique, morale, « dans notre monde actuel comme dans la parabole, l'obscurité profonde de la nuit est troublée par un coup frappé à la porte. » Ici, Martin Luther King décrit l’état religieux du monde à son époque, de nombreuses personnes qui frappent à la porte des Eglises pour trouver « une réponse au bouleversement profond qui trouble leur vie ». On pourrait aujourd’hui parler de la soif de spiritualité qui est réelle pour beaucoup.

Dans ce contexte, poursuit Martin Luther King, « L'Église reste le seul repère familier pour le voyageur fatigué qui arrive à minuit. Elle est la seule maison qui reste debout là où elle fut toujours, la maison où le voyageur de minuit vient ou refuse de venir. Certains décident de n'y point venir. Mais tous ceux qui y viennent et frappent à la porte cherchent désespérément un peu du pain dont ils manquent. »

Trois pains sont demandés par le voyageur de la nuit.

« Il désire le pain de la foi. Dans une génération marquée par tant de désillusions colossales, les hommes ont perdu la foi en Dieu, la foi en l'homme, la foi dans l'avenir. […] Au sein de leur désillusion troublante, beaucoup réclament le pain de la foi. »

Il y a aussi le désir profond du pain de l'espérance. King rappelle que dans les premières années du XXe siècle, l’espérance était forte, avec les progrès techniques spectaculaires qui donnaient un grand optimisme quant à l’avenir et aux progrès de l’humanité, à un homme s’élevant toujours plus vers la perfection. Mais cet optimisme s’est écroulé avec les guerres mondiales qui ont révélé « l'égoïsme et la corruption de l'homme ». La lumière de l’espoir s’est alors éteinte, et le pessimisme a tout envahi, jusqu’à conclure que la vie n’a pas sens. « Et pourtant, même dans les moments inévitables où tout paraît désespéré, les hommes savent que sans espoir ils ne peuvent pas vivre réellement et, dans un acharnement douloureux, ils réclament le pain de l'espérance. »

Il y a enfin le désir ardent du pain de l'amour. « Chacun souhaite aimer et être aimé. Celui qui ne se sent pas aimé a l'impression de ne pas compter. » King décrit ici le manière dont le monde est devenu impersonnel, chacun ayant l’impression de n’être plus qu’un numéro, une statistique, une fiche dans un catalogue. Dans ce monde inhumain, « l'homme réclame désespérément le pain de l'amour. »

 

3. Ne m’importune pas

L’homme de parabole frappe à la porte de son ami pour lui demander trois pains, et il reçoit une réponse, « une réponse impatiente : ''Ne m'importune pas ; la porte est déjà fermée, mes enfants et moi nous sommes au lit ; je ne puis me lever pour te donner du pain.'' »

Que de fois, dit King, « les hommes ont éprouvé un désappointement semblable lorsqu'à minuit ils ont frappé à la porte de l'Église. » Mais qu’ont-ils eu comme réponse ?

« Dans la nuit terrible de la guerre, des hommes ont frappé à la porte de l'Église pour demander le pain de la paix, mais l'Église souvent les a déçus. » Trop souvent, « dans un monde rendu fou par la propagande belliqueuse, les passions chauvines et l'exploitation impérialiste, l'Église a approuvé ces activités ou est restée dans un silence consternant […], donnant à la guerre son appui moral. »

Il poursuit : « Et ceux qui sont allés vers l'Église pour y chercher le pain de la justice économique ont été laissés dans la nuit décevante du dénuement. En de nombreux cas, l'Église s'est alignée sur les classes privilégiées et a pris la défense du statu quo, de telle manière que cela revenait à refuser de répondre au coup frappé à la porte. »

Et King ici interpelle vigoureusement l’Eglise. Il nous interpelle vivement : « Si elle ne retrouve pas son ardeur prophétique, l’Eglise deviendra un club social inutile, sans autorité ni morale ni spirituelle. Si elle ne participe pas activement à la lutte pour la paix et pour la justice économique et raciale, elle trahira la fidélité de millions d'hommes et les poussera partout à dire qu'elle a laissé s'atrophier sa volonté. Mais si elle se libère des chaînes d'un mortel statu quo et que, retrouvant sa grande mission historique, elle parle et agit avec courage et persévérance en termes de justice et de paix, elle enflammera l'imagination de l'humanité et embrasera les âmes des hommes, leur inculquant un amour ardent pour la vérité, la justice et la paix. Proches ou lointains, les hommes reconnaîtront dans l'Église une grande fraternité d'amour, qui procure lumière et paix aux voyageurs solitaires au milieu de la nuit. »

Martin Luther King bouscule notamment les Eglises qui courent le danger de l’« émotivité », « réduisant le culte au divertissement », tandis que d’autres cultivent le « snobisme », l’entre-soi, oubliant « que le culte le meilleur est une expérience sociale où des gens de tous les niveaux de vie se rassemblent pour affirmer leur unité en Dieu. » Dans ces deux cas, l’Eglise « ne nourrit pas le voyageur nocturne ».

 

4. Une lumière nouvelle

Martin Luther King termine sa prédication en remarquant que, « dans la parabole, […] après sa déception initiale, l'homme continue à frapper à la porte de son ami. A cause de son importunité – de sa persévérance –, il persuade enfin son ami d'ouvrir la porte. Beaucoup d'hommes continuent à frapper à minuit à la porte de l'Église, même après avoir été amèrement déçus par elle, parce qu'ils savent que le pain de vie est là. L'Église aujourd'hui est provoquée à proclamer que le Fils de Dieu, Jésus-Christ, est l'espérance des hommes dans tous leurs problèmes personnels et sociaux si complexes. »

Il y a ceux qui sont « perplexes devant les incertitudes de la vie, troublés par des déceptions quotidiennes, déçus par les ambiguïtés de l'histoire. […] Nous devons leur fournir le pain frais de l'espérance et allumer en eux la conviction que Dieu a le pouvoir de tirer le bien du mal. »

Il y a ceux qui « arrivent torturés par le remords causé par leur voyage dans les ténèbres du relativisme moral et leur sujétion à la doctrine de l'affirmation de soi. Nous devons les conduire au Christ qui leur offrira le pain frais du pardon. »

Il y a ceux qui « frappent à la porte tourmentés par la crainte de la mort au temps où ils s'avancent vers le soir de la vie. Nous devons les munir du pain de la foi en l'immortalité, pour qu'ils comprennent que cette vie terrestre n'est qu'un prélude à une nouvelle existence. »

Car la nuit n’est jamais définitive. « Minuit est une heure éprouvante, où il est difficile de garder sa foi. Ce que l'Église peut dire de plus réconfortant, c'est qu'aucune nuit ne dure longtemps. Le voyageur épuisé par la nuit et qui demande du pain, en réalité désire l'aurore. Notre message éternel d'espérance, c'est que l'aurore viendra. »

Martin Luther King rappelle ici la force des chants pour les esclaves : « Leur croyance positive en une aurore était le germe de l'espérance qui maintenait la foi des esclaves au milieu des circonstances les plus déprimantes et les plus tragiques. »

Aussi, dit-il, « La foi en l'aurore naît de la foi en la bonté et la justice de Dieu. Celui qui croit cela sait que les contradictions de la vie ne sont ni finales ni définitives. Il peut traverser la nuit noire avec la conviction radieuse que toutes les choses concourent au bien pour ceux qui aiment Dieu. Même les nuits les plus privées d'étoiles peuvent annoncer l'aube de quelque grand exploit. »

Après avoir rappelé le succès du boycottage des bus à Montgomery en Alabama pendant toute l’année 1956, il conclut sa prédication par ces mots : « L'aube viendra. Désappointement, tristesse et désespoir sont nés à minuit, mais le matin vient ensuite. ''Le soir arrivent les pleurs, dit le Psalmiste, et le matin l'allégresse.''[2] Cette foi disperse les assemblées de désespérés et apporte une lumière nouvelle dans les sombres recoins du pessimisme. »

Amen.

 

[1] Martin Luther King, La Force d’aimer, Paris, Casterman, 1964, p. 75-87.

[2] Psaume 30, 6.