Notre identité : d’infinies potentialités — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Notre identité : d’infinies potentialités

Prédication du dimanche 24 novembre 2019, par le pasteur Christian Baccuet

 

Lectures : 

  • Exode 20, 1-3
  • Colossiens 1, 12-20

 

Vous venez d’où ? Je veux dire, c’est quoi votre origine ? Qu’est-ce qui fonde votre identité ?

Ce n’est pas une question rhétorique que je vous pose là, c’est une question fondamentale, dans laquelle se tient un grand défi pour notre monde. Notre monde se durcit dans des identités de plus en plus figées, opposées ; mais comment faire lien si notre identité est un mur derrière lequel on s’enferme, un rempart contre les autres ? Notre monde fonctionne sur l’impression que c’était mieux avant, un monde de nostalgie et de peur, le désir d’un passé qu’il faudrait retrouver, d’une origine pure, comme si notre identité était à conserver ou à restaurer ; mais comment aller de l’avant si l’on pense qu’hier était mieux ? Comment avancer si on cherche à revenir en arrière ?

C’est un défi pour notre monde, c’est un défi aussi pour les religions qui ont tendance à se figer dans des identités de type identitaire, contre les autres. C’est un défi aussi pour notre Eglise, car nous ne sommes jamais à l’abri d’un repli sur nous-mêmes. Comment espérer en étant fidèle à ses origines, comment accueillir sans se replier sur soi-même ? Comment lire la Bible pour qu’elle ne soit pas une forteresse qui nous sépare des autres, qui nous fige dans une vérité absolue ? C’est une question grave, urgente, vitale !

 

1. La révélation au Sinaï

Lundi dernier, au cercle de lecture, nous avons échangé sur le livre de Delphine Horvilleur, « Réflexions sur la question antisémite »[1]. Dans ce livre, elle avance des pistes qui nous aident à penser la question du repli identitaire. Elle présente des textes bibliques, des commentaires rabbiniques, des légendes juives, et cela nous ouvre des espaces fort précieux. Un passage de ce livre me parle pour ce culte aujourd’hui. Delphine Horvilleur aborde le récit fondateur de l’identité du peuple hébreu : le don de la Loi par Dieu sur le Mont Sinaï, après la libération de l’esclavage en Egypte ; Dieu constitue son peuple en lui transmettant, par l’intermédiaire de Moïse, le Décalogue, les dix commandements, les dix paroles. Delphine Horvilleur partage deux dimensions importantes de l’interprétation juive de ce texte[2].

a. Un no man’s land

La première, c’est l’importance du lieu où se donne cette révélation fondatrice. Le lieu, ou plutôt le non-lieu. Cela se passe dans le désert, entre l’Egypte et la terre promise, dans ce lieu et ce temps d’entre-deux qui séparent l’esclavage de la liberté. En hébreu, la révélation se dit hitgalout (התגלות), mot construit sur la racine galout (גלות) qui signifie « exil ». La révélation se fait dans le no man’s land de l’exil, sur la route, dans un lieu dont on ne connaît pas l’emplacement précis, un lieu dont personne n’est propriétaire, un lieu en chemin.

L’origine n’est pas un lieu fixe où l’on revient, elle n’est pas un moment stable que l’on cherche à retrouver. Elle n’appartient à personne, elle est une mise en mouvement de celui qui la reçoit. Elle est à vivre et à développer ailleurs.

b. Quel est le contenu de la révélation ?

La deuxième dimension importante de cette révélation, c’est son contenu. Qu’est-ce que le peuple a reçu ce jour-là ? Le texte biblique nous raconte l’événement, nous donne les dix paroles, présente la Torah écrite. Mais la tradition juive se questionne sur l’étendue de cette révélation.

Pour certains commentateurs, ce jour-là Dieu a donné la loi écrite mais aussi la loi orale, c’est-à-dire les commentaires du texte ; il a pour ainsi dire tout donné, déjà, de ce qui se déploie ensuite dans l’histoire : le Livre et l’interprétation du Livre. Tout est déjà en germe dans la révélation.

Pour d’autres, Dieu ce jour-là n’a pas tout révélé mais seulement les dix commandements, base éthique qui permet de vivre ensemble, le reste se donnant ultérieurement.

Mais certains pensent qu’au Sinaï, seules les deux premières phrases ont été entendues : « je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Egypte », « tu n’auras pas d’autres dieux ». Ou peut-être même seulement la première phrase. La révélation se concentre dans la confession d’un Dieu libérateur.

Pour d’autres commentateurs, c’est seulement le premier mot de la première phrase que les hébreux auraient entendu : le mot anokhi (אָנֹכִי), « je suis ». La révélation ne serait pas un livre ou des commandements, mais une existence, celle de Dieu qui se présente, qui dit « je suis » pour entrer en relation avec son peuple.

Mais d’autres encore disent que c’est seulement la première lettre du premier mot qui a été entendue. La lettre aleph (א), par laquelle débute le mot anokhi. Mais quel est le son de cette lettre ? Aleph est en hébreu une lettre muette, alors pour les uns les hébreux n’auraient pas entendu un son mais un silence, le silence du mystère de Dieu. Mais aleph est aussi une lettre qui précède une voyelle au début d’un mot, pas un silence  vide mais quelque chose comme le mouvement que fait la glotte au moment où l’on s’apprête à parler ; pour d’autres les hébreux n’ont ainsi pas entendu un son ou un silence mais la possibilité d’un son, « la mise en route d’une possibilité de dire »[3] !

c. D’infinies potentialités

Je trouve cela passionnant ! Dans cette révélation de Dieu peut être contenu tout ce qui va se déployer ensuite, mais cela doit se déployer. Ou alors seulement l’essentiel, les commandements éthiques, les bases de la relation à Dieu et aux autres qu’il va s’agir de vivre au gré des événements et des circonstances. Ou bien l’annonce du Dieu qui libère et appelle à vivre de ce souffle de liberté. Ou un Dieu qui se présente dans la relation, comme une invitation à entrer dans un lien de confiance et de parole. Ou encore un Dieu dont on ne perçoit que le souffle de celui qui chemine avec son peuple...

Ces interprétations sont complémentaires et dans tous les cas de figure elles ne figent pas la révélation mais en font un point de départ d’une histoire qui se vit dans le déploiement de ce qui est reçu. La révélation de Dieu n’est ni un lieu précis ni un temps figé, pas une idéologie ou un système d’explication ; elle est un moment de libération. Une parole donnée et une invitation à espérer. Ce qui fonde le peuple hébreu, ce jour-là, ce n’est pas une origine qui fige mais une origine en mouvement, pas une identité fermée mais une identité vivante. Derrière, l’esclavage ; devant, la terre promise ; et au cœur de la route une présence. La parole d’un Autre (Dieu) qui offre un espace de vie et de rencontre, qui ouvre d’infinies potentialités.

 

2. La révélation en Christ

Ce récit du don de la Loi au Sinaï, qui ouvre un chemin de liberté, d’espérance et d’accueil, est fondateur dans la première alliance. Et, parce que le judaïsme est la racine qui nous porte, comme dit Paul (Romains 11, 18), il porte notre foi chrétienne dans cette dimension d’une révélation qui est libération et ouverture. Notre foi chrétienne, c’est en Christ qu’elle se déploie, lui qui était juif, lecteur de la Bible, venu dans l’espérance du Messie pour accomplir la Loi, pour la déployer ; lui que nous confessons comme Fils de Dieu, c’est-à-dire venue de Dieu parmi nous, présence de Dieu avec nous. Dans la foi chrétienne, la révélation s’origine et culmine en Christ.

a. Une confession de foi

C’est ce que dit le texte de la lettre de Paul aux Colossiens qui est proposé à la lecture pour ce jour. C’est en ayant en tête les interprétations rabbiniques de la révélation au Sinaï que j’ai lu ce passage de Colossiens. Je trouve que cela permet de recevoir la révélation en Christ dans le même élan d’une identité qui n’est pas figée, totalisante, excluante, mais au contraire libératrice et dynamique, porteuse d’infinies potentialités.

Ce texte est écrit aux chrétiens de Colosses, ville d’Asie Mineure (dans l’actuelle Turquie). La petite Eglise colossienne était menacée par des personnes qui enseignaient une identité chrétienne faite de soumission à des esprits et d’obéissance strictes à des rites. L’apôtre leur écrit pour les mettre en garde contre cette tentation d’une identité figée, fermée. Il les appelle à vivre leur foi dans la communion au Christ, qui libère pour vivre la communion les uns avec les autres. Au début de cette lettre, il y a l’extrait que nous avons lu. Une magnifique et dense confession de foi, qui récapitule en Christ l’essentiel de la dynamique chrétienne.

L’apôtre y confesse le Christ comme étant à l’origine de tout : il est « le Fils premier-né, supérieur à tout ce qui a été créé. Car c'est par lui que Dieu a tout créé dans les cieux et sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible, puissances spirituelles, dominations, autorités et pouvoirs. Dieu a tout créé par lui et pour lui. Il existait avant toutes choses, et c'est par lui qu'elles sont toutes maintenues à leur place » (v. 15-17).

Il y confesse le Christ qui libère : « Remerciez avec joie Dieu le Père : il vous a rendus capables d'avoir part aux biens qu'il réserve dans le royaume de lumière à ceux qui lui appartiennent. Il nous a en effet arrachés à la puissance de la nuit et nous a fait passer dans le royaume de son Fils bien-aimé. C'est par lui qu'il nous a délivrés du mal et que nos péchés sont pardonnés » (v. 12-14).

Il y confesse le Christ qui entraîne dans une dynamique de vie : « Il est la tête du corps, qui est l'Église ; c'est en lui que commence la vie nouvelle, il est le Fils premier-né, le premier à avoir été ramené d'entre les morts, afin d'avoir en tout le premier rang. Car Dieu a décidé d'être pleinement présent en son Fils et, par lui, il a voulu réconcilier l'univers entier avec lui. C'est par la mort de son Fils sur la croix qu'il a établi la paix pour tous, soit sur la terre soit dans les cieux » (v. 18-20).

En Christ, nous confessons le Dieu créateur, le Dieu libérateur, le Dieu qui ouvre d’infinies potentialités. C’est bien ainsi que le Christ est notre fondement.

b. Un Deu créateur et libérateur qui ouvre à une vie nouvelle

Le Dieu créateur, c’est celui en qui nos vies trouvent leur sens, leur raison d’être. Celui qui donne le souffle à la matière que nous sommes, pour faire de nous des êtres uniques, singuliers, chacun précieux à ses yeux. Celui qui est à l’origine de tout, dans le sens de celui en qui tout s’origine, se fonde, trouve son originalité. Dans la Bible, confesser Dieu comme créateur c’est dire que toutes les autorités sont relatives, qu’elles soient spirituelles ou humaines. A Dieu seul la gloire, comme disait Calvin. Tu n’adoreras pas d’autres dieux que moi, comme dit le premier commandement. Au commencement était la Parole de Dieu, et cette parole est devenue un homme, Jésus, comme le dit le début de l’évangile de Jean. En Christ tout est récapitulé, comme l’écrit l’apôtre aux Colossiens. Et c’est bien ainsi que le Christ se rencontre dans les évangiles, en Jésus qui rejoint des hommes et des femmes pour les ouvrir à la relation à Dieu qui est Père, une relation de confiance et de responsabilité, une restauration de la dignité de chacun, un appel à retrouver la plénitude de son humanité.

Ce Dieu créateur est ainsi un Dieu libérateur, car retrouver son humanité c’est être libéré de ce qui rend esclave, comme autrefois être sauvé de Pharaon en Egypte, comme au temps de Paul être délivré des dominations célestes (esprits) ou terrestres (autorités humaines). « Je suis le Seigneur ton Dieu, c'est moi qui t'ai fait sortir d'Égypte où tu étais esclave », dit Dieu pour fonder les Dix commandements. « Je suis », dit Dieu tout au long de la Bible, pour ouvrir à un dialogue avec nous, dans un « je-tu » qui ouvre au « je » de chacun, qui rend la parole, qui ouvre à la relation, qui libère ce que nous avons de plus précieux. « Je suis », dit Jésus, lui qui, tout au long de son ministère, rencontre des hommes et des femmes pour les libérer, les arracher aux ténèbres dans lesquels ils vivent, les délivrer du mal, leur offrir le pardon.

Ce Dieu créateur et libérateur ouvre à une vie nouvelle, à la suite du Christ, lui qui dans sa mort sur la croix nous a rejoints au plus profond de nos angoisses et de nos souffrance, lui qui est le premier-né d’entre les morts, ressuscité au matin de Pâques pour nous entraîner dans une dynamique de foi, d’amour et d’espérance, sur un chemin de confiance et d’ouverture, sous l’horizon du Royaume de paix qui éclaire les engagements que nous avons pour construire une terre plus juste, plus fraternelle.

c. Une identité à déployer

Cette confession de foi, je la reçois comme ouverture à d’infinies potentialités. Non pas comme une confession de foi monolytique, qui enfermerait dans des mots et construirait une identité fermée, opposée aux autres, triant le bon croyant du mauvais, excluant l’impur, se dressant contre ceux qui pensent ou se comportent autrement, cherchant à revenir au temps d’une chrétienté fantasmée, d’une époque où les pouvoirs et la culture se couvraient d’une identité se disant chrétienne, qui a produit l’inquisition, les croisades, l’expulsion des juifs, le bûcher pour les sorcières, la persécution des protestants… Mais comme une confession de foi ouverte, qui appelle au mouvement, qui construit une dynamique de vie, qui ouvre à l’universel, avec ce Dieu dont le projet est le salut de tous les êtres humains et de toute la création. Une mise en route dans la vie.

La révélation en Christ s’origine, comme au Sinaï, dans un temps d’entre deux, entre le vendredi saint et le dimanche de Pâques ; elle s’origine dans un lieu qui n’est plus habité, la croix où le corps de Jésus n’est plus, le tombeau vide au petit matin. Elle n’a pas un lieu où revenir ni un temps où se figer, elle est suivance du Vivant, point de départ pour une vie qui se déploie ailleurs, toujours nouvelle, toujours à renouveler.

Cette révélation, comme au Sinaï, contient tout en germes mais est à déployer, différemment selon les temps et les lieux. Elle est la révélation d’une parole qui donne les indications de base pour ce déploiement : aimer Dieu et aimer son prochain, comme les deux axes de la croix, le vertical de la spiritualité et l’horizontal de la diaconie. Elle est la révélation qui s’origine dans une relation, « je suis » le chemin, la vérité et la vie, et tu peux toi aussi te mettre en route, en vérité, pour vivre dans la vérité de l’Evangile. Elle est la révélation d’une présence, le souffle qui va s’ouvrir dans une parole, la première lettre de nos vies, le départ de la respiration, de la vie dans l’Esprit. Cet Esprit de Dieu, Esprit saint, qui est donné au jour de Pentecôte à ceux qui vont devenir les premiers croyants, la première Eglise. Jour de Pentecôte qui est le jour où se fête le don de la Loi au Sinaï !

Dans la dynamique de la révélation au Sinaï, le révélation chrétienne est un départ dans une aventure singulière (puisqu’elle touche chacun) et universelle (puisqu’elle concerne tout le monde), dans la présence vivante du Dieu créateur, libérateur, source d’espérance, qui ne nous figre ni dans un moment ni dans un lieu mais ouvre un chemin aux infinies potentialités de rencontres, d’accueil et de partage.

Notre identité chrétienne, ainsi fondée en Christ, ne peut pas se figer dans une identité identitaire, elle ne peut que s’épanouir dans d’infinies potentialités. Elle n’est pas dogme, institution, rites, cercle fermé, combat contre les autres. Elle est élan de vie, présence de l’Esprit, ouverture aux autres, accueil inconditionnel, construction d’une terre de paix, dont la communauté que nous formons – l’Eglise – est appelée à être, ici et maintenant, signe, instrument et avant-goût… Heureux sommes-nous de ne pas avoir une identité fondée sur nous-mêmes, dans la peur des autres et du temps présent, mais fondée en Christ, confiants et épanouis de suivre le Fils premier né qui nous délivre du mal et nous ouvre à une vie renouvelée, dans la réconciliation de l’humanité et la paix de toute la création !

Amen.

 

 

[1] Delphine Horvilleur, Réflexions sur la question antisémite, Paris, Grasset, 2019.

[2] Ibid., p. 119-124.

[3] Ibid., p. 124.