Rêver l’Eglise — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Rêver l’Eglise

Prédication EPUPL - Rêver l'église

Texte de la prédication du dimanche 17 octobre 2021, par le pasteur Christian Baccuet

 

Lectures :

  • Genèse 12, 1-4
  • 1 Pierre 1, 1-12

 

 

Au commencement, il y a un appel. Toujours. Une parole qui surgit, qui nomme, qui invite, qui met en marche. Une vocation.

 

1. D’Abram jusqu’à nous : un appel

Dans l’histoire biblique, cet appel surgit dans la vie d’Abram. Agé, sans enfants, ayant perdu son père et un de ses frères, stoppé dans son itinéraire de migrant parti d’Our, ville de basse Mésopotamie (dans l’actuelle Irak) et échoué à Harrân, dans le nord de la Mésopotamie (dans l’actuelle Turquie), il n’a plus d’avenir. Jusqu’à ce que surgisse pour lui une parole, la parole de Dieu, qui l’invite à se remettre en marche, à partir, à quitter son pays, sa parenté et la maison, de son père, pour aller vers le pays que Dieu lui montrera, dans la promesse d’une descendance. Dans son contexte moribond, cette parole de vie qui surgit pour lui le met en route dans l’espérance, porteur d’une bénédiction pour lui et pour la terre entière. Une parole qui le sort de la désespérance et d’une existence sans avenir, pour lui ouvrir une existence nouvelle, renouvelée, porteuse de vie. Nous ne savons pas comment Abram a perçu cet appel de Dieu, selon quelle modalité elle s’est imposée à lui comme une vocation. Ce que l’on sait, c’est qu’à cet appel, il se met en route. Sa vie reprend sens. Il part, dans la confiance en ce Dieu qui l’appelle, sans même avoir de précisions sur la terre vers laquelle il va être dirigé, sans même douter de cette parole folle d’une descendance, pour lui qui est âgé et dont la femme est stérile. Il part, et commence ainsi son histoire. Il s’appelle Abram – qui signifie « qui a un père élevé » – et va devenir Abraham – « Père d’une multitude » : son changement de nom dit son changement de vie, déplacé de son passé mortifère vers un avenir d’espérance. Il part, entraînant avec lui les siens, et commence une histoire, celle de ses descendants, celle du peuple de Dieu, notre histoire. Histoire d’une bénédiction pour lui et les siens, et pour toutes les nations de la terre. La vocation de l’un touche les autres. Cette marche sera difficile, longue, semée d’épreuves et de doutes, de trahisons et de chutes, de malédiction même au sein de l’abondance de bénédictions. La vocation n’est que le début d’une route humaine, d’un chemin éprouvant, dans la vraie vie, mais chemin porté par la parole de Dieu et sa force.

Cette marche sera celle d’Abraham, puis de ses descendants, son fils Isaac, son petit-fils Jacob, les douze fils de ce dernier, Joseph et ses frères, ancêtres des douze tribus. Puis des hébreux esclaves en Egypte, délivrés par Moïse, errant dans le désert jusqu’à l’entrée en terre promise. Puis elle sera celle du peuple conduit par les Juges, puis par les Rois. Elle sera celle des prophètes, porteurs de la Parole qui sans cesse rappelle la promesse et remet en route. Elle résonnera dans des temps de grandeur comme dans l’épreuve de l’exil à Babylone. Elle parcourra des siècles, dans l’espérance du Messie qui viendra ouvrir les temps nouveaux.

Puis viendra Jésus, fils de l’homme et fils de Dieu, rencontre de l’humanité et du Seigneur, incarnation de Dieu venu partager cette marche d’espérance au plus près de nous, par ses paroles qui disent ce Royaume à venir et déjà là, en lui, par ses gestes qui relèvent, par les hommes et les femmes qui le suivent. S’ouvre une marche de vie partagée, de libérations et de guérisons, de joie et d’espérance. D’épreuves aussi, l’hostilité, le doute, la croix, la mort. Mais l’horizon est ouvert au matin de Pâques, le tombeau vide, comme au temps d’Abraham, ouvre un temps nouveau, appelle à vivre au-delà de la mort, dans une espérance vive qui conduit à poursuivre ce chemin, à poursuivre l’Evangile, à partager paroles, gestes, présence qui disent Dieu parmi nous.

Vient alors le temps de l’Eglise, cette communauté d’hommes et de femmes entraînés par cet appel, qui se réunissent dans la présence de l’Esprit saint, le souffle de Dieu, pour méditer la Parole, partager le repas du Seigneur, prier ensemble, vivre la fraternité nouvelle d’enfants du même Père, témoigner de l’Evangile et le porter sur toute la terre. Jusqu’à aujourd’hui, ici, dans ce temple au cœur de Paris. Pour nous et par nous.

Nous sommes l’Eglise. Nous sommes ces hommes et ces femmes, de toutes générations, de toutes origines, de tous parcours de vie, en marche ensemble, avec le Christ, sur des routes sinueuses mais ensoleillées, éprouvés mais portés, nous soutenant les uns les autres dans la joie de l’Evangile reçu, médité, vécu, partagé. Nous sommes l’Eglise, entraînés par l’appel qui a résonné pour nous, chacun selon des modalités particulières, subjectives, intimes, évidentes ou indicibles. Parole qui, comme pour Abram et toutes les générations entre lui et nous, nous dit « Pars ! Quitte tout ce qui est moribond dans ta vie, et va vers le pays de l’espérance, dans la promesse d’une descendance. Pars ! L’avenir est ouvert, la vie est là, choisis de vivre ! ».

Au départ de nos vies croyantes, l’appel de Dieu. Au départ de la vie d’Eglise, une vocation. « Eglise », vous le savez, vient du grec ekklesia (ἐκκλησία), qui veut dire « assemblée convoquée », du préfixe ek (ἐκ) qui veut dire « hors de » et du verbe kaleo (καλέω) qui signifie « appeler ». L’Eglise, c’est l’assemblée de ceux qui ont été appelés à sortir, à partir, et qui se retrouvent pour voyager ensemble avec le Christ. L’Eglise n’existe pas par elle-même mais par l’appel du Seigneur.

L’Eglise, des hommes et des femmes, des occasions, des rencontres par lesquels l’Evangile se répand, comme une lumière joyeuse. L’histoire de l’Eglise est pourtant un chemin qui reste complexe, éprouvant, douloureux. Combien de souffrances subies de l’extérieur – rejet, persécutions – et vécues de l’intérieur – divisions, exclusions –, combien de souffrances causées – croisades, inquisition, abus sexuels... L’histoire de l’Eglise peut être un cauchemar. Pouvons-nous encore rêver l’Eglise ? Rêver que la vie d’Eglise soit conforme à sa vocation de vie, de liberté, de joie, de promesse et d’espérance ? Non comme une théorie ou un principe, mais comme une réalité vivante, ici et maintenant. Nous comme Eglise de Jésus-Christ. Oui, nous le pouvons. Nous le devons même, pour retrouver la saveur de l’Evangile. Ici le début de la première lettre de Pierre résonne pour nous.

 

2. La lettre de Pierre, confession de foi joyeuse

C’est une lettre envoyée par l’apôtre ou un des membres de l’Eglise qui se trouve dans la suite de son témoignage, aux chrétiens qui se trouvent dans le nord de l’Asie Mineure (actuelle Turquie). Elle est probablement écrite depuis Rome, dans un contexte où les épreuves – mise à part de la vie sociale, début de persécution – vont commencer, ou ont commencé. Elle est une lettre destinée à donner confiance aux chrétiens au milieu de l’hostilité, à les fortifier, à les encourager à vivre et témoigner de l’Evangile. Nous lisons cette lettre dans le groupe biblique du mercredi, un mercredi sur deux de 19h30 à 21h ; je vous invite à rejoindre ce groupe ! Cette lettre commence par des paroles fortes, denses, qui peuvent paraître difficile mais qui sont comme un condensé de l’essentiel. C’est cet essentiel que je vous propose de laisser résonner en nous et parmi nous. Pierre dit trois dimensions fondamentales pour nous.

La première, c’est la manière dont il évoque ses destinataires : des « exilés », « dispersés dans les provinces ». Les chrétiens ne sont alors pas des dominants qui imposent leur pouvoir sur la société ; ce sont des hommes et des femmes en marge. En marge de la vie sociale car ils refusent de rendre culte à l’Empereur et n’ont ainsi pas accès aux fonctions civiles et aux fêtes, ils sont regardés de travers. Ils sont comme des étrangers même s’ils vivent dans leur lieu d’origine, dans un statut fragile. Et ils vivent dispersées, petites communautés éloignées géographiquement les unes des autres. A bien des égards, notre situation est similaire à la leur, minorité au sein de cette ville, inconnus ou mal compris, fragiles, dispersés. Mais Pierre leur dit que cette dispersion, état de fait, n’est pas le tout de la réalité de leur vie de chrétiens. Car, avant tout, ils ont été « choisis par Dieu », « mis à part dans l’Esprit saint » – certaines traductions écrivent ici : « consacrés » –, dans « l’obéissance à Jésus-Christ » et « purifiés par son sang », formule qui indique, dans un langage culturellement éloigné du nôtre, leur vie en Dieu, dans cette proximité que le crucifié offre de vivre. Ils ne tiennent pas leur identité d’un pays ou d’une généalogie, mais de la Parole de Dieu qui les appelés. Leur existence chrétienne prend sa source dans une vocation. L’Eglise, notre Eglise, nous ensemble ici, ne tenons pas notre identité de ce que nous sommes humainement, mais de la Parole de Dieu qui résonne au milieu de nous, du Christ présent avec nous, de l’Esprit saint qui nous donne de respirer du souffle de Dieu. Malgré nos fragilités, notre identité n’est pas fragile car elle est entre les mains de Dieu, dans la foi qu’il a en nous, dans la confiance qu’il nous donne, dans sa force d’amour. Bonne nouvelle !

Une deuxième dimension, bonne nouvelle aussi, nous est donnée dans les versets qui suivent. Pierre y évoque la vie nouvelle, renouvelée, que la foi en Jésus-Christ nous donne de vivre. C’est une confession de foi qu’écrit ici l’apôtre, avec des mots ancrés en Dieu, « le Père de notre Seigneur Jésus-Christ », dans le Christ ressuscité : « grande bonté », « vie nouvelle », « espérance vivante », « biens donnés par Dieu », « puissance de Dieu qui nous garde dans la foi », « perspective du salut », « foi précieuse comme l’or » et pleine de « valeur »… Autant de réalités vives. Même si nous ne voyons pas encore la plénitude de la révélation, même si le chemin est difficile – l’auteur de la lettre ne le cache pas, il évoque la « tristesse » et les « épreuves » –, c’est une joie de vivre cela : « louange », « gloire », « honneur », « réjouissance », « joie glorieuse et inexprimable », « attente de la rencontre avec le Christ en plénitude », foi, amour, espérance... Confesser la présence du Christ, répondre à l’appel du ressuscité, être entraînés dans l’espérance : telle est notre vocation de chrétiens, telle est notre vocation d’Eglise. Pas un appel à être tristes, à être dogmatiques, à être moralisants, à juger le monde, à exclure, à nous enfermer sur nous-mêmes. Mais un appel à la joie. Car l’Evangile est bonne nouvelle, la foi est joie, l’espérance est vie ! C’est de cette joie que notre Eglise, ici et maintenant, vit. C’est cette joie qui circule en nous et entre nous. C’est de cette joie que nous sommes témoins ! Bonne nouvelle !

Et puis une troisième dimension, dans les derniers versets de notre passage. La vocation reçue de Dieu et la joie du Christ en nous s’inscrivent dans une perspective qui nous dépasse, elles nous entraînent dans une réalité plus vaste que nous. Vaste dans le temps puisque l’apôtre évoque les prophètes, porteurs de la Parole de Dieu pour leurs contemporains. En vaste spirituellement puisqu’il évoque les anges, messagers de Dieu. Et ce qu’il dit est énorme, si y songe, incroyable, formidable. Pierre écrit que l’Evangile dont nous vivons, le salut, la grâce, le don de Dieu, les prophètes l’ont perçu, l’ont cherché, l’ont annoncé… et c’est à nous que ce message est donné ! Il est pleinement pour nous, aujourd’hui, ici, à tel point que les anges eux-mêmes désirent le connaître, désirent y plonger leurs regards ! Oui, nous avons bien entendu : l’Evangile dont nous vivons, nous le recevons mieux que les prophètes et que les anges. Bonne nouvelle !

 

3. Quelle Eglise rêvons-nous ?

Ces fortes paroles de la première lettre de Pierre, c’est à nous, dans nos exils et notre dispersion, au milieu de ce monde et avec nos fragilités, de les vivre, ici et maintenant. A nous de chercher les moyens et les occasions de vivre concrètement cette réalité forte, vive, joyeuse, active, entraînante. A nous de rêver à ce que notre Eglise de Pentemont-Luxembourg pourrait être et partager dans cet élan.

Tel est le processus dans lequel notre Conseil presbytéral nous proposons d’entrer aujourd’hui. Nous l’avons intitulé « Demain, quelle Eglise voulons-nous vivre ? ». Quelle Eglise de Pentemont-Luxembourg voulons-nous vivre dans les mois et les années qui viennent ? Nous allons partager nos rêves pour notre Eglise. Nous n’allons pas décrire l’Eglise idéale – elle n’existe pas –, nous n’allons pas dresser un catalogue exhaustif de tout ce qui pourrait être fait – nous en sortirions épuisés ou découragés d’avance –, nous allons discerner ensemble ce que nous sommes appelés à vivre.  Cette réflexion partagée, ensemble, en communauté vivante, a besoin de chacun de nous. Ensemble nous allons échanger, partager, élaborer, discerner. Ensemble, car il est besoin de la parole de chacun, car c’est ensemble que nous formons Eglise. Ensemble en Jésus-Christ, car c’est lui qui est le cœur de notre foi et de notre fraternité. Ensemble dans l’Esprit saint, car c’est lui qui peut inspirer une vraie vie d’Eglise. Il s’agit en fait d’un chemin de discernement : comment l’appel de Dieu retentit pour nous, comme il a retenti pour Abraham en son temps, pour toutes les générations bibliques, pour les premiers disciples, pour les communautés chrétiennes au fil des siècles. Ce chemin passera par des temps de réunion et d’échange, d’élaboration et de décisions. Nous le commençons aujourd’hui, en partageant nos rêves.

Rêver ce n’est pas fuir la réalité, mais laisser s’exprimer en nous la réalité de Dieu. Dans la Bible, souvent, Dieu parle par un rêve. Cela ne veut pas dire que tous nos rêves sont parole de Dieu ! Cela signifie que Dieu parle souvent dans un moment intime, personnel, un moment où les bruits du monde sont mis de côté, un temps de disponibilité, un temps où nous pouvons accueillir son souffle. Rêver l’Eglise que nous voulons vivre, c’est exprimer nos désirs, en demandant à Dieu de nous inspirer pour que, fondamentalement, ce soit ce qu’il rêve pour nous qui devienne notre rêve… c’est-à-dire notre réalité.

Que Dieu nous inspire, joyeusement !

Amen.