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Qui dirige ma vie ?

Texte de la prédication du dimanche 16 octobre 2022, par les Pasteurs Christian Baccuet et Géraldine Walter (Pasteure de la paroisse de La Rencontre)

Qui dirige ma vie ?

 

Lecture : 1 Samuel 8

 

Luxembourg, 16 octobre 2022.

Culte commun Pentemont-Luxembourg et La Rencontre.

Prédication des pasteurs Christian Baccuet et Géraldine Walter.

 

 

Cette semaine, tous les deux, nous avons réfléchi ensemble à ce que le récit que nous venons d’entendre nous disait, pour nous aujourd’hui. Tout simplement, nous partageons avec vous quatre dimensions de ce texte, aux résonnances actuelles étonnantes.

 

1. Une situation bien humaine

Première dimension, c’est l’étonnement, comme avec chaque texte biblique, devant la proximité de ce qui est raconté avec nos vies. C’est une situation bien humaine qui est décrite dans ce récit.

Il se déroule pourtant il y a plus de 3 000 ans, vers 1050 avant notre ère. Autre temps, autre culture, autres conceptions du monde, autres connaissances. Et pourtant mêmes situations que nous. Situation de crise. Samuel, enfant, était au service du prêtre Héli, dans le temple de Silo. Héli, âgé et perdant la vue, avait deux fils qui se comportaient très mal, profitant de leur statut pour voler les offrandes et coucher avec les femmes qui étaient au service du temple. Samuel a été appelé par Dieu pour devenir juge – chef du peuple – et prophète – porte-parole de Dieu.  Le récit d’aujourd’hui se passe quand Samuel est devenu âgé, et c’est comme si l’histoire se répétait ; c’est à son tour d’avoir des fils qui se comportent mal. L’histoire bégaie.

L’histoire bégaie mais ne se répète pas à l’identique. Alors que la vocation de Samuel était le signe que Dieu rejetait le prêtre Héli, ici, quand les anciens du peuple demandent un roi, ils expriment leur rejet de Dieu lui-même. Ce n’est pas le première fois que le peuple rejette Dieu. Il l’a déjà fait, notamment pendant l’exode, quand Dieu les accompagnait sur le chemin de la liberté mais qu’ils se détournaient de lui pour aller servir les idoles.

L’histoire risque toujours de bégayer. Samuel les met en garde sur ce que fera un roi : il prendra tout, les fils pour faire la guerre, les filles pour le servir, les biens pour lui. « Ainsi vous deviendrez ses esclaves » (v. 18), avertissement terrible pour ceux qui sont devenus peuple en étant libérés de l’esclavage en Egypte. C’est comme un retour en arrière qui les menace, s’ils abandonnent Dieu pour se faire les sujets d’un roi. Avertissement pour nous ! Aujourd’hui, qu’y a-t-il de différent ? L’envie de s’en remettre à un homme providentiel, l’envie de céder sa liberté contre davantage de sécurité, le désir de puissance gangrènent notre société, emplissent nos vies, menacent même nos Eglises.

Aujourd’hui, nous donnons la même raison qu’il y a 3 000 ans : si nous voulons nous en remettre à un roi humain plutôt qu’à Dieu, c’est pour faire comme les autres. Cela revient deux fois dans le récit, au verset 5 (« Donne-nous un roi, comme en ont toutes les nations ») et au verset 20 (« Nous aussi nous serons comme toutes les nations »). Mise en garde pour nous ! Nos conformismes, notre suivi de la masse, notre peur d’être différent peuvent être des tentations mortifères.

L’histoire bégaie. On peut voir dans ces récits bibliques l’écho d’une fatalité qui fait que le genre humain n’évolue pas, est toujours le même, et nous voilà rapidement désabusés, cyniques, fatalistes. On peut aussi y voir un miroir tendu à ce que nous sommes, à notre humanité profonde, pour que nous puissions arrêter de bégayer, nous, ici et maintenant. Car c’est le défi pour chaque génération que de recevoir la Parole de Dieu au cœur de notre humanité, ses avertissements pour que nous puissions faire des choix de vie éclairés, pour que nous le placions au centre de notre vie… à Dieu seul la gloire !

 

2. Dans notre intimité notre histoire aussi risque de se répéter, de bégayer

Le désir d’un roi est fort de la part du peuple. Il s’agit d’un désir d’être comme tout le monde, mais aussi un désir de puissance, de suprématie. « Donne-nous un roi qui soit notre juge, comme en ont toutes les nations » (v. 5). « Et nous aussi nous serons comme toutes les nations, notre roi sera notre juge, il conduira nos armées et mènera nos guerres » (v. 19-20). Le peuple ne veut pas entendre la mise en garde de Samuel, de ce roi qui va tout prendre, fils, filles, femmes, champs, serviteurs, dîme. Le roi va se saisir de tout ce qui fait la vie, de tout le bien de ce peuple.

Qu’est-ce qui motive cette servitude volontaire pour reprendre l’expression de La Boëtie ? « C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix d’être serf ou d’être libre, abandonne sa liberté et prend le joug, et, pouvant vivre sous les bonnes lois et sous la protection des États, veut vivre sous l’iniquité, sous l’oppression et l’injustice, au seul plaisir [du] tyran. C’est le peuple qui consent à son mal ou plutôt le recherche », écrit-il vers 1548, alors qu’il n’a que 18 ans et suit des études de droit à Orléans, foyer naissant du protestantisme. C’est un temps de révolte, la révolte des gabelles contre le pouvoir royal qui veut centraliser cet impôt. Ses écrits ont été d’abord transmis sous le manteau, puis publiés par un calviniste. Ce texte de Samuel m’a fait penser à la réflexion de La Boëtie et j’étais étonnée de leur résonnance et du contexte des débuts de la Réforme.

Qu’est-ce qui fait que nous acceptons de nous soumettre de manière délibérée à une puissance qui nous entrave, qui nous aliène ? Pourquoi obéit-on tout simplement ? Qu’est-ce qui fait que nous abandonnons notre liberté, notre indépendance, que nous nous laissons déposséder de ce qui fait la quintessence de notre vie, de notre humanité ?  La réponse à ces questions ne peut être simple ni simpliste. Il y a en nous un désir de puissance et un besoin de sécurité, qui fait que nous pouvons être séduits par une parole forte, par une parole rassurante, par une parole démagogique. Il y a aussi la peur, la peur de l’autre, d’être menacé par nos voisins, les étrangers, ceux qui sont différents.

Nous sommes mus aussi par le désir profond d’exister, d’être reconnus, désir confronté à l’inconfort de l’incertitude, de la peur du vide, de l’absurde, qui peuvent aussi nous ôter notre capacité de réflexion, d’esprit critique, de mise en perspective. Notre humanité est aussi synonyme fragilité, faillibilité, de limites avec lesquelles Paul ferraille dans la lettre aux Romains, « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je pratique le mal que je ne veux pas » (7, 19). Dans notre vie quotidienne, au travail, parfois dans certaines amours ou relations, nous abandonnons notre liberté, nous renonçons à ce qui a du prix à nos yeux et nous nous perdons au profit d’un autre qui prend autorité sur nous, qui règne sur notre vie. Qu’est-ce qui dirige notre vie finalement ?

Notre intelligence, notre libre-arbitre ne suffisent pas à nous éclairer. Nous avons peut-être besoin d’une altérité ? D’une autre seigneurie pourrait-on dire dans la foi et quel type de roi s’agirait-il?

 

3. Dieu, quel roi ?

La fonction de roi est devenue désuète pour nous aujourd’hui, en France. Le terme ne fait plus guère partie de notre vocabulaire. Il est même parfois répulsif ; Louis XIV, le « Roi soleil », a voulu éliminer le protestantisme. Le terme « Roi » est très fréquent dans la Bible. מֶלֶךְ (melek) en hébreu se trouve 2 522 fois dans l’Ancien Testament et βασιλεύς (basileus) en grec 117 fois dans le Nouveau. Dieu lui-même est fréquemment qualifié de roi. Mais de quel roi s’agit-il, quand nous  parlons de Dieu ? Dans l’Evangile, Jésus prêche le royaume de Dieu, comme réalité attendue dans l’espérance et déjà manifestée en lui.

Ce royaume est le contraire du pouvoir du roi que veut le peuple dans notre récit. Dans ce récit, le roi « prend » ; le règne de Dieu n’est pas un moment où tout nous est pris mais un temps où tout nous est donné. Ce n’est pas un retour en esclavage mais une pleine libération. Ce n’est pas l’absence de Dieu mais sa plénitude de présence. Jésus lui-même, manifestant la présence de Dieu, montre que ce roi est un roi juste, humble, vrai, plein d’attention pour celui qui est faible et de résistance contre celui qui écrase les autres, allant sans cesse vers les exclus pour les relever et vers les méprisés pour les honorer. Il est un roi à l’inverse du roi que le peuple, au temps de Samuel, veut se donner. Il n’est pas l’abandon de Dieu par les êtres humains mais le don de Dieu aux êtres humains. Il n’est pas un roi qui écrase mais un roi qui aime. Il se manifeste pleinement à la croix, dans ce supplice qui se trouve à l’opposé complet de toute manifestation de puissance et de domination.

A Pilate il dit : « Ma royauté n’est pas de ce monde » (Jean 18, 36), indiquant ainsi non pas une fuite du monde mais un autre rapport au monde, pas celui de la conformité – vouloir un roi pour être comme les autres – mais de la liberté. Il est ensuite moqué par les soldats qui l’habillent d’un vêtement pourpre et lui mettent une couronne d’épine sur la tête, le saluant comme un roi tout en le giflant (Jean 19, 2-3). Puis il est crucifié avec un écriteau indiquant « Jésus le Nazoréen, le roi des Juifs » (Jean 19, 19). Moqueries dérisoires qui sont malgré elles des confessions de foi : il est le roi des Juifs, inséré dans la longue espérance qu’au sein de notre humanité complexe vient le temps de Dieu, roi pour la terre entière – l’écriteau est rédigé en hébreu, en latin et en grec (Jean 19, 20).

Jésus est roi. A lui, comme l’écrit Paul dans sa première lettre à Timothée, « au Roi de tous les temps, impérissable, invisible, seul Dieu, honneur et gloire à tout jamais ! » (1 Timothée 1, 17). S’il est ce roi-là, humble et vrai, alors nous voilà appelés à le suivre sur cette voie, lui qui « a fait de nous un royaume », comme le dit l’Apocalypse (1, 5). Nous sommes sujets du Royaume de Dieu, règne déjà là même s’il n’est pas encore pleinement réalisé. C’est dans cette citoyenneté que se trouve notre liberté. Jésus-Christ est le Seigneur, dit la confession de foi chrétienne fondamentale, qui signifie ainsi que Jésus-Christ est à la fois manifestation de Dieu pour nous et contestations de tous les autres seigneurs qui veulent prendre nos vies.

 

4. Serf-arbitre, appelés à ce Royaume

L’histoire du chrétien bégaie, nous oscillons entre servitude et liberté. Notre histoire est un chemin de sanctification pour reprendre un « grand mot » de la théologie, comme celle du peuple d’Israël. Mais qui dit la proximité de Dieu. Dieu nous accompagne , il est présent dans nos difficultés, nos errances, et c’est la bonne nouvelle de notre texte. Dieu est présent, il accompagne le peuple d’Israël dans son choix de se donner un roi. « Samuel entendit toutes les paroles du peuple et les dit en présence du Seigneur. Le Seigneur dit à Samuel : écoute-les : tu leur donneras un roi » (v. 21 et 22). Il est là dans nos erreurs. Il est là pour nous relever sans cesse.

Suite au traité Du Libre arbitre d’Érasme, Luther répond par le traité du Serf arbitre, puis De la Liberté du chrétien. C’est la force de la foi protestante celle de se savoir justifié par la grâce. La servitude du chrétien au Christ est sa liberté. Et sa liberté est dans cette servitude. « Un chrétien est un libre seigneur de toutes choses et il n’est soumis à personne » écrit Luther dans De la liberté (p. 43). « Par Christ, il est un roi tout à faire libre, et, ce qui est bien davantage, il est un prêtre qui a le droit et le pouvoir de se présenter devant Dieu. » L’amour du Christ nous fonde, est la quintessence de notre existence qui nous fait enfants de Dieu, et aussi sujets, debout, de son Royaume. Nous nous tenons devant Dieu, coram Deo. Sa grâce nous justifie, Dieu est à nos côtés et de cette grâce nous puisons notre liberté pour suivre le Christ. La reconnaissance de la grâce de Dieu est notre force dans notre faiblesse, et c’est l’élan de notre vie, ce qui nous porte et nous dirige.

Nous suivons Dieu en Jésus-Christ dans son abaissement pour notre humanité, dans son amour pour les êtres humains, pour chacun d’entre nous quels que soient nos parcours, nos fragilités. Nous sommes appelés nous aussi à aimer. Ainsi notre liberté de chrétien par la foi est la servitude de l’amour. Et il n’y a de servitude de l’amour que par la liberté. La participation au Royaume de Dieu est la vie en Christ dans la joie de se savoir aimé et sauvé, dans la liberté de servir son prochain.

Hier s’est déroulée la matinale de l’Entraide Luxembourg-Pentemont, avec une soixantaine. A La Rencontre nous avons aussi des demandes et des projets, mais bénéficions d’un réservoir de bénévoles beaucoup plus modestes, alors je fais le vœu que notre partenariat puisse nous aider dans cette dimension.

Et suivons Jésus Christ, pour œuvrer chacun selon ses talents au Royaume de Dieu ici et maintenant.

Amen