"Dieu peut-il se tromper ?" — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

"Dieu peut-il se tromper ?"

Texte de la prédication du dimanche 27 novembre 2022, par le Pasteur Christian Baccuet.

Dieu peut-il se tromper ?

 

Lecture : 1 Samuel 15, 10-35

 

Pentemont-Luxembourg, 27 novembre 2022.  

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

 

 

Dieu peut-il se tromper ?

Question terrible qui surgit à l’écoute du passage de ce jour.

Saül a été désigné roi par Samuel, qui se faisait le porte-parole du choix de Dieu. Et puis Saül s’avère être un mauvais roi, qui n’obéit pas à Dieu, à tel point que ce dernier va lui retirer la royauté et la donner à quelqu’un d’autre. Dieu s’était-il trompé dans le choix de Saül ? A-t-il commis une erreur de discernement ?

L’erreur est humaine, dit-on. L’erreur peut-elle aussi être divine ? Question redoutable, car elle touche aux fondements de notre vie. Nous sommes déjà tellement bousculés par nos propres erreurs, nos choix erronés, tellement meurtris par la perte de confiance envers ceux qui nous promettent puis nous trompent, ceux qui parlent mais dont nous ne savons pas si ce qu’ils disent est vrai. Médias, politiques, réseaux sociaux, nous sommes dans le règne de la fake news et nous ne savons plus sur quelle vérité nous appuyer, sur qui compter. Tout est ébranlé. Alors si même Dieu peut se tromper, que nous reste-t-il ?

Dieu peut-il se tromper ? C’est une question terrible. Et je suis ému par le prophète Samuel, au début du passage que nous venons de lire. Alors que Dieu lui dit qu’il regrette d'avoir choisi Saül comme roi, Samuel est bouleversé, et pendant toute la nuit il implore le Seigneur (v. 11). Littéralement, en hébreu, Samuel est « irrité », « en colère », et il « crie » vers Dieu. On ne sait pas ce qui le fâche : le regret de Dieu, la désobéissance de Saül ? On ne sait pas ce qu’il crie vers Dieu : sa colère, sa peine, sa demande d’explication, son intercession ? Ce que l’on sait, c’est qu’il crie toute la nuit. Toute la nuit. Il y a bien quelque chose de sombre dans cette terrible impression que Dieu a pu se tromper. Il y a bien quelque chose de long à traverser, de pénible, de douloureux, pour arriver à la lumière.

Comme Samuel, traversons cette question, traversons ce récit.

 

1. Dieu « regrette »

La première dimension qui me frappe dans ce texte, c’est qu’il ne dit pas que Dieu s’est trompé. Il dit qu’il « regrette » le choix de Saül. « Je regrette d'avoir choisi Saül comme roi » (v. 11), puis « le Seigneur lui-même regrettait d'avoir choisi Saül comme roi d'Israël » (v. 35). Le verbe hébreu utilisé ici est נָחַם (nacham), qui signifie « regretter », « renoncer », « se repentir », « changer d’avis ».

On le trouve dans l’histoire de Noé quand, devant le mal que l’humanité développait, « le Seigneur […] fut attristé et regretta [נָחַם] d'avoir fait des hommes sur la terre » (Genèse 6, 6). On le retrouve au temps de l’exode quand le peuple s’est détourné de Dieu en se fabriquant une idole – le veau d’or – et que, suite à la supplication de Moïse, « le Seigneur revint sur sa décision [נָחַם] et n’accomplit pas le mal dont il avait menacé son peuple » (Exode 32, 14). On le lit également dans l’histoire de Jonas quand, devant le repentir des habitants de Ninive, Dieu « revint sur sa décision [נָחַם] et n'accomplit pas le mal dont il les avait menacés » (Jonas 3, 10).

Dieu peut regretter une décision. Dieu est vivant, en relation. Il n’est pas immobile, figé, indifférent. Il réagit, il éprouve des émotions, il aime, il se met en colère, il est heureux ou déçu, il peut regretter et changer d’avis. Ce n’est pas toujours facile pour nous de penser cette dimension de Dieu. Le texte lui-même évoque cette difficulté puisque Samuel affirme à Saül : « Le Seigneur […] ne change pas d'avis comme un être humain » (v. 29). Littéralement : il « ne regrette pas » [נָחַם] car il n'est pas un être humain pour « regretter » [נָחַם]. Je vois dans cette affirmation de Samuel notre difficulté à admettre que Dieu puisse changer d’avis, puisse regretter. Samuel a crié toute la nuit, et il est encore en proie à des contradictions. Nous affirmons parfois sur Dieu des choses qui ne sont que le fruit de nos propres conceptions, de nos dogmes ou de nos désirs. Ce qui compte alors, c’est ce que l’Ecriture nous dit de Dieu.

Et la Bible ne nous dit nulle part que Dieu peut se tromper. Qu’il regrette et change d’avis ne veut pas dire qu’il s’est trompé. Il a désigné Saül comme roi : ce n’était pas une erreur mais il regrette ce choix. Un discernement peut être juste, mais la suite peut décevoir. Pourquoi, ici, Dieu regrette-t-il ? C’est le deuxième enseignement de ce texte : Dieu ne se trompe pas mais l’être humain peut se tromper.

 

2. L’être humain peut (se) tromper

Au chapitre 9, Dieu a demandé à Samuel de désigner comme roi le jeune, beau et fort Saül. Au début, tout s’est bien passé et Saül a été à la hauteur de sa mission. Mais, comme cela arrive hélas si souvent dans l’histoire humaine, peu à peu il s’est laissé dériver, il est devenu autocrate, oubliant qu’il tenait son pouvoir de Dieu, que sa mission était de conduire le peuple de Dieu, que sa force était d’écouter la parole de Dieu. Ainsi, au chapitre 13, il n’a pas supporté d’attendre que Samuel vienne pour offrir un sacrifice à Dieu et il l’a offert lui-même, ce qui était à la fois une désobéissance à Dieu, l’usurpation de la fonction du prêtre et la marque d’une tentative de prise de pouvoir sur Dieu. Il a été mis en garde contre un tel comportement. Et voici qu’il a recommencé, au début du chapitre 15, dans un contexte de guerre contre les Amalécites. Les Amalécites étaient un groupe de tribus nomades vivant entre le nord-est du Sinaï et le sud de la Judée. Dans la Bible, ce sont les ennemis radicaux des Hébreux. Autrefois, ils ont attaqué les Hébreux dans leur errance dans le désert sous la conduite de Moïse (Exode 17) puis au cours de leur installation en Canaan (Juges, chapitres 3, 5, 6 et 10). Plus tard, le livre d’Esther nous raconte qu’Haman, un Amalécite devenu ministre en Perse, essaiera d’exterminer les Juifs, au Ve siècle avant notre ère.

Dans la Bible, Amalek et les Amalécites sont symboles de l’ennemi radical ; dans la tradition juive, ils sont symboles du mal absolu, et Haman est la figure de l’antisémitisme. Ils sont la figure symbolique du mal mortel dont il faut se débarrasser pour pouvoir vivre. C’est sur ce plan symbolique que nous devons entendre aujourd’hui ce récit. Au début du chapitre 15, le Seigneur a demandé à Saül d’attaquer les Amalécites et de les éliminer jusqu’au dernier, d’appliquer le חֵרֶם (hérem), pratique qui consistait à interdire de garder quoi que ce soit en guise de butin. Il importe ici de rappeler que ce récit se déroule au XIe siècle avant notre ère. Comme beaucoup d’autres récits, il se tient dans un contexte de violence, de guerre, de vulnérabilité. Il se situe au cœur de la vie humaine, de ses conflits, de ses horreurs. Il nous parle dans notre histoire. Dans ce contexte, le hérem, l’interdit, l’anathème, était une manière de limiter la guerre : ne pas la faire pour piller, pour s’enrichir, ne pas prendre de butin, ne rien garder des vaincus, revenir les mains vides : on ne devait faire la guerre qu’en cas de nécessité vitale.

Recevoir ce récit de manière symbolique, c’est ne pas y entendre un appel à éliminer des personnes mais un appel à s’engager à fond contre le mal, pour la vie. Et ce qui est vital, c’est que le mal absolu soit éliminé de manière absolue. C’est ce à quoi Saül a désobéi, puisqu’il a vaincu les Amalécites mais il a épargné leur roi et qu’il a emporté le bétail. Il a ainsi désobéi à Dieu, encore une fois.

Il a désobéi, mais plus encore il s’enferre dans un déni, un mensonge. Il commence à dire : « j’ai exécuté l’ordre du Seigneur » (v. 13), puis lorsqu’il ne peut nier qu’il a désobéi, il indique maladroitement que ce butin était en fait destiné à servir de sacrifice à Dieu, puis il tente de se dédouaner en accusant son peuple d’être coupable de cela (v. 15 et 21). Puis il avoue qu’il a aussi épargné le roi des Amalécites (v. 20). Puis quand enfin il reconnait sa culpabilité, il tente de la mettre sur le compte de sa crainte du peuple (v. 24). Et, comme un lapsus révélateur, il parle deux fois de Dieu en disant à Samuel : « ton » Dieu » (v. 15 et 21).

C’est tout cela que Dieu regrette. Le fait que Saül, à qui il avait donné sa confiance, a trahi à plusieurs reprises cette confiance. Saül a été choisi, il était porté par l’appel de Dieu, appelé à servir Dieu, à être responsable du peuple de Dieu. Mais le pouvoir, ou le narcissisme – ou les deux – l’ont détourné de Dieu. Il a oublié l’essentiel : Dieu et sa parole. Il s’est trompé. Il a trompé Dieu, il s’est trompé de route, il a ainsi trompé le peuple, il s’est même trompé lui-même.

Dieu ne se trompe pas mais l’être humain, lui, peut tromper et se tromper. L’erreur est humaine. Dieu le regrette, mais nous, le regrettons-nous ? Suite à ma prédication d’il y a 15 jours sur le discernement, un membre de notre paroisse m’a écrit un « Plaidoyer pour le droit à l’erreur ». Il m’y écrit ceci : « L'erreur est humaine. Elle a d'ailleurs des vertus pédagogiques, à condition de ne pas la répéter. […] Moi-même, qui ai commis un certain nombre d'erreurs dans ma vie, avais proposé de publier nos erreurs [professionnelles] pour que personne ne puisse les reproduire. Opposition de tous mes confrères, avec de bons arguments pour cacher la vérité. » Oui, l’erreur est inévitable, et elle permet de progresser quand on en tire les leçons. Mais on préfère continuer à se tromper. L’exemple de Saül est un miroir terrible. Il s’est trompé, mais il n’en a pas tiré les leçons, il a recommencé et il s’enferre dans l’erreur. Ce qui est en question ici, c’est sa fidélité, sa juste place, sa confiance, sa responsabilité.

Le discernement n’est pas une science exacte. Il peut y avoir des erreurs de discernement. Il y a aussi des réponses à l’appel qui ne tiennent pas sur la longueur, des personnes qui changent, des situations qui évoluent, et ce qui au départ fonctionnait ne fonctionne plus. Quand Dieu appelle, il ne manipule pas des fils comme un marionnettiste, il invite à une réponse, ce mot qui a le même racine que responsabilité. Il offre sa parole, sa présence, son esprit pour que l’on puisse s’appuyer sur lui. Mais il laisse libre et parfois, souvent, l’être humain l’oublie. Ici, Dieu regrette, mais pas Saül. Comme nous bien souvent, ce dernier s’enferme dans sa fierté, à tel point qu’il demande à Samuel de l’honorer devant les anciens et le peuple d'Israël ! Alors, si Samuel lui pardonne et l’honore, il se prosternera devant Dieu. Il reste orgueilleux, exige avant de donner, inverse les choses, alors qu’il devrait commencer par faire ce qu’il n’a pas fait à plusieurs reprises : se prosterner devant le Seigneur, suivre sa Parole, lui faire confiance, l’écouter. L’histoire de Saül, comme toute la Bible, comme toute notre vie, résonne de cet appel de Dieu qui donne sa confiance, et de l’être humain qui répond « oui » sans pour autant devenir responsable, sans tirer leçon des erreurs, sans se dire « je ferai mieux la prochaine fois ».

Dieu ne se trompe pas mais l’être humain le trompe et se trompe. Quelles conséquences à cela ?

 

3. Dieu ouvre un avenir

Double conséquence dans notre récit.

Pour Saül d’abord, conséquence terrible. Samuel, dans sa colère, lui annonce que Dieu lui retire la royauté. Samuel s’avance trop, car Saül va rester roi jusqu’à sa mort, mais on peut comprendre que Samuel s’emballe, lui qui est très affligé du comportement de Saül, en colère et triste. Samuel m’émouvait au début de notre récit quand il criait toute la nuit contre Dieu, et en son centre quand il refusait que Dieu puisse changer d’avis ; il m’émeut encore ici quand il déborde de larmes. Au premier verset du chapitre qui suit, Dieu dit à Samuel : « jusques à quand pleureras-tu sur Saül ? » (16, 1). Paul Beauchamp, exégète jésuite, commentait ainsi : « on ne peut s’empêcher d’imaginer que Dieu reproche à Samuel de pleurer sur la chute de Saül pour ne pas lui montrer qu’il pleure en même temps que lui »[1].  Le Seigneur regrette d’avoir donné la royauté à Saül et il va désigner quelqu’un d’autre pour lui succéder. Dès le chapitre suivant le jeune David va être choisi par Dieu. La suite du règne de Saül sera difficile, il va s’enferrer dans la désobéissance, puis dans la jalousie et l’amertume, allant même jusqu’à chercher à tuer David, le choix de Dieu. C’est dur pour Saül, qui refuse que l’appel de Dieu continue à résonner dans sa vie. L’histoire de Saül est triste, comme sont tristes les temps où, personnellement ou collectivement, nous allons vers la catastrophe en oubliant la parole de Dieu.

Triste nouvelle pour Saül. Mais pour le peuple, c’est une bonne nouvelle. Celui qui, désigné roi par Dieu pour prendre soin du peuple, est devenu un autocrate qui s’est éloigné de Dieu jusqu’à se compromettre avec le mal, pour le malheur du peuple. Alors, Dieu lui retire sa fonction pour la confier à quelqu’un de plus fiable ; cela est gage d’espérance car cela ouvre à l’avenir. Ce chapitre se trouve à la charnière d’un nouveau départ. Dans la parole de Dieu, tout peut toujours s’ouvrir, repartir, espérer à nouveau.

En ce premier dimanche de l’Avent, cela résonne pour nous comme une bonne nouvelle. L’histoire de Saül consonne avec tant d’espaces et de périodes de l’histoire humaine, avec tant de lieux et de moments de nos histoires personnelles. Mais, comme le dit ce récit, comme le dit toute la Bible, Dieu ouvre des espaces là où on le trompe, là où nous trompons les autres, là où nous nous trompons nous-même. Dieu ne se trompe pas, sa parole est fiable, son appel vivant, son avenir ouvert.

David va être appelé et, bien qu’il ne soit pas quelqu’un de parfait – loin de là –, il va garder sa confiance en la parole de Dieu et, quand il se trompera – parfois gravement –, toujours il le regrettera, permettant à l’histoire d’avancer. Puis les prophètes annonceront un descendant de David qui viendra définitivement ouvrir le temps de la confiance en la Parole de Dieu et en sa force de vie ; une personne qui recevra l’onction, qui sera ointe – cela se dit « Messie » en hébreu, « Christ » en grec. Pour les chrétiens, ce Messie se trouve en Jésus de Nazareth. Jésus le Christ.

Ce temps de l’Avent nous rappelle que la longue espérance du peuple biblique s’est développée dans les douleurs de l’histoire. Il nous donne l’occasion de nous placer dans cette espérance pour que le Christ, déjà venu, vienne encore et encore dans notre monde et dans notre vie, jusqu’au jour où nous le verrons en plénitude dans le Royaume de Dieu.

Dieu ne s’est pas trompé en choisissant Saül mais Saül a trompé Dieu. Dieu ne se trompe pas en nous appelant à le suivre. Mais quand nous le trompons, nous savons en Jésus-Christ que son regret est ouverture vers des temps de recommencement, de renouvellement, de résurrection. Puissions-nous, malgré nos erreurs, continuer à le suivre joyeusement, à passer avec lui du cri au chant, des larmes au rire, du présent à l’à venir.

Amen.

 

 

[1] Paul Beauchamp, Cinquante portraits bibliques, Paris, Seuil, 2000, p. 116.