Attention, parabole à haut risque ! — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Attention, parabole à haut risque !

Parabole à haut risque - Prédication EPUPL

Texte de la prédication du dimanche 15 novembre 2020, par le pasteur Christian Baccuet (culte vidéo).

Lecture : Matthieu 25, 14-30

 

Attention… c’est une parabole à haut risque que nous venons d’entendre !

                                             

1. Le risque de mal comprendre

Le premier risque, c’est celui de passer à côté du texte. « Évangile » signifie « bonne nouvelle », et voilà une parabole qui met en scène un maître, figure de Dieu, qui revient demander des comptes à ses serviteurs, et qui semble les récompenser ou les punir en fonction de ce qu’ils ont fait de l’argent qui leur était confié. Bonne nouvelle pour ceux qui ont réussi à faire fructifier l’argent, mais mauvaise nouvelle pour le troisième, ce malheureux qui, par prudence, a mis de côté l’argent pour le rendre intact. Il encourt la colère du maître, la confiscation de la somme, il est jeté dans les ténèbres du dehors, là où seront les pleurs et les grincements de dents !

Cette parabole est-elle une histoire de règlements de comptes ? Peut-elle alors s’appeler « bonne nouvelle » ? Quel est ce Dieu présenté de manière si menaçante, qui exige, qui vient vérifier, qui retire à celui qui n’a pas, qui est un homme, dur, sans pitié pour le troisième serviteur conduit par la peur ? L’impression laissée par une lecture rapide de cette parabole pourrait laisser croire que Dieu nous juge et nous punit.

Cette impression n’est pas nouvelle. Elle est même très ancienne, puisque c’est celle de ce troisième homme de la parabole. Il enfouit sous terre l’argent de son maître. C’était à l’époque la précaution minimale contre le vol ; le droit juif dégageait, en cas de vol, la responsabilité de celui qui avait pris cette précaution. Quand revient son maître, il n’a pas de gain à lui présenter. Ce n’est pas qu’il soit rebelle ou profiteur. Il est honnête, prudent. Mais il a eu peur : « je savais que tu es un homme dur », dit-il. Cette peur l’a empêché de prendre des risques avec l’argent confié, et l’a laissé être dominé par un seul souci : celui de pouvoir se justifier en remboursant la somme sans qu’il n’y manque rien. Il a été victime de sa mauvaise relation au maître. Alors le maître poursuit la logique de cet homme : puisque tu crois que je suis un maître qui moissonne là où il n’a pas semé, qui ramasse où il n’a rien répandu, c’est-à-dire qui profite des autres, alors, dans ta logique, je te retire ce que tu as pour le confier à celui qui a dix talents. Et toi, puisque tu as peur de Dieu, alors, dans ta logique, va vivre sans lui, là où sont « les pleurs et les grincements de dents » (manière hébraïque de dire l’absence de Dieu).

Vivre est toujours un risque : celui de passer à côté de la bonne nouvelle, celui de se tromper sur Dieu et sur nous-mêmes, comme ce troisième serviteur. Celui d’être paralysé par une fausse compréhension qui nous éloigne de l’Ecriture, ou qui nous y enferme dans une mauvaise relation. Pourtant, si Jésus me donne cette parabole, avec toute son exigence et toutes mes craintes, c’est pour me parler de moi. Pour me révéler à moi-même. C’est pourquoi j’ai besoin de me cogner à ce texte pour dépasser mes premières réactions, et tenter de comprendre la grâce et l’exigence de l’Evangile, comme un avertissement et un encouragement pour moi. La découverte qu’il est des risques porteurs de vie.

 

2. Dieu se risque lui-même

Le plus grand risque dans cette parabole est celui que prend le maître en confiant une somme d’argent énorme à ses serviteurs. Il part, laissant ses serviteurs dans un temps de responsabilité et de fidélité. Il leur confie ses biens et les laisse libres de leur usage. Dans sa bonté et sa perspicacité, il donne à chacun selon ses capacités. Il ne fait pas comme certains managers modernes qui confient à celui qu’ils veulent faire craquer plus qu’il ne peut faire.

Mais il donne des sommes considérables. Un « talent », ce n’est pas une qualité enfouie au fond de nous, ce n’est pas un don artistique ou humain ; cette parabole a souvent été mal comprise si on l’entend sur ce plan-là, car elle devient simple appel moral à développer ce que nous avons au fond de nous. Le « talent », ici, c’est une unité monétaire en cours dans la Proche-Orient antique. C’est une somme d’argent énorme. Un « talent » vaut le salaire d’environ 6 000 journées d’un travailleur agricole ! Plus de 16 ans de salaire ! Celui qui reçoit 5 talents reçoit ce qu’il gagnerait en 82 ans de travail… vous ferez le calcul chez vous avec vos propres revenus.

Il y a une part de folie de la part de cet homme à confier de telles sommes à des hommes qui ne sont pas tous fiables ! Mais la générosité de Dieu est souvent proche de la folie ! Le verbe grec « paradidomi » (παραδίδωμι), employé ici pour dire que le maître a « confié » sa richesse, est le même qui dit, ailleurs dans le même Evangile, que Jésus a été « donné », « livré ». C’est le même verbe qu’emploie Paul pour dire que l’Evangile nous a été « donné », « transmis ». Ce que Dieu nous donne, c’est Jésus-Christ, l’Evangile, la bonne nouvelle, le Royaume, sa grâce, son pardon, son amour, sa présence. Les dons que Dieu nous donne en Jésus-Christ sont immenses : don de la foi, de la parole, de l’amour, de l’espérance. Richesses fabuleuses qu’il nous confie. Puis il s’en va, il nous laisse avec confiance, libres et responsables de cette richesse de la foi.

Celui qui prend des risques, dans cette histoire, c’est Dieu ! Le risque de la confiance, c’est d’abord Dieu qui l’assume pour nous, en nous faisant confiance.

 

3. Risquer la confiance

Et cette confiance est source d’un risque positif : celui que peuvent prendre les hommes qui ont compris cette confiance, qui la prennent avec eux. Les deux premiers, « aussitôt » précise le texte, investissent l’argent, le gèrent habilement, et doublent la mise. Portés par la grâce, ils font fructifier les dons de Dieu. Cette confiance est contagieuse. Quand le maître revient, il leur dit cette phrase que nous aimerions tous nous entendre dire un jour : « C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai »... En peu de choses ! L’expression est provocante devant la somme confiée. Elle suggère l’immense richesse du maître, mais surtout permet le contraste avec la promesse faite au serviteur : « sur beaucoup je t’établirai ». « Tu as été fidèle » : c’est la même racine que le mot « foi », ou « confiance » – « pistis » en grec (πίστις) – ; ils ont accompli fidèlement leur tâche parce qu’ils y croyaient, ils ont confiance en leur maître. C’est pourquoi celui-ci peut les inviter à participer à son royaume : « Entre dans la joie de ton maître ». Là où, pour le troisième serviteur qui a mal compris qui était Dieu, la logique de la peur menait à la mort, pour ceux qui se sont laissés aller au risque de la foi la logique de la confiance mène à la vie.

La pointe de la parabole est là : dans quelle relation à Dieu je me trouve, de quelle manière je vis avec le don de la grâce ? Est-ce que je vis dans la fidélité comme les deux premiers serviteurs, qui ont confiance en leur maître et peuvent prendre les risques qui leur permettent de faire fructifier leurs dons ? Ou bien est-ce que je suis paralysé par la peur, incapable de prendre le moindre risque, essayant de garder l’Evangile sans le mettre en pratique, accroché à mon avoir, mais courant vers la perte de ce que j’ai ? C’est finalement la question centrale de la parabole : est-ce que je suis prêt à risquer les dons reçus du Seigneur en les confiant à autrui ?

 

4. Un risque joyeux

Le risque pour nous, finalement, c’est de comprendre cette parabole, de com-prendre (prendre avec nous) l’Evangile, d’être pris par le Christ. C’est un risque joyeux en ces temps de crise, de virus, d’attentats, d’avenir de la planète, quand nous guettent peur et repli. Le risque de la foi à vivre, de l’amour à partager, de l’espérance à déployer.

Jésus nous a donné la foi, sa confiance, sa parole libératrice, sa présence, ce trésor à partager avec tous les êtres humains. Et nous sommes souvent enfouis sous terre, cachés dans nos temples, repliés sur notre intériorité, avec la peur d’avoir un témoignage clair de l’Evangile. Préférons-nous garder pour nous la bonne nouvelle plutôt que prendre le risque de la partager ?

Jésus nous a donné l’amour, il l’a vécu et manifesté, il s’est mis au service de chacun. Nous profitons de cet amour, mais parfois de manière égoïste, alors que tout acte d’amour envers un autre contribue à répandre l’amour de Dieu, à le multiplier, à le faire fructifier. Avons-nous peur du don à fonds perdu, de l’engagement dans l’amour et le service, peur peut-être du ridicule, d’être traités de naïfs ou d’utopistes ?

Jésus nous a donné l’espérance, le Saint-Esprit qui nous envoie en mission, qui peut guérir des malades, chasser des démons, faire sauter toutes les fatalités et advenir l’impossible. Nous enfermons-nous dans le pessimisme, le fatalisme, enfouissons-nous l’Evangile sous la routine ou la torpeur de nos vies ?

Mais une vie de foi, une existence chrétienne, une Eglise qui se figent dans la conservation figée du message, qui redoutent d’encourir les critiques, qui reculent devant une prédication trop incisive ou un engagement dans ce monde, qui évitent d’aller à l’encontre de certaines idées reçues en matière de religion ou de morale, ne s’exposent-elle pas à voir confier à d’autres l’Evangile dont elles prétendent vivre ? Nous voilà appelés à une foi libre et adulte, heureuse de la confiance que Christ met en nous, capable de prendre les risques de la foi, ouverte sur le monde, partageant ce qu’elle a reçu, multipliant le pain de la vie !

Parabole à haut risque. Le risque de vivre et partager notre confiance dans ce Dieu de Jésus-Christ qui désire tellement nous faire entrer dans sa joie qu’il nous fait don de toute sa confiance. La bonté de Jésus en nous racontant cette histoire, c’est de nous inviter à prendre le risque de vivre, de croire, d’aimer, d’espérer, de partager, de nous émerveiller devant la force de l’Evangile, la multiplication des pains, la démultiplication de l’amour, la moisson qui réussit, la résurrection accomplie, la confiance qui se répand ! Entendre la parole de Dieu pour nous aujourd‘hui : « Viens te réjouir avec moi » !

Amen.