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La recette du bonheur

Texte de la prédication du dimanche 24 mars 2024 - dimanche des Rameaux - par le pasteur Christian Baccuet

 

La recette du bonheur

 

Prédication du dimanche 24 mars 2024 - dimanche des Rameaux - par le pasteur Christian Baccuet

 

Lectures bibliques :

  • Jean 12, 12-19
  • Jean 15, 1-12

 

Matin : baptême d’Erwann, 4 mois.

 

 

Voulez-vous connaître la recette du bonheur ? 

Je vous préviens tout de suite, je vais vous décevoir ! Mais j’espère que l’Evangile, lui, ne va pas vous décevoir. Moi je vais vous décevoir, car je n’ai pas la recette du bonheur.

D’ailleurs c’est quoi le bonheur ? Chacun de nous pourrait répondre à cette question, il y aurait sans doute des points communs mais aussi des différences, car chacun de nous a des expériences différentes, des conceptions différentes, des manques différents, des attentes différentes… une définition du bonheur qui est singulière, subjective. Et sans doute, selon les périodes de notre vie, nous n’avons pas toujours la même conception.

Et même si on arrivait à définir le bonheur, y aurait-il une recette pour l’obtenir ? Des ingrédients, une méthode ? Cela se saurait déjà ! Et, entre nous, je crois qu’il faut nous méfier des marchands de bonheur, de ceux qui ont des recettes toutes prêtes !

Alors, déception ? Vous êtes venus pour avoir la recette du bonheur, et je vous dis qu’il n’y en a pas. Promesse mensongère que le titre de cette prédication ?

Ne partez pas tout de suite ! Laissons l’Evangile résonner en cet espace de notre quête de bonheur. Car même si aucune définition ne peut l’enfermer, si aucune recette ne peut le garantir, le bonheur est une aspiration profonde de nos vies. Etre en accord avec soi-même, en bonne relation avec les autres, servir à quelque chose dans ce monde.

Et les paroles de Jésus nous parlent en cet endroit de notre vie. Pour la septième et dernière fois dans l’évangile de Jean, Jésus dit « Moi, je suis ». Il a dit : « Je suis le pain de la vie » (Jean 6, 35), « Je suis la lumière du monde » (Jean 8, 12), « Je suis la porte » (Jean 10, 9) et « Je suis le bon berger » (Jean 10, 11), « Je suis la résurrection et la vie » (Jean 11, 25), « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14, 6). Chaque fois, il dit une dimension fondamentale de lui, qui ouvre des perspectives essentielles pour ses disciples.

Aujourd’hui : « Je suis la vraie vigne ».

 

1. Une relation

C’est une belle image, image claire, en quatre dimensions : le cep, les sarments, le vigneron, les fruits.

Le cep de vigne c’est un tronc, avec ses racines. Cela évoque ce à quoi nous sommes rattachés, ce dont nous venons, ce qui nous porte. Dans cette image, le cep de vigne c’est le Christ : « Je suis le cep de vigne », dit-il.

Sur le cep, il y a les sarments, les rameaux, les branches. Ce qui pousse sur le tronc et prend sa sève de lui.  Dans l’image que donne Jésus, les sarments c’est nous : « Vous êtes les sarments ». Plusieurs sarments sur un cep de vigne, nous ne sommes pas tout seul, il y a d’autres sarments autour de nous, un foisonnement de branches qui dit la diversité de nos parcours personnels et communautaires. A partir du même tronc, différentes branches. A partir du même Christ, des vies singulières. En élargissant l’image, on pourrait dire aussi : à partir du même Christ, différentes traditions, dénominations, Eglises.

Au-dessus de la vigne, penché sur elle, le vigneron. Celui qui, jour après jour, prend soin de la vigne, qui veille sur elle, l’entretient, taille, émonde, coupe les sarments secs pour que les bons sarments puissent respirer et pousser. Dans l’image que donne Jésus, le vigneron est Dieu ; « mon Père », dit Jésus. Pas un Dieu qui, parmi nous, enlève les mauvais croyants pour garder seulement les bons. Un Dieu qui, penché sur chacun de nous, dans son regard d’amour, nous aide à ce que les branches stériles de notre vie n’étouffent pas celles qui sont belles et pleines de promesse. Un Dieu vigneron qui, comme un Père, nous aide à grandir, pousser, nous épanouir… pour que nous puissions porter du fruit.

Au bout des branches nourries par la sève qui vient du tronc et taillées par le vigneron, apparaît le fruit. Une espérance, ce qui est au-delà de nous, ce que nous pouvons donner, partager. Six fois dans notre passage revient l’expression « porter du fruit ». C’est un enjeu majeur de ces paroles de Jésus. Ce que nous pouvons déployer de nous-mêmes. Dans le contexte de ce texte, le fruit c’est l’amour, la paix, la joie. L’amour, en grec « agapé », qui est n’est pas un amour sentimental mais un engagement de respect, de solidarité envers les autres (v. 9-10 ; 12-13 ; 17). La paix qui, dans sa résonnance hébraïque – « shalom » –, est un état de plénitude et de justice (Jean 14, 27 ; 16, 33). La joie, en grec « chara », que l’on retrouve dans « eucharistie », joyeuse action de grâce (v. 11).

Belle image que celle de la vigne : portés par le tronc, entourés d’autres sarments, nourris de l’amour du vigneron, nous pouvons donner des fruits d’amour, de paix, de joie.

Ce n’est pas le bonheur, ça ? Un bonheur qui a une dimension relationnelle. Cette belle image est pourtant une image polémique, qui traverse la question du malheur.

 

2. Une dynamique

L’image de la vigne n’est pas une image inventée par Jésus. Dans l’Ancien testament, la « vigne » ce n’est pas que l’image naturaliste du quotidien paisible. C’est le symbole du peuple de Dieu. Le peuple de Dieu est la vigne du Seigneur. Quand Jésus utilise cette image, sa parole renvoie à des paroles prophétiques. Ecoutez par exemple le prophète Esaïe, qui écrit au VIIIe siècle avant notre ère :

« Mon ami avait une vigne sur un coteau fertile. Il en avait travaillé la terre, enlevé les pierres ; il y avait mis un plant de choix, bâti une tour de guet et même creusé un pressoir. Il espérait que sa vigne produirait de beaux raisins, mais elle n'a rien donné de bon. « Eh bien, dit mon ami, vous qui habitez Jérusalem, vous les gens de Juda, c'est à vous de juger entre ma vigne et moi. Que faire de plus pour elle, que je n'aie déjà fait ? J'espérais d'elle de beaux raisins, elle n'a rien donné de bon. Pourquoi ? Maintenant, je veux vous dire ce que je ferai à ma vigne : J'arracherai la haie qui l'entoure et les troupeaux y brouteront. J'abattrai son mur de clôture, et les passants la piétineront. Je ferai d'elle un terrain vague : personne ne la taillera, personne ne l'entretiendra ; les épines et les ronces y pousseront et j'interdirai aux nuages de laisser tomber la pluie sur elle. » La vigne du Seigneur de l'univers, c'est Israël. La plantation qu'il chérissait, c'est le peuple de Juda. Le Seigneur espérait d'eux qu'ils respecteraient le droit, mais c'est partout l'injustice et le passe-droit ; il attendait la justice, mais c'est partout les cris de détresse et d'injustice. » (Esaïe 5, 1 à 7).

Parole dure ! La vigne que Dieu aimait, son peuple, a désobéi, rompu l’alliance, et Dieu a envie de la déraciner. Parole rude, que le prophète prononce alors que l’ennemi s’avance et que l’exil, bientôt, va être la réalité. En 722 avant notre ère, le Royaume d’Israël – royaume du Nord – sera déporté à Ninive la capitale assyrienne, puis en 586 celui du Sud, le Royaume de Juda, sera déporté à Babylone.

Malheur qui trouve sa source dans « l’injustice et le passe-droit », dit le prophète. Combien cela résonne encore : on voit bien que quand, dans une société, se développent l’injustice et les passe-droits, la souffrance et la colère montent, et la violence et l’effondrement menacent. Malheur qui appelle à un sursaut, à une repentance, à un changement de comportement. C’est le rôle du prophète que de dire : revenez à Dieu, c’est-à-dire pratiquez la justice et l’équité.

Jésus reprend cette image pour ses disciples, mais plus paisiblement : la vigne n’est pas déracinée mais elle est taillée, entretenue… Jésus l’ouvre à une dimension de pardon, de confiance, d’espérance. L’image, en Jésus, ne transpire pas de colère mais respire d’amour, de paix, de joie.

Et elle comporte une nouveauté : « Je suis la vigne », dit Jésus.  « Je suis » la vigne, c’est une rupture. Ce qui fait la vigne du Seigneur, ce n’est plus l’appartenance à une histoire, un peuple, une tradition… c’est une relation de lien fort à Jésus-Christ, lui qui demeure dans l’amour du Père et qui nous donne d’en vivre à notre tour.

Cette rupture est forte et les forces qui s’opposent à l’amour, à la paix et à la joie de Dieu vont bientôt se déchaîner. Aujourd’hui, dimanche des « Rameaux », nous nous souvenons de l’entrée de Jésus à Jérusalem (Jean 12, 12-19). Il y entre assis sur un ânon, en écho au prophète Zacharie qui écrivait quelques siècles plus tôt : « Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion ! Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d'une ânesse. À Éfraïm, il supprimera les chars de combat et les chevaux, à Jérusalem ; il brisera les arcs de guerre. Il établira la paix parmi les pays ; il sera le maître d'une mer à l'autre, depuis l'Euphrate jusqu'au bout du monde. » (Zacharie 9, 9-10). Il entre à Jérusalem comme le Messie, celui qui vient de la part de Dieu, porteur de la paix pour le monde entier, ouvrant un temps de bonheur. Ce jour-là, il est accueilli par la foule en fête. Mais quelques jours plus tard, les grands-prêtres crieront devant Pilate « crucifie-le, crucifie-le ! » (Jean 19, 6 et 15).

Entre les Rameaux et le Vendredi saint, entre la joie et la mort, ces paroles de Jésus : « Moi je suis la vigne ». Dans le contexte de la Passion, de l’hostilité, de la mort. Parler d’amour, de paix et de joie, ce n’est ainsi pas de la naïveté, du déni de la réalité, de la fuite hors de l’histoire. C’est au contraire au cœur des douleurs de ce monde que parle cette image, comme un refus de se laisser aller au pessimisme, au défaitisme, au renoncement. C’est une vraie force.

Cela dit quelque chose du bonheur. Pas de la mièvrerie mais un engagement, pas le déni de la souffrance, de l’injustice et du mal, mais l’élan pour les combattre. Ici je pense au texte biblique qui porte sans doute le plus directement le bonheur comme une espérance qui met en route : les Béatitudes, prononcées par Jésus au début du discours sur la montagne, dans l’évangile de Matthieu :

« Heureux ceux qui sont humbles de cœur, car le royaume des cieux est à eux !

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés !

Heureux ceux qui sont doux, car ils recevront la terre en héritage !

Heureux ceux qui ont faim et soif d'un monde juste, car ils seront comblés !

Heureux ceux qui sont pleins de bonté pour les autres, car on sera plein de bonté pour eux !

Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu !

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés enfants de Dieu !

Heureux ceux qu'on persécute à cause de leur combat pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ! » (Matthieu 5, 3-10).

« Heureux », dans la résonnance hébraïque, n’exprime pas un état doucereux, béat, naïf, mais appelle à un élan de vie, comme on dirait « debout », « en route » ! On n’est pas heureux parce qu’on pleure ou qu’on est persécuté… on est appelés à se relever ! Cet appel à une dynamique de vie retentit au cœur de la Passion, au creux de la violence ; la résurrection jaillit de la croix, le bonheur fait exploser le malheur. Chercher le bonheur, au cœur de la dureté de ce monde, c’est se lever pour agir dans l’amour, la paix et la joie, pour plus de justice et de partage. Le bonheur est une dynamique de vie.

 

3 – Une disponibilité

Mais le monde est dur et il n’est pas facile de vivre et partager ce bonheur. C’est pourquoi les paroles de Jésus nous parlent à cet endroit : comment vivre ce bonheur ? Y a-t-il une recette ? Eh bien… oui !

Jésus nous la donne dans ce récit. L’expression « porter du fruit » revient six fois, et dix fois le verbe « demeurer » : « La personne qui demeure unie à moi, et à qui je suis uni, porte beaucoup de fruits », dit Jésus. Ce verbe « demeurer » peut se traduire aussi par « rester », « prolonger », « loger », « attendre », « persévérer ». C’est un verbe de lien fort, un verbe dynamique, un verbe de relation, dans le prolongement des Béatitudes.

Pour porter des fruits d’amour, de paix et de joie, dans ce monde qui en a tant besoin, il faut que nous en soyons emplis. Et pour en être emplis, il nous faut demeurer en Christ, il suffit de rester attaché à lui. C’est-à-dire laisser fructifier en nous la sève qui vient du tronc, laisser le vigneron enlever nos branches mortes. Rester disponibles à la grâce de Dieu en nous, à l’Evangile du Christ, à la force de l’Esprit Saint.

Et comment ? Ce n’est pas bien compliqué. C’est une recette à la portée de tous. Demeurer en Christ, c’est une disponibilité tranquille, c’est aussi un effort, car la tendance à s’éparpiller nous guette sans cesse. Il nous faut résister à ce qui nous détache du Christ.

Et pour ce faire, tout simplement, nous sont donnés la prière, la Bible et le culte. La prière pour être à l’écoute de Dieu ; non pas un rituel, non pas une abondance de paroles, mais une mise en disponibilité à la rencontre de Dieu en nous. La Bible, ce trésor d’histoires et de paroles qui nous disent Dieu à la rencontre de notre humanité, comme il l’a été dans la vie d’hommes et de femmes qui y rapportent leur expérience de croyants et nous invitent à mettre nos pas dans les leurs. Le culte, pour retrouver des frères et des sœurs en quête comme nous de sens, d’amour, de paix, de joie, et qui les trouvent dans la communion les uns avec les autres nourrie par la communion en Christ, autour de la table où il se donne à nous et qui nourrit la fraternité entre nous et par nous dans ce monde.

Prier, lire et méditer la Bible, se ressourcer au culte. La recette est simple. Elle peut se vivre seul à seul avec Dieu et ensemble en communauté, l’une et l’autre dimensions se nourrissant mutuellement. La prière, l’écoute de la Bible et le culte nous aident à demeurer en Christ, comme lui demeure en nous.

Et alors nous pouvons porter du fruit. Etre ensemble signes, instrument et avant-goût du Royaume, dans ce monde. Comme nous le sommes ce matin pour Erwann, témoins de son baptême qui lui dit l’amour de Dieu pour lui, la paix qu’il lui donne de vivre et la joie qu’il lui propose de partager.

Demeurer en Christ pour porter du fruit. Le bonheur est une disponibilité à recevoir l’Evangile, à en vivre et à le partager. C’est ce qu’exprime cette très belle phrase qui figure dans la Règle des Sœurs de Pomeyrol :

« Ne cherche pas à faire le bien ; sois en Dieu et le bien tombera de toi comme le fruit mûr tombe de l’arbre ».

Amen.