Une histoire de désir — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Une histoire de désir

Texte de la prédication du dimanche 18 septembre 2022, par le Pasteur Christian Baccuet.

Une histoire de désir

 

Lecture : 1 Samuel 1, 1-20

 

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

Pentemont-Luxembourg, 18 septembre 2022. Culte de rentrée.

Matin : baptême de Louis, 2 ans et demi, Azélie, 2 ans et demi, et Basile,6 mois.

 

 

 

Aujourd’hui, c’est notre culte dit « de rentrée », quand va reprendre le rythme régulier de toutes nos rencontres. Un temps de fête pour notre Eglise ! Aujourd’hui, trois petits enfants viennent d’être baptisés. Un temps de fête pour toute l’Eglise ! Aujourd’hui nous venons d’entendre un récit de douleur et de désir, un récit de prière et de bénédiction, un récit d’espérance. Un récit qui offre une perspective pour notre vie d’Eglise comme pour la vie de Louis, d’Azélie et de Basile. Un récit qui nous appelle à être, ensemble, signes, avant-goût et instruments de la grâce de Dieu.

C’est le début de l’histoire de Samuel, personnage important de l’histoire biblique, dont la vie se situe au 11ème siècle avant notre ère, dans une période difficile pour les tribus d’Israël qui sont relativement indépendantes les unes des autres et qui sont menacées par les Philistins. La nécessité d’être unis et solidaires est forte. Samuel va accompagner une transition importante entre le temps des Juges – nom donné alors au chef de guerre – et celui des Rois. Il est à la fois juge et prophète, porte-parole de Dieu.
Nous venons d’entendre le début de son histoire, ou plus exactement ce qui se passe avant sa naissance.

Un récit en trois temps, qui se situe il y a fort longtemps mais qui résonne directement pour nous, aujourd’hui !

 

1. Une douleur et un désir

Le premier temps est un temps de douleur et de désir.

Douleur de la situation d’Anne. Anne n’a pas d’enfant, ce qui dans la culture de son temps veut dire qu’elle n’a pas vraiment d’existence. Au-delà de sa souffrance personnelle, c’est alors une stigmatisation sociale. Elle en souffre aussi par les moqueries de l’autre épouse de son mari qui, elle, a des enfants.

Rappelons au passage qu’il y a plus de trois mille ans, la culture était très différente de la nôtre. Elkana a deux femmes, ce qui est alors tout à fait normal. La stérilité d’Anne est considérée comme une décision de Dieu, ce qui est une conception habituelle à cette époque. Et, en ce temps-là, on offre régulièrement à Dieu des sacrifices, comme le fait chaque année Elkana ; il se rend pour cela en famille au sanctuaire de Silo, qui est alors un lieu de pèlerinage, de rencontre entre les différentes tribus, car c’est en son sein qu’est conservée l’arche de l’alliance, coffre dans lequel étaient déposées les tables de la Loi reçues par Moïse sur le Mont Sinaï. Le récit s’inscrit dans un temps et une culture particuliers ; il ne nous est pas donné pour nous demander de reproduire un contexte social ou une vision théologique qui ne sont plus les nôtres. Il est là pour, dans une situation donnée, ouvrir un passage de vie.

Et cette situation, c’est la douleur et l’amertume d’Anne qui n’a pas d’enfant. Elle pleure et ne mange pas. Tout son corps, tout son être est enfermé dans cette souffrance. Anne est pleine de désir aussi, car elle veut une descendance, et elle s’accroche à ce désir malgré les années qui passent. Et elle n’est pas seule, puisque son mari l’aime profondément et prend soin d’elle. Le récit est très touchant. Quand Elkana fait un sacrifice, il donne une part d’honneur à Anne, en signe de son amour pour elle. Il se soucie d’elle : « Anne, pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ne veux-tu rien manger ? Pourquoi es-tu si triste ? Est-ce que je ne vaux pas mieux pour toi que dix fils ? » (v. 8). J’entends dans cette dernière question non pas un narcissisme démesuré, mais la belle déclaration d’un amour sans mesure. A tel point qu’Anne retrouve appétit !

Nous voilà, un peu plus de 3 000 ans plus tard, comme Anne, avec nos douleurs et nos désirs, nos rivaux et nos soutiens d’amour. Son histoire résonne dans nos vies personnelles, et aussi dans notre vie d’Eglise. Notre vie d’Eglise est pleine de désir. Désir de rencontres et de partage, de ressourcement et de de témoignage, d’accueil et de service. Elle est aussi pleine de limites. Il peut y avoir des rivalités en son sein, il peut y avoir la douleur de ne pas être plus féconds dans notre manière de vivre et de partager l’Evangile. Il y a tant de problèmes dans notre société, autour de nous, que nous nous sentons parfois impuissants. Il y a tant d’amour aussi, tant de paroles et de gestes de soutien qui remettent debout, redonnent appétit, redonnent goût à la vie !

Pleins de désir, de limites et d’amour, ensemble, dans cette paroisse, nous sommes comme Anne. Anne, dont le nom, en hébreu, veut dire « grâce », « faveur » ; il vient du verbe Hanan (חָנַן), qui veut dire « être miséricordieux », « montrer de la faveur », « avoir pitié », « être pris en considération »…

Dans la réalité de ce que nous sommes et vivons, avec nos douleurs et nos désirs, avec notre amour et notre espérance, nous sommes signes de grâce.

 

2. Une prière et une bénédiction

Signes de grâce, car l’histoire d’Anne n’est pas figée dans la situation où elle se trouve. Elle a en elle un élan qui la porte à voir plus loin.

Elle l’exprime dans la prière qu’un jour elle ose faire dans le sanctuaire de Silo. Dans l’amertume et les larmes, elle demande à Dieu une descendance. Un avenir, une espérance. Elle le fait, dit-elle, « parce que mon cœur débordait de chagrin et d'humiliation » (v. 16). Du plus profond d’elle-même. Sa prière est l’expression de ce qu’elle est, de ce qu’elle vit, de ce dont elle souffre, de ce qu’elle désire. C’est une vraie prière, dans le sens où toute sa personne est prise dedans. Elle l’ose, parce que ce n’est pas toujours facile de puiser au fond de soi quand on est découragé. « Seigneur, Dieu de l'univers, vois combien je suis malheureuse ! Ne m'oublie pas, aie pitié de moi ! » (v. 11).

Elle l’ose, en le faisant à contre-temps de ce qui se fait normalement, selon les critères de son époque. Habituellement, c’est l’homme qui prie dans le sanctuaire, et pas la femme. Habituellement, l’homme prie à haute voix, devant tout le monde. Elle, une femme, elle prie… et le fait en silence. C’est pourquoi le prêtre Héli, qui la regarde, croit qu’elle est ivre, qu’elle une femme de rien, le lui reproche et essaie de la chasser. Elle prie malgré les obstacles culturels, humains, religieux même.

Elle prie en silence, dans son cœur. Sa prière n’est pas démonstration, elle est échange de cœur à cœur avec Dieu.  Et dans cette prière, dans sa demande, elle ose un geste de don, une promesse à Dieu : « Si tu me donnes un fils, je m'engage à le consacrer pour toujours à ton service ; ses cheveux ne seront jamais coupés » (v. 11). Ne jamais se couper les cheveux est, dans la culture de son temps, un geste de consécration à Dieu. Elle demande un fils, et si elle le reçoit elle s’engage à le donner ! A se défaire de ce qui lui manque tant. A rendre à Dieu ce qu’il lui accordera. Quelle prière ! Je n’entends pas son « si » comme un chantage, mais comme la marque d’une confiance, d’un regard déjà porté sur la suite, d’une espérance déjà présente au fond d’elle-même. Une espérance qui se vit de cœur à cœur avec Dieu, dans cet échange de don, qui est le lieu de toute relation.  

Une espérance qu’elle vit concrètement. Quand le prêtre Héli comprend qu’elle n’est pas ivre mais qu’elle prie avec toute sa sincérité, il lui dit « Va en paix. Et que le Dieu d'Israël t'accorde ce que tu lui as demandé » (v. 17). Il ne la renvoie pas comme une malpropre, il l’envoie avec une bénédiction, une parole de paix, un appel à l’espérance. Un échange de parole puisqu’Anne lui répond : « Garde-moi ta bienveillance » (v. 18). Comme l’amour de son mari lui a redonné goût à la vie, la parole du prêtre la remet debout : « Anne s'en alla et accepta de manger. La tristesse avait disparu de son visage » (v. 19). La prière, du fond du cœur, au mépris des règles habituelles, malgré les obstacles, les moqueries et les incompréhensions, ouvre un espace d’avenir.

Notre vie d’Eglise a besoin de cette prière. Nous avons besoin, ensemble, d’être dans une relation de cœur à cœur avec Dieu. Parfois à contre-courant. Il peut être difficile, dans notre temps, de dire que l’on prie. Cela peut susciter incompréhensions et rires. Cela peut sembler perte de temps quand il y a tant à faire, à organiser, à programmer, à réaliser, comme si l’essentiel de la vie reposait sur nous. La prière, c’est prendre cet écart avec la pression de l’agir, pour être en disponibilité d’être. Etre avec soi-même, en vérité, être avec Dieu, de cœur à cœur, dans un échange de parole, de don, de présence. Etre dans un élan de confiance et d’espérance, attendre, et peut-être déjà voir au-delà de ce que l’on vit. Etre ensemble, dans la prière commune, au culte, en groupe, ou en faisant place aux autres dans sa propre prière, communauté d’espérance et de bénédiction, où l’on peut se dire les uns aux autres « Va en paix », « Garde-moi ta bienveillance ». Des hommes et des femmes déjà projetés au-delà de leur prière.

Comme Anne, nous sommes signes de grâce… et avant-goût de la grâce !

 

3. Un exaucement et une espérance

Et puis, dans ce récit, vient le temps de l’exaucement. La naissance d’un fils et, plus tard, encore trois fils et deux filles.

Ici se pose la grande question de l’exaucement de nos prières. Pour Anne, ce qu’elle désire est donné. Pour d’autres, cela ne marche pas ainsi. Ce n’est pas forcément ce que l’on demande que l’on reçoit, et c’est parfois douloureux. La prière n’est pas une commande. Son exaucement n’est pas forcément celui que l’on attend. Mais, toujours, s’exauce quelque chose de la relation à Dieu, aux autres, à soi-même ; toujours s’ouvre un espace. Parfois attendu, parfois surprenant, parfois déstabilisant, parfois inaperçu. Pour Anne, l’exaucement est direct. Et trois dimensions me touchent.

La première c’est que cet exaucement est le fruit à la fois d’un engagement humain – elle et son mari s’unissent – et d’une présence de Dieu qui se souvient d’elle. Ce n’est ni « moi tout seul », ni « Dieu, débrouille-toi ! ». C’est dans l’action ensemble, Dieu et elle, Dieu et nous, que l’avenir s’ouvre.

Deuxième dimension : Anne n’oublie pas ce qu’elle a prié ; dans les versets qui suivent, elle amène Samuel au sanctuaire, et il va grandir auprès d’Héli le prêtre, et il va recevoir sa vocation de prophète en y entendant l’appel de Dieu.  Ce n’est pas un abandon, c’est l’acceptation de le laisser aller à sa vocation. Le lien entre Anne et Samuel ne sera pas rompu, le lien avec le Seigneur se développera.

Troisième dimension : Anne, au chapitre deux, entonne un chant de louange, pour dire merci à Dieu. L’exaucement de sa prière n’est pas la fin de sa prière, elle est sa transformation en chant de reconnaissance. Ce chant est la matrice du chant que, mille ans plus tard, chantera la jeune Marie, quand elle sera enceinte d’un bébé qui s’appellera Jésus (Luc 1, 46-55).

Le bébé, ici, s’appelle Samuel. Prénom magnifique qui contient tout, puisqu’il est construit sur le verbe shama` (שָׁמַע) qui veut dire « écouter » et le mot ’el (אֵל) qui veut dire « Dieu ». Samuel, Shemuw’el (שְׁמוּאֵל), c’est celui qui écoute Dieu, ou celui que Dieu écoute. Son nom dit que Dieu a écouté la prière d’Anne, son nom dit qu’il écoutera la parole de Dieu.

Notre vie d’Eglise est comme Anne. Du fond de nos désirs et de nos douleurs, portés dans la prière du cœur et la bénédiction des uns pour les autres, nous sommes appelés à nous engager pour que l’espérance qui est en nous, avec l’aide de Dieu, surgisse de nos gestes, s’épanouisse en consécration et en louange, se développe dans la Parole de Dieu écoutée, vécue, partagée.

Nous sommes signes et avant-goût de la grâce… nous en sommes aussi les instruments !

 

C’est un beau projet pour l’année qui vient : être ensemble signes, avant-goût et instruments de la grâce de Dieu !

Amen.