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Lui faire de la place

Texte de la prédication du pasteur Christian Baccuet, lundi 25 décembre 2023.
Lui faire de la place

 

Pentemont, 25 décembre 2023. Culte de Noël.

Prédication du pasteur Christian Baccuet

 

Lecture biblique : Luc 2, 1-21

 

 

« Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle destinée aux voyageurs. »

 

1. Un monde plein

Quand Joseph et Marie arrivent à Bethléem, tout est plein. L’auberge est pleine, bien sûr, puisqu’il y a ce fameux recensement demandé par l’empereur Auguste. Comme chacun doit se faire enregistrer dans la ville de ses ancêtres, le village de Bethléem d’où est originaire le roi David, ancêtre de Joseph, est plein à craquer. Les logements sont tous occupés, remplis de gens fatigués par les journées de marche.

L’administration est pleine. Organiser un recensement de toute la terre, vous imaginez ! Surtout quand il n’y a pas de téléphones et d’ordinateurs… Branle-bas de combat dans toutes les régions occupées par les Romains, en particulier dans cette Judée qui dépend de la province de Syrie dont Quirinius est le gouverneur.

Le monde lui-même est plein. Un maître absolu domine, Auguste l’empereur de Rome, Auguste l’empereur-dieu représentant du monde divin sur terre, celui sur qui l’équilibre de l’univers repose. La Pax Romana règne depuis des siècles et pour des siècles encore.

Il y a deux mille ans, quand Joseph et Marie arrivent à Bethléem, tout est plein. Où Jésus va t-il naître ? Il n’y a pas de place pour lui…

Alors il va naître à l’écart. A l’écart dans l’espace : à côté de l’auberge, dans une mangeoire, sans doute dans l’étable qui jouxte la chambre d’hôtes, là où l’on fait dormir les montures.  A l’écart dans le temps, la nuit quand tout s’arrête, quand tout dort. A l’écart de la société, avec comme premiers visiteurs des bergers, ces hommes en marge, exclus des honneurs et de la religion, pauvres démunis, demi-esclaves. Il n’y a plus de place pour lui, alors Jésus naît à l’écart.

Puis il va vivre à l’écart. Durant tout son ministère, Jésus va marcher, prêcher, guérir, rencontrer. Toute sa vie, il va être compagnon de celles et ceux qui sont laissés de côté, pécheurs, exclus, pauvres, malades, prostituées, collecteurs d’impôts. De celles et ceux qui souffrent.

Toute sa vie, il va être rejeté par celles et ceux qui sont pleins d’eux-mêmes, emplis de fierté, aux premières places de ce monde : les puissants, les riches, les autorités religieuses, les bien-pensants, les bons croyants. Toute sa vie, Jésus sera à l’écart. Jusqu’au bout, jusqu’à cette croix infâme, supplice réservé aux esclaves ou aux déserteurs. Jésus crucifié entre deux brigands, victime des injures et des moqueries, de la torture et de la mort. Le vendredi saint, Jésus sera radicalement mis à l’écart de l’humanité. La croix, c’est le monde qui refuse de faire de la place pour Dieu. Définitivement. Ou presque…

De la crèche jusqu’à la croix, de Bethléem à Golgotha, Jésus est le compagnon de celles et ceux qui n’ont pas de place. De celles et ceux qui ont en eux un creux, un manque, de celles et ceux qui ne peuvent s’assumer tout seul. Des petits. De celles et ceux qui sont ouverts à l’espérance, prêts à lui faire un peu de place.

 

2. Notre monde, nos vies sont pleins

Il n’y avait pas de place pour Jésus dans l’auberge… Et si sa naissance avait lieu aujourd’hui, quelle place aurait-il ?

Aujourd’hui encore, nous vivons dans un monde plein, trop plein. Un monde qui tourne sur lui-même. Un monde où ce qui compte, c’est la performance, la réussite, l’argent, le rendement, l’efficacité. Un monde où l’on doit courir toujours plus vite, toujours plus loin. Un monde qui ne laisse pas de place à celui ou celle qui ne le mérite pas, trop jeune, trop vieux, handicapé, étranger, sans diplôme, sans appui, sans travail, sans domicile fixe. Un monde où les êtres humains sont devenus des numéros, des statistiques et non plus des êtres vivants, subjectifs, singuliers. Un monde où l’on caresse les peurs pour garder le pouvoir, où l’on fait des calculs politiciens à court terme, sans se soucier des milliers de personnes dont la vie va être pire encore que ce qu’elles vivent déjà d’exclusion, de racisme, d’exil, de non-avenir, d’humiliation.

Un monde où c’est, justement, l’humiliation qui règne, de personne à personne, de groupe à groupe, d’institution à individu. Comme le montre Olivier Abel dans son dernier livre[1], l’humiliation, subie ou donnée, est un poison qui sape les relations et est source de bien des violences. Un monde plein de violence, déchiré par les conflits sanglants, de l’Ukraine à la région des Grands Lacs en Afrique, de l’Arménie au Yémen, de l’Ethiopie à Haïti… et dans la région même où Jésus est né, a vécu, est mort, est ressuscité.  Un monde qui s’emballe sur lui-même, rejetant toutes celles et tous ceux qui n’ont pas la force de suivre.

Quelle place est laissée à l’autre dans ce monde ? La tentation de prendre toute la place est si forte, pour les pouvoirs comme pour les individus. Tentation de beaucoup de religions, la nôtre aussi : nous sentir les meilleurs, ne plus avoir besoin de rien, la porte fermée à celui ou elle qui est différent, qui pense ou se comporte autrement.

Il n’y avait pas de place pour Jésus dans l’auberge… Y a-t-il de la place chez moi ? Ma vie aussi est pleine. Pleine d’agitation, de bruits, de stress, d’occupations, de sollicitations. Pleine d’informations et de distractions. Pleine de soucis et de souffrances. Pleine de haine et de rancœurs. Pleine de regrets et de remords. Pleine de joie et de projets. Pleine de questions et de certitudes. Remplie à ras-bord. Pleine à craquer.

Ce trop plein, c’est cela que l’on nomme le « péché ». Non pas des petites désobéissances, des petites fautes, mais se croire seul, maître de soi. Le péché, ce n’est pas d’être impur, c’est de se croire pur. Sacraliser un espace, un temps, une idéologie, une morale. Occuper toute la place en soi-même. Refuser d’avoir des limites, des faiblesses, des manques. Se prendre pour Dieu. C’est la tentation de tous les êtres humains, des Eglises, de ma vie. Le péché, c’est ce qui ne laisse pas de place en moi ni pour Dieu ni pour l’autre. C’est être plein de soi-même.

 

3.  Noël

Constat déprimant ? Non ! Car voilà une brêche dans le trop plein. Voilà que, dans la nuit de ce monde et de ma vie, naît un petit enfant. Voilà que, dans le monde, Dieu se donne à nous. Dans ce monde plein, dans nos vies pleines, pour ouvrir un brèche et nous permettre de recevoir un peu de lumière, de souffle, de vie, de respiration, d’espérance.

Devant l’être humain qui veut devenir Dieu, il y a Noël. Devant l’être humain qui veut se passer de Dieu, il y a Dieu qui ne veut pas se passer de l’être humain. Dieu vient dans ce monde, dans la vie des êtres humains. C’est l’incarnation. Pas la fuite de ce monde, mais au cœur de notre monde, dans le trop plein de nos vies.Dieu en Jésus-Christ prend chair, il vient à notre rencontre dans ce monde, pour les pécheurs, les malades, celles et ceux qui sont indignes d’être aimés.

Dans notre monde et nos vies trop pleins, Noël c’est la fête d’un scandale et d’une surprise.

Scandale d’une venue qui dérange, qui gêne celles et ceux qui sont dans le trop plein, Hérode, les Romains, les prêtres, les riches, celles et ceux qui voudraient un messie triomphant, chef de guerre, prince de ce monde. Celles et ceux qui n’ont pas de place à lui laisser, celles et ceux qui sont trop occupés par eux-mêmes. Sommes-nous encore scandalisés par la venue du Christ, par un Dieu qui se tient à l’écart ? Si nous ne sommes pas scandalisés, c’est que nous n'avons pas encore conscience d'être dans le trop plein.

Surprise d’une venue qui réjouit le cœur de beaucoup, bergers, pauvres et rejetés, celles et ceux qui sont encore ouverts à l’espérance. Une venue qui ouvre un temps d’espérance, le temps de la gloire de Dieu dans les cieux très hauts, le temps de la paix sur la terre aux êtres humains que Dieu aime, le temps de la résurrection qui fait éclater même la mort. Pour nous. Surprise de la vie possible !

Aujourd’hui encore, Jésus vient à nous. Aujourd’hui encore, il fait irruption dans un monde de trop plein qui n’a pas de place pour lui. Scandale ou surprise pour nous ? Bonne nouvelle !

Aujourd’hui, Jésus frappe à notre porte, prêt à entrer. Aujourd’hui, c’est le défi : le laisser entrer, lui laisser un peu de place dans nos vies. Le laisser entrer, c’est refuser de continuer à emplir notre vie de pouvoir, de certitudes, de biens de consommation, de tout ce qui empêche de faire place à d’autres. C’est se rendre disponibles, faire un peu de place en nous pour un autre que nous-même. S’arrêter, penser, respirer, prier, lire la Bible, stopper l’emballement de nos existences. Faire un tout petit peu de place, même si ce n’est que dans l’étable, dans la mangeoire, à côté, pour que le Christ vienne faire éclater notre bulle de trop plein, et nous rende ainsi disponibles à celles et ceux qui ont besoin de lui. Que cette bonne nouvelle soit en nous, soit pour nous et soit par nous pour d’autres, pour qu’ils puissent être libérés de ce qui les écrase.

Il n’y avait pas place dans la salle destinée aux voyageurs. Il n’y pas de place pour lui dans ce monde… si ce n’est par nous. Alors, pour que ce Noël soit joyeux, ouvrons au Christ qui frappe à notre porte, et disons-lui : il n’y a pas beaucoup de place dans ma maison, tu sais, mais entre quand même ; je veux te faire de la place en moi et dans ce monde !

Amen.

 

[1] Olivier Abel, De l’humiliation, Les Liens qui Libèrent, 2022.