Et si nous accueillions un ange (sans le savoir) ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Et si nous accueillions un ange (sans le savoir) ?

Prédication du dimanche 13 janvier 2019, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Matthieu 2, 13-23

 

La fête est finie… Ces derniers dimanches, nous avons cheminé avec Marie enceinte de Jésus, puis avec les bergers à la rencontre du Fils de Dieu dans la nuit de Noël, puis avec les savants venus d’orient (improprement appelés « rois mages ») pour adorer le roi qui venait de naître… Avent, Noël, Epiphanie, un cycle de fêtes pour célébrer l’incarnation de Dieu.

Mais voilà, la fête est finie et le quotidien a repris son cours. Nos vies se sont réinstallées dans les contraintes, notre monde poursuit sa course folle dans la difficulté de vivre, de croire, d’espérer. Pour certains, cette réalité est plus dure que pour d’autres. Je pense en particulier à tous les êtres humains en chemin d’exil, fuyant la guerre, la persécution, la misère, l’absence d’avenir dans leur pays, en route dans l’espoir et la peur, noyés en Méditerranée, ou bloqués aux frontières, ou précaires dans leur tentative d’insertion ici. Dure réalité qui ne peut pas ne pas nous toucher, car elle est celle d’hommes, de femmes, d’enfants comme nous, simplement nés ailleurs, sans l’avoir demandé.

Leurs histoires ne peuvent pas ne pas nous toucher, car nous avons des sentiments humains, et la détresse d’un frère ou d’une sœur en humanité nous rencontre au niveau de notre cœur – pour autant que nous ne soyons pas encore complètement anesthésiés par la froideur statistique, les idéologies de repli ou la peur savamment distillée par ceux qui en font leur fonds de commerce. Notre humanité est forcément touchée par la souffrance de personnes qui pourraient être nous-mêmes, ou nos enfants. De personnes qui, pour certaines, sont parmi nous aujourd’hui dans ce temple.

Nous sommes également touchés par ces exilés car leur destin ressemble à celui de nos ancêtres dans la foi protestante – je pense notamment aux 200 000 huguenots qui ont fui les persécutions dont ils étaient les objets dans le royaume de France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles et ont trouvé refuge dans d’autres pays.

 

1 – La Bible, une histoire d’exilés

Nous sommes aussi touchés par ces personnes qui fuient car, tout au long de la Bible, ce livre qui contient les grands axes de notre foi, se tiennent des générations qui ont connu les déplacements, les changements de pays, la fuite, l’exil.

Dans le Premier Testament, Abraham quitte la Mésopotamie pour Canaan puis une famine le pousse à se réfugier en Egypte avant de revenir en Canaan. Jacob, son petit-fils est contraint par Laban à séjourner 14 années à son service en Assyrie. Joseph, le fils de Jacob, est vendu à des égyptiens par des marchands d’esclaves. Quelques siècles plus tard, les israélites sont devenus esclaves en Egypte. L’un d’entre eux, Moïse, doit fuir au pays de Madian après avoir pris la défense d’un hébreu maltraité. Plus tard, David doit s’exiler pour fuir la vindicte du roi Saül. Puis les habitants de Jérusalem sont déportés à Babylone au VIe siècle avant notre ère par Nabuchodonosor. Tout le Premier Testament tourne autour de ces histoires d’exilés, marquant la foi de générations de croyants.

Le Nouveau Testament prolonge cette histoire d’exils. Dès les toutes premières années de l’histoire chrétienne, la persécution s’abat sur la communauté de Jérusalem et, après le martyre d’Etienne, contraint une partie de ses membres à fuir en Judée et en Samarie (Actes 8, 1) puis en Phénicie, à Chypre, à Antioche de Syrie (Actes 11, 19). L’apôtre Paul sera obligé, à maintes reprises, de s’enfuir des villes où il se trouve pour partir ailleurs. La persécution par les autorités romaines ne va pas tarder à se mettre en place et on en trouve les traces dans certaines lettres du Nouveau Testament, ainsi que dans l’Apocalypse.

Ce que vivent aujourd’hui des millions de personnes sur cette terre est la même histoire que celle des hommes et des femmes de la Bible. C’est dire que ce que la Bible nous invite à croire et à vivre n’est pas hors du temps et de l’histoire, mais au cœur de notre monde et de ses souffrances : l’aventure d’un Dieu qui se lie à un peuple en exil, à des croyants persécutés, à des hommes et des femmes plongés dans la souffrance. Qui se lie à eux pour cheminer avec eux, leur redonner confiance, force, présence, dignité humaine, avenir possible.

Plus encore : ce Dieu se lie à un tel point à l’humanité en exil, qu’il traverse lui-même cette dimension terrible et qu’il devient lui-même un exilé fuyant la persécution. L’Evangile de Matthieu nous rapporte cela, juste après le récit de la venue à Bethléem des savants d’orient. C’est le passage que nous avons lu tout à l’heure. Un passage qui résonne fort dans l’actualité de notre temps. Il y est question de l’exil, avec Joseph qui s’enfuit en Egypte (l’Egypte, comme les patriarches Abraham et Joseph) avec sa femme et son fils pour échapper au roi Hérode qui veut s’emparer du bébé Jésus pour le faire disparaître. Il y est question d’un pouvoir totalitaire qui massacre son propre peuple, avec Hérode qui, dans sa folie criminelle et sa peur d’un rival, fait tuer tous les enfants de moins de deux ans (en écho à ce qu'a fait Pharaon au temps de Moïse bébé). Il y est question de l’impossible retour au pays, avec Joseph qui, à la mort d’Hérode, revient d’Egypte avec sa femme et son fils mais ne peut s’installer en Judée car Archélaos, fils et successeur d’Hérode, y règne tout aussi cruellement que son père ; la famille de Jésus est alors contrainte de s’installer en Galilée, à Nazareth.

Au cœur de notre foi se tient l’incarnation. Un Dieu qui se fait être humain pour nous rejoindre dans notre humanité, dans notre histoire. Pas seulement comme un petit bébé joyeusement attendu, posé dans une jolie crèche, entouré de bergers et de mages en adoration, mais comme un exilé sur les routes de l’exil, fuyant la persécution et la mort.

 

2 – Un appel à l’hospitalité

Comment mieux entendre que ce que vivent les exilés d’aujourd’hui nous touche au cœur de notre foi, et que la manière dont nous les accueillons ou non est lié à notre foi ? Il n’est pas besoin de développer davantage cela, qui paraît clair, fort, évident. La détresse d’un frère ou d’une sœur en humanité, devant nous, à notre porte, est un appel à notre conscience et à notre engagement. Un appel à exercer l’hospitalité.

Toute la Bible résonne de cet appel. La mémoire des temps d’exils s’actualise en un principe éthique fondamental, traduction d’un acte de foi, exprimé à maintes reprises comme dans ce passage du Lévitique : « Vous traiterez l'immigré qui séjourne avec vous comme un autochtone d'entre vous ; tu l'aimeras comme toi-même, car vous avez été immigrés en Egypte. Je suis le Seigneur [YHWH], votre Dieu » (Lv 19, 34). Le Lévitique ordonne l’accueil de l’étranger comme marque de foi, comme projet de société aussi. On pourrait citer beaucoup de textes de la Bible allant dans ce sens. J’en évoque seulement deux.

Dans l’évangile de Matthieu, Jésus interpelle ses disciples en leur disant, sous forme de parabole : « Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, et recevez le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la création du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez accueilli chez vous ; j'étais nu et vous m'avez habillé ; j'étais malade et vous avez pris soin de moi ; j'étais en prison et vous êtes venus me voir » (Mt 25, 34-36). Ceux qui l’écoutent disent alors : « Seigneur, quand t'avons-nous vu affamé et t'avons-nous donné à manger, ou assoiffé et t'avons-nous donné à boire ? Quand t'avons-nous vu étranger et t'avons-nous accueilli chez nous, ou nu et t'avons-nous habillé ? Quand t'avons-nous vu malade ou en prison et sommes-nous allés te voir ? » (v. 37-39). Le roi de la parabole – Jésus lui-même – leur répond : « Je vous le déclare, c'est la vérité : toutes les fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait » (v. 40). Les paroles de Jésus sont claires : accueillir un étranger chez soi, c’est accueillir le Christ !

Plus loin dans le Nouveau Testament, l’auteur de la Lettre aux Hébreux le dit à sa manière – et je le trouve délicieuse : « Continuez à vous aimer les uns les autres comme des frères. N'oubliez pas de pratiquer l'hospitalité. En la pratiquant, certains ont accueilli des anges sans le savoir » (Hb 13, 1-2). Des anges, vous le savez, dans la culture biblique, cela ne désigne pas des êtres avec des ailes qu’on accroche dans les sapins de Noël ! Cela désigne un messager de Dieu. Le terme grec ἄγγελος (aggelos) veut d’ailleurs dire « messager », « porteur de nouvelle ». Et un « évangile » est de la même racine (εὐαγγέλιον, euaggelion), c’est une « bonne nouvelle ». Donner l’hospitalité à un étranger, cela peut être recevoir un porteur de message, le porteur d’un message venant de Dieu, le porteur de l’Evangile, un ange !

Mais voilà, me direz-vous, cela est bien gentil, c’est à la limite de la leçon de morale, la réalité est plus complexe que cela…

Leçon de morale, je ne crois pas. Tous les récits que j’ai cités, tous les épisodes, tous les personnages, toutes les paroles, ne sont pas d’abord des paroles nous indiquant ce qu’il est bon ou pas bon de faire. Ce sont des histoires de vie, des histoires terriblement réelles, traversées par des gestes de confiance, d’ouverture et d’hospitalité – ou, pour le dire autrement, traversées par la foi, l’espérance et l’amour. Non pas des gestes commandés, raisonnés, mais le jaillissement d’une dynamique de vie. Et je crois fortement que la grâce est cette dynamique de vie, et que la foi c’est simplement se laisser entraîner dans la vie, parfois avec des complications, souvent sans le savoir, toujours avec un brin de folie. Et que vivre pleinement son humanité d’enfant de Dieu, c’est ne pas laisser sur le côté un frère ou une sœur dans le besoin. La Bible n’est pas une leçon de morale mais un vaste courant d’air qui nous entraîne dans la suivance du Christ !

 

3 – Discerner quels engagements

La réalité, bien sûr, est complexe. La réalité de notre monde est complexe : comment gérer le vivre ensemble, la solidarité, la justice, les grands équilibres ? Les évitements que nous posons sont nombreux : chiffres, statistiques, coûts, argent… et toutes autres considérations qui nous retiennent. Mais ce qui est le plus complexe, est-ce que ce ne serait pas nous-même ? Notre crainte d’être dérangés, bousculés, notre tendance au repli sur soi-même et notre petit confort (matériel, spirituel) ne sont-elles pas les racines de notre difficulté à accueillir ? Alors toutes les raisons sont données pour justifier notre passivité… sauf que l’Evangile vient les bousculer, et que cela est plus fort que tout. Et c’est finalement un choix de vie qui se présente à nous : faire confiance ou non en la Parole de Dieu ?

Je reviens sur le récit de la fuite de la famille de Jésus en Egypte et sur le massacre des enfants par Hérode. Car il me semble que dans ce récit nous sont données quatre dimensions pour nous aider à discerner les choix personnels que nous avons à faire.

La première dimension, c’est que la réalité est là, devant nous. Ce n’est pas un choix, elle se présente à nous. Ni Joseph, ni Marie, ni Jésus n’ont choisi ce qui arrive : le roi Hérode veut faire disparaître Jésus, il est prêt à tuer tous les petits enfants. Les circonstances s’imposent à eux. Première étape du discernement : voir la réalité telle qu’elle est. Notre monde produit des migrations forcées, et en produira de plus en plus, car les injustices se creusent, les conflits se développent, les changements climatiques augmentent les déplacements de population. Ce sont des faits. Première dimension du discernement : prendre la réalité telle qu’elle est, être responsables dans le monde dans lequel nous vivons.

Deuxième dimension dans notre récit : l’intervention d’un ange du Seigneur – un messager de Dieu, comme nous l’avons rappelé tout à l’heure. Il apparaît deux fois en rêve à Joseph, une première fois pour lui dire de fuir en Egypte, une deuxième fois pour lui dire de retourner dans le pays d’Israël. Et une troisième fois sans doute, même si Matthieu indique seulement que Joseph est « divinement averti en rêve » (v. 22), pour lui indiquer d’aller en Galilée plutôt qu’en Judée. Cette intervention de l’ange, c’est la deuxième étape du discernement. Au cœur de la réalité, se situe le temps d’écouter ce que Dieu nous dit : dans la prière, dans l’écoute de soi-même, dans le partage avec d’autres, se tenir en disponibilité à un appel.

Troisième dimension : à chacun des moments de cette histoire, Matthieu indique que cela arrive pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur. Il cite le prophète Osée qui évoquait l’exode (11, 1), le prophète Jérémie qui se situe pendant le temps de l’exil à Babylone (31, 15), puis « les prophètes » sans que l’on sache à quels textes il renvoie. L’Ecriture s’accomplit à chaque étape. Cela ne veut pas dire que tout se déroule selon un scénario écrit à l’avance. Les citations d’Osée et de Jérémie renvoient d’ailleurs à d’autres épisodes dans l’Ancien Testament. Mais cela indique que ce qui arrive fait écho à des paroles bibliques, que cela prend sens dans cet enracinement dans l’Ecriture qui est au cœur de notre foi. Troisième dimension du discernement, la méditation des Ecritures comme lieu qui nous enseigne, nous porte, nous appelle.

Une quatrième dimension, enfin, celle du mouvement. Dans la complexité des événements, dans l’écoute de l’appel de Dieu, dans la méditation des Ecritures, ce qui surgit c’est une mise en route. Pas un retrait dans une bulle, mais une dynamique. Temps de mise à l’écart en Egypte, temps de retour, temps du début d’une mission aussi, puisque c’est en Galilée que Jésus va commencer son ministère. Cette dynamique est une dynamique de vie partagée : fuir, c’est pour Joseph protéger son fils ; revenir, c’est pour Joseph obéir à l’appel de Dieu ; s’installer en Galilée c’est ouvrir la mission du Messie à l’espace du monde, puisque la Galilée c’est le lieu où Israël et les nations se mêlent. Quatrième dimension du discernement : se mettre en route, s’engager, oser sortir, se laisser entraîner par l’Esprit, ouvrir des chemins de vie.

Pour chacun de nous, pour chacun de nos choix et de nos engagements pour un monde plus juste, le discernement se tient à la croisée de la réalité de notre temps et des situations qui s’imposent à nous, de la prière et du partage en Eglise, de la méditation de l’Ecriture, et de la mise en mouvement évangélique.

Aujourd’hui, nous sommes devant un discernement nécessaire. Que faire, concrètement, dans cette ville où des exilés cognent à nos portes ? Il n’y a pas de réponse unique, il n’y a que des engagements singuliers, des réponses subjectives, des manières différentes d’aider. Tout à l’heure (brièvement au cours de ce culte et ensuite au cours du repas qui suivra), nous allons entendre quelques témoignages de personnes qui se sont engagées, au sein de notre paroisse, dans le groupe Marhaban[1] qui, en lien avec le service jésuite JRS (Jesuit Refugee Service) Welcome, participe à une chaîne d’hospitalité et d’hébergement provisoire dans des familles, pour des personnes dont la demande d’asile est en cours de procédure et qui sont laissées à la rue, faute de place dans le Dispositif National d’Accueil. On connaît aussi l’engagement fort, sur un autre axe, des bénévoles de la Cimade qui tiennent des permanences d’aide juridique plusieurs jours par semaine dans nos locaux. Il y a d’autres engagements encore, de beaucoup d’entre nous, dans d’autres domaines. Aucun témoignage n’est normatif, aucun engagement n’est obligatoire. Mais ils peuvent, pour certains d’entre nous, participer de ce discernement sur cette question essentielle : et moi, que puis-je faire dans ce monde, ici et maintenant, concrètement ?

Nous sortons des fêtes de l’Avent, de Noël et de l’Epiphanie, mais nous avons la conviction que, depuis la crèche de Bethléem, Dieu chemine avec nous, en Jésus-Christ. Et cela donne confiance, et cela donne poids à chacun de nos engagements comme participation à la mission du Christ, comme accomplissement de la Parole de Dieu. Dans notre capacité à l’hospitalité se joue une dimension fondamentale de notre foi, de notre confiance en Dieu, de notre témoignage chrétien, de notre humanité.

La fête n’est pas finie… elle ne fait que commencer ! Et s’il nous revenait de la prolonger ?

Amen.

 

[1] https://www.epupl.org/engagement/lentraide/marhaban