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Etre appelés « chrétiens »

Prédication du dimanche 26 août 2018, par le pasteur Christian Baccuet

Lecture : Actes 11, 19-30

 

 

Etre appelés chrétiens : qu’il est beau d’être appelés ainsi du nom de celui qui nous donne de vivre libres et heureux, le Christ ! Etre appelés « chrétiens », ce n’est pourtant pas toujours facile ; on peut être la cible de moqueries, on peut être incompris ou, pire, être confondus avec des personnes tristes, moralisantes, jugeantes, supérieures, qui veulent imposer leurs normes aux autres (et il faut reconnaître que des chrétiens donnent dans ces travers).

Etre appelés chrétiens… J’ai eu envie de partager avec vous un récit biblique que j’aime bien. Dans le livre des Actes des Apôtres, c’est un épisode qui peut paraître bien modeste, presque terne, dans le déroulement épique de ce livre. Je le trouve pourtant très émouvant, parce que c’est la première fois, nous dit Luc, que les disciples sont appelés « chrétiens ». Ce mot qui nous est si familier, ce nom qui dit une grande part de notre identité, est prononcé pour la première fois !

 

1. Témoignage et communauté

Cela se passe à Antioche. Antioche est une ville très importante dans l’antiquité. Située dans la province romaine de Syrie (dans l’actuelle Turquie, ville d’Antakya), elle est une cité commerçante au carrefour des routes commerciales de l’occident et de l’orient. Riche au Ie siècle d’un demi-million d’habitants, elle est la troisième ville de l’empire romain après Rome et Alexandrie.

C’est là, au cœur de cette ville, que l’Evangile est raconté, reçu, que des groupes se forment. C’est là que commence véritablement l’annonce de l’Evangile à des non juifs. La rencontre entre Pierre et le centurion romain Corneille, racontée juste avant, a ouvert la prise de conscience que l’Evangile n’est pas réservé aux juifs, mais qu’il est pour tous les hommes. A Antioche cela se met effectivement en place. Pas de manière évidente, puisque, nous précise le texte, dans un premier temps les croyants, juifs, « ne disaient la Parole qu’aux juifs ». Mais l’Evangile se répand de bouche à oreille dans la ville… Antioche va devenir la plaque tournante de l’évangélisation, le point de départ des missionnaires chrétiens, la tête de pont de l’Eglise dans le monde païen. Ici, à Antioche, commence l’évangélisation du monde. Ici, à Antioche, pour la première fois, les disciples sont appelés chrétiens !

Cette appellation, « chrétiens », est sans doute donnée au début comme un sobriquet moqueur à ceux qui suivent « Christ ». Christ, traduction grecque de l’hébreu « Messie », n’évoque rien pour les païens qui le tournent en dérision. Mais derrière ce mot se profile pour la première fois l’identification des chrétiens comme formant un groupe religieux spécifique. Et ce groupe, à Antioche autour de l’an 40 de notre ère, est composé de juifs issus des synagogues et de non-juifs, avec ce que cela signifie d’universel, de mélange, de rencontres, d’inclusion.

C’est une première dimension qui me parle. Ce terme de « chrétiens » n’est pas appliqué à une personne seule, en lien avec sa foi ou son éthique, mais à un groupe dans sa diversité (différentes origines) et son unité (en Christ). La foi, qui nous touche individuellement, s’exprime et se partage communautairement. C’est la communauté, qui réunit nos diversités d’origines, de parcours et de sensibilités, qui témoigne par sa vie de l’Evangile pour tous. Ce mot « chrétiens » surgit ainsi quand l’Evangile est annoncé et qu’une communauté se rassemble, quand la bonne nouvelle est partagée en Eglise.

Et la communauté, en se rassemblant, se structure. On voit dans ce texte, parallèlement à la croissance numérique de l’Eglise, apparaître le souci d’instruire les gens, de faire lien entre les communautés, de venir en aide à ceux qui en ont besoin. Des fonctions se mettent en place, dont nous ne savons pas exactement ce qu’elles recouvrent, mais qui montrent que l’on commence à s’organiser : Barnabé est « envoyé » (v. 22 : ἐξαποστέλλω - exapostello) par l’Eglise de Jérusalem pour voir ce qui se passe à Antioche ; une fonction de lien, de visite, de communion entre les différentes communautés. Barnabé va chercher Saul à Tarse, à 150 km de là, pour qu’ils puissent « instruire » les nombreux convertis ; une fonction d’enseignement, d’édification, de consolidation de la foi des nouveaux chrétiens. Et puis il est question de « prophètes », dont un certain Agabos ; on ne sait pas exactement ce que recouvre cette fonction ; un prophète, étymologiquement, c’est quelqu’un qui porte la parole d’un autre, un porte-parole, celui qui transmet une parole que Dieu lui a transmise. Et des « anciens » (πρεσβύτερος - presbuteros) de l’Eglise de Jérusalem qui vont recevoir le secours de leurs frères d’Antioche ; une fonction de coordination de la communauté locale – l’ancêtre du conseil « presbytéral ». Toutes ces personnes contribuent à la bonne marche de l’Eglise naissante, par leur visite, leur enseignement, leur inspiration, leur gestion de la communauté…

Je trouve émouvant – et bien plus : très important ! – de nous rappeler ainsi que nous ne venons pas de nulle part, mais que nous sommes héritiers d’une longue histoire, portée à travers les siècles et les continents par des générations d’hommes et de femmes touchés par la force de l’Evangile, partageant la bonne nouvelle, s’organisant en communautés ouvertes à la diversité d’origines, de cultures, se sensibilités, construisant peu à peu le fait d’être « chrétiens ». Nous sommes dans la suite de cette histoire qui articule ouverture et organisation, Evangile et Eglise, témoignage et édification, accueil et communion. C’est une invitation à être chrétiens dans le témoignage et la construction de la vie communautaire. Des chrétiens ouverts.

 

2. L’importance des événements

Une deuxième dimension me touche dans cet épisode. C’est que tout cela n’arrive pas par planification théorique, pensée à l’avance et cohérente. Ce sont les événements qui commandent, les accidents de l’histoire. Ce sont les circonstances, même dramatiques, qui poussent les « chrétiens » à vivre et diffuser l’Evangile.

Il y a la persécution. Ce récit nous rappelle que l’histoire de la première Eglise n’est pas un beau récit romantique, mais un temps où l’enthousiasme de l’Evangile se vit dans les épreuves. Rappelez-vous le martyre d’Etienne (Actes 7), puis la persécution qui s’en était suivie, des hommes et des femmes jetés en prison et une grande partie des disciples fuyant Jérusalem, partant en exil. Ce sont eux qui, dans leur fuite, sèment l’Evangile sur leur passage, « en Phénicie, à Chypre et à Antioche ». La persécution destinée à faire taire les disciples se retourne contre ses instigateurs, et c’est l’Evangile qui se répand !

Il y a ensuite ceux qui entendent l’Evangile. Les disciples en fuite ne prêchent la Parole qu’aux juifs… mais voici que des hommes originaires de Chypre et de Cyrène entendent l’Evangile, et se mettent à leur tour à le raconter dans leur langue, en grec, à des non-juifs, qui à leur tour deviennent croyants. Et voilà, à l’insu des disciples, la Parole qui se répand, le cercle des croyants qui s’élargit, l’Eglise qui croît !

Et puis il y a une famine, dont nous savons qu’elle a eu lieu vers 46-48 de notre ère, sous l’empereur Claude. Cette famine fragilise les quelques croyants restés en Judée malgré la persécution. Jérusalem est la première communauté, née à Pentecôte dans la ville où Jésus a prêché, est mort et ressuscité ; c’est de là qu’est parti l’Evangile. Et voici que de la toute jeune Eglise d’Antioche, s’organise une collecte pour venir en aide aux frères de Judée. Le partage à l’intérieur de la communauté est dès le début un trait de l’Eglise. Ici ce partage devient geste de solidarité, de fraternité entre communautés dispersées. Comme Barnabé avait été « envoyé » de Jérusalem à Antioche, de l’argent est « envoyé » (v. 30, même verbe, ἀποστέλλω - apostello) d’Antioche à Jérusalem. C’est un échange, une relation. Un premier jalon de l’universalité de l’Eglise. L’Evangile reçu rend solidaire des autres chrétiens, même loin des yeux, même inconnus.

La Parole se répand géographiquement, l’Evangile s’élargit au-delà du réseau des synagogues pour toucher de nombreux cœurs, et le partage devient un geste de foi entre communautés chrétiennes. Ces dimensions essentielles naissent au gré des événements. Nous voilà appelés à rester ouverts à ce qui surgit, parfois de manière dramatique (persécution, famine), parfois de manière joyeuse (d’autres se mettent à annoncer le Christ). Nous voilà appelés à ne pas rester enfermés dans des schémas tout faits, dans la reproduction d’habitudes qui enferment, mais à être disponibles aux appels, aux besoins, aux rencontres qui surgissent, ouverts à l’inattendu qui permet à la Parole de toucher d’autres personnes. A garder vivant cet élan missionnaire joyeux. A rester émus devant la force de l’Evangile, à être chrétiens là où vivent les gens, ici et maintenant… C’est une invitation à être chrétiens dans l’ouverture aux événements et à l’Esprit. Des chrétiens disponibles.

 

3. Des croyants de base

Et puis une troisième dimension me touche dans ce récit. Jusque-là, le livre des Actes rapporte l’histoire à partir de grandes figures de la foi, Pierre, Etienne, Philippe. Après ce récit, le lecteur va mettre ses pas dans ceux d’un autre héros de l’Eglise, l’apôtre Paul. Ici, dans cet entre-deux, pas de personnage médiatique dont l’histoire serait édifiante, mais des quais-inconnus, voire des anonymes.

Certains ont un nom, mais on ne sait presque rien d’eux. Barnabé qui est envoyé par l’Eglise de Jérusalem pour voir ce qui se passe à Antioche et qui, plutôt que de se mettre en travers pour garder le pouvoir, s’en réjouit et a le souci de consolider la foi des nouveaux convertis, parce qu’il est un homme bon, plein d’Esprit saint et de foi. Saul de Tarse, le futur Paul dont nous ne savons pas encore grand-chose et qui vient prêter main forte à Barnabé pour enseigner durant une année entière les convertis pour que leur foi s’enracine, puis qui va accompagner Barnabé à Jérusalem pour porter le fruit de la collecte. Agabos, l’homme qui annonce la famine qui se profile.

D’autres sont de vrais anonymes, dont nous ne connaissons pas le nom. Ceux qui, dispersés par la persécution, arrivent avec l’Evangile à Antioche. Ceux qui, entendant la Parole de Dieu, la racontent aux habitants d’Antioche. Ceux qui se convertissent et viennent grossir les rangs de l’Eglise. Ceux qui donnent de ce qu’ils possèdent pour le secours des frères affamés en Judée…

Bref, ceux qui dans cette histoire sont acteurs de la croissance de l’Eglise en quantité et en qualité, ne sont pas des héros mais des personnes humbles. Les dirigeants de l’Eglise ne sont à l’initiative de rien dans cette histoire ! C’est là, à la base de l’Eglise, dans son peuple, dans ses communautés locales, que se vivent les évolutions profondes. Pas d’abord dans l’institution ou la hiérarchie, par des personnages médiatiques ou des grands « saints », mais au profond de la vie des paroisses, des familles, des petits groupes. C’est là qu’est véritablement l’Eglise vivante.

Voilà qui nous rappelle, à nous qui ne sommes ni des héros de l’Eglise ni des modèles de la foi, que l’Eglise c’est nous. Chacun de nous. Chacun de nous est appelé, à travers les événements de nos vies et de notre temps, à être porteur de l’Evangile. Chacun à sa manière. Chacun humblement, modestement. C’est ainsi que l’Evangile continue, aujourd’hui encore, à ouvrir des vies, à toucher des cœurs pour qu’ils se tournent vers le Seigneur, soient instruits dans la foi, posent des gestes de partage et de solidarité. Par des hommes et des femmes qui ne sont pas des « saints » au sens religieux du terme (des modèles de perfection) mais des « saints » au sens biblique du terme (des personnes appelées par le Seigneur). C’est une invitation à être chrétiens dans l’humble quotidien de nos vies et la fragilité de nos existences. Des chrétiens appelés avec leur humanité.

 

4. La main du Seigneur

Pour la première fois, à Antioche, ce mot « chrétiens » est attribué à ceux qui suivent le Christ. Je trouve très émouvant de trouver dans le récit de la première génération chrétienne les germes d’évangélisation, d’organisation, d’ouverture aux circonstances, d’humble présence de témoins anonymes. Ce nom de « chrétiens », nous le portons à notre tour. Je trouve très émouvant de trouver là ce qui fait l’aujourd’hui de notre foi, la transmission de l’Evangile, la recherche de vie communautaire, la disponibilité aux personnes et aux questions de notre temps, l’humble présence de tant de chrétiens anonymes, fidèles témoins du Christ. Ce qui me touche, dans le livre des Actes, c’est qu’il raconte notre propre histoire.

Il raconte notre histoire. Ou plutôt, et c’est le plus important, il raconte l’histoire du Seigneur avec nous. Car tout cela se vit, écrit Luc, parce que la puissance du Seigneur était avec eux. Littéralement, « la main du Seigneur était avec eux » (v. 21). Cela ne veut pas dire qu’ils sont manipulés par Dieu, instrumentalisés ; cela signifie que le Seigneur est avec eux, que son Esprit les accompagne, les porte, les soutient. On sait que la vie des premiers chrétiens n’a pas été facile. Le livre des Actes rapporte l’histoire de cette première génération, il raconte l’histoire de l’Esprit saint qui les a traversés. Dieu nous tient dans sa main quand, pour nous encore, il n’est pas facile d’être appelés « chrétiens », quand cela suscite des moqueries ou des incompréhensions. Il nous porte, quand nous avons de la peine à vivre en communauté fraternelle, à témoigner ensemble de la vie que l’Evangile nous donne de vivre.

Quel que soit notre lieu de vie, quels que soient les événements, quelle que soit notre humble pratique, nous sommes porteurs de l’Evangile quand la main du Seigneur est avec nous. Alors, nous qui sommes « chrétiens », aujourd’hui dans ce temple, demain chacun dans nos lieux de vie, que la main du Seigneur soit avec nous, en Jésus-Christ !

Amen.

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