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Croire en temps de crise

Texte de la prédication du pasteur Christian Baccuet, dimanche de Pâques, 9 avril 2023.

Croire en temps de crise

 

 

Pentemont-Luxembourg, 9 avril 2023, dimanche de Pâques.

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

Lecture : Jean 20, 1-18

 

 

 

C’est la crise. « Crise de l'emploi, crise de l'énergie, crise des matières premières, crise démographique, crise alimentaire, crise de la démocratie, crise de l'autorité... Et moi-même, je sens que je vais piquer une crise ! »[1]

C’est la crise. Un temps où tout semble aller mal, où l’on se sent dépassés, incapables de voir une issue, de trouver une solution, comme paralysés, sans n’avoir plus de capacité d’agir.

C’est la crise. Et vous vous dites peut-être : c’est aujourd’hui le dimanche de Pâques, fête de la vie, de la joie, de l’espérance, parenthèse de paix dans notre quotidien, et le pasteur vient nous gâcher cela en nous parlant de ce que nous entendons dire à longueur de journée et que nous vivons parfois douloureusement. On aurait mieux fait de ne pas venir !

Eh bien, si, vous avez bien fait de venir ! Car aujourd’hui, l’Evangile résonne pour nous en ce temps de crise. L’Evangile n’est pas fuite du monde, rêve, conte de fée. Il est parole vive pour nos vies, pour notre monde, aujourd’hui. Il vient nous parler là où nous sommes, nous rejoindre pour nous appeler à nous réveiller, à nous lever. Et là nous en sommes, c’est la crise, sur notre planète comme dans nos vies personnelles.

C’est la crise. Mais la crise est-elle le dernier mot de l’histoire, de notre histoire ? Peut-on croire en temps de crise ? Comment, au cœur de la crise, trouver un chemin de vie ?

Toute l’Ecriture nous rapporte des situations de crise, collectives ou individuelles. Toute l’Ecriture se fait l’écho de la question majeure de nos vies : quel chemin trouver en situation de crise ? Toute l’Ecriture raconte comment des chemins de sortie de crise ont été trouvés.

Parmi ces crises, le plus grande est la croix. La croix, c’est la mise en crise de Dieu lui-même. C’est Dieu qui se trouve au plus profond de la crise, lui-même rejeté. Nos crises sont mises en crise de Dieu, mise en crise de notre relation à Dieu.

Et la résurrection est l’au-delà de la crise.

Bonne nouvelle : le récit du matin de Pâques dans l’évangile de Jean nous indique le chemin qui, au cœur de la crise, est perspective de vie ! Un chemin en 4 temps.

 

1. Affronter la crise

Le premier temps de ce chemin, c’est de reconnaître la crise, la constater, l’assumer. Ne pas fuir dans le déni ou l’illusion, mais l’affronter, lucidement.

La crise, c’est la situation des disciples au matin de Pâques. Crise de société, dans la brutalité du monde et des relations : occupation de la Judée par les Romains, révoltes nationalistes, luttes pour le pouvoir au sein des élites religieuses, rumeurs et fausses accusations, foules perdues qui acclament le sauveur le dimanche des Rameaux puis demandent sa mort quelques jours après. L’élimination de ceux qui contestent. Parmi eux, la mort de Jésus, sur la croix.

La croix est un choc pour les amis de Jésus, pour ses disciples, pour tous ceux qui le suivaient et croyaient en lui. Le vendredi, tout s’est écroulé. Fin d’un rêve, l’avenir n’est plus. La crise est la situation au matin de Pâques, avec ce qu’elle entraîne de découragement, de désillusion, de paralysie, de déni, de fuite, de solitude.

Crise globale, et crise personnelle pour Marie de Magdala, ce matin-là. Vendredi, elle était au pied de la croix quand Jésus est mort (Jean 19, 25). Samedi, elle s’est enfermée, comme tous, dans le jour du sabbat où l’on ne fait rien, pour elle dans le néant du choc de la perte. Dimanche matin, elle va au tombeau. Pourquoi y va-t-elle ? L’évangile ne nous le dit pas. Il nous précise seulement qu’il fait encore nuit. Marie est encore plongée dans ce temps de la mort. Elle va au tombeau comme pour un rendez-vous avec la mort. Et ce qu’elle trouve en arrivant n’est que relié à la mort : le tombeau, la pierre enlevée, le vide, le drame du vol du corps de Jésus, l’inquiétude folle de ne pas savoir où il est désormais. Au deuil s’ajoute l’angoisse.

Au sein de cette crise, Marie est toute seule. Ce qui me frappe dans ce récit, c’est sa solitude. Certes, elle va le dire à Simon Pierre et à un autre disciple. Mais ceux-ci la laissent en plan, ils ne s’intéressent pas à elle…

Ils courent vers le tombeau. Et leur course est aussi solitude. Ils ne courent pas ensemble, chacun va à sa vitesse. Ils ne sont pas solidaires, c’est chacun pour soi. Ils sont seuls, comme ils l’étaient déjà au moment de la mort de Jésus, chacun de son côté : Pierre absent après avoir renié, l’autre disciple présent sans lui au pied de la croix. Quand ils arrivent au tombeau, c’est encore chacun pour soi. Ils n’y entrent pas en même temps. Et quand ils ont constaté l’absence du corps de Jésus, le texte ne nous dit pas ce que Pierre pense ; il nous dit que l’autre disciple croit mais on ne sait pas trop quoi puisque l’évangéliste précise que tous deux n’avaient pas encore compris… Ils repartent alors sans en parler, et s’en retournent chez eux, chacun chez soi ! Ils sont seuls.

Et ils laissent Marie à sa solitude ! Ils l’abandonnent dans ses larmes et ses questions, elle se retrouve seule au tombeau. La solitude domine en ce matin de Pâques.

La solitude, l’abandon, l’exclusion, c’est peut-être la crise la plus profonde dans notre monde, dans nos vies. Crise de la solidarité et de la parole. Le matin de Pâques n’est pas une promenade bucolique, un matin de printemps, pour aller joyeusement constater la résurrection. C’est une plongée au cœur de la crise, crise extérieure (violence du monde, mort de Jésus) et crise intérieure (pleurs, solitude).

Il ne faut pas passer trop vite sur cette dimension du matin de Pâques. Elle est fondamentale, car elle est dans le réel de la vie, de nos vies. Elle nous dit le premier temps nécessaire : accepter la crise, la reconnaître, la nommer, même si c’est dur.

Et c’est là que surgit la résurrection, comme un chemin qui s’ouvre pour que nous puissions traverser nos crises, sortir de nos solitudes, nous réveiller, nous relever. Vous le savez, « se réveiller » (ἐγείρω, egeiro) et « se lever » (ἀνίστημι, anistemi) sont les deux verbes qui disent la résurrection dans le grec du Nouveau Testament.

 

2. Etre réveillé par la Parole

Le deuxième temps est justement celui de l’éveil. Au cœur de la nuit, une lumière ; au cœur de la solitude, une rencontre ; au cœur du silence, une parole. Un chemin s’ouvre. Il ne s’ouvre pas par la réflexion humaine, ni par l’action humaine, mais par la Parole de Dieu. Avant que nous puissions penser et agir, Dieu vient à nous. C’est la grâce.

Au cœur de la solitude et des larmes de Marie, surgissent une vision et une parole. Marie va voir et entendre.

D’abord deux anges – deux messagers de Dieu – qui ont un message pour elle : « Pourquoi pleures-tu ? » Ce message est une question. Enfin une parole pour elle, qui la rejoint là où elle en est. Les disciples n’ont pas été à la hauteur, mais la Parole de Dieu, elle, la trouve, lui parle, au cœur de la crise. Cette Parole l’aide à nommer la crise : « On a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l’a mis », dit-elle. La parole reçue par Marie l’ouvre à sa propre parole.

Au cœur de la crise, c’est bouleversant. Elle n’est pas seule, Dieu est avec elle. C’est retournant. Cela la retourne. Littéralement ! Elle se retourne, et la rencontre s’approfondit, la relation s’intensifie.

Elle se trouve face à Jésus. Ce n’est pas évident bien sûr, puisque normalement il est mort ; alors elle croit que c’est le jardinier, c’est la seule explication rationnelle. Dans son regard humain, elle ne reconnaît pas Jésus ; dans notre logique humaine, pas de sortie de la crise. C’est dans la foi que Jésus se rencontre comme le Christ vivant. Dans la foi, un espace s’ouvre et Marie peut entrer dans une relation vivante.

Un dialogue intense se développe ici entre Jésus et Marie. Jésus lui parle au cœur de sa crise, la questionne en lui montrant sa présence, en répétant la parole de relation authentique : « pourquoi pleures-tu ? » Et en l’élargissant à la question fondamentale : « qui cherches-tu ? »

Il permet à Marie de faire un pas ; sa réponse devient un cri, un reproche, un appel, une révolte : « si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et j’irai le reprendre ». Elle est encore au stade de la mort de Jésus mais elle n’est plus dans les larmes, elle réagit, elle proteste, elle recommence à vivre.

Alors Jésus lui dit le mot essentiel, le plus profond qu’elle puisse entendre : « Marie ». Son nom, sa personne, sa vie, elle. Elle en est retournée, une nouvelle fois. Elle se retourne vers lui et lui répond avec le nom qui dit la relation qu’elle a avec lui : « Rabbouni », maître en araméen, celui que j’aime et que je suis, celui dont les paroles me font vivre, celui dont la présence me nourrit.

Echange de regard, de parole, de noms. Le Christ rejoint Marie au cœur de sa crise, la fait exister, et la voilà de nouveau retournée. Elle n’est plus seule. Elle n’est plus larmes. Elle est en relation. Elle est parole.

Deuxième temps : au cœur de la crise, la Parole de Dieu vient à nous. Elle est rencontre, relation, confiance. La grâce appelle la foi. Là commence la mise en mouvement. Se savoir trouvé, reconnu, nommé. S’éveiller à la vie possible, malgré tout.

 

3. Se lever

Marie est éveillée – elle ressuscite – par la présence de Jésus. Elle va être relevée – ressuscitée – par la suite de ses paroles. Troisième temps, celui du relèvement.

Ce temps commence par une phrase forte, qui peut paraître cruelle mais qui est le lieu même du chemin qui s’ouvre : « ne me retiens pas », dit Jésus à Marie. Ou « ne me touche pas », « ne reste pas accrochée à moi ». Elle vient de le reconnaître et Jésus lui demande de rester à distance. Parole forte : elle ne peut pas le retrouver comme avant la crise, elle ne peut pas retourner en arrière.

Cette phrase est la mise en crise de nos certitudes, de nos repères. Elle est contestation de nos désirs de mettre la main sur Dieu, de l’accaparer, de le retenir, de l’instrumentaliser. Elle est mise en crise de nos volontés de puissance. C’est une mise en crise salutaire, car, si on les analyse en vérité, toutes nos crises viennent de notre désir de toute-puissance ; là est la racine de nos rivalités et de nos guerres, de notre surconsommation, de notre vision à court terme, de notre fuite en avant. Tout vouloir, se mettre au centre, se prendre pour Dieu. Ne me retiens pas : la parole de Jésus vient stopper cette tentation. Ne te saisis pas de moi, décroche-toi de là où tu en es, pour regarder ailleurs, plus loin.

Par cette phrase, Jésus empêche Marie de se figer. Il l’ouvre à l’avenir et aux autres. « Je vais retourner vers mon Père », lui dit-il. Jésus l’ouvre à la relation en précisant : « vers mon Père qui est votre Père ». Jésus l’ouvre à l’action en lui donnant une mission : « va vers mes frères et dis-le leur ».

Marie, la première à avoir vu le tombeau vide, la première à avoir rencontré la Christ vivant, la première à sortir de la crise, devient la première témoin de la résurrection, la première messagère, la première envoyée. C’est bouleversant. C’est un bouleversement. C’est une épreuve, dans le sens où cela est à éprouver.

C’est l’étape du relèvement, de l’espérance reçue et portée, de la sortie de crise : une relation, une parole, un envoi. Fin des larmes, fin de la solitude, fin de la fin puisque l’avenir s’ouvre.

 

4. Prendre le chemin de la vie

Rejoins, réveillés, relevés… Reste un quatrième temps : la route, le chemin à prendre.

Marie part annoncer la bonne nouvelle aux disciples, témoigner de son expérience – « j’ai vu le Seigneur » – et transmettre les paroles de Jésus.

Que font Pierre et l’autre disciple ? Comment réagissent les disciples ? A ce stade on ne sait pas. Les versets suivants les montreront, le soir de ce jour, enfermés dans une pièce, enfermés dans la peur. Ils parleront de Thomas qui a de la peine à croire. La suite, c’est la première communauté chrétienne portée par la bonne nouvelle du Christ vivant, mais aussi dans la tourmente, l’hostilité, le doute, les divisions, les trahisons, la persécution. Le chemin n’est pas évident. Il faut du temps pour sortir de la crise. Le chemin est ouvert mais il est encore difficile à emprunter et la route est longue.

Il n’y a pas de solutions miracle à la crise, à nos crises. Mais il y a l’appel se mettre en route, à réagir, à affronter les épreuves et à combattre ensemble, avec nos outils de pensée et d’action, nos moyens et nos limites, nos choix et nos engagements. C’est cela la foi : croire en temps de crise, dire « oui » à la vie, malgré tout.

Pâques, le Christ vivant, le début pour Marie puis pour les disciples de leur propre résurrection. Le début de notre propre résurrection. Le début d’une folle histoire de vie et de justice, de partage, du Royaume de Dieu. L’histoire des témoins que nous sommes dans ce monde. Notre histoire, désormais. La résurrection est ce chemin de vie. Dire « oui » à la vie. Etre actifs, libres, responsables, pas de manière théorique, mais dans le réel de nos choix, de nos engagements, de nos actions. Agir à nouveau. Ré-agir. Construire à nouveau. Re-construire, ce verbe qui est l’anagramme de « résurrection ». La résurrection, c’est reconstruire.  Affronter la crise, être réveillés par la Parole, se lever et prendre le chemin de la vie.

Alors oui, c’est la crise. Mais, ce matin, au cœur de la crise, une bonne nouvelle : le Christ est vivant et il nous appelle, comme Marie, à quitter le tombeau, sécher nos larmes, être emplis de la Parole, nous rendre auprès des autres pour leur dire « J’ai vu le Seigneur », partager avec eux la force de sa parole, et les inviter à se joindre à nous sur le chemin de la vie.

Alors, avec Marie, au cœur de la crise, allons dès maintenant partager la bonne nouvelle : « J’ai vu le Seigneur ! »

Amen.

 

[1] Julos Beaucarne, « Le futurologue » : https://www.youtube.com/watch?v=4TR-hUfmWTw