La confiance du singe ou celle du chat ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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La confiance du singe ou celle du chat ?

Prédication confiance chat ou singe

Prédication du dimanche 27 octobre 2019, par le pasteur Christian Baccuet

Lectures :

  • Psaume 40, 5
  • Esaïe 26, 3
  • Luc 16, 10
  • Romains 1, 16 et 17

   

Vous êtes plutôt singe ou plutôt chat ? Je ne parle pas de votre amour pour l’un ou l’autre de ces animaux, ni de la manière dont vous vous projetez dans l’un ou l’autre comme quand on répond à la question : « si vous étiez un animal »... Je parle de votre rapport à la confiance : avez-vous la confiance du singe ou celle du chat ?

La confiance... S’il y a quelque chose dont nous avons besoin pour vivre sereinement, c’est la confiance. Confiance en soi, qui aide à se sentir à sa juste place. Confiance dans les autres, qui permet de vivre ensemble paisiblement. S’il y a quelque chose dont nous manquons, c’est la confiance. Notre temps est à la défiance. La pression à la réussite qui met en avant les compétences personnelles crée des creux de confiance en soi et d’angoisse. La compétition et la perte de crédit accordée à la parole suscitent une société de méfiance, à tel point que quand quelqu’un nous dit « aie confiance », nous nous méfions… S’il y a quelque chose qui est présent au cœur des passages de la Bible que nous venons de lire, c’est la confiance. Et cela n’est pas étonnant, car la Bible nous parle de nous, de nos vies, de nos espoirs et de nos fragilités. De notre besoin de confiance et de notre manque de confiance.

Les trois premières lectures ont été choisies par Geneviève et Enguerrand à l’occasion du baptême de leur fils Armel. Car ils ont envie que leur fils grandisse dans la confiance, à la fois en lui-même et dans sa relation aux autres. Et, par leur expérience personnelle et leur métier d’enseignant, ils savent le prix de la confiance qui fait grandir, et aussi des ravages que crée la perte de confiance. La confiance dont nous parle la Bible ce matin, c’est la confiance en Dieu. Heureux celui ou celle qui met sa confiance dans le Seigneur, s’exclame le psalmiste. Et le prophète Esaïe proclame que le Seigneur garde en paix celui ou celle qui lui fait confiance. Au cœur de la Bible, se tient cette certitude que la confiance en soi et la confiance dans les autres s’enracinent dans la confiance en Dieu.

La confiance reçue est un cadeau qui permet de vivre dans la confiance, que ce soit dans les grandes comme dans les petites choses de la vie, ainsi que le dit Jésus dans l’Evangile de Luc. Belle parole qui appelle à vivre chaque jour la confiance que donne le Christ. Mais voilà, cette parole a un versant qui sonne comme une menace. Jésus dit aussi que celui qui est injuste dans une petite affaire est injuste dans une grande. Comment comprendre cela ? Sommes-nous condamnés à être du côté de la confiance, tout le temps, où du côté de l’injustice, tout le temps ? Et, surtout, sommes-nous enfermés dans un moment où nous avons failli en termes de confiance, incapables de remonter la pente, prisonniers de la défiance, exclus d’une confiance qui pourrait se construire malgré tout ?

C’est cette question qui angoissait un moine au début du XVIe siècle, Martin Luther.

 

1. Luther et la justice de Dieu

Jeudi prochain, le 31 octobre, sera célébré le 502ème anniversaire de la réformation. Le 31 octobre 1517, les 95 thèses de Martin Luther étaient affichées sur la porte de l’Eglise du château de Wittenberg, en Allemagne, ville dans laquelle le moine enseignait la théologie. Dans ces 95 affirmations, il réfutait le système des indulgences, une pratique qui consistait à pouvoir donner de l’argent pour être dispensé, selon la compréhension de l’époque, de certaines peines au purgatoire. Le commerce des indulgences rapportait énormément d’argent à l’Eglise et donnait lieu à des simplifications commerciales : on prêchait par exemple que cela donnait accès directement au ciel ! En affichant ces thèses, Luther ne faisait pas œuvre révolutionnaire, il mettait seulement en discussion des affirmations théologiques, selon la coutume académique de l’époque. Il ne se doutait pas de l’ampleur que cela allait prendre, de l’impact énorme sur les gens, de l’enthousiasme que cela allait susciter, et de l’opposition farouche que cela allait déclencher, jusqu’à son excommunication – son exclusion de l’Eglise –, sa mise au ban de l’empire – son exclusion de la vie sociale – et finalement la création d’un grand courant du christianisme, le protestantisme, dont nous sommes issus.

Si la contestation par Luther du commerce des indulgences a eu un immense succès, c’est en partie parce que le gens étaient choqués par l’argent récolté sur le dos des pauvres pour augmenter la richesse et la puissance de l’Eglise et par les méthodes utilisées, mais aussi parce que cela les rejoignait dans une angoisse profonde, celle du salut après leur mort. Toute la fin du Moyen Age est envahie par cette question, tant sont nombreuses les guerres, les épidémies, les menaces, et tant un Dieu qui juge et condamne a été enseigné. Luther lui-même est pétri de cette angoisse, qui le tenaille au plus profond de lui-même. Si je suis injuste dans une petite affaire, je serai injuste dans une grande, et ma condamnation est donc assurée. Car en me regardant en vérité, je ne peux que constater mes fragilités, mes limites, mes incohérences.

Travaillé par cette question, Luther l’a scrutée dans sa méditation de l’Ecriture. Et c’est un verset de l’épître aux Romains qui l’éclaire, quand Paul, tout au début de sa lettre écrit : « le juste vivra par la foi » (Romains 1, 17). Luther comprend que cette phrase ne veut pas dire que notre vie trouve sa justification dans une justice « active », c’est-à-dire dans les actes que l’on produit – davantage de confiance ou davantage de condamnation ? Elle trouve sa justification dans le regard que Dieu pose sur nous, une justice « passive » puisque nous en sommes les bénéficiaires qui n’ont qu’à la recevoir de Dieu. Le salut ne se gagne pas, il se reçoit.

Pour Luther, c’est une expérience fondatrice : « Aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par des portes largement ouvertes au Paradis même. Dès lors, l’Ecriture tout entière prit à mes yeux un aspect nouveau. Je parcourus les textes comme ma mémoire me les présentait et notai d’autres termes qu’il fallait expliquer d’une façon analogue... la puissance de Dieu par laquelle il nous donne sa force, la sagesse par laquelle il nous rend sages, le salut, la gloire de Dieu. Autant j’avais détesté ce terme de justice de Dieu, autant j’aimais, je chérissais maintenant ce mot si doux, et c’est ainsi que ce passage de Saint Paul devint pour moi la porte du Paradis »[1].

L’Evangile nous appelle à nous détacher du « faire » pour « être », pour vivre la confiance, la recevoir, la partager.

La justification, ce qui justifie nos vies, n’est pas au bout de nos efforts mais dans l’humble confiance en Dieu qui, lui seul, nous justifie, nous fait justes. Le salut ne se gagne pas par nos actions mais se reçoit comme un don. Dans notre monde où la confiance doit se mériter, puisqu’il faut être toujours plus rapide, performant, jeune, entreprenant, faire son salut tout seul, réussir par son activité, l’Evangile nous appelle à nous détacher du « faire » pour « être », pour vivre la confiance, la recevoir, la partager. Non pas par nos efforts, mais par notre disponibilité.

 

2. Confiance active ou confiance passive ?

Cette protestation contre ce qui aliène l’être humain n’a rien perdu de son actualité. Les condamnations du XVIe siècle, par contre, ne sont plus de mises. Cette question de la justification par la foi a été un lieu de rupture profonde entre protestants et catholiques, mais un grand chemin a été fait depuis. Il y a tout juste 20 ans, le 31 octobre 1999, était signée à Augsbourg la Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification, accord fondamental entre l’Eglise catholique et la Fédération luthérienne mondiale sur ce sujet central. Ensemble, avec des nuances, les deux Eglises confessent aujourd’hui l’essentiel : c’est en Dieu que se trouve le fondement de notre justification, c’est-à-dire de ce qui nous rend justes. Depuis, le Conseil méthodiste mondial en 2006, la Communion mondiale des Eglises réformées en 2017 et la Communion anglicane en 2017 se sont joints à cet accord. La justification qui a déchiré l’Eglise occidentale au XVIe siècle n’est aujourd’hui plus un lieu de division. Il y a un « consensus différencié » sur la question, c’est-à-dire un accord sur l’essentiel (la grâce de Dieu), qui permet des différences d’appréciation. Par exemple sur la manière dont l’être humain coopère avec Dieu.

Le professeur André Gounelle, pour expliquer que l’accord est fondamental entre catholiques et protestants sur la grâce seule mais que des différences se portent sur la manière dont le croyant participe à cette grâce, utilise l’image du singe et du chat… nous y voilà ! « Quand un bébé singe se trouve en danger, sa mère court à lui et le petit s’agrippe à ses épaules. Pendant que sa mère l’emporte, il se tient. Il ne peut pas se tirer d’affaire tout seul ; il a besoin de sa mère ; mais il doit aussi participer. S’il lâche prise, il sera perdu. Nous avons là une image du salut tel que le comprend le catholicisme classique. Quand un chaton court un risque, la mère chatte se précipite, le prend par la peau du cou, l’emporte dans un lieu sûr, et le met hors de danger sans qu’il coopère. Il lui arrive même de se débattre. Sa mère fait tout le travail. Nous avons là une parabole du salut tel que le comprend le protestantisme classique »[2].

Vivre par la foi, c’est s’épanouir dans la confiance !

Ici, dans ce temple, dans cette communauté, dans cette Eglise, nous sommes davantage des chats que des singes ! Ce que nous confessons depuis Luther, ce que nous vivons, c’est une entière confiance en Dieu, une disponibilité totale en lui, le salut par la foi seule. Le juste vivra par la foi, écrit Paul aux Romains dans ce verset qui fit naître la Réforme protestante. Par la foi, c’est-à-dire dans la confiance. Car, dans la Bible, « foi » et « confiance » c’est le même mot[3]. Vivre par la foi, c’est s’épanouir dans la confiance !

3. La foi de Jésus-Christ

Mais cette foi, c’est quoi ? Cette foi qui nous libère, cette confiance qui nous fait vivre, Paul la précise dans l’épître aux Romains, au chapitre 3 : la justice de Dieu se manifeste « par la foi de Jésus-Christ pour tous ceux qui croient » (v. 22).  Ce qu’écrit Paul ici est essentiel.

La justice de Dieu, cette relation qui nous rend justes, bien ajustés, est donnée en Jésus-Christ. Ce qu’écrit Paul peut se traduire de deux manières : par la foi « de » Jésus-Christ et par la foi « en » Jésus-Christ. Par la foi du Christ, c’est-à-dire par la confiance qu’il place en nous, par la foi qui est la sienne, et c’est là une assurance formidable puisque toute la Bible nous dit la confiance inconditionnelle que Dieu nous fait, malgré nos défaillances ! Et par la foi en Jésus-Christ, c’est-à-dire dans l’élan de confiance qu’il donne à vivre, réponse de foi à la confiance qu’il met en nous. La foi, c’est vivre de la confiance en ce Dieu qui vient à nous en Jésus-Christ, dans une relation aimante, qui relève, qui pardonne, qui remet en relation, qui s’adresse au plus fragile, au petit qui doute, à celui qui manque de confiance en soi. Jésus rejoint nos vies jusqu’au plus profond de ce qui nous angoisse, la mort, pour nous entraîner au-delà, dans la vie ouverte au matin de Pâques, dans la longue houle de l’espérance qui fait voir au-delà de toutes les méfiances. La foi, c’est, parce que rejoints par le Christ, se lever pour marcher à sa suite dans une confiance contagieuse. Vivre de la confiance.

Cela est offert à tous ceux qui croient, dit Paul. C’est-à-dire que cet appel à la confiance n’est pas réservé à quelques-uns, il ne prend pas en compte notre origine, notre parcours, nos mérites ; il est pour tous ceux qui vivent de la confiance, sans distinction dit Paul. En Christ, l’appel à la confiance est pour tout le monde, cela est offert à tous, cela déborde les frontières ! En Christ, la confiance est contagieuse, elle submerge l’injustice ! C’est pour cela qu’« Evangile » veut dire « bonne nouvelle » !

Le baptême est signe de cela. Le signe de l’eau dit le passage de la mort à la vie, à la suite du Christ crucifié et ressuscité. Le passage de l’injustice à la foi, de la défiance à la confiance. Au cœur de ce culte, le baptême d’Armel est l’expression de cette confiance. La confiance, c’est littéralement la foi ensemble : le préfixe « cum » qui rassemble, et la « fiance » qui dit la relation à l’autre. La confiance, c’est le fruit de la foi, c’est l’expression de la foi, c’est la foi partagée. Par le baptême, nous avons ce matin mis Armel sur le chemin de la foi. Bien sûr, nous ne savons pas s’il aura la foi, plus tard, quand il sera grand ; c’est aujourd’hui de l’ordre de l’espérance. Mais le baptême l’accueille dans la foi. La foi de Dieu en premier, baptême « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », baptême qui signifie la grâce de Dieu, inconditionnelle, prévenante, cadeau offert, confiance de Dieu en Armel, qui l’aidera à grandir. La foi de ses parents, aussi, qui ont demandé qu’il reçoive ce signe de l’amour de Dieu car cet amour est pour eux riche de paix et de douceur, qu’ils ont à cœur de lui transmettre. Et la foi de l’Eglise, qui lui fait place en son sein, qui lui laissera toujours une place, quel que soit son chemin, car il en fait désormais partie ; l’Eglise universelle, répandue à travers les siècles, les continents et les dénominations, et présente ici ce matin dans cette assemblée réunie autour du Christ.

Le baptême d’un tout petit enfant – Armel aura 4 mois demain – exprime bien l’accueil inconditionnel que Dieu nous fait. Armel est trop petit pour demander le baptême, pour croire comme il faut ou agir avec bonté. Mais Dieu n’attend pas qu’il mérite d’être baptisé, il lui donne déjà son amour. La grâce de Dieu, c’est son élan vers nous avant que nous le méritions, avant même que nous le sachions. C’est un cadeau. Et c’est un cadeau qui n’a pas de prix. Imaginez qu’un enfant doive grandir avec le challenge de se comporter comme il faut pour mériter l’amour de ses parents, ce serait douloureux pour lui ; c’est parce qu’il est confiant dans l’amour inconditionnel de ses parents qu’il pourra grandir en paix. Il en est de même pour l’amour de Dieu pour nous, qui nous précède et nous entoure, qui nous permet de nous épanouir dans la confiance. 

La grâce de Dieu, c’est son élan vers nous avant que nous le méritions, avant même que nous le sachions. C’est un cadeau. 

Pour qu’Armel puisse en vivre, il faudra le lui enseigner. Bien plus, il faudra le vivre avec lui, c’est-à-dire lui faire confiance. Cette confiance que nous avons reçue, elle est à partager, car le meilleur moyen de vivre la confiance, c’est que quelqu’un nous fasse confiance. Le numéro de Ressources, la revue de l’EPUdF que nous avons reçue mardi dernier, est consacrée à la jeunesse dans notre Eglise et porte le titre « Une confiance à partager ». Il y a dans cette revue des témoignages émouvants de jeunes qui ont grandi dans la vie et dans la foi parce qu’on leur a fait confiance. Ainsi Leïla : « A Taizé on parle aux jeunes comme à des personnes responsables, on leur fait confiance, on compte sur eux, on les valorise. Ça permet aux jeunes de se rendre compte de l’importance qu’ils ont pour Dieu et pour l’Eglise, et ça leur donne confiance en leurs capacités à prendre des responsabilités, à faire des choix complexes et à donner un sens à leur vie »[4].

Puissions-nous ici être une Eglise (et des parents, un parrain et une marraine) qui vive de la confiance, confiance reçue. Et qui vive la confiance, confiance donnée. Notre Eglise comme espace de confiance ! Puisse Armel vivre un jour de cette confiance, être heureux avec nous qui mettons notre confiance dans le Seigneur, heureux que nous sommes d’être gardés en paix par lui, d’être dignes de confiance dans les petites comme dans les grandes affaires.

Comme des petits chats, confiants en Dieu qui nous tient solidement par la peau du cou !

Amen.

 

[1] Martin Luther, « Préface au premier volume des œuvres latines de l’édition de Wittenberg » (1545), dans Œuvres, tome VII, Genève, Labor et Fides, 1962, p. 306-307.

[2] André Gounelle, Protestantisme, Paris, Publisud, 1992, p. 74.

[3] Le mot grec πίστις qui est utilisé par Luc comme par Paul dans les passages que nous avons lus se traduit par « foi » ou « confiance ». C’est aussi par ce mot que la Septante traduit en grec le terme hébreu מִבְטָח (mibtach – se confier à) que l’on trouve dans Psaume 40, 5.

[4] Ressources, n° 10, octobre 2019, p. 56.

Pour aller plus loin
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