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Echapper à Dieu ?

Vidéo du culte et texte de la prédication du pasteur Christian Baccuet sur Jonas 1, dimanche 7 août 2022.

Echapper à Dieu ?

 

Pour voir la vidéo du culte du dimanche 7 août 2022 au temple de Pentemont : cliquer ici.

Texte de la prédication : ci-dessous.

 

Lecture : Jonas 1

Prédication du pasteur Christian Baccuet, Pentemont-Luxembourg, 7 août 2022

 

 

Peut-on échapper à Dieu ?

Cette question est anxiogène pour ceux qui veulent se cacher de Dieu, ou qui se le représentent comme quelqu’un qui nous poursuit partout, nous voit tout le temps, nous surveille et nous punit. Une sorte de Big Brother totalitaire, effrayant, destructeur.


Je pense ici au poème de Victor Hugo sur Caïn, errant après avoir tué son frère, qui veut fuir loin de la face du Seigneur (Genèse 4). Pendant la nuit, alors qu’il n’arrive pas à dormir,

« Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,

Et qui le regardait dans l’ombre fixement. »

Il se remet à fuir, le plus loin possible, jusqu’au bout du monde.

« Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes

L’œil à la même place au fond de l’horizon.

Alors il tressaillit en proie au noir frisson. »

On le cache alors sous une toile, mais il voit encore cet œil. On fait un mur de bronze autour de lui mais cet œil le regarde toujours. On construit alors une ville ultra surveillée, avec sur la porte un avertissement : « Défense à Dieu d’entrer » ; mais l’œil est toujours là. On creuse une fosse et Caïn y descend, et le poème se termine avec ce vers magnifique et terrible :

« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn ».

Dans le poème d’Hugo, Caïn ne peut fuir sa mauvaise conscience et c’est comme si c’était à Dieu auquel il ne pouvait échapper.

 

Peut-on échapper à Dieu ?

J’ai pensé à cela à propos du premier chapitre du livre de Jonas, que nous méditons aujourd’hui. Jonas a reçu une mission de Dieu, et il s’enfuit « loin de la face du Seigneur » (v. 3 et 10) ; la seule autre fois où cette expression est utilisée dans la Bible, c’est justement à propos de Caïn (Genèse 4, 16). Mais Jonas est rattrapé par Dieu, qui déclenche une violente tempête, et Jonas est jeté hors du bateau dans lequel il se cachait. Sans dévoiler le suspens, vous savez qu’il va envoyer un grand poisson pour le sauver – rendez-vous dimanche prochain pour la suite !

Jonas ne peut échapper à Dieu. Ce conte biblique est-il anxiogène ? Nous donne-t-il une image de l’impossibilité de s’enfuir, d’être libre, d’être soi-même ? Je ne crois pas, et j’aimerais traverser avec vous ce premier chapitre en l’entendant comme une bonne nouvelle. Un message qui bouscule, mais qui est bon pour nous… et pas que pour nous. Reprenons l’histoire au début.
 

1. Jonas s’enfuit

Le récit commence comme un récit classique de vocation, comme on en trouve de nombreux dans la Bible. Un homme, dont on ne sait rien si ce n’est qu’il s’appelle Jonas – ce qui signifie « colombe », cet oiseau qui, au temps de Noé, annonce la fin du déluge – et qu’il est fils d’Amittaï ; le nom de son père vient de la racine אֶמֶת (’emeth), qui veut dire « fidélité », « fermeté », « vérité ». On peut dire que Jonas est un homme qui porte un message de paix, enraciné dans la fidélité, la foi. Quand il se présentera aux marins, il dira « Je suis hébreu et j'adore le Seigneur, le Dieu qui est au ciel et qui a créé les mers et les continents »  (v. 9). Il est un bon croyant.

Il n’est mentionné qu’une autre fois dans l’Ancien Testament, en 2 Rois 14, 25, qui nous apporte trois précisions ; l’une est son village, Gath-Hépher, qui n’a rien de remarquable ; la deuxième est qu’il est un prophète mais on n’en sait pas plus ; la troisième est la période de sa vie, aux alentours de 800 avant notre ère, quand la menace dominante dans le Proche-Orient est alors la puissance assyrienne. La capitale assyrienne est la ville de Ninive, et quelques décennies plus tard, en 722, le Royaume d’Israël tombera sous les attaques de l’Assyrie est le danger mortel, l’ennemi irréductible.

Le livre de Jonas, lui, est plus récent ; les spécialistes estiment qu’il aurait été écrit au 5ème siècle avant notre ère, après le retour de l’exil à Babylone, dans une période où une vague d’identité nationaliste et de religiosité exclusiviste se développe à Jérusalem. La ville de Ninive n’existe alors plus – elle a été détruite en 612 par les Mèdes – mais son nom évoque encore le mal absolu.

Ce contexte est important, car il nous permet de comprendre pourquoi Jonas, tout bon croyant qu’il soit, s’enfuit quand Dieu l’appelle. Il est classique dans les récits de vocation biblique que celui qui est appelé essaie de se défiler, en argumentant sur le fait de ne bien pas savoir parler (Moïse par exemple), d’être trop jeune (Jérémie), ou tout autre raison humainement valable mais que Dieu dépasse, car ce n’est pas la compétence de celui qui est appelé qui fait sa vocation mais la force de la parole que Dieu lui donne à transmettre. Ici, à la différence des autres récits de vocation, Jonas ne dit pas à Dieu ses réserves. Il s’enfuit, sans mot dire.

Il s’enfuit au plus loin possible. Alors que Dieu l’envoie vers Ninive, au nord-est, il prend un bateau vers l’ouest, vers Tarsis. On ne sait pas où se situait exactement cette ville, mais il est probable qu’elle était située au sud de l’Espagne, sur le détroit de Gibraltar, c’est-à-dire aux limites du monde connu… au plus loin qu’il soit possible pour Jonas d’aller dans la direction opposée à sa mission.

 

Pourquoi Jonas s’enfuit-il ainsi, de manière radicale ?

La mission que Dieu lui a donnée est d’aller à Ninive, la capitale assyrienne, l’ennemi destructeur d’Israël, le symbole du mal pour un Hébreu comme Jonas. Dieu veut l’envoyer à Ninive car il en a « assez de voir la méchanceté de ses habitants » (v. 2). Jonas est appelé à aller proférer des menaces contre cette ville. Et souvent, quand Dieu charge un prophète d’aller proférer des menaces contre son peuple, ce n’est pas pour annoncer une condamnation, mais pour appeler à un changement de direction, à une conversion. Il ne manquerait plus que Ninive se convertisse – mais là encore, suspens, il faudra revenir dans quinze jours pour savoir ce que les ninivites vont faire !

D’autant plus que Ninive n’est pas le peuple de Dieu. Dans tous les autres récits de vocation, c’est vers le peuple hébreu que les prophètes sont envoyés. Ici c’est vers un autre peuple. Il ne manquerait plus que Dieu s’intéresse à d’autres qu’à nous, à nos ennemis notamment. On a beau confesser avec Jonas que le Seigneur est « le Dieu qui est au ciel et qui a créé les mers et les continents » (v. 9), il reste quand même le dieu de son peuple, « notre » Dieu et pas celui des autres ! C’est en tout cas ce qu’un Hébreu du huitième siècle pouvait penser, c’est ce qui était la conviction au cinquième siècle dans la période de reconstruction religieuse et nationaliste, c’est ce qui habite Jonas.

Alors Jonas s’enfuit. Il ne veut pas cautionner un tel dieu, il ne veut même pas entrer en discussion avec lui. Il part le plus loin possible de la face du Seigneur. Dans un bateau en partance pour les extrémités de la terre, il descend au fond de la cale, et là il descend dans un sommeil profond. Le plus loin possible.

 

2. Dieu rattrape Jonas

Mais peut-on échapper à Dieu ?

Jonas non. Dieu le rattrape, en y mettant les grands moyens : un grand vent, une tempête, le risque d’un naufrage dramatique. Jonas ne peut échapper à sa vocation. Non pas parce que Dieu voudrait le punir de sa désobéissance, mais parce qu’il a besoin de lui. Car cette histoire de tempête n’est que le moyen que, dans ce conte, Dieu utilise pour que Jonas revienne. Et ce moyen est extraordinaire car il va avoir deux effets considérables.

Le premier, c’est sur Jonas. Lui qui se cachait au fond du sommeil, au fond d’un bateau voguant vers les confins du monde, se retrouve au milieu de l’histoire. Il ne peut échapper à sa responsabilité, quand les marins comprennent que c’est de lui que vient le malheur qu’ils sont en train de traverser. Jonas, qui jusque-là n’a pas ouvert la bouche, prend deux fois la parole.

La première fois, c’est pour confesser sa foi. Aux marins qui suivent une autre religion que la sienne, Jonas va parler en vérité de lui-même, pour dire ce qui est son identité profonde. « Je suis hébreu », dit-il (v. 9).  Un Hébreu, fruit de cette longue aventure avec le Seigneur, depuis Moïse jusqu’à Jonas, en passant par l’exode, l’installation en terre promise, le temps des Juges puis des rois, histoire de la fidélité de Dieu à son peuple. Il est un Hébreu croyant : « J’adore le Seigneur », ce dieu dont la Parole libère, accompagne, construit la vie d’hommes et de femmes depuis des générations, personnellement et collectivement. Et un Hébreu croyant qui confesse que le Seigneur n’est pas que le Dieu de son peuple mais « le Dieu qui est au ciel et qui a créé les mers et les continents », le Dieu de l’univers. Il a de la peine à vivre cette universalité pour ce qui concerne Ninive, mais il dit cette conviction aux marins. Il témoigne de sa foi.

Et puis, dans un deuxième temps, il confesse sa responsabilité. Si la tempête se déchaîne, c’est bien à cause de lui. « Je le reconnais, c'est par ma faute que vous subissez cette grande tempête » (v. 12), leur dit-il. Et il l’assume jusqu’au bout, puisqu’il leur dit : « Prenez-moi, jetez-moi par-dessus bord et la mer s'apaisera ». C’est ce que les marins font, et effectivement la mer s’apaise.

Jonas qui a fui le plus loin possible de Dieu, qui a voulu échapper à sa mission, est rattrapé par Dieu. Et Dieu ne le condamne pas, ne le punit pas. Dieu lui permet de se remettre debout dans sa mission : témoigner de sa foi, et assumer ses responsabilités. Regarder en face la réalité, confesser sa foi, permettre aux autres de vivre.

Cela me parle, chaque fois que je suis comme Jonas. Chaque fois que je trouve qu’il est trop facile que Dieu – mon Dieu – s’intéresse à d’autres que moi, et en particulier à ceux qui font du mal, qui détruisent les autres et la planète, qui veulent dominer, écraser, être à eux tous seuls les maîtres du monde. Je n’ai pas souvent envie de leur annoncer l’Evangile. La plupart du temps, je fuis ces occasions en partant ailleurs, le plus loin possible, en me réfugiant au fond du sommeil. Je me retrouve en Jonas. Je veux être homme de paix, je veux être inscrit dans cette histoire de fidélité, mais je n’y arrive pas toujours. Je me défile quand il s’agit de la vivre réellement. Alors, moi qui suis comme Jonas, je trouve touchant, très émouvant, que Dieu le rattrape. Que Jonas ne puisse échapper à Dieu est une bonne nouvelle. Dieu a besoin de lui. Dieu lui permet de témoigner de sa foi, d’assumer sa responsabilité – et Dieu va le repêcher quand il sera au fond de la mer.

Quelle chance pour Jonas de ne pas avoir pu échapper à Dieu ! Quelle chance pour moi que de pouvoir, toujours à nouveau, recevoir le pardon de Dieu, le signe de son amour inconditionnel, son appel à partager la vie qu’il donne, même, et surtout, quand je ne veux pas. Je ne peux échapper à Dieu. Non pas comme Caïn poursuivi par sa mauvaise conscience, mais comme tous les hommes et les femmes qui ont été rejoints par Dieu, remis en route, relevés, ressuscités. Comme Jonas, comme toutes les personnes que Jésus a croisées et qui ont été appelées à le suivre.

Ne pas échapper à Dieu, c’est être sans cesse remis dans cette dynamique de vie que donne la Parole de Dieu. Quelle bonne nouvelle pour Jonas, quelle bonne nouvelle pour moi !

 

3. Les marins se convertissent

Et quelle bonne nouvelle pour les autres.

Car il y a dans ce premier chapitre de Jonas des personnes qui vont être bénéficiaires de son choix de s’enfuir. Ou plutôt du fait que Dieu le rattrape et qu’il ne peut échapper à sa mission. Ce sont les marins dans le bateau. Malheureux marins dans la tempête, heureux marins qui ont embarqué Jonas. Car ce chapitre montre le chemin de foi que vont faire ces marins.

Ces marins ne sont pas des Hébreux. Ils croient en d’autres dieux, ils sont d’autres nationalités, d’autres cultures, d’autres religions. Quand le bateau menace de se briser dans la tempête et que la peur les saisit, « chacun appela son propre dieu à grands cris » (v. 5) ; ils demandent à Jonas de participer en invoquant lui aussi son dieu. Chacun, avec les moyens qu’il a, essaie de trouver une solution. Avec leur foi, et avec professionnalisme aussi, puisqu’ils font les gestes nécessaires en jetant la marchandise par-dessus bord pour alléger le bateau, puis qu’ils cherchent à trouver d’où vient le problème, où se situe la responsabilité, et qu’ils découvrent que c’est Jonas.

Et ce qu’ils font alors est fort. Ils ne se précipitent pas pour punir Jonas. Ils lui donnent la parole : explique-nous d’où vient ce malheur. Et quand Jonas leur dit sa foi, ils sont ouverts à lire la réalité avec cette grille de lecture. Ils sont « saisis d'une grande crainte en apprenant qu'il s'enfuyait loin du Seigneur » (v. 10). La crainte, bibliquement, ce n’est pas la peur mais le respect de Dieu ; c’est une expression de la foi. Les marins cheminent vers la foi, ce n’est plus chacun son dieu qui est mentionné ici mais « le Seigneur », le nom du dieu biblique.

Pris dans la foi, dans la confiance, les marins demandent à Jonas de leur dire quoi faire mais, quand celui-ci leur dit de le jeter par-dessus bord, ils essaient de trouver une autre solution, ramer pour gagner la terre ferme. Cela ne marche pas, alors, nous dit le texte, « ils appelèrent le Seigneur au secours : Ah, Seigneur, ne nous laisse pas perdre la vie à cause de cet homme. Ne nous rends pas non plus responsables de la mort de quelqu'un qui ne nous a rien fait. Car c'est toi, Seigneur, qui as agi comme tu l'as voulu » (v. 14). Ils passent de la crainte du Seigneur à la prière. Pas la prière chacun à ses dieux, mais la prière au Seigneur, prière qui est à la foi appel au secours, confession de foi et cri de confiance.

Et quand ils se résignent à jeter Jonas par-dessus bord et que la mer se calme, ils franchissent encore un pas dans le domaine de la foi : « Alors ils furent remplis de crainte à l'égard du Seigneur ; ils lui offrirent un sacrifice et lui firent des promesses solennelles » (v. 16). Le chapitre se termine ainsi, sur le fait que les marins païens sont devenus des disciples du Seigneur. Le chapitre commençait par la fuite de Jonas refusant que la Parole de Dieu soit pour des païens, et il se termine par la foi trouvée par des païens… grâce à Jonas. Ou plus exactement grâce au fait que Jonas n’a pas pu échapper à Dieu.

Bonne nouvelle quand nous nous défilons de notre mission de témoins de l’Evangile : Dieu nous rattrape, et, même malgré nous, des personnes peuvent recevoir cet Evangile ! L’universalité de l’Evangile, la Parole de Dieu pour tous, est une réalité qui nous dépasse, qui déborde de nous. Le refus de Jonas est dépassé par l’amour de Dieu. La grâce déborde de nos résistances. Même si nous voulons échapper à Dieu, ce monde que nous coupons de l’Evangile est rattrapé par Dieu et la bonne nouvelle se répand quand même, « auprès des gens de toutes les nations », comme dit Jésus à ses disciples quand il les envoie, à la fin de l’évangile de Matthieu (Matthieu 28, 19), pour partager la bonne nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre.  Même là où nous voulons fuir, la grâce de Dieu se trouve, nous retrouve, et par nous trouve d’autres personnes.

Un dernier mot. Le vent que fait souffler Dieu et qui déclenche la tempête, le témoignage de Jonas et la conversion des maris, c’est en hébreu le terme רוּחַ (ruwach), qui signifie « vent » mais aussi « souffle », ou encore « Esprit » ; c’est le terme utilisé ailleurs pour parler de l’Esprit de Dieu. Puisse l’Esprit saint nous rattraper et nous emporter, au-delà de nos refus de la grâce universelle, vers un témoignage fécond, pour tous, de la bonté de Dieu.

Amen.