Dieu de colère et de compassion — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Dieu de colère et de compassion

Prédication du dimanche 28 novembre 2021, par le Pasteur Christian Baccuet

Dieu de colère et de compassion

 

Psaume 95

 

Pentemont-Luxembourg, 28 novembre 2021.

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

Au cours de ce culte : dialogue voix-clarinette, psaumes en hébreu et en français, avec Rose Bacot ; au-revoir à Peter Vizard, organiste titulaire.

 

 

Qu’il est beau d’entendre dire les Psaumes dans leur langue d’origine, l’hébreu, et de les recevoir dans notre langue ! Qu’il est beau de les entendre mis en musique et de les laisser résonner ainsi dans tout notre corps. Qu’il est beau de les entendre dans ce temple, au cœur de notre culte et de les vivre ensemble. Merci Rose Bacot !

L’hébreu, le français, la musique. Cela nous rappelle une dimension fondamentale des Psaumes : ce sont des chants. Nous en avons le texte dans nos Bibles, mais comme nous en avons perdu la musique nous oublions qu’ils étaient chantés, c’est-à-dire qu’ils expriment au-delà des mots toute la palette des sentiments humains : joie, peine, colère, reconnaissance, détresse, confiance.  Ils les expriment dans des chants qui étaient destinés à être chantés ensemble, en communauté, dans l’assemblée priante, dans le culte, dans des occasions de fête. Ils portent ainsi la prière de chacun par la prière des autres, ceux qui ont mis des mots en musique pour nourrir notre prière, ceux qui ont chanté ces Psaumes avant nous, pendant de nombreuses générations, ceux qui les chantent autour de nous, avec nous. Prier est ainsi à la fois un acte très personnel, très intime et subjectif, et un acte collectif, qui fait sens ensemble, qui donne à la prière une dimension communautaire, tissée de liens.

Les Psaumes sont au cœur de la Bible – en son centre physique même ! Ils sont au cœur de la foi juive et nous rappellent l’enracinement de notre foi dans le judaïsme, « la racine qui nous porte », comme le dit l’apôtre Paul (Romains 11, 18). Ils sont au cœur du protestantisme réformé qui les a versifiés en français, leur a donné de nouvelles mélodies que, pour certaines, nous chantons encore depuis le XVIe siècle, et les a mis au cœur du culte. Ils sont au cœur du culte d’aujourd’hui qui se trouve être le culte où nous remercions un de nos formidables organistes et pianistes, Peter Vizard, qui après 35 années comme titulaire s’en va sous d’autres cieux. Merci Peter pour ce que tu es et ce que tu nous donnes par la musique !

Au cœur de notre culte, au cœur de notre foi, au cœur de notre vie, les Psaumes. Et aujourd’hui le Psaume 95, psaume qui m’émeut pour trois raisons.

 

1. Un Dieu vivant

La première dimension qui m’émeut dans le Psaume 95, c’est qu’il a deux parties très distinctes, contrastées même, dont l’articulation donne un sens fort à notre foi.

Dans sa première moitié, il est un Psaume de louange. Il commence dans un cri de joie, une ovation faite à Dieu, un chant de reconnaissance. Une louange adressée au Dieu créateur, le Dieu qui domine les dieux, les profondeurs de la terre, les sommets des montagnes, les mers, la terre. Cela résonne pour nous comme expression de la grandeur de ce Dieu qui se rencontre dans les merveilles de la création. La nature est belle parce qu’elle est création de Dieu. Et Dieu est grand parce qu’il se donne à voir à travers elle. Cela résonne aussi dans le monde biblique comme une confession de foi dans le Dieu unique, spécificité du Dieu d’Israël au milieu d’autres peuples qui adoraient plusieurs dieux, qui pensaient que les montagnes ou la mer, le soleil et la lune, les sources et les grands arbres, étaient des dieux. Dans ces religions, on n’admirait pas la nature pour sa beauté mais parce qu’elle faisait peur, mystérieuse et puissante, sacrée et redoutable.  Confesser le Dieu unique, créateur, est fondamental dans la Bible car c’est être libéré du poids d’une sacralité mise partout, d’une vie qui se déroule dans la crainte de la nature ou dans le destin fixé par les astres. C’est une confession de foi universelle qui libère des petits dieux particuliers.

Cette conception d’un Dieu créateur, les hébreux ne l’ont pas toujours eue. Ils l’ont découverte dans un des moments les plus importants de leur histoire, l’exil à Babylone, au VIe siècle avant notre ère. Alors que tout s’est écroulé pour eux – destruction de Jérusalem et du temple, déportation du roi et d’une partie de la population à Babylone pendant près de 50 ans –, ils vont élargir leur horizon, et comprendre que le Seigneur, le Dieu de leurs ancêtres, de leurs tribus, de leur petit royaume, leur Dieu, est le Dieu de l’univers tout entier, présent avec eux même au fond de l’exil. Découverte éblouissante ! Ils ne vont pas pour autant oublier l’autre expérience de Dieu, plus fondamentale encore, fondatrice, survenue environ sept siècles plus tôt : celle du Dieu qui les a libérés de l’esclavage en Egypte, par l’intermédiaire de Moïse, et les as entraînés dans la liberté, au moment de l’exode qui a fait d’eux un peuple. « Car notre Dieu, c'est lui, nous sommes le peuple dont il est le berger, le troupeau que sa main conduit », proclame le psalmiste. Dieu est le tout proche qui se soucie des siens, les connaît, les accompagne, comme un berger.

La foi biblique est ainsi contenue en quelques versets : foi joyeuse dans le Dieu créateur de l’univers, Dieu sauveur de son peuple. Dieu fondement de nos vies, Dieu compagnon de nos existences. Crions au Seigneur notre joie !

Mais soudain, brusquement, le Psaume 95 évoque le temps de l’exode sur son versant dramatique. Il rappelle le doute qui s’est emparé des hébreux dans le désert, déjà libérés de l’esclavage par Dieu mais encore en marche vers la terre promise, à travers le désert. Ils ont peur de l’avenir, ils éprouvent la soif, ils expérimentent le découragement devant la difficulté de vivre, leur confiance en Dieu est ébranlée, la révolte les gagne. C’est l’épisode de Massa et Meriba évoqué par le Psaume, qui se trouve en Exode 17, 1-7, dans un récit qui se situe quelques temps après le passage de la mer Rouge, dans le désert au début de leur marche vers la liberté. Le peuple se rebelle contre Dieu, lui reprochant de l’avoir fait sortir d’Egypte et de l’abandonner dans le désert. Les hébreux se trouvent au bord du blasphème en s’écriant « le Seigneur est-il parmi nous ou non ? » (Exode 17, 7). Cri terrible d’angoisse et de doute. Récit émouvant qui fait écho à nos propres découragements.

Récit émouvant aussi, parce que Dieu, nous dit le texte de l’Exode, fait alors jaillir de l’eau d’un rocher pour donner à boire à son peuple. Dieu se montre compatissant comme un berger. Mais Dieu a été aussi en colère, nous dit le Psaume 95. Dieu s’est senti poussé à bout, dégouté, déçu. Dans sa colère, il a alors décidé que les hébreux qu’il a délivrés de l’esclavage n’entreront pas en terre promise. En effet, après 40 ans d’errance dans le désert – la route de la liberté est toujours longue et éprouvante –, ce n’est pas ceux qui étaient sortis d’Egypte qui sont entrés dans la terre où coulent le lait et le miel, pas même Moïse, mais leurs enfants.

On peut trouver que c’est rude. Mais moi j’aime ce Dieu qui est un Dieu vivant. Créateur et sauveur : joie. Abandonné et défié : colère. Un Dieu qui n’est pas indifférent à l’être humain. Un Dieu de relation, qui s’engage, prend des risques, change – sinon il ne serait pas dans une vraie relation avec nous. Dieu de paix et de colère mais Dieu dont nous savons que sa colère est vite surpassée par sa bonté, ses blessures par son pardon, son rejet par sa grâce. Dieu vivant. Au cœur des Psaumes, au cœur de ce Psaume 95, se confesse le Dieu vivant qui entre en relation avec nous.

 

2. Une promesse renouvelée

Une deuxième dimension de ce Psaume 95 me touche particulièrement. C’est un Psaume qui fait référence à l’Ecriture en évoquant la révolte de Massa et Meriba. Et, comme une mise en abîme, c’est un Psaume qui est lui-même cité dans le Nouveau Testament. Plus que cité : commenté. Ce Psaume est le support d’une prédication dans le Nouveau Testament ! Cette prédication occupe 27 versets dans la Lettre aux Hébreux (Hb 3, 7 à 4, 13).

La Lettre aux Hébreux est parfois attribuée à Paul, mais nous n’en connaissons pas précisément l’auteur. Cette lettre est écrite à une communauté dont nous ne savons pas où elle vivait, mais dont nous devinons qu’elle était composée de chrétiens très attachés aux racines et aux coutumes juives. Dans un style complexe pour nous aujourd’hui, l’auteur rend compte de la foi chrétienne, de l’articulation entre l’ancienne et la nouvelle alliances, de la foi en Christ qui fait entrer dans des relations nouvelles avec Dieu. Au début de cette lettre, il commente le Psaume 95 et il en tire trois réflexions fortes.

La première, c’est que si Dieu, au temps de l’exode, dans sa colère, a juré que les hébreux n’entreraient pas dans son repos (c’est-à-dire en terre promise), il nous offre maintenant la promesse de ce repos. Cette promesse est renouvelée pour nous en Jésus-Christ. Dieu est un Dieu de bonté, de promesse, d’espérance, c’est une bonne nouvelle. Tel est le cœur de l’Evangile : l’appel à une vie nouvelle, une vie renouvelée.

La deuxième, c’est une exhortation à rester fidèles à ce Dieu de promesse, à ne pas nous en détacher comme l’ont fait les hébreux dans le désert, à ne pas céder au découragement, à demeurer dans la confiance, à continuer à puiser en lui la source de vivre. Et comme la vie est dure, que quand on est seul elle est difficile, mais qu’à plusieurs, ensemble, en Eglise, on peut se porter les uns les autres, l’auteur invite à s’encourager mutuellement.

Troisièmement, il rappelle la force de la Parole de Dieu, parole vive et tranchante d’un Dieu vivant. Parole qui nous rassure et nous bouscule, qui nous interpelle et nous édifie, qui nous remet en question et nous relève. Relation vivante avec cette Parole vivante, avec ce Dieu vivant.

Magnifique prédication qui dit l’Evangile : Dieu nous appelle à la vie, Dieu nous invite à nous aider les uns les autres à demeurer dans sa Parole, Dieu nous met debout, en marche en sa présence, à la suite du Christ, avec le Christ, en Christ.

 

3. Une confiance pour aujourd’hui

Le Psaume 95 est au cœur de la foi biblique. Ce Psaume est support à la prédication chrétienne. Et puis la lecture de ce Psaume nous ouvre à une troisième dimension. Et au cœur de ce Psaume, à la charnière de ses deux parties, il y a la fin du verset 7 : « Aujourd'hui, puissiez-vous entendre ce qu'il dit ».

Aujourd’hui, écoutez le Seigneur. Aujourd’hui sa Parole. Aujourd’hui. Ici et maintenant. Avec nous, au milieu de nous, pour nous. Aujourd’hui, Dieu créateur et sauveur, Dieu vivant, Dieu à la Parole bonne, Dieu de la promesse. Dieu de Jésus-Christ. En Jésus-Christ, nous savons définitivement que le pardon de Dieu l’emporte sur sa colère. Toujours en colère contre le mal, mais pas contre nous : avec nous. Il nous appelle à lutter avec lui contre ce qui détruit sa création et aliène les humains. Sa justice n’est pas un jugement qui condamne mais sa présence qui rend juste. Nos temps de doute et de désespoir, de soif et de révolte n’entraînent plus sa colère mais sa pleine compassion. Il les traverse avec nous pour nous aider à en sortir. Le crucifié compagnon de nos jours de mort est le ressuscité qui nous appelle à le suivre dans l’espérance.

C’est le cœur de la compréhension protestante de la foi. La démarche de Luther prend sa source à cet endroit précis. Lui qui avait peur de Dieu et de sa colère, butait un verset de Paul aux Romains (1, 17) : « La bonne nouvelle révèle comment Dieu rend les humains justes devant lui. Cette justice vient par la foi et a pour but la foi, comme l'affirme l'Écriture : Celui qui est juste par la foi vivra ». Jusqu’à ce qu’il découvre, à la lecture de ce verset, que le Dieu de jugement et de punition qui lui faisait peur, et qu’il haïssait même, est le Dieu de la grâce qui accueille, relève, envoie, accompagne. Un Dieu qui « justifie », qui « fait juste », qui nous rend justes, ajustés à lui, appelés à s’engager dans des relations justes avec les autres et avec nous-même. Luther écrit alors ces paroles fortes, confession de foi au Dieu créateur et sauveur, au Dieu qui l’a libéré de ses angoisses : « Alors, je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. À l'instant même, l'Écriture m'apparut sous un autre visage. Je parcourais ensuite les Écritures, telles que ma mémoire les conservait, et je relevais l'analogie pour d'autres termes : ainsi, l'œuvre de Dieu, c'est ce que Dieu opère en nous, la puissance de Dieu, c'est celle par laquelle il nous rend capables, la sagesse de Dieu, celle par laquelle il nous rend sages, [et ainsi pour] la force de Dieu, le salut de Dieu, la gloire de Dieu. Alors, autant était grande la haine dont j'avais haï auparavant ce terme "la justice de Dieu", autant j'exaltai avec amour ce mot infiniment doux, et ainsi ce passage de Paul fut vraiment pour moi la porte du paradis »[1].

En Christ, la foi n’est plus la peur mais la paix. En étant ressourcés à sa Parole, nous sommes entraînés dans l’espérance. En se découvrant aimés, nous sommes capables d’aimer. Nous rencontrons Dieu comme un père, notre père. Et nous le prions désormais ainsi, avec les paroles que Jésus nous a enseignées : « Notre Père ». Prière qui commence dans la louange envers Dieu, le créateur et le compagnon de nos jours. Prière qui traverse la tentation. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » : référence est faite là à l’épisode de Massa et Meriba, dont les noms en hébreu veulent dire « provocation » et « querelle ». Massa est traduit en grec dans la Septante – la traduction dans laquelle les premiers chrétiens recevaient la Bible – par « peirasmos » (πειρασμός), le mot même employé dans la phrase « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Ne nous laisse pas aller à Peirasmos, ne nous abandonne pas à Massa, dans la soif et le découragement, dans la tentation de tout laisser tomber. Prière confiante de celui qui sait qu’en Jésus-Christ il est déjà exaucé.

En Christ, avec le Psaume 95, nous pouvons aujourd’hui placer notre confiance en Dieu notre créateur et notre sauveur, notre rocher et notre berger, le Père de Jésus-Christ, notre Père. Alors, crions au Seigneur notre joie, faisons une ovation à notre Rocher, notre Sauveur ! Présentons-nous devant lui, chantons notre reconnaissance, faisons-lui une ovation en musique !

Amen.

 

[1] "Préface" au premier volume des Œuvres latines de l'édition de Wittenberg (1545), M.Luther, Œuvres, Genève, Labor et Fides, tome VII, 1962, pp. 306-307.