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Aux débuts du comprendre

Texte de la prédication du dimanche 8 janvier 2023, par le pasteur Christian Baccuet

 

Aux débuts du comprendre

 

Lecture biblique : Matthieu 3, 1-17

 

Pentemont-Luxembourg, 8 janvier 2023. Matin : baptême de Côme, 20 mois.

Prédication du pasteur Christian Baccuet.

 

 

Le début d’une prédication est important. L’accroche. Aujourd’hui, j’en ai trouvé une qui est bien, mais j’hésite un peu à la dire… Je ne sais pas ce que vous allez en penser. Bon, j’y vais quand même.

« Espèce de vipères ! »

Ce n’est pas très sympathique comme interjection, cela va à l’encontre de ceux que nous apprenons à nos enfants à ne pas dire. Cela engage mal une relation. Cela correspond à ce que l’on peut lire sur les réseaux sociaux, quand toute communication se passe dans la pulsion, la condamnation, la haine, et l’on sent bien que l’on est dans une dérive collective aux conséquences dramatiques. Et cela n’est franchement pas agréable à recevoir, de manière générale, et en particulier de la part du pasteur du haut de la chaire, qui plus est au cours d’un culte où l’on vient de célébrer le baptême d’un petit enfant. Ça casse un peu l’ambiance !

Espèce de vipères ! C’est pourtant une citation biblique, une phrase que l’on trouve dans la bouche de Jean Baptiste, au début de l’évangile de Matthieu.

La scène est belle. Jean proclame que le royaume des cieux s’est approché, c’est-à-dire le temps de la révélation de Dieu. Il annonce que l’espérance messianique portée par le prophète Esaïe s’accomplit. Une foule de gens viennent à lui pour recevoir le baptême dans le Jourdain, et parmi eux Jésus, qui va recevoir l’Esprit saint, être désigné comme le Fils de Dieu et commencer son ministère. Et au cœur de ce beau récit, les paroles vives de Jean. « Espèce de vipères, qui vous a appris à échapper à la colère de Dieu qui vient ? […] La hache est déjà prête à couper les arbres à la racine : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu. »

Rudes paroles, bien agressives. Paroles de condamnation, comme il y a en a tellement eu dans l’histoire – l’histoire avec une grande hache, comme disait Georges Pérec. Comme il y en a encore tant en ce monde. Paroles violentes pour annoncer la venue du Royaume de Dieu… Comment comprendre cela ? Je voudrais relever trois dimensions importantes qui mettent en perspective ces paroles.

 

1. Message aux dirigeants

La première, c’est que Jean ne s’adresse pas aux foules qui viennent à lui en reconnaissant leurs manques et leur fragilité, et en recevant le baptême. Il s’adresse, nous dit Matthieu, aux Pharisiens et aux Sadducéens.

Les Pharisiens et les Sadducéens sont des membres des deux plus grands courants du judaïsme de l’époque. Les Pharisiens sont portés sur l’interprétation de la Loi de Dieu, notamment pour ce qui concerne les questions de pureté ; ils jugent facilement ceux qu’ils considèrent comme impurs. Les Sadducéens constituent une sorte d’aristocratie religieuse autour des grands-prêtres ; ils jugent facilement ceux qui ne sont pas de leur milieu. Dans les évangiles, Pharisiens et Sadducéens représentent les autorités du peuple, pleines de suffisance, de mépris pour les autres, de comportement hypocrite. C’est contre eux que Jean s’élève vivement. Contre leur autosatisfaction, leur pouvoir, leur suivance des modes (ici le fait de venir vers Jean Baptiste car les foules y vont – aujourd’hui on dirait leur fixation sur la communication). En s’adressant à eux de manière directe, Jean se trouve dans la continuité des prophètes de l’Ancien Testament, à la parole tranchante de vérité qui met les puissants face à leur responsabilité.

Cela m’interroge sur la force de nos paroles aujourd’hui. Quelle radicalité avons-nous face aux puissants de ce monde ? Quelle parole à nos dirigeants quand ils prennent des décisions injustes ? Dirigeants politiques, économiques, médiatiques, religieux aussi. N’hésitez pas à interpeler les membres du Conseil presbytéral ou les pasteurs… bon, pour eux, merci d’y aller mollo !

 

2. Deux interpellations

Deuxième dimension importante à entendre dans la radicalité des paroles de Jean : ce qu’il dit aux dirigeants du peuple touche deux points importants.

Il les interpelle d’une part sur la cohérence entre ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Il ne s’agit pas d’aligner des paroles, mais de produire du bon fruit. Il ne s’agit pas de communiquer, de donner des images, de noyer le réel dans le flou des mots, il s’agit de faire de bonnes choses, sinon au mieux cela ne sert à rien, au pire et le plus souvent cela produit de mauvais fruits d’injustice, de violence, d’exclusion. Il ne s’agit pas de faire semblant mais de vivre d’un réel changement de vie, d’une conversion. Interpellation nécessaire !

Jean les interpelle aussi sur leur identité, sur ce sur quoi ils fondent leur légitimité : « Ne pensez pas qu'il suffit de dire en vous-mêmes : “Abraham est notre père !” ». Se réclamer de ses ancêtres, de son histoire, de sa culture n’a pas de sens si ce que l’on fait est à l’inverse de cela. Cela nous parle, à nous protestants français aimant évoquer nos ancêtres ! Nous n’existons pas comme héritiers d’une généalogie ou d’une tradition, mais comme acteurs d’une fraternité aujourd’hui. Notre identité n’est pas un bouclier qui nous protège et nous légitime – qui nous sauve, dirait-on en langage théologique – mais un héritage qui nous oblige, une espérance à construire. Là encore, il ne s’agit pas d’invoquer nos honneurs humains, mais de produire du bon fruit, aujourd’hui. Interpellation nécessaire.

Interpellation nécessaire face à tous les puissants de ce monde ! Interpellation pour nous dans les parts de pouvoir que nous avons. Interpellation pour nous dans la faiblesse que nous avons face aux pouvoirs de ce monde.

 

3. La venue de Jésus

Et puis il y a une troisième dimension, fondamentale, essentielle. Jean, par ses paroles radicales de prophète biblique, n’hésite pas à interpeler les puissants, les pleins d’eux-mêmes qui viennent à lui, à les mettre devant la nécessité de ne pas s’enfermer dans un pedigree qui rendrait supérieur mais de produire du fruit de justice. Il n’hésite pas à les menacer de la colère de Dieu, saine colère devant les injustices. Il insiste, il amplifie même : « Celui qui vient après moi […] est plus fort que moi. […] Il tient en sa main la pelle à vanner et séparera le grain de la paille. Il amassera son grain dans le grenier, mais il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint jamais. »

Il annonce celui qui vient. Et, nous dit alors Matthieu : « À ce moment-là Jésus vient de la Galilée au Jourdain ; il arrive auprès de Jean pour être baptisé par lui. » Jean annonce la colère de Dieu, et Jésus arrive. Il n’arrive pas avec le feu, la colère, l’instrument du jugement ; celui qui est plus fort que Jean s’avance pour être baptisé par Jean. Cela devrait être l’inverse, et d’ailleurs Jean proteste : « C'est moi qui devrais être baptisé par toi et c'est toi qui viens à moi ! ». Et la réponse de Jésus est pleine de sens : « Accepte qu'il en soit ainsi pour le moment. Car il convient que nous accomplissions ainsi ce que Dieu demande. » Littéralement : « que nous accomplissions toute justice ».

La justice que le Christ vient accomplir n’est pas la colère et la punition ; la justice de Dieu qu’il incarne, c’est de s’avancer humblement parmi la foule de personnes qui viennent humblement déposer son péché et recevoir le baptême. Le Christ n’est pas le juge terrible annoncé par Jean, mais celui qui vient partager la vie de ceux qui ont besoin de la grâce de Dieu. Il vient recevoir le baptême, comme eux, en signe de solidarité avec eux. Accomplir toute justice, c’est être avec la foule, parmi les pécheurs, prendre sur soi leur souffrance. Jésus fait ainsi la volonté de Dieu, et il invite Jean à le suivre sur ce chemin d’humble obéissance : « accepte qu’il en soit ainsi ».

C’est un renversement de perspective que Jésus ouvre ici, et une distance par rapport à Jean, distance que les évangiles rapportent à plusieurs reprises. Jésus aura lui aussi de fortes paroles contre l’injustice des puissants de ce monde, des appels radicaux à produire de bons fruits, des condamnations fortes contre ceux qui se croient supérieurs aux autres en raison de leurs ancêtres. Comme Jean qui sera décapité par Hérode, Jésus sera victime de sa mise en question radicale de tout ce qui veut prendre la place de Dieu et qui aliène les autres, qui produit de l’injustice et de la souffrance. Mais il le fera en solidarité avec les petits, les exclus, les méprisés, les impurs, pour leur ouvrir la voie d’un chemin de vie, de foi, d’amour et d’espérance, de résurrection. Plus loin dans l’évangile de Matthieu, quand Jean en prison enverra ses disciples demander à Jésus s’il est bien celui qui doit venir, Jésus dira : « Allez raconter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés de leur lèpre, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Matthieu 11, 4-5, citation d’Esaïe).

L’Evangile est bonne nouvelle en cela qu’au-delà des condamnations fortes du mal en ce monde, il est chemin de vie pour ceux qui sont les victimes du mal. Jésus vient partager un bout de route avec nous et ouvrir des horizons nouveaux.

 

4. Une confession de foi

C’est ainsi que se révèle Dieu en Jésus. Le récit du baptême de Jésus est une grande confession de foi. Toute la symbolique de ce texte est donnée pour nous dire qui il est.

Jésus remonte de l’eau… et « les cieux s’ouvrent pour lui et l’Esprit de Dieu descend sur lui comme une colombe ». En son temps, on disait que les cieux étaient fermés avec la disparition des derniers prophètes. On pensait que l’Esprit s’était éteint, qu’il n’inspirait plus personne, et on demandait à Dieu de rétablir la communication[1]. La communication est rétablie, c’est le début d’une nouvelle ère : Dieu se fait présent. Son Esprit vient sur Jésus comme une « colombe », signe de vie comme au temps de Noé.

Alors, « une voix vient des cieux ». Dans le langage biblique, dire « les cieux » c’est dire « Dieu ». Dieu parle ! Et ce qu’il dit est fondamental : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en lui je trouve toute ma joie ». Jésus est l’homme parmi nous, comme nous, qui s’approche, qui nous rejoint… et il est le Fils de Dieu, la présence de Dieu qui ouvre notre horizon et appelle à marcher dans la foi, l’espérance et l’amour. Cela est source de joie !

Source de joie que le baptême en son nom, désormais. Non plus un baptême de conversion comme celui de Jean, mais un baptême de grâce reçue, dans le signe de l’eau qui dit la mort et la résurrection, chemin de vie sur lequel nous sommes chaque jour appelés, qui dit l’insertion dans la foule de tous les baptisés, qui dit le chemin ouvert, devant nous. Le départ à la suite du Christ.

Qu’est-ce que Jean a pu comprendre de cela, ce jour-là ? Que comprenons-nous vraiment de ce mouvement qui, dans les crises de ce monde, les épreuves de nos vies, nous rend témoins de joie ? Nous ne sommes qu’aux débuts du comprendre.

 

5. Une lettre de Dietrich Bonhoeffer

« Aux débuts du comprendre ». Cette belle expression a été écrite en mai 1944 par Dietrich Bonhoeffer, pasteur et théologien allemand, opposant actif à Hitler. Depuis la prison dans laquelle il était enfermé par les nazis, un an avant son exécution, il a écrit une lettre à son filleul, à l’occasion de son baptême. Je vous lis un extrait de cette lettre :

« Aujourd’hui, tu reçois le baptême chrétien. On prononcera sur toi toutes les grandes paroles anciennes de l’annonce chrétienne et on accomplira sur toi l’ordre de baptiser donné par le Christ sans que tu n’y comprennes rien. Nous-mêmes aussi, nous sommes renvoyés aux débuts du comprendre. Ce que signifient réconciliation et rédemption, nouvelle naissance et Esprit Saint, amour des ennemis, croix et résurrection, vie en Christ et imitation de Jésus-Christ, tout cela est devenu si difficile et si lointain que c’est à peine si nous osons encore en parler. Nous soupçonnons un souffle nouveau et bouleversant dans les paroles et les actions qui nous ont été transmises, sans pouvoir encore le saisir et l’exprimer. C’est notre propre faute. Notre Eglise, qui n’a lutté, pendant ces années, que pour se maintenir en vie, comme si elle était son propre but, est incapable d’être porteuse de la Parole réconciliatrice et rédemptrice pour les êtres humains et le monde. C’est pourquoi les paroles antérieures doivent perdre leur force et céder au silence ; notre être chrétien ne peut aujourd’hui consister qu’en deux choses : la prière et faire ce qui est juste parmi les humains. Toute pensée, toute parole et toute organisation, dans le domaine du christianisme, doivent renaître à partir de cette prière et de cette action. Quand tu seras adulte, le visage de l’Eglise aura beaucoup changé. Sa refonte n’est pas terminée, et chaque essai de la doter prématurément d’une puissance organisatrice accrue ne peut que retarder sa conversion et sa purification. Ce n’est pas à nous de prédire le jour – mais ce jour viendra – où des humains seront appelés de nouveau à exprimer la Parole de Dieu de telle façon que le monde en sera transformé et renouvelé. Ce sera un langage nouveau, peut-être tout à fait a-religieux, mais libérateur et rédempteur, comme celui du Christ ; les gens en seront épouvantés et, néanmoins, ils seront vaincus par son pouvoir ; ce sera le langage d’une justice et d’une vérité nouvelles, qui annoncera la réconciliation de Dieu avec les humains et l’approche de son royaume. « Ce sera pour moi un sujet de joie, de louange et de gloire auprès de toutes les nations de la terre, qui apprendront tout le bien que je vais leur faire et qui seront étonnées et stupéfaites de tout le bonheur et de toute la prospérité que je vais leur accorder » (Jr 33, 9). Jusqu’à ce jour, la cause des chrétiens sera silencieuse et cachée. Mais il y aura des humains qui prieront, agiront avec justice et attendront le temps de Dieu. Puisses-tu être de ceux-là et puisse-t-on dire de toi : « Le chemin des justes est une lumière d’aurore dont la clarté grandit jusqu’au plein jour » (Pr 4, 18). »[2]

Magnifique lettre, magnifiques paroles à recevoir pour nous !

Nous sommes aux débuts du comprendre. Comprendre avec notre raison, prendre à bras-le-corps avec notre cœur, prendre ensemble en Eglise. Comprendre que la route est belle devant nous. Puisse Côme l’emprunter, et nous avec lui. Nous sommes aux débuts du comprendre, c’est-à-dire aux débuts d’en vivre.

Le début d’une prédication est important, sa fin aussi. L’évangile nous déplace de la colère à la compassion. Nous avons commencé par « espèce de vipères ! » avec Jean Baptiste, nous voilà appelés à finir – ou plutôt à commencer – avec les paroles de Dieu lui-même : « en Christ je trouve toute ma joie ! ». C’est un nouveau début, avec les paroles de Bonhoeffer : « Puisses-tu être de ceux-là. »

Amen.

 

[1] Esaïe 63, 19 : « Il y a si longtemps que nous ne sommes plus le peuple sur lequel tu règnes, le peuple qui porte ton nom ! Ah, si tu déchirais le ciel et si tu descendais ! »

 

[2] Dietrich Bonhoeffer, « Pensées pour le jour du baptême de Dietrich Wilhelm Rüdiger Bethge, mai 1944 », dans Résistance et soumission, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 353-354.