Tu seras un homme — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Tu seras un homme

Texte de la prédication du dimanche 30 juillet 2023, par le Pasteur Christian Baccuet.

Tu seras un homme

 

 

Pentemont-Luxembourg, 30 juillet 2023

Matin : baptême d’Achille, 1 an

 

Lectures bibliques:

1 Rois 3, 5-12

Romains 8, 28-30

 

 


« Sois un homme ! »

Comment entendez-vous cette injonction ? Comment la vivez-vous ?

Elle fleure le défi à relever d’être fort, puissant, dominant, l’appel à la virilité ; elle pèse de tout son poids de masculinité et de stéréotypes. D’injustices aussi, car elle peut écraser ceux qui parmi nous la reçoivent comme une pression forte, qui nie leur sensibilité et leur fragilité, comme si pour être un homme, un vrai, il fallait être plus fort que les autres. Et pour celles qui parmi nous ne sont pas du genre masculin, elle résonne comme la marque de la domination d’un sexe sur l’autre, terrible dans l’histoire et dans beaucoup de lieux dans ce monde, et encore à combattre dans notre société. Elle résonne particulièrement dans le monde des religions ; comme tout lieu de pouvoir, elles présentent souvent un clergé uniquement masculin, des institutions dominées – voire confisquées – par les hommes, un système de type patriarcal. L’immense majorité des Eglises chrétiennes aussi, hélas.

« Sois un homme ! » Comment cette phrase va-t-elle résonner pour le petit Achille qui a été baptisé ce matin ? Il a reçu ce signe qui lui dit l’amour de Dieu pour lui, qui l’inclut dans la communauté des baptisés, qui l’appelle à suivre le Christ. A devenir un homme.

Etre un homme, qu’est-ce que c’est, au fond ? Là où notre langue française emploie le même mot pour dire le masculin et pour dire l’humain, le grec biblique, la langue du Nouveau Testament, a principalement deux termes différents : ἀνήρ (aner) et ἄνθρωπος (anthropos). Aner, c’est l’homme « mâle », le genre masculin ; anthropos, c’est l’homme « être humain », quel que soit son genre. L’appel à être un homme, un mâle dominant, n’est pas le même chose que l’appel à être pleinement un être humain. Je crois qu’un des défis de notre foi est de ne pas confondre les deux, et de passer d’une dimension à l’autre. Vivre notre pleine humanité, quel que soit notre genre.

 

1. Salomon, le mâle qui demande à être humain

 

Ici, la figure de Salomon me touche.

Le roi Salomon, qui a régné sur Israël au Xe siècle avant notre ère, est présenté dans la Bible comme figure d’une pleine réussite, selon les clichés de la virilité. La Bible nous le présente en effet comme un chef de guerre puissant et pacificateur ; son nom signifie « homme de paix »[1]. Il est un roi bâtisseur, c’est lui qui construit le Temple de Jérusalem[2]. Il est l’homme le plus riche du monde[3]. Il a eu mille femmes[4]. Bref, quel modèle de réussite, le type même de l’homme dominant !

Mais est-ce cela le plus important dans sa vie ? Avant tout cela, la Bible présente un épisode fondateur, que nous avons entendu tout à l’heure. Il se passe au moment où, jeune homme, il accède au trône d’Israël. A lui, enfin, l’honneur, la puissance, le pouvoir. Et voici que Dieu lui fait une proposition exceptionnelle : demande ce que tu veux et je te le donnerai ! C’est une occasion en or ! Il va pouvoir demander ce que désire toute personne au pouvoir : une longue vie, la richesse, la mort de ses ennemis, bref la toute-puissance d’un mâle dominant !

Mais Salomon ne demande pas cela. Ce qu’il demande est bien plus fondamental ; il demande à Dieu de lui donner, littéralement, « un cœur qui écoute »[5]. Dans la Bible, le cœur est le lieu de l’émotion mais aussi de l’intelligence et de la volonté ; il désigne la capacité à ressentir et à réfléchir. Salomon demande de savoir discerner, c’est-à-dire choisir entre ce qui est bien et ce qui est mal pour le peuple dont il a désormais la charge. Ce n’est pas une prière égoïste mais la demande d’avoir la capacité d’accomplir sa responsabilité pour d’autres. Il ne demande pas à être un mâle dominant au-dessus des autres, mais un humain véritable, avec et pour les autres.

 

2. Une vraie quête d’humanité

 

Trois dimensions me touchent dans cette attitude de Salomon, et nous enseignent sur ce qu’est une véritable humanité.

 

a- Reconnaissance

D’abord Salomon ne se précipite pas dans la demande, dans l’exigence d’une satisfaction immédiate de ses désirs. Il commence par dire merci pour la fidélité de Dieu à David son père. Il s’inscrit ainsi dans une histoire, une tradition, une filiation, un mouvement qui le dépasse, le précède et le porte.

Par la prière, il se décentre. Dans la prière, il n’est pas dans la domination et le pouvoir, mais dans l’insertion dans ce qui fait notre humanité : succession des générations, inscription dans le temps, reconnaissance pour ce qui est transmis et reçu, qui ne nous appartient pas mais dont nous sommes momentanément dépositaires.

 

b- Humilité

Ensuite il se présente devant Dieu tel qu’il est : « Seigneur mon Dieu, c'est toi qui m'as fait roi […]. Mais moi, je suis encore trop jeune pour savoir comment je dois remplir cette tâche. »[6] Il est jeune, inexpérimenté. Il se présente en vérité avec sa faiblesse, sa dépendance, ses craintes. Sa prière est relation d’authenticité, dialogue de vérité, expression d’humilité.

Cette dimension d’humilité est importante. Vous le savez, « humilité » vient du latin « humus », le sol, la terre. De la même racine, vient le mot « humain ». Etre pleinement humain et être humble ont un lien fort. Non pas une humilité qui serait l’écrasement, la négation de soi, mais la juste reconnaissance de sa fragilité et de ses limites. Humilité qui est le contraire de l’humiliation qui découle de la toute-puissance de celui qui écrase les autres.

 

c- Disponibilité

Ce n’est qu’ensuite qu’il exprime sa demande, au cœur de sa reconnaissance, au creux de son humilité. Et ce qu’il demande est alors l’essentiel : la sagesse, cette position intérieure qui permet d’être à sa juste place dans sa relation à soi-même, à Dieu et aux autres : un cœur qui écoute, un cœur attentif, un cœur sage et intelligent. Un cœur qui sache écouter Dieu, un cœur qui sache écouter les autres.

Un cœur disponible. Cette disponibilité à autre qu’à soi-même est fondamentale car elle aide à cheminer dans les moments de choix, de responsabilité, de lien aux autres. La prière de Salomon n’est pas une demande précipitée, égoïste, autocentrée, mais une demande vraie, essentielle.

Salomon, ainsi, dévoile ce qu’est la vraie quête d’humanité : reconnaissance, humilité, disponibilité. Etre un homme, un être humain véritable, c’est cette position qui fait place à d’autres.

 

3. Trois erreurs à éviter

 

Mais ici, attention… trois erreurs peuvent surgir ; elles se trouvent hélas dans certaines expressions du christianisme.

 

a- Théologie de la prospérité ?

La première vient du fait que Dieu exauce la prière de Salomon. Il va lui donner la sagesse et l’intelligence, littéralement, en hébreu : « un cœur sage et comprenant »[7]. La sagesse et l’intelligence au sens de ce qui lui permet de discerner entre ce qui est bon et ce qui est mauvais. L’épisode qui suit ce récit est d’ailleurs celui du fameux « jugement de Salomon », quand le roi reçoit deux femmes revendiquant chacune pour elle-même le même bébé et qu’il va discerner avec sagesse laquelle est la vraie mère. C’est cela le plus fondamental : la sagesse. C’est ce que l’on retient de la vie de Salomon[8].

Dieu va aussi lui donner la richesse et la gloire[9]. Mais cette puissance que Salomon reçoit n’est pas une récompense. Dans certaines Eglises s’est développée ce que l’on nomme la « théologie de la prospérité » : Dieu récompenserait notre foi par des bénédictions matérielles, bonne santé, richesse et pouvoir. Dans ces Eglises, le pasteur est bien sûr un modèle de réussite, un mâle dominant ! Dans cette logique, ceux qui sont malades, pauvres ou dominés n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, puisque cela veut dire que leur foi n’est pas assez grande.

Cette théologie est de l’ordre d’une hérésie, quand on voit comment Jésus, dans les évangiles, parle et agit à l’inverse, lui qui s’en prend sans cesse aux dominants sûrs de leur foi et qui manifeste l’amour de Dieu pour ceux qui sont faibles et exclus.

 

b- Le Christ figure masculine ?

Et là se trouve un deuxième point fondamental : le Christ est l’homme par excellence, l’homme véritable, car il est l’incarnation de Dieu en un homme.

Ici, une théologie présente dans certaines Eglises met en avant le fait que Jésus était un homme de genre masculin, le « Fils » du « Père ». Dieu s’est fait homme et s’il a choisi de venir à nous dans la personne d’un homme mâle, il est donc normal que le clergé ne soit composé que d’hommes. Cette théorie se base sur une erreur car, quand le Nouveau Testament parle de lui, ce n’est pas en tant qu’aner – mâle – mais en tant qu’anthropos – humain. Ainsi quand Jésus parle de lui comme du « Fils de l’homme (anthropos) », ou quand Pilate le présente en disant « Voici l’homme (anthropos) »[10]. L’apôtre Paul écrit à Timothée qu’« il y a un seul Dieu, un seul intermédiaire entre Dieu et les êtres humains (anthropoi), un être humain (anthropos), Jésus Christ »[11]. Et aux Philippiens, Paul cite un hymne liturgique qui est un des textes les plus anciens du Nouveau Testament : Jésus-Christ « possédait depuis toujours la condition divine, mais il n'a pas voulu demeurer à l'égal de Dieu. Au contraire, il a de lui-même renoncé à tout ce qu'il avait et il a pris la condition de serviteur. Il est devenu semblable aux êtres humains (anthropoi), il a été reconnu comme un homme (anthropos) ; il a accepté d'être humilié et il s'est montré obéissant jusqu'à la mort, la mort sur une croix »[12]. Ce n’est pas la figure masculine qui compte, mais l’humanité de Dieu.

En Jésus, Dieu ne se donne pas dans une figure de mâle dominant, mais dans celle d’un homme crucifié, le supplice le plus humiliant qui soit au 1er siècle, l’inverse complet de toute prétention à l’immortalité, à la richesse et au pouvoir. Dieu prend à contre-pied toutes les prétentions à la toute-puissance pour se donner dans la toute-faiblesse. Il rejoint ainsi tous les humiliés de la terre pour dire qu’ils sont pleinement humains. L’humanité de Dieu n’est pas la domination mais le service, l’amour, la compassion, la lutte, mais pas pour soi : contre l’injustice, dans la solidarité avec ceux qui ont besoin d’être relevés.

En Christ se rencontrent Dieu et l’humanité. En Christ, nous pouvons être véritablement humains.

 

c- Au bout de nos efforts ?

Troisième erreur possible, enfin : croire que devenir un véritable être humain sera le fruit de nos efforts.

Ici, le passage de la lettre de Paul aux Romains, que nous avons lu tout à l’heure, nous dit que ce n’est pas par nous-mêmes que nous sommes humains mais par le choix de Dieu. C’est lui qui nous rend semblables à Jésus, l’aîné d’un grand nombre de frères et de sœurs.

C’est un appel à vivre cette dimension. Un appel à, comme Salomon, être reconnaissants, humbles et disponibles. Un appel à la confiance, comme le dit Jésus en évoquant Salomon : « Observez comment poussent les fleurs des champs : elles ne travaillent pas, elles ne se tissent pas de vêtements. Pourtant, je vous l'affirme, même Salomon, avec toute sa richesse, n'a pas eu de vêtements aussi beaux qu'une seule de ces fleurs des champs »[13]. Un appel à se laisser rendre humains par la grâce de Dieu, en suivant le Christ sur son chemin d’humanité.

Dans la foi, avec un cœur qui écoute, dans la suivance du Christ, nous pouvons déjà vivre cette humanité. Suivre le Christ sur ce chemin, frères et sœurs du Christ, enfants de Dieu, c’est, avec lui, en lui et par lui, être pleinement humains. Alors, Achille, sois un homme, un être humain reconnaissant, humble et disponible ! Et chacun de nous, hommes ou femmes, soyons des êtres humains, véritablement, pleinement, joyeusement.

Car, comme l’écrit Paul aux Romains, Dieu nous a appelés, il nous a rendus justes, il nous a donné part à sa gloire. Quelqu’un m’a dit cette semaine que l’on pourrait dire aussi : il nous a donné part à sa joie !

Amen.

 

 

 

[1] Shelomoh (שְׁלֹמֹה) est l’homme du shalom (שָׁלוֹם). Cf. 1 Chroniques 22, 9.

[2] 1 Rois 5, 15-26.

[3] 1 Rois 10, 23 : « Le roi Salomon surpassait tous les autres rois de la terre par ses richesses et par sa sagesse ».

[4] 1 Rois 11, 3 : « 700 épouses de rang princier et 300 épouses de second rang ».

[5] לֵב  שֹׁמֵעַ – lev shiméa, v. 9.

[6] v. 7.

[7] לֵב  חָכָם  וְנָבוֹ - lev chakam biyn, v. 12.

[8] 1 Rois5, 10 : « Salomon dépassa en sagesse tous les sages de l’Orient et de l’Egypte ».

[9] 1 Rois 3, 13.

[10] Jean 19, 5.

[11] 1 Timothée 2, 5.

[12] Philippiens 2, 6-8.

[13] Matthieu 6, 28-29.