Quand l’impossible devient possible… — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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Quand l’impossible devient possible…

Prédication du dimanche 20 décembre 2020, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Luc 1, 26-38

 

Au cours du culte du matin, baptême d’Armand, 17 mois.

 

 

Le texte biblique que nous méditons aujourd’hui est dit de « l’annonciation », car un ange vient annoncer à Marie qu’elle va être enceinte et que celui qu’elle va porter dans son ventre sera le Fils de Dieu. Ce texte, nous l’avons lu avec les catéchumènes, âgés de 13 à 15 ans, lors de notre dernière rencontre. Devant ce texte, ils ont eu deux réactions qui sont sans doute celles de la plupart d’entre nous. Et qui sont celles de Marie dans le récit ! Deux réactions, liées à deux difficultés présentes dans ce récit.

 

1. Marie est troublée

Première difficulté : Marie est chez elle, sans doute tranquille et heureuse. Elle est fiancée à un homme qui s’appelle Joseph, qui est de bonne lignée puisqu’il a le roi David dans ses ancêtres ; David a régné mille ans plus tôt, c’est un lointain ancêtre, mais c’est l’ancêtre le plus prestigieux pour les Juifs de l’époque. Marie vit dans une petite bourgade sans prétention ni histoire, Nazareth, en Galilée dans le nord d’Israël. Vie banale… Et puis soudain un ange entre chez elle !

Première difficulté de ce texte. Un ange. Notre imagination est immédiatement piégée par deux mille ans de représentations, d’images qui nous font voir un homme vêtu d’une robe blanche, avec deux ailes dans le dos et une auréole au-dessus de la tête. Et notre rationalité se met en route, et nous nous disons qu’il y a là quelque chose de difficile à croire. La présence de cet ange dans le texte a troublé les catéchumènes.

C’est l’occasion de nous rappeler, une fois encore, que l’ange dans la Bible est un envoyé de Dieu, qui vient délivrer un message de sa part. « Ange » est d’ailleurs la transcription directe du mot grec ἄγγελος (aggelos, qui se prononce angelos), qui veut dire « messager », « porteur de nouvelles ». Et quand le message est heureux, on l’appelle εὐαγγέλιον (euaggelion), ce qui se transcrit en français par « évangile », « bonne nouvelle ». L’ange est un messager qui apporte une nouvelle de la part de Dieu. La présence de l’ange dans ce texte ne doit pas figer notre représentation dans du folklore merveilleux. Il doit simplement résonner pour nous comme le fait que c’est Dieu qui fait irruption dans la vie de Marie. C’est bien plus important, plus essentiel !

Davantage que le messager, ce qui compte le message qu’il apporte. Ici la nouvelle est bonne, elle est Evangile, elle est sujet de joie : « Réjouis-toi, le Seigneur t’a accordé une grâce particulière, il est avec toi » (v. 28). C’est alors que Marie est troublée, comme les catéchumènes. Elle, elle ne l’est pas par la venue d’un porte-parole de Dieu, mais par ces paroles qui lui sont adressées à elle, jeune femme toute simple. « Marie fut très troublée par ces mots ; elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation » (v. 29). Elle a même un peu peur, sans doute, puisque l’ange va ensuite lui dire « N’aie pas peur, Marie » (v. 30).

Nous pouvons être intrigués par l’ange dans ce texte, mais ce qui devrait nous troubler ce sont ses paroles. Dieu qui vient dire la joie, la grâce, sa présence. Si quelqu’un nous dit cela, alors nous devrions être surpris, étonnés, troublés ! Mais peut-être que l’on nous l’a déjà dit, que Dieu était quelqu’un qui nous donne la joie, qui nous accorde sa grâce, qui est présent avec nous. Peut-être que nous l’entendons en cet instant.

J’ai demandé aux catéchumènes s’ils avaient déjà vu un ange. Aucun d’eux n’a levé la main. Moi je l’ai levée bien haut, car j’en ai vu des anges, et j’en connais dans cette assemblée. Des personnes qui ont été, ou sont témoins de Dieu pour moi, porteuses de l’Evangile. La plupart ne savent pas qu’elles sont des anges ! Et moi, j’espère, je suis ange de temps en temps. C’est troublant, n’est-ce pas ? Comme est troublant l’Evangile qui rejoint Marie ce jour-là, qui nous rejoint aujourd’hui.

 
2. « Comment cela sera-t-il possible ? »

Surgit alors une deuxième difficulté, sans doute plus grande encore. C’est ce que l’ange va dire à Marie. Elle a reçu une grâce particulière : il va lui arriver quelque chose d’unique. Elle va devenir enceinte, elle qui n’a jamais eu de relations sexuelles. C’est ici le fameux thème de la virginité de Marie ! C’est un thème doublement périlleux.

Il est périlleux, parce qu’à partir de là s’est développée dans certaines traditions chrétiennes toute une ferveur qui s’attache à cette dimension jusqu’à en faire un élément de foi – comme si l’Evangile nous demandait de croire en Marie ! Cette ferveur y voit une marque de pureté – comme si avoir des relations sexuelles était impur, ce qui est à l’encontre de toute l’histoire biblique ! Cela aboutit à faire de Marie quelqu’un qui n’est plus humain, puisqu’elle aurait été conçue elle-même sans que ses parents aient eu de relations sexuelles – même si la Bible n’en parle pas ! – et qu’elle serait restée vierge à perpétuité – même si les évangiles, à plusieurs reprises, nous parlent des frères et des sœurs de Jésus ! Le texte biblique est pourtant sobre, il n’indique rien de tout cela.

Le deuxième péril, c’est celui sur lequel ont buté les catéchumènes. C’est la question de la matérialité de ce qui nous est dit là. Comment être enceinte alors qu’on est vierge ? C’est tout simplement, rationnellement, impossible. C’est une question qui fait souvent obstacle pour nous et qui nous renvoie au défi de tout récit de « miracle » : nous bloquons sur ce qui est raconté, au risque de ne pas percevoir ce qui y est dit. La foi ne nous demande pourtant pas d’abandonner notre raison, nos connaissances, les acquis de la science ; bien au contraire ! L’Ecriture ne nous demande pas de croire à la matérialité de tel ou tel événement, mais d’en saisir le sens, la profondeur, la dynamique existentielle. C’est une question légitime, pourtant. Elle est légitimée par le texte lui-même, puisque Marie se pose la même question que nous : « Comment cela sera-t-il possible, puisque je suis vierge ? » (v. 34).

La question de Marie, comme la nôtre, risque de nous faire passer à côté de l’essentiel, qui n’est pas le « comment ? », mais le sens, le « pour-quoi ? ». Car ce que l’ange a annoncé à Marie, ce n’est pas un miracle physique, c’est le début d’une nouvelle ère : « Tu mettras au monde un fils que tu nommeras Jésus. Il sera grand et on l’appellera le Fils du Dieu très haut. Le Seigneur fera de lui un roi, comme le fut David son ancêtre, et il règnera sur le peuple d’Israël pour toujours ; son règne n’aura point de fin » (v. 31-33). C’est cela l’essentiel. Cela ne nous parle pas de Marie, de sa situation, de sa grossesse. Cela nous parle de Jésus, à la fois fils de Marie dans son humanité, et fils de Dieu, celui en qui Dieu et l’humanité se rencontrent, Dieu et notre vie.

C’est ce que précise l’ange après la question de Marie : « Le Saint-Esprit viendra sur toi et la puissance du Dieu très haut te couvrira comme d’une ombre. C’est pourquoi on appellera saint et Fils de Dieu l’enfant qui doit naître » (v. 35). Dans l’action du Saint-Esprit, c’est-à-dire dans la présence de Dieu, le « comment cela peut-il se faire ? » se transforme en « c’est pourquoi il sera Fils de Dieu » !

L’Evangile nous déplace du comment au pour-quoi. Il nous oriente vers le Christ, sa personne et sa mission, le Fils de Dieu dans une vie humaine, la proximité de Dieu, son règne d’amour pour toujours. Ce n’est pas plus facile à croire, mais c’est bien plus essentiel ! Et parce que ce n’est pas plus facile à croire, l’ange dit à Marie cette parole essentielle : « Rien n’est impossible à Dieu ! » (v. 37).

Rien n’est impossible à Dieu !

C’est la même parole qui avait été dite, des siècles avant, à Abraham après que lui ait été annoncé que lui et sa femme Sarah, malgré leur âge avancé, allaient enfin avoir le fils de la promesse ; Sarah avait eu de la peine à le croire, elle s’en était même moqué, mais le messager de Dieu avait alors dit : « Y a-t-il donc quelque chose que Dieu soit incapable de réaliser ? » (Gn 18, 14).

Rien n’est impossible à Dieu : la naissance d’Isaac, celle de Jean-Baptiste, celle de Jésus. Rien n’est impossible à Dieu, la libération de son peuple esclave, l’alliance toujours renouvelée malgré l’abandon des hommes, la parole qui relève, la présence qui fait vivre, la naissance du Fils de Dieu dans le corps d’une jeune femme, la résurrection après la mort sur la croix, l’espérance malgré tout. Rien n’est impossible à Dieu. Sa venue dans notre vie, sa naissance dans notre existence. Rien n'est impossible à Dieu ! C’est le cœur de l’Evangile.

 

3. « Qu’il me soit fait comme tu l’as dit »

Rien n’est impossible à Dieu. Là aussi, c’est difficile à croire, à vivre. Car, bien souvent, la réalité se dérobe, les faits semblent contredire cela, il reste tant d’injustices, de violences, de souffrances dans ce monde. Ici on pourrait rajouter une troisième objection ; après le trouble devant l’ange et sa parole, après la résistance de notre logique devant la confession de foi en Jésus-Christ, demander pourquoi, comment, quand… Questions légitimes, mais qui peuvent nous enfermer.

Et si, là, nous suivions Marie ? Troublée comme nous, demandant « comment ? » comme nous, voilà que sa réaction à cette affirmation que rien n’est impossible à Dieu est de quitter le questionnement pour se mettre en disponibilité. « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait comme tu me l’as dit » (v. 38). Parole humble de celle qui ne comprend pas tout, qui ne comprend peut-être rien, mais qui accepte qu’il y ait plus grand qu’elle, plus profond que ce qu’elle peut raisonner, plus loin que ce qu’elle peut percevoir, plus fort que ce qu’elle peut donner. Marie ne sait pas ce que cela va entraîner de bouleversements et d’incompréhension pour elle, de souffrance[1], de rejet par son fils même qui la repoussera à plusieurs reprises[2], de douleur devant la mort de son fils, d’humble place dans la première communauté chrétienne[3]. Elle ne sait pas le bouleversement que cela va être pour tant de vies, tant de générations, jusque dans ce temple aujourd’hui au cœur de Paris, jusque dans nos existences. Marie ne comprend pas tout et ne sait rien d’avance, mais elle se met en disponibilité de confiance en la parole de Dieu, en position de foi, en disposition à suivre l’Esprit de vie.

Et si nous étions comme Marie ? Avec notre trouble légitime, avec nos questions pertinentes, accepter de ne pas nous bloquer dedans et de nous laisser entraîner dans la vie qui va germer, grossir, naître, se partager. Devenir comme Marie participants de cette dynamique de foi, d’espérance et d’amour.

C’est que nous avons dit aux catéchumènes après la lecture de ce texte. Nos questions sont légitimes, et il n’y a pas forcément de réponse unique, il y a la réponse que chacun construit tout au long de sa vie. Et puis il y a la promesse qui peut accompagner toute la vie : rien n’est impossible à Dieu, on peut toujours croire, aimer, espérer, rien n’est jamais perdu. Et enfin il y a l’appel à l’humble disposition du cœur, au laisser aller à la confiance, à la suivance du Christ, qu’il en soit ainsi !

Etre troublé, se poser des questions, faire confiance : l’Esprit saint nous aide à articuler tout cela dans notre vie. Comme pour Marie, notre sœur. Comme pour tous les témoins bibliques. Comme pour tous les croyants. Et, nous l’espérons, comme un jour, plus tard, pour Armand qui vient d’être baptisé. Armand, petit garçon qui aura 17 mois demain, dont le prénom, d’origine germanique, signifie « Homme fort » (Hart Mann). Qu’il soit fort, non pas de puissance humaine, de domination et de pouvoir, mais d’émotion, de questions et de confiance. Comme nous. Avec nous.

Que chacun de nous soit fort de la salutation de l’ange à Marie : réjouis-toi, le Seigneur t’a accordé sa grâce, il est avec toi !

Amen !

 

 

[1] Lc 2, 34-35

[2] Lc 8, 19-21 et Lc 11, 27-28

[3] Ac 1, 14