N’aie pas peur, car je suis avec toi — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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N’aie pas peur, car je suis avec toi

Prédication du dimanche 6 octobre 2019, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture :

  • Jérémie 1, 4-10
  • Actes 1, 8 

 

Il y a quelques temps, en faisant du vélo sur la voie verte qui part de la place de Catalogne, derrière Montparnasse, pour aller vers Massy, j’ai vu un gros graffiti sur le mur d’un immeuble à Malakoff : « Les témoins ont peur ». Cette phrase m’a marqué car elle touche à une dimension sensible. Souvent, le témoin d’un crime, d’un délit, d’un accident, a peur de témoigner car il pense aux représailles possibles, ou au moins aux complications que cela va lui apporter. La peur est quelque chose qui peut rapidement nous peser et nous paralyser. Cette phrase qui paraît descriptive résonne de manière menaçante, et j’ai presque eu peur de continuer ma route !

Au retour, j’ai revu ce graffiti, et je me suis rappelé que ce mot, « témoin », est familier à nos oreilles, dans une Eglise qui veut être « une Eglise de témoins ». Pas de témoins d’affaires sordides, mais d’une bonne nouvelle, celle de la présence du Christ dans nos vies, celle de la paix et de la force que donne l’Evangile. Vivre de l’Evangile et le partager, quelle belle mission… et pourtant, souvent, nous avons quand même peur d’être ces témoins. Cela m’a travaillé, comme si cette phrase résonnait non plus comme une menace mais comme une interpellation.

Et puis, il y a quelques jours, nous avons eu notre première soirée mensuelle du groupe biblique du lundi soir. Cette année nous y lisons des extraits du livre du prophète Jérémie et, ce soir-là, nous avons lu le récit de la vocation du prophète, ce récit que nous venons d’entendre. Et cette phrase, « les témoins ont peur », a résonné à nouveau en moi.

 

1. La vocation de Jérémie

Jérémie. Vous connaissez ce prophète, dont le livre qui porte son nom est le deuxième plus gros livre prophétique de la Bible après celui d’Esaïe : 52 chapitres. Jérémie, un prophète important non pas seulement à cause de la taille de son livre, mais aussi parce qu’il est un prophète cité à de nombreuses reprises dans le Nouveau Testament : 74 fois !

Jérémie vivait dans une époque troublée, un moment de grande crise pour les hébreux. Au VIIe siècle avant notre ère, le petit royaume de Juda dont la capitale est Jérusalem est sous la menace de l’immense empire babylonien. La menace d’être écrasé est forte et, quelques années plus tard, en 587, le roi Nabuchodonosor s’emparera de Jérusalem, la détruira ainsi que son temple, et emportera une grande partie de la population en exil. C’est dans ce temps de crise que Jérémie, paysan d’un petit village à 6 km de Jérusalem, fils d’un petit prêtre du sanctuaire local, reçoit sa vocation, vers 627. Dieu l’appelle à devenir nabiy’ (נָבִיא - v. 5), ce qui en hébreu veut dire « celui qui est appelé » ou « celui qui parle », et qui est traduit en grec par prophétès (προφήτης), « prophète ». Un prophète, c’est quelqu’un qui reçoit la parole de Dieu pour devenir porteur de cette parole. C’est un témoin.

Dieu l’appelle à devenir témoin, et Jérémie a peur ! Etrange écho de ce texte jusque dans notre temps, jusque dans nos existences : le témoin a peur ! Alors je vous propose d’entendre ce texte comme s’il nous était adressé aujourd’hui à nous. Non pas comme la vocation de Jérémie il y a 2600 ans, mais comme la vocation de chacun.e de nous.

 

2. Cinq défis

Cette vocation, telle qu’elle nous est rapportée dans le texte, ressemble à beaucoup d’autres vocations dans la Bible : celles de Moïse, d’Esaïe, de Gédéon, d’Ezéchiel, de Paul… Souvent le même schéma en cinq temps. Comme si toute vocation passait par les mêmes étapes, la nôtre aussi. A quoi suis-je appelé ? Et comment ? Entendre ce texte, c’est recevoir cinq défis.

a. Entendre la parole de Dieu

Premier temps : Dieu se manifeste. Ici, il prend la parole : « la parole du Seigneur me fut adressée » (v. 4).

On s’étonne toujours devant ce type de formulation quand, pour la plupart d’entre nous, nous n’avons pas entendu des voix. Mais la parole du Seigneur ne s’adresse pas forcément à nous sous la forme d’une voix audible et claire ; c’est même extrêmement rare ! Elle vient à nous de manière plus subtile, plus discrète, par un texte biblique qui résonne pour nous, par la parole d’un frère ou d’une sœur dans la foi qui, sans le savoir, nous transmet une parole de vie – par exemple, dès le début de ce culte : « la grâce et la paix vous sont données ! ». Elle peut venir comme le sentiment qui s’impose à nous qu’un service nous appelle, un engagement. Cela peut être suite à une circonstance ou une rencontre qui nous touche au plus profond de nous. Cela peut être le fruit d’une lente évolution qui devient évidence.

Quand Jérémie témoigne de sa vocation, il le fait plus tard, en se souvenant ; il ne décrit pas un événement, il partage un témoignage de foi. La plupart du temps, c’est rétrospectivement que l’on peut dire que Dieu nous parlait quand nous sentions résonner l’Evangile au fond de nous.

Si je suis devenu pasteur, c’est que je crois que Dieu m’a appelé à le devenir. Je n’ai jamais entendu sa voix résonner dans mes oreilles, je ne l’ai jamais vu apparaître en songe. Mais je garde le souvenir de moments particuliers où ma foi a été interpelée, à l’école biblique, au catéchisme, quand je lisais la Bible seul dans ma chambre, quand j’étais heurté par une injustice. Et dans l’évolution lente de cette foi nourrie de la présence de Dieu, s’est peu à peu imposée à moi une évidence : devenir pasteur, me mettre au service de cette parole de vie. A travers cette évolution lente et sûre, Dieu m’appelait à son service. C’est sa parole que j’entends derrière mon choix de vie. Et je peux dire comme Jérémie : « la parole de Dieu m’a été adressée ».

Premier défi : entendre la parole de Dieu qui m’est adressée. Et pour ce faire, faire silence, déposer l’agitation des jours, écouter, prier, se rendre disponible. Chaque dimanche, le culte nous est offert comme espace de mise à l’écart pour entendre la parole de Dieu pour ma vie, et chaque jour un petit temps d’arrêt, de silence, de prière, de lecture d’un verset peut nous permettre de nous remettre en sa présence...

b. Recevoir une mission

Deuxième temps, cette parole est un appel à une mission.

Dieu appelle le prophète à un engagement en son nom. Pour Jérémie, il s’agit de devenir porte-parole de Dieu auprès des nations (v. 5). Etre témoin de Dieu dans ce monde. Et, dans le temps de crise qui est le sien, il s’agira de « déraciner et démolir, casser et détruire, mais aussi reconstruire et replanter » (v. 10). Mission de protestation et d’annonce, de lutte et de construction, de dénonciation et d’espérance, de résistance et de projets, de colère et de pardon.

Il y en a, des choses contre lesquelles se dresser dans ce monde : couper les racines du mal, extirper les graines de violence du cœur de l’être humain, déboulonner les idoles qu’il se fait, mettre à terre tout ce qui rend des hommes et des femmes esclaves, tous les projets humains qui tiennent l’autre prisonnier et éloigné de Dieu. Dire la colère de Dieu contre les crimes dont se rend coupable l’humanité. Et annoncer l’Evangile de la réconciliation : annoncer que Dieu est un Dieu qui aime la vie, qui veut le bonheur de l’homme, qui se réjouit de ce qui rend les hommes plus proches de lui, bâtir l’espérance et planter la foi. Paroles et engagements dont le dernier mot est positif, tourné vers la vie et l’espérance : planter la paix et la justice. Appel pour nous, dans la suite de Jérémie, de tous les prophètes bibliques et de tous les disciples du Christ à travers les siècles, à nous engager résolument dans notre temps, porteurs de l’Evangile : témoins du Christ crucifié et ressuscité, lui qui a déraciné le mal, démoli l’injustice, cassé la haine et détruit la mort, et qui a reconstruit la vie et replanté l’espérance. Dieu ne nous appelle pas à nous retirer du monde mais à plonger en lui ; cela est au cœur du protestantisme, depuis la Réforme.

Deuxième défi : vivre et partager notre foi en témoins engagés dans notre monde.

c. Déposer nos résistances, humblement

Troisième temps, qui est celui par lequel vous passez peut-être à cet instant même de cette prédication : d’accord, mais pourquoi moi ? Je n’ai pas envie, je n’en suis pas capable…

Objections classiques que tous les prophètes bibliques ont eues. Jérémie, par exemple, qui immédiatement se met en travers de l’appel de Dieu : « je suis trop jeune » (v. 6). Le terme « jeune » ici, na`ar (נַעַר), n’évoque pas tant un enfant qu’un jeune homme qui n’est pas encore habilité à prendre la parole en public. L’objection qu’élève Jérémie est une vraie objection : selon les standards de la société, sa parole n’est pas autorisée, respectable, recevable, alors pourquoi lui ? Jérémie a peur de ne pas être à la hauteur de la mission : il n’a rien de plus que quiconque, c’est un homme normal. Dieu ferait mieux de choisir quelqu’un de plus compétent !

Comme Jérémie, nous avons bien des raisons de refuser l’appel à devenir témoin. Toutes ces raisons sont excellentes ! Et nous sentons bien en même temps qu’elles sont des tentatives pour éviter de devenir soi-même témoin…

Troisième défi : oser exprimer nos réticences, dans une humble démarche de foi et de disponibilité.

d. Se laisser porter par Dieu

Quatrième temps : devant ces réticences, Dieu donne la promesse de sa présence, il dit son engagement avec celui ou celle qu’il appelle. Quand Dieu appelle, il donne la force de répondre à son appel.  Ici, pour Jérémie, c’est cette phrase forte et bouleversante : « N'aie pas peur d'eux, car je suis avec toi pour te délivrer » (v. 8). Dieu sait que cela va être difficile, que Jérémie a peur, qu’il va y avoir des résistances fortes à sa parole. Dieu ne nie pas la réalité, mais il s’engage. Je suis avec toi, dit Dieu. Ce qui fait le prophète ce n’est pas ses compétences mais l’appel de Dieu. C’est la parole de Dieu qui fait le prophète.

La présence de Dieu est ce qui nous porte, nous aide à dépasser la peur. Dieu n’appelle pas en raison de nos qualités, ou de nos mérites, mais parce qu’il fait le choix de nous appeler, tels que nous sommes, et de nous donner sa force. Nous ne sommes pas témoins parce que nous en sommes capables, nous en devenons capables parce que Dieu le veut.

C’est ainsi que se comprend cette belle phrase que Dieu dit à Jérémie : « Je te connaissais avant même de t'avoir façonné dans le ventre de ta mère ; je t'ai mis à part pour me servir avant même que tu sois né » (v. 5) : c’est une manière de parler de la grâce prévenante de Dieu, ce Dieu qui nous aime et nous appelle avant même que nous en soyons conscients, méritants, répondants. « Je suis avec toi » suffit pour faire de nous des témoins de Dieu, en toute confiance !

Quatrième défi : se laisser porter par la confiance en Dieu.

e. Recevoir un signe de confiance

Cinquième temps, enfin : Dieu donne un signe de sa présence, de son appel.

Ici, il tend la main vers Jérémie et il touche sa bouche (v. 9). Il entre en contact avec lui et lui donne sa force là même où Jérémie en a besoin, pour parler en son nom. Il l’institue littéralement porte-parole, porteur de sa parole.

Recevoir un signe de la part de Dieu, c’est comme entendre sa parole : la plupart du temps ce n’est pas directement lisible, c’est indicible, c’est avec le temps que, plus tard, on peut discerner qu’il y avait trace de Dieu dans tel ou tel choix que l’on a fait. Nous avons besoin de signes ; pas de preuves, mais d’encouragement. C’est pourquoi la cène nous est donnée à vivre, chaque dimanche. Elle est le signe de la présence pleine et entière du Christ parmi nous, au milieu de nous, qui se donne à nous pour que nous en soyons porteurs dans ce monde. Dans la cène, le Christ rassemble les siens pour les nourrir de sa présence et les envoyer comme témoins dans le monde. Dans la cène Dieu nous fait signe.

Cinquième défi : recevoir le signe de la confiance que Dieu nous fait, pour être porté par sa présence, être porteur de sa parole ; être signe, instrument et avant-goût du Royaume, dans le souffle de l’Esprit saint.

 

3. S’engager aujourd’hui

« Tu seras mon porte-parole », a dit Dieu à Jérémie, et à tant d’autres hommes et femmes de la Bible. « Vous serez mes témoins », a dit Jésus à ses disciples après sa résurrection (Actes 1, 8), et à tant de chrétiens à travers les siècles et les continents. A chacun et chacune de nous aujourd’hui, sa parole est à nouveau adressée : quelles que soient tes réticences, tu es invité à partager la parole qui te fait vivre !

Dieu appelle chacun de nous à être témoin de sa parole. Les modalités peuvent être variées, multiples, successives. Certains savent très bien témoigner auprès des leurs ou dans leur environnement professionnel, par des mots, une présence, une attention à l’autre. Certains répondent à l’appel à prendre une responsabilité dans l’Eglise : devenir conseiller presbytéral, catéchète, responsable d’activité, présent pour l’accueil… Certains s’engagent dans des activités d’entraide portées par notre paroisse, Cimade, chaîne de solidarité Marhaban, repas du Casp… Certains sont engagés dans la vie associative, syndicale, politique. Certains font des choix professionnels cohérents avec leur foi. Tous sont appelés à vivre dans leur vie cette présence rafraichissante de Dieu, qui permet d’être soi-même présence utile et aimante dans ce monde.

Au moment des choix et des appels, quels que soient les engagements que nous acceptons, la parole de Dieu nous porte : N’aie pas peur, car je suis avec toi ! En Dieu, les témoins n’ont pas peur !

Sur le retour de ma balade en vélo, j’ai vu qu’à côté du graffiti « Les témoins ont peur », il était écrit en petit : « Amicale des témoins ». Je ne sais pas de quoi il s’agit, et peu importe. Mais je me suis dit qu’il y avait là une vérité. Etre témoin, ce n’est pas être seul, c’est être accompagné par Dieu, et c’est aussi se trouver membre d’une amicale, avec d’autres témoins, pour se porter mutuellement. On appelle cela « Eglise » ! En Eglise, et dans la force de l’Esprit saint, les témoins non seulement n’ont plus peur, mais ils sont heureux de partager le trésor que Dieu a mis dans leur cœur et sur leur bouche !

Alors, mon frère, ma sœur, aujourd’hui, reçois pour toi cette parole du Seigneur : « Je te connaissais avant même de t'avoir formé dans le ventre de ta mère ; je t'avais mis à part pour me servir avant même que tu sois né. Et je t'avais destiné à être mon porte-parole auprès des nations. » Tu peux répondre : « Hélas ! Seigneur Dieu, je suis trop jeune pour parler en public. » Mais le Seigneur te réplique : « Ne dis pas que tu es trop jeune ; tu devras aller voir tous ceux à qui je t'enverrai, et leur dire tout ce que je t'ordonnerai. N'aie pas peur d'eux, car je suis avec toi pour te délivrer. » Voilà ce que le Seigneur te déclare. Il avance la main, il toucha ta bouche et te dit : « C'est toi qui prononceras mes paroles. Tu vois, aujourd'hui je te charge d'une mission, qui concerne les nations et les royaumes : tu auras à déraciner et à renverser, à détruire et à démolir, mais aussi à reconstruire et à replanter. »

Seigneur, tu me veux à ton service, moi qui sans toi ne suis rien. Qu’à toute heure s’accomplisse ton désir ; il sera mien !

Amen