Le goût de vivre — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Le goût de vivre

Vous êtes le sel de la terre - Prédication Pentemont-Luxembourg

Prédication du dimanche 11 août 2019, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Matthieu 5, 13-16

 

Vous êtes le sel de la terre…

Oui, vous avez bien entendu, Jésus traite ses disciples de sel… et si je peux commencer cette prédication par un jeu sur les mots, cela ne manque pas de sel ! Avaler une cuillère de sel est plutôt brutal comme expérience. Le goût est violent et nous donne envie de recracher immédiatement ce que nous avons dans la bouche. Je suis plutôt salé que sucré, mais je trouve qu’il est plus facile d’avaler une cuillère de sucre ! Et pourtant Jésus dit bien à ses disciples : vous êtes le sel de la terre. Il ne leur dit pas « vous êtes le sucre de la terre » !

"Vous êtes le sel de la terre." Matthieu 5,13.

Vous êtes le sel de la terre, dit-il à ses disciples, c’est-à-dire à ceux qui le suivent, qui sont touchés par sa parole, ses gestes, sa présence. Ils ne sont pas parfaits, loin de là, mais ils sentent qu’il y a en lui quelque chose de fondamental pour leur vie et pour le monde. Aujourd’hui, c’est nous qui sommes les disciples, rassemblés autour du Christ et de sa parole. Et si nous croyons que cette parole est encore vive aujourd’hui, alors elle est pour nous. Nous voici interpelés de la même manière que les premiers disciples. Nous sommes le sel de la terre. Comment comprendre cela ?

 

1. Etre, tout simplement

Nous sommes au début de l’Evangile de Matthieu. Jésus a été baptisé par Jean-Baptiste, il a été tenté au désert, il a commencé à prêcher et à guérir, il a appelé ses premiers disciples, une foule le suit déjà. Alors il s’isole avec ses disciples sur une colline et se lance dans un grand discours, le « sermon sur la montagne ».

Ce grand enseignement commence par les béatitudes, une promesse folle faite à tous ceux qui ne sont rien aux yeux du monde : heureux les pauvres, heureux ceux qui pleurent, heureux les doux, heureux les artisans de paix, heureux car le Royaume de Dieu est à eux ! « Heureux », nous l’avons médité dimanche dernier à partir de la version des béatitudes dans Luc[1], cela veut dire en grec « debout », « en route », « suivez-moi » sur le chemin de la foi, de l’espérance et de l’amour ! Cette mise en mouvement dans la vie est développée dans les chapitres qui suivent. Juste après les béatitudes, viennent les versets que nous venons de lire. Le regard porté vers le règne de Dieu est maintenant amené vers la mission terrestre des disciples : vous qui êtes appelés à vivre la dynamique de la présence du Christ, vous êtes le sel de la terre.

Le sel est un élément quotidien de la vie dans toutes les cultures, à toutes les époques. C’est un élément de base, indispensable à la vie sur la terre car il permet au corps des êtres humains comme à celui des animaux de retenir l’eau et de faire fonctionner les nerfs et les muscles. C’est un élément puissant, car il suffit de peu de sel pour donner beaucoup de goût. C’est aussi un bien précieux, dont la possession assure la vie, dont le commerce donne la richesse, et dont l’imposition assoit la puissance des Etats.

Quand Jésus dit : « vous êtes le sel de la terre », il le dit à ses disciples qu’il vient juste de choisir, humbles pêcheurs du lac de Galilée, qui n’ont rien de remarquable – et la suite de l’Evangile nous le montrera bien des fois –, à ces disciples qu’il vient d’appeler à être heureux dans leur faiblesse, leur humilité, leur fragilité. C’est à eux – à nous qui ne sommes pas meilleurs que les premiers disciples – que Jésus dit cette parole forte ! A eux, qui ne sont rien aux yeux du monde, il dit qu’ils sont la chose la plus importante du monde ! Nous, tels que nous sommes, nous sommes le sel de la terre !

Vous avez remarqué que Jésus ne dit pas « vous devez être » le sel de la terre. Il dit : « vous êtes » le sel de la terre. Cela ne dépend pas de nous d’être sel. Ce n’est pas un appel qui nous adressé, mais l’affirmation d’une réalité : vous êtes.

Il ne dit pas non plus « vous avez » le sel de la terre. Le sel n’est pas quelque chose que nous possèderions, un message qui nous appartiendrait et dont nous pourrions disposer. Il s’agit de notre existence toute entière : vous êtes.

Vous êtes le sel de la terre. La parole de Jésus constate que nous sommes, tout simplement, le sel de la terre. Et cela n’est sans conséquence pour le monde. Cela dit notre rôle sur cette terre.

 

2. Le sel, ça sert à quoi ?

Dans l’antiquité, le sel avait trois fonctions.

a. Donner du goût

Le sel servait, comme aujourd’hui, à donner du goût aux aliments. Sans sel, la nourriture est bien fade. Nous sommes le sel de la terre, c’est-à-dire que nous donnons du goût au monde ! Dans ce monde, ce que nous sommes a de la saveur ! Et notre monde en a besoin !

« Ayez du sel en vous-mêmes, et soyez en paix les uns avec les autres », dit Jésus dans l’évangile de Marc (9, 50) ; le sel que nous sommes est appelé à être facteur de paix dans les relations les uns avec les autres, et notre monde en a tant besoin...  « Que votre parole soit toujours accompagnée de grâce, assaisonnée de sel, afin que vous sachiez comment il faut répondre à chacun », écrit Paul aux Colossiens (4, 6) ; le sel que nous sommes est appelé à entrer en relation avec les autres, dans une parole ajustée, une écoute, une authenticité, une confiance dont notre monde a tant besoin, aussi. Dans notre temps de violence et de défiance, être sel de la terre c’est être artisans d’une paix qui se déploie dans la justice, la confiance et la vérité.

Donner du goût au monde, c’est aussi redonner goût de vivre à ceux qui ont perdu cette envie. C’est partager avec eux, pour eux, la sérénité, la confiance, la paix du cœur que donne l’Evangile. Il y a tant de personnes qui n’aiment plus la vie, qui cherchent une direction pour leur existence, qui sont plongés dans l’angoisse ou qui ont de la peine à vivre avec les autres. Pour ceux-là comme pour nous, l’Evangile est bonne nouvelle. Il nous dit que nous sommes aimés pleinement par Dieu, qu’en Jésus-Christ la vie nous est offerte, que le Royaume s’est approché pour nous ouvrir à Dieu, aux autres, à nous-mêmes. Que le sens de la vie est dans cet amour reçu qui permet de vivre chaque jour comme unique, parce qu’il est accompagné par le Christ. Cela est d’un goût merveilleux, indispensable… et c’est nous qui en sommes porteurs.

Etre le sel de la terre, c’est partager le goût de vivre que nous avons reçu ! C’est, par nous, emplir la terre de la saveur de l’Evangile !

b. Conserver les aliments

Le sel servait aussi à conserver les aliments, notamment la viande et le poisson. C’était particulièrement important dans des pays où il faisait chaud, dans un temps où n’existaient pas les réfrigérateurs et les congélateurs !

Le sel sert à éviter la décomposition des aliments et, dans la Bible, il est ainsi le symbole de ce qui dure, de ce qui est sûr. Quand on scellait une alliance, par exemple, on répandait du sel. Ainsi le demande le Lévitique : « Tu mettras du sel sur toutes tes offrandes ; tu ne laisseras point ton offrande manquer de sel, signe de l’alliance de ton Dieu ; sur toutes tes offrandes tu mettras du sel » (2, 13).

Nous voilà appelés à un rôle de conservation. Non pas à être des conservateurs dans le sens de personnes qui ne bougeraient plus, qui seraient nostalgiques d’un ordre révolu, qui auraient peur de toute nouveauté, qui feraient pression contre toute évolution ! Mais un rôle de conservation de la vie sur la terre, de la justice et de la paix, de la liberté et de la fraternité ; elles ne se conservent pas naturellement, elles ont besoin de nous. Nous devons conserver la pertinence de l’Evangile comme force qui libère ceux qui sont écrasés, qui relève ceux qui sont opprimés, qui accueille ceux qui sont rejetés.

Etre le sel de la terre, c’est être témoins engagés de l’Evangile dans ce monde, et l’urgence et forte devant les défis du climat, des migrations, des guerres, des peurs qui s’emparent des peuples et les enferment sur eux-mêmes quand elles ne les précipitent pas les uns contre les autres… Etre le sel de la terre, c’est ne pas se retirer des combats de ce monde mais lutter mais sauvegarder la vie sur terre, par la force du Christ en nous.

c. Purifier

Le sel, enfin, dans l’antiquité, servait (symboliquement) à purifier.

Ainsi, le prophète Elisée qui purifie les eaux d’une ville en jetant du sel à leur source : « Il alla vers la source des eaux, et il y jeta du sel, et dit : Ainsi parle l’Éternel : J’assainis ces eaux ; il n’en proviendra plus ni mort, ni stérilité » (2 Rois 2, 21).

Nous voilà appelés à un rôle de purification. Attention, il faut bien entendre ce terme, tant il a conduit à des horreurs, des exclusions au nom d’une séparation pur/impur, des massacres au nom de la pureté ethnique. Purifier le monde, ce n’est pas rejeter, c’est construire, ensemble, c’est travailler pour rendre ce monde viable, c’est-à-dire combattre contre tout ce qui défigure les êtres humains, tout ce qui meurtrit et salit, c’est construire une terre plus juste et fraternelle.

Etre le sel de la terre, c’est s’engager dans le monde pour y répandre la vie plus belle, plus joyeuse, plus sereine.

 

3. Le goût de l’Evangile

Nous sommes le sel de la terre. Nous voilà invités à donner goût à la vie, à la conserver, à l’améliorer. Notre vie personnelle comme notre vie communautaire sont lieux de transmission de l’Evangile, sources de témoignage pour un monde meilleur. Etre le sel de la terre, quelle belle mission que la nôtre en ce monde !  Mais attention, il y a deux risques avec le sel…

a. Trop de sel

Un premier risque, c’est d’en mettre trop. Alors la nourriture devient infecte, alors les aliments se dessèchent, alors l’eau devient imbuvable. Une nourriture trop salée est facteur de d’hypertension artérielle. Trop de sel peut même tuer, comme pour le Mer Morte, « morte » car elle est tellement salée qu’elle empêche toute forme de vie de se développer en elle.

Dans la Bible, témoigne de cela le récit de la femme de Lot changée en statue de sel, pétrifiée dans son manque de confiance : « La femme de Lot regarda en arrière, et elle devint une statue de sel » (Genèse 19, 26). Dans le livre des Juges, « Abimélec attaqua la ville pendant toute la journée ; il s’en empara, et tua le peuple qui s’y trouvait. Puis il rasa la ville, et y sema du sel », afin d’y empêcher que renaisse la vie (9, 45).

C’est un vrai risque, pour les chrétiens, d’être « trop ». Trop présents, trop contraignants, trop puissants. L’histoire des Eglises a malheureusement montré trop souvent ce qu’il en est quand une Eglise – ou un groupe de chrétiens –, se prend pour une puissance habilitée à régenter la vie des autre, à dire ce qui est bien ou mal, à définir le goût permis (ou obligatoire), à conserver son pouvoir, à purifier le monde en éliminant toute dissidence.  Combien de persécutés, de rejetés, de massacrés au nom du Christ, au long des croisades, de l’inquisition, des guerres de religion, des bûchers pour les hérétiques, des compromissions avec les pouvoirs… C’est un risque qui n’est pas mince, puisque l’histoire nous montre sa fréquence et son intensité. L’actualité aussi, avec le regain des extrémismes, des fondamentalismes, des pulsions de toute-puissance qui peuvent s’emparer des chrétiens. Nous-mêmes, nous ne sommes jamais à l’abri de vouloir imposer aux autres, à la société, à nos voisins, à nos frères et sœurs en Christ nos opinions personnelles – éthiques, politiques, théologiques… –, que nous confondons bien souvent avec l’Evangile. Il ne faut pas jouer avec le sel ! Une grande modération est de mise, ou plutôt une grande humilité.

Il importe ici de se rappeler que ces paroles Jésus, comme nous l’avons dit tout à l’heure, suivent immédiatement les béatitudes, l’appel aux humbles, aux fragiles, aux doux, aux artisans de paix. C’est à eux que Jésus dit « vous êtes le sel de la terre ». Non pas à des forts, à des formidables, à des dominateurs, mais à ceux qui ont en eux de la place pour Dieu, et donc pour les autres. Ils ne sont pas tout-puissants mais, dans leur faiblesse, ils sont disponibles, et c’est ainsi qu’ils sont – que nous sommes – le sel de la terre. C’est dire que notre vocation est de rester humbles : trop de sel tue la vie !

b. Perdre sa saveur

Un autre risque se présente avec le sel. Un risque qui est peut-être plus grand. En tout cas c’est le risque que pointe Jésus dans l’Evangile. C’est le risque inverse, le risque que le sel perde son goût ! A quoi servirait du sel qui n’aurait plus de goût ? A rien ! Seulement bon à être jeté dehors et piétiné. Inutile.

Nous sommes le sel de la terre, mais si nous n’avons plus de goût, comment pouvons-nous donner du goût à la terre, comment pouvons-nous conserver une vie fraternelle dans ce monde, comment pouvons-nous assainir les situations de haine et de souffrance ? Que serions-nous si nous n’avions plus de goût ? Plus de goût à rien, des chrétiens tristes, coupables et culpabilisés, austères et effrayants, qui ne donneraient pas envie de venir goûter à l’Evangile ! Il y en a des chrétiens comme cela. C’est un risque que nous courons tous, de ne plus vraiment y croire, ou de vivre comme si cela, au fond n’avait pas d’importance. Ou de nous fondre dans le monde au point d’y disparaître, épousant toutes les modes, nous soumettant à toutes les idéologies, nous pliant à tous les pouvoirs, cherchant tranquillité et reconnaissance au prix d’une fadeur sans nom, perdant toute liberté de critique et d’émerveillement, de résistance et de témoignage.  Etre sel de la terre, c’est en garder le goût !

c. Etre disponibles

C’est là le cœur de la parole de Jésus : que nos vies gardent le goût de l’Evangile. C’est pourquoi la vie d’Eglise est importante. Elle nous permet de nous rassembler pour nous encourager les uns les autres, recevoir la Parole et la partager, retrouver goût à la foi, à la prière, à la Bible, à la relation à Jésus-Christ, rester goûteux pour pouvoir donner goût au monde ! Notre culte, notre manière de vivre l’Eglise, nos rencontres et nos relations, sont l’espace où nous entretenons en nous le goût de l’Evangile.

Pour l’entretenir, l’essentiel est en effet d’être disponibles au Christ. Notre vocation de sel de la terre ne repose pas sur nous, mais sur la force de l’Evangile en nous. Car être le sel de la terre, c’est simplement porter les fruits de la grâce. Ce n’est pas nous qui donnons goût à l’Evangile, c’est l’Evangile qui donne goût à nos vies. On ne peut pas fabriquer le sel ! On peut seulement le recevoir. Il y a une seule origine au sel, l’eau de mer ; on peut seulement récolter ou extraire le sel, que ce soit d’un marais salant ou d’une mine de sel, ou en faisant évaporer l’eau de mer. Il en est de même pour la grâce de Dieu. Elle ne se fabrique pas, ne se mérite pas, ne se construit pas : elle se reçoit comme un cadeau, elle s’accueille dans l’humilité et la reconnaissance et se transmet comme un trésor. Si l’Evangile résonne en nous aujourd’hui, c’est assurément l’œuvre de l’Esprit Saint. 

Et si l’Evangile se répand sur la terre, s’il touche des cœurs et transforme des vies, c’est par l’œuvre de l’Esprit saint en nous et par nous. C’est ainsi, et ainsi seulement, mais ainsi sûrement, que nous sommes le sel de la terre, parce que nous sommes les disciples de Jésus-Christ, dont la vie est le sel de nos vies !

Nous sommes le sel de la terre, nous dit le Christ. Alors, si je peux terminer cette prédication par un jeu de mots : que l’Evangile d’aujourd’hui nous remette en sel !

Amen.

 

[1] https://www.epupl.org/spiritualite/la-parole/predications-du-pasteur-christian-baccuet/une-parole-bouleversante