La terre en partage (1) – De l’univers à l’être humain — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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La terre en partage (1) – De l’univers à l’être humain

Copyright : Greg Rakozy

Prédication du dimanche 27 janvier 2019, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture biblique : Genèse 1,1 à 2,3

 

Dieu vit que cela était bon… C’est un refrain qui rythme le poème de la création, tout au début de la Bible. Chaque soir, après avoir créé la lumière, le ciel, la terre, les plantes, les animaux, l’être humain, Dieu se réjouit. Sa création est belle, harmonieuse, paisible et l’être humain en est responsable. Il voit que cela est bon…

Et nous, voyons que cela est bon ? A force de pollution, de consommation folle, de gestion à court terme de nos économies et de nos politiques, notre climat se dérègle, se réchauffe, approche de zones dangereuses de non-retour dans la modification des grands équilibres naturels et démographiques. L’être humain, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, a le pouvoir de faire basculer les conditions de vie sur terre, avec ce que cela peut enclencher de catastrophes naturelles, de disparition de milliers d’espèces animales, de lieux impossibles à habiter, de déplacements de population et de conflits. Cela n’est vraiment pas bon…

L’écart est grand entre la belle confession de foi du début de la Genèse, qui dit que Dieu est à l’origine de la vie et que cette vie est belle, et le constat de notre folie humaine qui massacre allègrement la planète sans souci du lendemain. Cet écart nous questionne. Mais comment ne pas basculer dans un catastrophisme paralysant, ou dans des remarques morales bas de gamme ? Comment, en sens inverse, ne pas se replier dans un déni confortable, la tête enfoncée dans le sol pour ne pas voir le danger ? Entre ces deux extrêmes la Bible nous apporte des pistes de réflexion fondamentales.

Pendant cinq semaines, Andreas et moi vous proposons de cheminer dans cette question de notre place sur cette terre, au sein de la création, de notre responsabilité, notre foi, nos engagements, nos gestes concrets. Pas pour dérouler un programme d’actions, mais pour réfléchir ensemble à ce que notre foi peut avoir de résonnance avec ce qui est le défi le plus grand que notre humanité n’a jamais eu, et qui est le défi de notre génération. Bien sûr, nous ne ferons pas le tour complet de la question ! Mais nous cheminerons ensemble dans cinq dimensions qui nous ont parues essentielles. Dimanche prochain : de l’alliance oubliée à l’alliance renouvelée, où comment le récit de Noé et du déluge pose notre responsabilité face à l’avenir. Le 10 février : du jardin à la ville, où comment nature et civilisation, responsabilité écologique et engagement social se rencontrent. Le 17 février : de l’être humain aux autres vivants, où comment la question du salut ne concerne pas que les êtres humains mais toute la création, les animaux, les plantes. Enfin, le 24 février : de l’action à la contemplation, où comment la spiritualité nous libère pour mieux agir. Aujourd’hui, à partir du premier chapitre de la Bible : de l’univers à l’être humain, où la question de notre place sur cette terre.

Ce n’est pas rien que la Bible s’ouvre par ce chant qui évoque l’univers et la place de l’être humain en son sein. Dès le départ, nous voici posés dans un cadre plus large que notre petite personne, plus large même que notre humanité. Au sein de l’univers tout entier, nous ne sommes pas grand-chose, finalement. « Qu’est-ce que l’être humain pour que tu penses à lui, pour que tu prennes soin de lui ? », s’écrie la psalmiste (Psaume 8, 5). Pas grand-chose, et pourtant au centre…

Vous savez que le récit de la création dans le début du livre de la Genèse est une confession de foi. Ce n’est pas un récit scientifique qui décrirait "comment" les choses se sont passées, mais un récit qui met en avant le "pour quoi" (en deux mots, avec un espace entre pour et quoi) : le but, la finalité, le sens. On pourrait méditer plusieurs jours d’affilée sur ce texte tant il est fondamental et riche. Aujourd’hui, je voudrais simplement laisser résonner deux dimensions qui nous disent la place de l’être humain au sein de la création de Dieu. Notre place sur cette terre.

Je vous invite à entendre dans ce texte une parole fondamentale, hélas souvent trop mal comprise. Et à y voir un détail essentiel, hélas souvent ignoré.

 

1 – Une liberté responsable

Après la lumière (1er jour), le ciel (2ème jour), la terre, la mer et les plantes (3ème jour), le soleil, la lune et les étoiles (4ème jour), les poissons et les oiseaux (5ème jour) et les animaux terrestres, la création de l’être humain arrive en dernier. Il arrive comme un bouquet final, un point culminant, une apothéose.

Au moment de créer l’être humain, Dieu délibère en lui-même, pour la première fois. Avant, il disait : « que la lumière soit, que la terre se couvre de verdure, que la terre produise des animaux »… Là, il pense à l’avance ce qu’il va faire, il inscrit l’être humain dans un projet, il se dit « Faisons l’être humain à notre image et à notre ressemblance » (v. 26). Après avoir créé l’être humain, Dieu le « bénit » (v. 28), c’est-à-dire qu’il lui souhaite le bonheur, et qu’il s’engage dans ce souhait. Puis Dieu lui parle directement, il entre en dialogue avec lui. Et ce qu’il lui dit est la mission qu'il lui donne. La mission qui nous est donnée. Double mission. « Ayez des enfants, devenez nombreux, remplissez la terre » (v. 28). Mission de poursuivre la création en donnant la vie, en multipliant la vie. Cette mission n’est pas propre à l’être humain, elle est celle de tous les êtres vivants. Les plantes ont été appelées à produire des graines et les animaux à se multiplier. L’être humain partage la tâche de toutes les créatures, celle de répandre la vie. Nous sommes appelés à semer la vie. Et puis une deuxième dimension, celle-là propre à l’être humain : « Dominez la terre, commandez aux poissons dans la mer, aux oiseaux dans le ciel et à tous les animaux qui se déplacent sur le sol » (v. 28). Puis Dieu regarde l’ensemble de la création et ne voit plus que cela est « bon » (comme cela rythmait les autres temps de cette création) mais que cela est « très bon » (v. 31). C’est très bon, fin du 6ème jour. Et le jour suivant, le 7ème, alors que tout est achevé, Dieu se repose. Il laisse la place à l’être humain. Tout cela est très bon.

Vous savez que ce récit est né tardivement dans la conscience du peuple hébreu, sans doute au moment de l’exil à Babylone au VIe siècle avant notre ère, quand il a réalisé que son Dieu était aussi le Dieu de l’univers. Il s’est alors confronté aux manières de penser la création qui étaient en cours en Mésopotamie, et la manière dont il a confessé le Dieu créateur tranche fondamentalement avec les mythes environnant. Dans les mythes mésopotamiens, l’être humain est un échec de la création. Il naît parce qu’il y a une bagarre dans le monde des dieux, et que les dieux vaincus sont expulsés sur la terre où ils donnent naissance aux êtres humains[1]. La création est faite dans la violence et la terre est en proie au malheur. Toute leur vie, les êtres humains, meurtris dès leur naissance, craignent la nature qui leur est hostile. Leur vie est soumise aux astres qui tiennent leur destin, et dominée par les divinités de la nature cachées dans les arbres, les sources, les animaux, et qu’il faut apprivoiser pour qu’elles laissent vivre en paix.

Le texte biblique prend le contre-pied de ces mythologies. La création entière est bonne, favorable. L’être humain n’est pas un échec mais la plus grande réussite de Dieu. Il n’a pas à être soumis et dominé, à vivre dans la crainte. Il est appelé à s’épanouir en ayant le dessus sur la nature et les animaux. C’est à lui de dominer et de soumettre. Dans le contexte de l’époque, c’est une vision très heureuse de la vie et de Dieu. Une belle confession de foi.

Mais aujourd’hui nous ne vivons plus dans un monde où tout est sacré, magique, effrayant. Nous avons désacralisé le monde, dépassé les superstitions. Nous savons expliquer beaucoup de choses. Et nous avons même instrumentalisé la terre, nous en avons fait un objet à utiliser. Et nous avons largement pillé la nature et les animaux. Dieu nous appelle à dominer et à soumettre… Mais cette belle mission devient un piège si nous nous croyons autorisés à faire ce que nous voulons, comme nous voulons. Dominer et soumettre, cela nous plaît, au fond. Alors nous comprenons de travers cette mission. Nous n’y entendons pas une responsabilité mais une totale liberté : tout est à toi, sers-toi comme tu veux, pille et détruit à volonté. Notre désir d’être des maîtres tout puissants nous fait confondre « écraser et casser » avec « garder et accompagner ».

Dominer et soumettre, cette mission fondamentale a hélas été trop souvent mal comprise. Ce texte nous dit bien que nous sommes libres face à la nature, aux plantes, aux astres, aux animaux… Mais il nous dit aussi que notre liberté (ne pas être soumis à la création) est notre responsabilité : cultiver, construire, élever… Il nous faut retrouver le sens des paroles de Dieu, la belle responsabilité qu’il nous donne. La responsabilité de travailler la terre et d’élever des animaux pour que la vie soit heureuse, que la création soit toujours bonne et qu’après nous d’autres générations puissent y vivre. Etre gardiens de la terre, porteurs de vie. Quand Dieu demande à l’être humain de dominer la terre et de soumettre les animaux, il lui demande d’être comme le gardien de la création. Libre en son sein, mais responsable d’elle. Le mot « responsable » a la même étymologie que le mot « réponse ». Dieu a créé la terre et tout ce qu’elle porte. Dans la réponse de la foi, à nous d’en être les responsables. C’est un appel vital qui retentit pour nous dans ce texte. La question de l’avenir de la planète est urgente. Cela ne nous freine pourtant pas, nous sommes dans une folle course en avant et un déni mortifère. Mais il est vrai que la peur n’est jamais bonne conseillère… Nous voici appelés à faire de notre liberté d’êtres humains une responsabilité : multiplier la vie, et garder la création bonne et belle.

Mais notre liberté débridée, notre consommation à outrance, notre vie à court terme, notre égoïsme peuvent-ils trouver une limite ? Car la question urgente est là : quelle limite quand notre toute puissance, notre démesure (notre hybris), nous dévore et risque d’emporter avec nous la terre dans un enchainement de catastrophes ?

 

2 – Créé à l’image de Dieu… mais pas à sa ressemblance

Revenons sur le fait que l’être humain est créé en dernier. Si on peut y voir un couronnement de la création, on peut aussi voir cela comme un appel à la modestie, à l’humilité : l’univers, la terre et le ciel, les astres, l’eau, les plantes, les animaux… tout cela existait avant l’être humain. L’existence de l’être humain n’est qu’un minuscule morceau de l’histoire de l’univers. Il y avait de la vie avant nous… et sans doute y en aura-t-il après nous ? L’être humain n’est pas le maître du monde, il est passager d’une planète. Il n’est pas Dieu, il n’est qu’une créature. Cela nous ramène à notre juste place.

Quelque chose nous le dit dans le texte. Quelque chose, ou plutôt une absence. Un détail essentiel, hélas trop souvent ignoré. Un point qui peut passer inaperçu mais qui est pourtant riche de sens. Presque troublant, une faille, comme une ouverture. Un espace où nous pouvons sans doute retrouver cette juste place de créatures responsables de la création, en lien avec le créateur. C’est un petit mot. Le mot « ressemblance ».

Quand Dieu décide de créer l’être humain, il décide de le faire « à son image et à sa ressemblance » (v. 26). En hébreu comme en français, « image » et « ressemblance » sont deux mots différents[2], mais qui veulent dire à peu près la même chose. Ils ne permettent pas de discuter sur la différence qu’il y a entre eux. Ils ne disent pas que l’être humain est identique à Dieu, comme un clone, mais qu’il y a une profonde relation entre Dieu et l’être humain, un lien étroit, comme un reflet. L’être humain est le reflet de Dieu ! Chaque être humain est une image de Dieu… comment mieux dire que tout être humain est important ?

Mais quand Dieu crée l’être humain, il le fait « à son image » seulement, pas « à sa ressemblance » (v. 27) ! C’est comme si Dieu n’avait créé l’être humain qu’à moitié. A son image mais pas encore à sa ressemblance. Il manque quelque chose d’essentiel à l’être humain. Et ce manque est notre chance. Un espace nous est donné, comme une ouverture, comme un appel.

Si nous avions cette ressemblance, nous serions comme des dieux. C’est notre rêve à chacun… mais ce serait un cauchemar si c’était le cas. Dans l’histoire humaine, dès que quelqu’un se prend pour un dieu, il écrase les autres, c’est la dictature, la guerre, la mort. Dans la Bible, se prendre pour Dieu est le péché par excellence, la racine de tout mal, car c’est ne plus pouvoir faire place à l’autre. La vie est vraiment vécue quand l’être humain accepte de ne pas être Dieu mais d’être pleinement humain. Savoir que nous sommes à l’image de Dieu mais pas encore à sa ressemblance, c’est reconnaître qu’il nous manque quelque chose. C’est avoir une limite à notre prétention totalitaire, celle d’être tout, tout seuls. C’est dans cet espace que se déroule notre vie. Nous sommes à l’image de Dieu, c’est un fait, cela nous est donné, cela est la base de notre responsabilité, cela est magnifique. Et nous ne sommes pas à sa ressemblance, nous sommes tendus vers l’avant dans l’espérance du jour où il nous donnera cette ressemblance, où nous vivrons enfin dans la plénitude. Cet intervalle est notre espérance, le lieu de notre vie, l’espace de notre engagement pour avancer, aimer, pardonner, construire, grandir. C’est ainsi que nous pouvons faire place à l’autre : à Dieu, à la création, aux autres êtres vivants. C’est ainsi que nous pouvons être porteurs de vie, de beau et de bon, accomplir notre mission de créatures responsables de maintenir la création en bon état, accompagnés par Dieu, tournés vers l’espérance.

La ressemblance avec Dieu est devant nous, comme une promesse. Une promesse déjà ouverte par Jésus-Christ. Ainsi l’écrit Jean dans sa 1ère Lettre : « Mes chers amis, nous sommes maintenant enfants de Dieu, mais ce que nous deviendrons n'est pas encore clairement révélé. Cependant, nous savons ceci : quand le Christ paraîtra, nous deviendrons semblables[3] à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est » (1 Jean 3, 2). Cela est source d’espérance, écrit l’auteur de la Lettre ; l’espérance qui fait devenir comme Jésus-Christ. Jésus-Christ, fils de Dieu et fils de l’homme, celui en qui Dieu et l’être humain se rencontrent, celui qui est image et ressemblance de Dieu, celui en qui notre liberté et notre responsabilité se conjuguent, celui par qui nos projets et nos limites prennent sens, celui qui est source d’espérance.

Nous sommes placés par Dieu comme libres et responsables sur cette terre, qui est si belle. Nous sommes créés à son image, avec la force de la parole et de la relation. Nous ne sommes pas encore à sa ressemblance mais, en Christ, nous pouvons déjà en vivre un avant-goût. Et sur cette terre en poser des gestes qui en sont signes. Pas par peur, mais par espérance. Dans la confiance. Avec Dieu, en Dieu, par Dieu, nous pouvons être fidèles à notre mission. Pratiquement, dans nos gestes quotidiens, dans la modification de nos habitudes, dans nos choix de société, dans notre attention à ceux qui souffrent davantage que nous de l’évolution de ce monde.

Il est encore temps de nous ressaisir. C’est un appel qui nous concerne tous, et chacun, et ensemble. Pas par peur mais dans la confiance. Pas comme une incantation, mais comme un appel à la conversion. C’est une question de fidélité à la Parole de Dieu, une question de foi : dominer et soumettre à l’image de Dieu, c’est-à-dire dans un engagement pour la vie, pour les autres, pour les générations futures, les animaux, les plantes. A l’image de Dieu… et dans la perspective de devenir à sa ressemblance.

Alors, ce sera vraiment très très bon !

Amen.

 

[1] Voir le poème Enouma élish, vers 1100 avant JC.

[2] Image : צֶלֶם – Ressemblance דְּמוּת.

[3] « Semblable » en grec : ὅμοιος. Dans la traduction grecque du Premier Testament, la Septante, le terme hébreu « ressemblance » (דְּמוּת) est traduit par ὁμοίωσιν. Le terme « image » (צֶלֶם) est quant à lui traduit par εἰκόνα.