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Etre rassasié et rester affamé

"Je suis le pain vivant", dit Jésus

Prédication du dimanche 12 août 2018, par le pasteur Christian Baccuet.

Lectures :

  • Exode 16, 1-4a, 11-15
  • 1 Rois 19, 1-8
  • Jean 6, 41-51

 

Avez-vous faim ? Je ne parle pas du croissant que vous mangeriez bien maintenant ! Ni de la faim qui vous prendra dans une heure environ à l’approche du repas ! Il est certes essentiel de manger, cela est un besoin fondamental de l’existence humaine, mais, comme vous le savez, et comme la Bible nous le dit fort justement, « l’homme ne vivra pas de pain seulement… » (Deutéronome 8, 3).

Dans notre existence, nous avons des besoins fondamentaux. En schématisant, on peut les répartir en cinq catégories. Besoins physiologiques, celui de manger, de boire, de dormir. Besoin de sécurité, de pouvoir vivre dans un environnement qui nous rassure. Besoin d’amour, d’appartenir à un groupe, une communauté où se partagent affection et solidarité. Besoin d’estime, de regard confiant des autres sur nous-même, de respect des autres et de soi. Besoin de nous accomplir, de réaliser quelque chose, de trouver un sens à notre vie. Certains chercheurs ont tenté de hiérarchiser ces besoins, tel Abraham Maslow et sa fameuse pyramide qui met les besoins physiologiques en premier et l’accomplissement de soi tout en haut ; ce modèle est très contesté car ces besoins se hiérarchisent différemment selon les individus. Mais, quelle que soit la manière de les articuler, chacun de nous a ces cinq besoins fondamentaux et est en quête de les vivre et de les développer...

"Je suis le pain vivant descendu du ciel", dit Jésus.

Avez-vous faim ? Je ne vous parle pas aujourd’hui de la faim physiologique, mais de la faim existentielle, de la faim de vivre, de la faim d’aimer et d’être aimé, de la faim d’avoir un sens à sa vie. Avez-vous faim de cette faim-là ? Cette question, ce n’est pas moi qui vous la pose, c’est l’Evangile qui nous la renvoie. Dans l’évangile de ce jour, il est question de pain. « Je suis le pain vivant descendu du ciel », dit Jésus. Il y est question d’être rassasié. « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour toujours », poursuit Jésus. Un peu plus haut dans le même chapitre, il disait même : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim et celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (v. 35). Ce que dit Jésus ici est bonne nouvelle et je voudrais partager cela avec vous aujourd’hui. Mais cela peut aussi mal entendu et vécu comme une mauvaise nouvelle, et je voudrais vous en parler aussi. Puis je vous inviterai à manger !

 
 
1 – Etre rassasié

 

C’est une bonne nouvelle que Jésus prononce dans ce chapitre 6 de l’évangile de Jean. C’est un chapitre qui commence par le récit dit de « la multiplication des pains », quand Jésus, avec quelques pains et quelques poissons, nourrit une foule immense. Ce chapitre se déroule ensuite autour de la thématique de Jésus comme « pain de vie ». Jésus nourrit physiologiquement la foule, et il la nourrit de sa parole et de sa présence. Il leur donne du pain et il se donne à eux comme pain vivant.

Le pain est un aliment de base qui symbolise toute nourriture, la nourriture physique mais aussi ce qui nourrit nos existences : on dit « gagner son pain » pour évoquer le travail, « manger son pain blanc » pour désigner les jours de bonheur, « bon comme du bon pain » pour qualifier une personne pleine de gentillesse, « c’est pain-béni » pour indiquer une chance, « je ne mange pas de ce pain-là » pour réprouver une mauvaise action… Le pain évoque aussi la vie ensemble, le partage qui fait de ceux qui mangent le même pain des « co-pains », ou des « com-pagnons ».

Quand Jésus se présente comme « le pain », il dit qu’en se donnant à nous, il nous donne ce qu’il est, ce qu’il a dit et ce qu’il a fait. Il nous ouvre ainsi à la relation fondamentale qui est celle d’un lien filial avec Dieu, le Père qui l’envoie et dont il partage les paroles, la Parole, et qui nous fait enfants de Dieu. Il est pain « vivant », qui ouvre à la relation, à l’échange, à ce qui fait de nous des êtres humains. Il est « descendu du ciel », c’est-à-dire, en culture biblique, « donné par Dieu », comme une grâce, un cadeau. C’est, par un langage symbolique, dire une réalité profonde : la présence vivante et nourrissante de l’Evangile. C’est une invitation : « si quelqu’un mange de ce pain… », appel à prendre en soi l’Evangile et à en vivre. C’est une promesse et une espérance : « … il vivra pour toujours » : il y a en lui la vie, la vraie vie, la vie en plénitude, au-delà de toutes les finitudes qui empoisonnent notre quotidien, au-delà des souffrances dont notre monde est empli, au-delà même de notre mort : pour toujours !

Dans cette expression, « je suis le pain vivant », Jésus nous dit ainsi la bonne nouvelle : sa présence donne sens à notre existence. Elle nous permet, en profondeur, d’être rassasiés dans nos besoins fondamentaux de sécurité, d’appartenance, d’estime, d’accomplissement. Il nous offre sa présence rassurante qui donne paix et sécurité dans un quotidien parfois malmené, car nous savons que nous ne sommes pas seuls. Il nous offre le lien avec celles et ceux qui partagent la même quête de sens et avec lesquels nous sommes en communauté de confiance et de solidarité. Il nous offre l’estime de nous-mêmes, en nous assurant que nous avons du prix aux yeux de Dieu, quels que soient nos balbutiements, nos erreurs, nos parcours. Il nous offre l’accomplissement d’une vie qui vaut la peine d’être vécue car elle compte pour Dieu et qu’elle s’épanouit dans le partage avec ceux qui ont faim de sens, de dignité, de justice et de paix dans ce monde.

Jésus pain vivant, c’est un condensé de l’Evangile. C’est une bonne nouvelle ! Quiconque mange de ce pain vivra pour toujours ; il n’aura plus jamais faim, c’est-à-dire qu’il ne connaîtra plus cette angoisse de manquer, cette déchirure au fond de soi qui vient d’un manque fondamental, cette mortification intérieure qui paralyse, ce dessèchement qui gangrène sa vie. Bien sûr, dans la foi, nous éprouvons toujours des moments de vie difficile, des épreuves, des angoisses. Mais la présence du Christ nous aide à les traverser, nous porte et nous supporte, nous apaise et nous nourrit. La foi, c’est être rassasié, ne plus jamais avoir faim !

 

2 – Rester affamé

 

Mais attention ! Ne plus jamais avoir faim, cela peut être mal compris, cela peut devenir un piège. Car si la faim, quand elle est manque fondamental, est mort, la faim est aussi ce qui nous conduit à être heureux de pouvoir savourer un repas. Ne plus avoir faim, est-ce à dire que nous n’aurions plus de sensations, plus d’envies, plus de besoins ?  Et par conséquent plus de plaisir à être nourri ?

Nous connaissons ce sentiment de trop-plein, d’écœurement devant tout ce que nous avons, d’absence d’espace pour continuer à avancer. Notre société est malade de cette saturation de consommation, d’objets, de besoins matériels satisfaits avant même que d’avoir été éprouvés. Nous savons que cela est dramatique au plan de l’épuisement de la planète, nous savons que cela est dramatique au plan de l’épuisement de nos vies, et pourtant nous continuons comme des fous à accumuler, comme si, là, était le sens ultime de notre vie, alors que c’est sa perte. Car avoir tout, c’est ne plus avoir envie de rien. Il est dramatique de ne plus avoir envie, et c’est le mal de notre temps. Il est symptomatique à cet égard qu’une des chansons préférées des français est « L’envie », écrite par Jean-Jacques Goldman et chantée par Johnny Halliday, qui crie l’envie d’avoir envie :

Qu'on me donne la faim la soif, puis un festin.

Qu'on m'enlève ce qui est vain et secondaire,

Pour que je retrouve le prix de la vie enfin.

(…)

On m'a trop donné, bien avant l'envie

J'ai oublié mes rêves et les mercis.

Toutes ces choses qui avaient un prix,

Qui font l'envie de vivre et le désir,

Et le plaisir aussi

Qu'on me donne l'envie,

L'envie d'avoir envie,

Qu'on rallume ma vie.

Ne plus jamais avoir faim, serait-ce ne plus avoir de besoin, ne plus avoir d’envie ? Est-ce là ce que Jésus nous propose ?

Ici, il est intéressant de remarquer que, quand Jésus dit qu’il est le pain vivant, il évoque « la manne que vos pères ont mangé dans le désert ». Rappelez-vous : quand les hébreux, esclaves en Egypte, ont été libérés par Moïse, ils ont entrepris un très long voyage – 40 ans ! – dans le désert avant d’entrer en terre promise. Derrière eux, l’esclavage, la vie comme des objets, la peur, la souffrance. Devant eux, la terre où coulent le lait et le miel, c’est-à-dire de quoi manger et boire, la sécurité, l’appartenance, la confiance, l’espérance… Mais la route est longue, très longue, et dans la faim et la soif le découragement les menace et la nostalgie les attaque. Ils en viennent à regretter le temps où leurs marmites étaient pleines, c’est-à-dire le temps de l’esclavage, le temps de la mort même : « Ah ! si nous étions morts de la main du Seigneur en Egypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété », s’écrient-ils (Exode 16, 31). Nous connaissons bien cette tentation d’abandonner notre liberté pour pouvoir mieux amasser, cette perte de confiance qui nous fait retomber en esclavage.

Alors, aux hébreux perdus dans le désert, Dieu donne la « manne », une nourriture qu’ils pourront ramasser chaque matin. La manne, c’est le pain que Dieu donne, le pain du ciel, le don quotidien qui leur permet de retrouver confiance et force et de poursuivre leur route vers la liberté. Ce pain est à recevoir dans la confiance, car il est impossible d’en faire provision, d’en remplir des coffres ; il y a la quantité nécessaire pour la journée, et la confiance dans le lendemain. Il ne s’agit pas d’accumuler, d’entasser, de ne plus avoir faim, mais de poursuivre la route jusqu’à demain. La manne est symbole de la grâce de Dieu, qui se renouvelle jour après jour. Elle est nourriture physiologique mais, plus encore, existentielle. Elle est signe de la présence quotidienne de Dieu.

Savez-vous ce que veut dire le mot « manne » ? En hébreu, « man » (מָן) est une question : « qu’est-ce que c’est ? » ; « c’est quoi ? ». La nourriture que Dieu donne aux hébreux est nouvelle pour eux, ils ne savent pas ce que c’est, alors ils l’appellent « c’est quoi ? ». Chaque jour, Dieu leur donne du « c’est quoi ? » pour les nourrir, leur signifier sa présence, les remettre en confiance.

C’est très intéressant : ce que leur donne Dieu chaque jour, ce n’est pas une réponse, quelque chose qui remplit et risque d’étouffer, mais une question, un creux, une ouverture. Une place faite pour avancer. Là où notre société nous gave, nous écœure, nous fait perdre toute envie, Dieu donne, jour après jour, ce qu’il faut pour que nous restions libres, légers, confiants et espérant. Il nous nourrit et nous garde en élan de vie. Là où les religions, les idéologies et les pouvoirs tendent à s’absolutiser, à ne plus admettre le questionnement, à faire de nous des esclaves qui ne pensent plus, là où les fondamentalismes sont tapis partout et jusque dans notre Eglise, l’Evangile se présente comme une question ouverte, une interpellation, une libération, une mise en route.

Quand Jésus dit qu’il est le pain vivant, c’est de cette manne qu’il nous nourrit. Sa vie est pour nous ce don quotidien qui rassasie sans écœurer, qui nourrit sans gaver, qui rassure sans enfermer, qui relève et ouvre. Dans le quotidien de nos vies, Jésus nous invite à être rassasiés par sa présence, rassurés, allégés, libérés, paisibles, heureux. Il nous invite aussi à rester ouverts à la grâce, à l’aventure, à la rencontre, au dialogue, aux autres, à l’espérance. A ne pas souffrir de la faim qui angoisse mais à vivre de la faim qui ouvre, à rester en appétit. Tel est l’Evangile que je reçois aujourd’hui : être rassasiés et rester affamés. Recevoir la certitude de la présence aimante de Dieu, et rester ouvert aux questions, à l’avenir, aux autres. Continuer à avancer, à vivre, pour toujours !

 

3 – Une galette et une cruche

 

Maintenant je vous invite à manger ! Ou, plus exactement, le Seigneur nous invite à son repas. Dans quelques minutes, nous allons partager la cène. Un peu de pain, une gorgée de vin, un partage qui est signe de la présence du Christ, pain vivant descendu du ciel, vie donnée sur la croix, vie ouverte au matin de Pâques, communauté rassemblée dans l’accueil mutuel les uns des autres, Eglise envoyée dans le monde comme témoin de l’Evangile qui tout à la fois nous nourrit et creuse notre faim. Repas où les creux de nos vies sont emplis, et où les trop-pleins sont allégés. Etape sur la route, où une galette et une cruche nous sont offertes.

Comme pour Elie le prophète, au IXe siècle avant notre ère. Après une grande victoire sur les prophètes de l’idole Baal, signe éclatant de la présence de Dieu, Elie a un retour difficile au quotidien. Il a été trop empli de la gloire de Dieu, et la descente est dure. Nous connaissons ces temps de fatigue où la lassitude du trop-plein s’empare de nous et devient comme un vide immense. Elie traverse un temps de dépression, il s’en va dans le désert, s’assied et souhaite mourir. A son réveil, à côté de lui, une galette cuite sur des pierres chaudes et une cruche d’eau : de quoi reprendre des forces. Et une présence, celle d’un messager de Dieu qui l’invite à manger et à boire, à reprendre des forces. Elie se lève, mange et boit, et reprend sa route, longue route – pas 40 ans, mais 40 jours et 40 nuits, même symbolique que dans l’Exode, celle d’une longue traversée, d’une épreuve, d’un chemin difficile mais désormais accompagné – jusqu’à la montagne de Dieu.

Nous sommes comme Elie, chacun de nous à sa manière, avec les hauts et les bas de notre vie, des passages à vide et des temps trop emplis, des besoins à assouvir et une marche à poursuivre. Aujourd’hui, devant nous, sur la table de communion, une galette et une cruche, du pain et du vin, un peu de forces à partager pour reprendre la route en présence de Dieu. Ce pain qui nous rassasie et creuse en nous la faim d’aimer. Aujourd’hui, Dieu se donne à nous en Jésus. Dans les creux de nos vies, cette présence nous offre de vivre paisiblement, elle répond à nos besoins, elle nous rassasie. Dans les trop-pleins de nos vies, cette présence creuse en nous la faim d’ouverture, de rencontre et de partage.

« Je suis le pain de vie descendu du ciel, dit Jésus. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra pour toujours »… Avez-vous faim ? Alors heureux êtes-vous d’être invités au repas du Seigneur !

Amen.