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Une voix dans nos déserts

Prédication du Pasteur Christian Baccuet, dimanche 6 décembre 2020
Une voix dans nos déserts

Lectures bibliques : Esaie 40, 3 à 5 ; Marc 1, 1 à 3

 

 

Vous connaissez l’importance de la ponctuation. Une ponctuation peut inverser le sens. Un exemple qui parle aux parisiens : « L'automobiliste dit : le cycliste est un imprudent »… mais si on change la ponctuation : « L'automobiliste, dit le cycliste, est un imprudent » ! Une virgule peut faire la différence ; ce n’est pas pareil de dire : « Et si on mangeait les enfants ? » et de dire « Et si on mangeait, les enfants ? » ! La virgule est un espace de sens, un souffle de vie.

Il y a un détail de ponctuation dans les deux textes de ce jour. Esaïe écrit : « J'entends une voix crier : ‘Dans le désert, ouvrez le chemin au Seigneur’. » (40, 3). Et Marc, qui cite Esaïe en suivant la traduction grecque de la Septante, écrit : « C'est la voix d'un homme qui crie dans le désert : ‘Préparez le chemin du Seigneur’ » (1, 3). La voix crie dans le désert, là où il n’a personne pour l’entendre ? Ou bien appelle-t-elle à préparer un chemin dans le désert, là où il est difficile de cheminer ? Le sens n’est pas le même !

 

Ce n’est pas simplement une question de ponctuation grammaticale. C’est une question de ponctuation existentielle, spirituelle, dans les déserts de nos vies. Car, par bien des aspects, nos vies sont comme des déserts. Nos vies personnelles et nos existences collectives. Le désert, c’est beau sur des photos mais c’est rude à vivre. Dans le désert, il est difficile de se rassasier, de boire, il fait trop chaud et trop froid, il n’y pas de végétation ou si peu, on ne croise personne, on se perd facilement. Ainsi en est-il de nos vies, ou de moments de nos vies, quand le sens se perd, quand la fatigue gagne, quand la solitude pèse, et cette année 2020 appuie peut-être davantage pour beaucoup de nous sur nos points de fragilité. Ainsi en est-il aussi de nos vies collectives, dans une société qui ne sait plus où elle va, déchirée par les émotions, les injustices, la violence, l’absence de pensée, de perspective, de sens.

Dans ces temps de désert, comment l’Evangile peut-il ponctuer nos vies, les relancer, leur donner du sens ? L’Evangile vient-il crier dans le désert, comme si personne ne l’entendait ? Ou vient-il crier que quelque chose s’annonce dans ce désert ? Le sens n’est pas le même, selon l’endroit où l’on met la ponctuation.

 

Une petite remarque ici : dans les langues biblique, l’hébreu (Esaïe) et le grec (Marc), la ponctuation n’existe pas ! C’est la tradition qui est venue mettre des ponctuations pour aider à la lecture, en tenant compte du contexte, du rythme des mots. Mais, en facilitant la lecture, elle la réduit aussi. Ainsi en est-il de ce bout de phrase, avec l’impression qu’il faut choisir un sens ou l’autre alors que la possibilité d’un sens ouvert me paraît bien plus forte. Je crois qu’il faut tenir, toujours, un sens ouvert plutôt qu’une interprétation fermée, car je crois que l’Evangile n’enferme pas dans des idées étroites mais ouvre des horizons de vie, ne met pas des barbelés de doctrine ou de morale autour de nous mais ouvre des espaces de relation. L’Evangile ne nous est pas donné pour assécher nos vies mais pour les désaltérer, pas pour nous réduire au silence mais pour nous inviter à parler, crier, chanter. Le Christ nous appelle à la liberté, là où nous sommes tentés de nous replier sur des sécurités. Le Christ chemine dans nos déserts pour que nous ne nous y perdions pas.

 

Il est beaucoup de déserts dans nos vies et dans notre monde. Il est beaucoup de déserts dans la Bible. Le désert est une dimension importante dans la Bible, en premier lieu en raison de la géographie de la région du Proche-Orient où se déroule la majeure partie de l’histoire biblique : région où la part de terre aride, sèche, impropre à la culture, est importante. Le désert, c’est le lieu où il est difficile de survivre, que l’on traverse avec appréhension, où l’on souffre de fatigue et de soif, où l’on peut être attaqué par des bêtes sauvages, et où les hommes et femmes des temps anciens pensaient que vivaient des démons. C’est ainsi un où l’on est éprouvé par la difficulté du chemin, pas la douleur du voyage, par la souffrance du manque. Un lieu où l’on est faible, et pour cela vite en danger.

 

Dans l’Ancien Testament, le désert (מִדְבָּר Midbar) peut être le lieu de l’abandon, de la malédiction, là où le bouc émissaire est chassé (Lévitique 16, 10). Pensez à Hagar, la servante d’Abram, enceinte de lui et qui doit s’enfuir dans le désert pour échapper à la jalousie de Saraï, la femme d’Abram dans le désert Genèse 16, 7).

C’est lieu d’épreuve, c’est aussi un lieu où Dieu donne sa présence, comme à Hagar qu’il retrouve et ramène dans l’espace des vivants pour qu’elle donne naissance à Ismaël, dont le nom signifie « Dieu entend ». Cette épreuve est un lieu de confiance, un lieu où Dieu vient à l’aide.

Le désert peut ainsi devenir chemin de liberté. Ici on pense directement à l’acte fondateur de la foi biblique, l’exode, la sortie d’Egypte des hébreux esclaves, libérés par Moïse, et cheminant pendant 40 ans dans le désert vers la terre promise. Long, infiniment long chemin de libération, à travers la faim et la soif, la révolte, la tentation d’abandonner pour retourner en arrière. Et chemin accompagné par Dieu, qui donne sa parole et sa présence, qui chemine avec jusqu’au pays où coulent le lait et le miel. Le désert à la fois comme épreuve et horizon, comme traversée de vie et de foi.

Ce désert est encore là, régulièrement, dans la vie de certaines personnes, découragées et portées par Dieu, je pense par exemple au prophète Elie qui, malgré le succès de son ministère, traverse une crise de dépression et s’enfuit au désert où il souhaite mourir (1 Rois 19, 4). Mais là, Dieu vient à son secours, lui donne à manger et à boire, lui redonne force puis se présente à lui dans un souffle léger.

Et puis collectivement, dans le deuxième grand moment de la foi des hébreux, quand ils sont en exil à Babylone, encore le désert. Entre Babylone et Jérusalem, un immense désert, une rupture, une souffrance. Et une attente, celle de la liberté et du retour chez soi. Et une promesse, portée par le prophète Esaïe : « Dans le désert, ouvrez le chemin au Seigneur ! ». Promesse de nouvel exode, de nouvelle libération, de nouvelle traversée du désert, qui d’obstacle devient chemin du Seigneur.

 

Dans le Nouveau Testament, le désert (ἔρημος érémos) est aussi présent, de la même manière que dans l’Ancien Testament. Un lieu d’épreuve, un lieu où Dieu accompagne.

Ainsi, dès le début de l’évangile (Marc 1, 12-13), Jésus passe 40 jours dans le désert – comme en écho aux 40 années du peuple en exode avec Moïse – et traverse l’épreuve, celle dont les évangiles de Matthieu (4, 1-11) et Luc (4, 1-13) nous disent qu’elle le confronte à la tentation de la toute-puissance politique, économique et religieuse. Dans cette épreuve, Jésus est porté par la présence de Dieu. Un peu plus tard, à la fin du 1er chapitre de Marc (1, 45), la notoriété de Jésus grandit à un point tel qu’il ne peut plus entrer publiquement dans une ville. Il se tient dehors, dans des lieux déserts, et l’on vient à lui de toutes parts :  le désert comme lieu d’exil et de rencontre avec Dieu. Et, plusieurs fois dans l’évangile, Marc nous dit que Jésus se met à l’écart dans le désert pour se reposer, se ressourcer, prier (Marc 1,35[1] ; 6, 31[2] ; 6, 32[3]). Le désert comme lieu mis à part pour être disponible à la présence de Dieu.

C’est lieu où, au début de l’évangile, prêche Jean le baptiste, celui qui vit de manière ascétique, qui appelle à la conversion, qui baptise, qui annonce la venue du Messie. Jean le baptiste, dernière figure de l’Ancien Testament, première figure du Nouveau, à la charnière de ce moment du « commencement de la bonne nouvelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu » (Marc 1, 1). Evangile qui s’ouvre avec la promesse d’Esaïe : « C'est la voix d'un homme qui crie dans le désert : ‘Préparez le chemin du Seigneur’ », comme son prolongement, son épanouissement, son accomplissement.

 

Voilà le désert dans la Bible, tout à la fois lieu de sécheresse et de désespérance, lieu d’épreuve et d’espérance, lieu où Dieu se joint à celui qui l’appelle. Voilà une bonne nouvelle pour le désert de nos vies personnelles et collectives.

Nous ne sommes pas seuls : une voix crie dans le désert. Non pas la voix de quelqu’un qui parle tout seul parce qu’il n’y aurait personne, mais la voix de quelqu’un qui crie là où nous croyons qu’il n’y a personne, quand nous nous sentons seuls, abandonnés. La voix crie dans nos déserts, là où nous sommes, là où nous en sommes. C’est dans nos déserts qu’une parole retentit, qu’une présence se manifeste. Pour nous.

Cette voix, c’est celle de l’Evangile. Dans Esaïe c’est celle du prophète qui annonce la liberté, le retour d’exil, la reconstruction à venir. Dans l’évangile de Marc, c’est celle de Jean le baptiste qui annonce celui qui vient, Jésus.

Ainsi, la différence de ponctuation entre ces deux textes nous ouvre à deux dimensions essentielles, complémentaires, vitales.

Avec Marc, cette voix est celle de Dieu, celle du Christ, celle de l’Esprit saint, qui, dans le désert de nos vies, nous parle, nous dit la bonne nouvelle : le Seigneur vient, son chemin s’ouvre. Tu n’es plus seul, abandonné ; comme autrefois Hagar, les hébreux en fuite avec Moïse, Elie, les exilés à Babylone, Jésus tenté dans le désert, tu n’es pas seul, Dieu te connaît, Dieu se soucie de toi, Dieu chemine avec toi, pour toi, vers toi. Son chemin vers toi s’ouvre, pour que ton chemin de vie s’ouvre à son tour. Ainsi est la foi, cette présence qui apaise, relève, redonne force et vie.

Avec Esaïe, dans le désert de ce monde, cette voix nous appelle à partager la bonne nouvelle que nous avons reçue, à crier à notre tour que le Seigneur vient, que son chemin s’ouvre. A crier : préparez le chemin du Seigneur, préparez-le dans le désert. Ainsi est la foi : être relevé pour partager cette confiance avec d’autres, par nos cris et nos engagements, nos luttes et notre présence.

Ce temps de l’Avent nous invite à cette joie dynamique, à ce relèvement d’espérance : le Seigneur vient, préparons-nous. Au creux de nos vies, ouvrons-lui le chemin. Au creux de ce monde, préparons-lui le chemin. Aucun désert n’est définitif, toujours retentit, pour qui veut l’entendre, la voix de celui qui vient à nous pour que nous puissions marcher avec lui.

 

Le temps de l’Avent, c’est ce temps où, de manière privilégiée, nous nous mettons dans cette disponibilité à recevoir cette lumière, cette espérance.

Telle est la bonne nouvelle pour nous. Telle est la bonne nouvelle en nous. Telle est la bonne nouvelle par nous.

 

Peu importe où l’on met la ponctuation ; l’important c’est qu’il y en ait une. Un espace où nous vies peuvent reprendre souffle et rythme. L’espace de la prière est cette ponctuation, comme Jésus se mettant à l’écart pour se ressourcer en Dieu et mieux repartir à la rencontre des autres. Comme lui, avec lui, transformons nos déserts intérieurs et collectifs en espaces de rencontre avec Dieu. Alors, comme deux points inversent le sens d’une phrase, l’Evangile inversera nos désespérances, nos errances, nos souffrances. Comme une virgule change le sens d’une phrase en y ajoutant un espace de souffle, l’Evangile nous donnera respiration, joie, confiance, espérance.

 

Alors nos déserts pourront s’ouvrir en… désirs !

Amen.

 

[1] « Vers le matin, pendant qu’il faisait encore très sombre, il se leva , et sortit pour aller dans un lieu désert, où il pria. »

[2] « Jésus leur dit : Venez à l’écart dans un lieu désert, et reposez-vous un peu. Car il y avait beaucoup d’allants et de venants , et ils n’avaient même pas le temps de manger »

[3] « Ils partirent donc dans une barque, pour aller à l’écart dans un lieu désert. »