De la haine à l’amour, ou la règle de Mbappé — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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De la haine à l’amour, ou la règle de Mbappé

Prédication du dimanche 23 décembre 2018, par le pasteur Christian Baccuet.

Lectures  :

  • Luc 1, 39-45
  • Luc 18, 15-17

 

Matin, baptême de Nora, 11 mois.

 

Tant de haines dans notre monde. Et tant d’amour dans notre monde. Et une question essentielle : comment passer de la haine à l’amour ?

 

1. La règle de Mbappé

J’ai choisi aujourd’hui de vous parler de Mbappé. Vous savez, ce joueur de foot, jeune prodige de l’équipe de France et du PSG, âgé de 20 ans (il a fêté son anniversaire il y a trois jours), qui joue au ballon comme il respire, court, marque, sourit… Un héros incontournable. Je vais évoquer Kylian Mbappé mais je ne vais pas vous parler de foot – désolé pour les amateurs ! Je vais vous parler de grammaire.

Il y a quelques temps, devant le succès que remporte ce footballeur auprès des jeunes, des enseignants ont eu l’idée d’utiliser son image pour aider à retenir une règle d’orthographe, cette règle qui veut que, dans la langue française, devant les lettres m, b et p, le n devient un m. Sauf exceptions bien sûr : « bonbon », « bonbonne », « néanmoins », et le complexe « embonpoint » qui applique la règle sur la première syllabe mais pas sur la seconde ! M, B et P, ce sont justement les consonnes du nom de Kylian Mbappé. Lui qui est champion (avec un m devant le p) du monde. Moyen mnémotechnique assez efficace ! La « règle de Mbappé ».

Devant M, B et P, le N se transforme en M. C’est important pour savoir bien écrire. Cela m’a amusé. Et cela m’a intrigué. J’aime les lettres, les jeux de mots, les sons qui ouvrent du sens. Et là, justement, je me suis dit que cela pouvait ouvrir à un sens plus profond que la grammaire. Un sens existentiel, un projet de vie. Le N se transforme en M.

N, M… Haine, aime… Devant M, B et P, la « haine » se transforme en « aime ! ».

Mais alors, qu’est-ce que ce M, ce B et ce P qui peuvent aider la haine à devenir amour ? Si on avait le temps, je vous proposerais de vous retrouver en petits groupes pour réfléchir ensemble à cela. Chacun pourrait proposer un mot commençant par M, B ou P, qui évoquerait pour lui une situation qui fait passer de la haine à l’amour ; puis on pourrait échanger à partir de ces mots. C’est ce que l’on a fait avec les catéchumènes (13-15 ans) lors de la séance de KT du 8 décembre dernier. Nous les avons répartis en trois groupes, un par lettre. Et voici le résultat :

Pour la lettre M, les catéchumènes ont trouvé les mots suivants. « Musique » car, c’est bien connu, la musique adoucit les mœurs. « Maturité » car, ont-ils dit, l’amour se développe avec le développement de la personne. « Mental » car l’amour est un engagement de la personne et de sa volonté. « Modernité » car l’amour s’épanouit dans une société en progrès. « Manger » (!) car on aime plus facilement si on se sent bien, si on est rassasié. « Magnifique » car la beauté aide à aimer. « Miracle » car aimer c’est comme quelque chose de merveilleux (dans un premier temps ils avaient écrit « magie » mais ils pensaient en fait à « miracle » !). « Messie » car Jésus nous aide à passer de la haine à l’amour.

Pour la lettre B, ils ont noté : « Bravoure », car il faut du courage, parfois, pour aimer plutôt que haïr. « Bien », car devant le bien l’amour se développe. « Bonté », avec le même sens que « bien ». « Beauté intérieure », car l’amour vient du plus profond de la personne. « Bienveillance », car devant un regard positif on peut se laisser aller à développer l’amour qui est au fond de soi. « Bonheur », car il est plus facile d’aimer quand on est heureux. « Baptême », car c’est le signe d’un appel à une vie renouvelée dans l’amour de Dieu.

Le groupe « P », enfin, a proposé les mots suivants : « Parole », car parler cela évite la violence, c’est une relation qui favorise l’amour. « Pénard » (!), car on aime mieux quand est reposé que quand on est fatigué, stressé. « Partage », car c’est une expression de l’amour. « Prière », car cela aide à aimer. « Paix », car aimer ouvre à la paix.

On pourrait discuter longtemps sur tel ou tel de ces mots ou sur leur interprétation ; on pourrait rajouter d’autres mots. Il y a tant de situations qui peuvent nous aider à passer de la haine à l’amour.

Je vous propose un autre mot aujourd’hui, commençant par la lettre B; un mot devant lequel « haine » se transforme en « aime ! ». Le mot « bébé ». Je propose ce mot car c’est un bébé qui vient d’être baptisé ce matin, Nora, onze mois. C’est un bébé dont nous allons fêter la naissance demain soir lors de la veillée de Noël et mardi matin lors du culte de Noël, un bébé qui nous dit Dieu. Dimanche dernier à Pentemont, Andreas et moi avons médité lors du culte « Noël avec les enfants » sur ce que signifie pour nous le fait que Dieu se donne à voir dans un bébé[1]. Un bébé. Devant un bébé nos cœurs fondent et l’on se sent envahis d’amour, comme l’ont exprimé Arnaud et Vibeke tout à l’heure au moment du baptême de leur fille. Un bébé désarme par sa fragilité, par son naturel, par sa tendresse. Un bébé ne connaît pas encore la haine, il se donne entièrement à la confiance, à l’amour dont il dépend. Devant un bébé, « haine » devient « aime ! ».

Dans l’évangile de Luc, il y a trois passages où il est question de bébé(s).

 

2. Tressaillir de joie

Le premier est dans le texte de ce jour. Le terme grec employé ici par Luc est βρέφος (brephos) ; comme en français, cela peut désigner un enfant à naître, un bébé dans le ventre de sa mère, comme un enfant nouveau-né, un nourrisson. Ce bébé est encore dans le ventre de sa mère, qui en est à son sixième mois de grossesse. La mère s’appelle Elisabeth, elle est mariée à Zacharie, un prêtre, et tous deux attendent un enfant. Ils sont pourtant âgés, cette future naissance est inespérée, et leur fils à naître est déjà chargé d’une belle mission de la part de Dieu, celle d’être un prophète. Il s’appellera Jean(-Baptiste). Son nom signifie « Dieu fait grâce » ! Elisabeth a une cousine, plus jeune, qui se nomme Marie. Elle aussi va donner vie à un fils, lui aussi chargé d’une mission de la part de Dieu, une mission encore plus grande que celle du fils d’Elisabeth : il sera appelé Fils de Dieu ! Il s’appellera Jésus. Son nom signifie « Dieu sauve » ! Marie vient rendre visite à Elisabeth. Et au moment où elle salue sa cousine, l’enfant de cette dernière remue au-dedans d’elle, il tressaille de joie ! Alors Elisabeth est emplie du Saint-Esprit, et elle donne une bénédiction à Marie, reconnaissant en elle la mère du Seigneur et la déclarant heureuse car elle a cru.

Rencontre émouvante entre deux futures mères au destin exceptionnel. L’une va donner naissance à Jean-Baptiste et l’autre à Jésus, et leur rencontre ouvre déjà un temps de joie, de bénédiction, de bonheur qu’elles partagent. Joie venant de l’intérieur, joie donnée par l’Esprit de Dieu, joie du projet de ce dernier pour elles et pour leurs fils, et à travers eux pour l’humanité. Un bébé dans le ventre de sa mère, qui tressaille de joie quand s’approche celle qui va porter en elle le messie, le Fils de Dieu, l’attente d’un peuple, l’espérance de l’humanité. Un bébé dans ce texte, au moment où va s’ouvrir le règne de l’amour, dressé contre le règne de la haine. Un bébé qui désigne déjà le Christ !

Mais, me direz-vous, cette histoire est bien ancienne, elle se situe il y a plus de deux mille ans, et si on regarde autour de nous on n’a pas toujours l’impression que la haine a reculé devant l’amour. Et, vous dirai-je, vous avez raison ! Paradoxe de la foi chrétienne. Nous confessons dans le Christ la venue du règne de Dieu, règne de foi, d’espérance et d’amour. Nous croyons qu’il a inauguré ce temps où l’amour est plus fort que la haine. Nous croyons avec force que le règne de Dieu est déjà là. Et nous constatons également que la haine règne dans le monde et dans nos cœurs. Nous voyons bien que le temps de la foi, de l’espérance et de l’amour n’est pas encore pleinement réalisé. Nous mesurons avec lucidité que le règne de Dieu n’est pas encore là.

Déjà et pas encore, c’est le paradoxe de la foi chrétienne. En Jésus, un temps nouveau s’est ouvert, celui de l’amour, et en nous ce temps n’est pas encore en plénitude, il y a encore des morceaux de haine. L’histoire de l’humanité est entrée dans une nouvelle ère quand Jésus a ouvert le temps de l’amour, et l’humanité ne vit pas pleinement cet amour. La foi se tient au cœur de ce paradoxe. Elle est portée par une confiance, une espérance, une force, une présence, et elle se débat dans ce monde et dans nos existences complexes. Elle croit que le Christ est là, et elle attend sa venue. Elle connaît l’Evangile, et elle espère le vivre. Cela est l’affaire de l’humanité, en chacune de ses générations. Cela est notre affaire, en chacune des parties de notre vie. La foi est un chemin.

Un bébé nommé Jean, qui désigne le Christ dans le ventre de Marie, et voilà un appel pour que « haine » se transforme en « aime ! ». Il ouvre déjà le chemin. Nous voilà appelés à prendre ce chemin. Mais que faire sur ce chemin ?

 

3. Etre enfant pour entrer dans le Royaume

Il y a un autre passage de Luc où il est question de bébés : c’est le deuxième texte que nous avons lu, qu’ont choisi les parents de Nora. Nous sommes une trentaine d’années plus tard. Jean est devenu un adulte, il a annoncé la venue du messie, il a baptisé Jésus ; son ministère s’est heurté aux forces de haine et Hérode l’a fait décapité (Luc 9, 9). Jésus, quant à lui, continue sa mission, il parcourt les routes de Galilée et de Judée pour annoncer l’Evangile d’amour ; il va bientôt se heurter, lui aussi, aux forces de mort, être arrêté, crucifié. Pour l’instant il est encore en activité, et voici qu’on lui amène des bébés (même terme que dans Luc 1, 41.44 : βρέφος) pour qu’il pose les mains sur eux, c’est-à-dire pour qu’il les bénisse. Leurs parents souhaitent que Jésus leur donne une parole d’amour de la part de Dieu, parole qui est en même temps une promesse, un engagement de Dieu : être toujours là auprès d’eux, quoiqu’il leur arrive, quoiqu’ils en croient ou non ; comme nous l’avons fait pour Nora tout à l’heure ! 

Mais voilà que les disciples s’interposent, sans que Luc ne nous dise vraiment pourquoi. Sans doute ne veulent-ils pas que Jésus soit dérangé dans sa mission, elle est bien trop importante pour qu’il soit dérangé par des bébés ! Sans doute, comme dans la culture de l’époque, ne prêtent-ils pas beaucoup d’attention aux petits enfants. Mais Jésus les rabroue, avec ces paroles fortes qui les invitent à être comme ces enfants pour pouvoir entrer dans le royaume de Dieu.

Etre comme des enfants. Ici c’est le terme παιδίον qui est utilisé, terme un peu plus large qui signifie enfant : un bébé, ou un enfant un peu plus âgé. Là est le chemin que Jésus les – nous – appelle à prendre Un chemin de fragilité, de dépendance, de confiance. Un chemin de disponibilité à la grâce de Dieu, d’ouverture à recevoir.

C’est un défi pour nous, dans un temps, une société qui, de plus en plus, nous demande de faire, de justifier notre existence par nos performances, notre rentabilité, d’oublier les solidarités pour se forger chacun son propre salut. Une société du mérite individuel (chacun construit ce qui lui arrive), dont on mesure bien la violence, le nombre de laissés pour compte, la pression que cela met sur chacun de nous, avec le lot de dépressions ou de colère que cela génère. De haine qui se démultiplie, haine de l’autre qui est un concurrent, haine de soi quand on n’y arrive pas ou qu’on n’y arrive qu’en écrasant un autre. C’est un défi dans ce monde que de s’avouer dépendants. De se reconnaître fragiles. De s’ouvrir à une parole extérieure qui me dit que je suis aimable non pas pour ce que je fais mais pour ce que je suis. Où ma valeur n’est pas indexée sur mes revenus, mes capacités, mon énergie, ma consommation, mais sur le fait que je suis un être humain, aimé par Dieu, approché par Dieu, rejoint par Dieu. Non pas à cause de moi-même, mais à cause de lui, de sa grâce, de son amour.

C’est là le chemin du Royaume de Dieu. C’est cela qui est signifié dans le baptême d’un bébé comme Nora aujourd’hui : Dieu l’aime pour ce qu’elle est, et non pas en fonction de ce qu’elle fera, sera, croira ou pas. Comme vous, Arnaud et Vibeke, l’aimez totalement, depuis le début, et l’aimerez totalement, quoi qu’elle devienne, ainsi Dieu nous aime d’une grâce prévenante. On sait qu’un enfant épanouit plus facilement sa vie dans l’amour quand il est aimé inconditionnellement, ce qui le rassure, lui donne confiance, lui permet d’être libre et responsable. Et qu’au contraire, s’il lui fallait attendre d’être aimable pour qu’on l’aime, il traînerait une angoisse diffuse, un besoin de reconnaissance sans fin, un poids mortifère. Ainsi en est-il de l’amour de Dieu pour nous. Son amour inconditionnel nous porte dans un amour qui s’épanouit.

Etre comme un enfant, accueillir la présence de Dieu comme un enfant, c’est cela être en chemin de foi. Etre disponible entièrement, en toute confiance, à l’amour, c’est entrer dans sa présence. C’est faire reculer la haine, la transformer en amour.

 

4. Se tenir devant la crèche

C’est un défi pour nous. Mais ce défi est déjà gagné en Dieu, même s’il ne l’est pas encore en nous. Il y a toujours de la haine et de l’amour en nous et dans notre monde, mais ce n’est pas une malédiction. Et passer de la haine à l’amour, comme un petit enfant, n’est pas un chemin impossible. Car il y a un troisième passage dans l’évangile de Luc, où il est question d’un bébé. Il se situe entre nos deux lectures. Nous le lirons demain soir, et après-demain matin : c’est le récit de la naissance de Jésus.

Les anges disent aux bergers : « Vous trouverez un bébé (βρέφος) emmailloté et couché dans une crèche » (Luc 2, 12). « Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph, et le bébé couché dans la crèche » (Luc 2, 16). La venue de Dieu lui-même dans un bébé, au cœur du monde, au cœur de nos vies.

Placer ce bébé devant nous, c’est placer au cœur de notre vie un M comme « messie », un B comme « bénédiction », un P comme « paix ». Et, devant ces expressions de la grâce de Dieu, notre « haine » se transforme en « aime ! ». Le Christ bébé, c’est la réalisation en profondeur existentielle de ce qu’illustre grammaticalement la règle de Mbappé. Mais attention, pas de manière mécanique, extérieure, contraignante, obligatoire. Au contraire : de manière disponible, confiante, relâchée, en se laissant infuser. En le vivant de l’intérieur, spirituellement. En se laissant traverser par l’Esprit, transformer par sa présence, épanouir par sa force. C’est tressaillir de joie comme Jean dans le ventre de Marie. C’est se laisser bénir par Jésus comme les bébés qu’on lui amène. C’est se tenir devant le bébé de la crèche comme les bergers de la nuit de Noël.

 « Ne cherche pas faire le bien ; sois en Dieu, et le bien tombera de toi, comme le fruit mûr tombe de l’arbre. »

Pour être sur le chemin du Royaume, il n’y a rien à faire, il n’y a qu’à être, tout simplement : se laisser aller à la confiance, accueillir ce qui vient, vivre pleinement, tressaillir de joie. Se laisser emplir de la présence du Christ. Comme le dit la règle des sœurs protestantes de Pomeyrol, près de Tarascon – pas une règle comme une règle grammaticale mais une règle comme un chemin de vie partagé –, « ne cherche pas faire le bien ; sois en Dieu, et le bien tombera de toi, comme le fruit mûr tombe de l’arbre ». Ne cherche pas à aimer, sois en Dieu et en toi la haine deviendra amour, et l’amour se diffusera par toi, autour de toi !

Amen.

 

[1] https://www.epupl.org/spiritualite/la-parole/predications-du-pasteur-christian-baccuet/quand-dieu-se-donne-a-voir-comme-un-bebe