Quand le virus nous mord, vers où tourner notre regard ? — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Quand le virus nous mord, vers où tourner notre regard ?

Texte de la prédication du dimanche 14 mars 2021, par le pasteur Christian Baccuet.

Lectures :

  • Nombres 21, 4-9
  • Jean 3, 14-21

 

 

Aujourd’hui, 14 mars 2021. Il y a exactement un an, le samedi 14 mars 2020, nous apprenions à 20h la fermeture à minuit de tous les lieux recevant du public « non indispensables à la vie du pays » (restaurants, cafés, cinémas...) ; les rassemblements et les cérémonies dans les lieux de cultes étaient suspendus. Le lendemain nos cultes étaient donc annulés et le lundi 16 mars nous apprenions qu’un confinement commencerait à partir du mardi 17 mars à midi. Nous entrions dans une période inédite pour chacun de nous, étrange, sans savoir qu’elle serait si longue. Aujourd’hui, un an après, nous voilà toujours empêtrés dans cette crise sanitaire, loin encore d’en voir le bout. Longue année, complexe à vivre, avec son lot d’angoisses, d’impatience, de deuils, d’espérances, de joyeux moments de solidarité et de temps de solitude subie, de profonds partages spirituels et de vide existentiel… Un mélange éprouvant, qui nous laisse fatigués et pourtant encore en chemin, sans pouvoir nous reposer, analyser, comprendre, nous projeter. Un chemin d’épreuve, une dure traversée.  Comme une errance, dans laquelle nous sommes portés par la foi mais attaqués par le venin du découragement.

Aujourd’hui, 14 mars 2021, nous voici dans ce temple pour le culte qui nous rassemble dans la prière et l’écoute de la Parole. Qu’est-ce que l’Ecriture peut nous dire, aujourd’hui, dans notre contexte de vie et notre lassitude. Quels textes entendre pour aujourd’hui ? Et voici que la liste des lectures bibliques proposées pour les cultes et les messes de ce jour propose le passage de l’évangile de Jean (Jean 3, 14-21) dans lequel il est fait référence au serpent de bronze du temps de Moïse, épisode que l’on trouve dans le livre des Nombres : des serpents attaquent les Hébreux et un serpent de bronze (ou d’airain, selon les traductions) érigé sur un poteau permet d’être guéri (Nombres 21, 4-9). Et si ce récit avait quelque chose à nous dire aujourd’hui ?

 

1. Un Dieu auquel nous ne croyons plus

C’est un récit étrange qui nous est donné dans le livre des Nombres. Le contexte, nous le connaissons bien : les Hébreux, qui étaient esclaves en Egypte, ont été délivrés par Dieu qui leur a envoyé Moïse pour cela. La route est longue, cela fait quarante ans qu’ils tournent dans le désert. Quarante ans de confiance et de doute, d’espérance et de découragement, de force donnée par Dieu et de faiblesses humaines. Notre route n’est pas loin d’être semblable à la leur !

Quarante ans, et les épreuves ne sont pas finies. Aaron, le frère de Moïse et son second, vient de mourir et les Cananéens viennent d’attaquer les Hébreux. Alors, une nouvelle fois, la septième depuis qu’ils sont sortis d’Egypte, les Hébreux tombent dans la révolte contre ce qui leur arrive, et se mettent à parler contre Dieu et contre Moïse ; ils disent leur ras-le-bol, leur cri exprime leur perte de foi, ils ne croient plus ni en la promesse de Dieu ni en l’issue positive du voyage. Là encore, combien nos vies, parfois, ressemblent à celle des Hébreux dans le désert, quand le découragement ébranle notre confiance en Dieu !

Et les voilà maintenant attaqués par des serpents brûlants, à la morsure mortelle comme un virus ; c’est comme une épidémie qui, sournoisement, sème son venin parmi eux. Décidément, ce texte résonne avec notre temps !

Deux dimensions de ce texte, pourtant, dérangent notre lecture : c’est Dieu qui envoie les serpents, et Dieu offre de regarder la statue d’un serpent pour être sauvé. Difficile pour nous d’adhérer à cette vision d’un Dieu qui punit de mort ceux qui se révoltent et d’un Dieu qui donne un remède magique pour échapper à la mort. Cette vision ne correspond pas à la nôtre, car elle ne correspond pas à ce que Jésus est venu nous révéler de Dieu. L’évangile de Jean, dans l’extrait de ce jour, contient le verset le plus connu des protestants : « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3,16). En Jésus, Dieu se révèle comme Père, dans une relation d’amour destinée à nous faire grandir et non à nous punir, dans le don de lui-même en son fils pour nous offrir la vie, dans une relation de foi et non de peur ; Dieu ne condamne pas le monde mais le sauve, il lui offre la lumière au milieu des ténèbres. Ne pas faire confiance en ce Dieu-là, c’est se condamner à vivre dans les ténèbres. Mettre sa foi en ce Dieu-là, c’est vivre dans la confiance lumineuse. Ainsi, en Jésus-Christ, nous ne croyons pas que Dieu reproche aux êtres humains leurs cris de souffrance, voire de révolte. En Jésus-Christ, nous ne croyons pas que Dieu envoie maladies et catastrophes pour nous punir. En Jésus-Christ, nous ne croyons pas que Dieu nous demande d’élever des statues pour être protégés. 

Alors il nous faut aller plus loin que les aspects archaïques de ce texte, qui correspondent sans doute à la pensée religieuse d’il y a près de 3000 ans pour qui Dieu dirige tout. Dépassons les aspects de punition et de magie que le Christ nous a fait dépasser, pour recevoir ce que ce texte nous dit en profondeur.

 

2. Une lecture symbolique (mais réelle)

Je reprends ces deux éléments, les serpents et la statue, pour en comprendre le sens profond pour nous aujourd’hui.

a. Les serpents, ou la parole faussée

Les serpents à la morsure mortelle, d’abord. La figure du serpent n’a guère changé depuis trois mille ans. Elle évoque le danger mortel de la morsure et du poison ; nous avons toujours peur des serpents ! Mais derrière ces serpents, se trouve quelque chose d’autre. Les Hébreux le savent bien, d’ailleurs : ils demandent que Dieu éloigne « le serpent » (au singulier[1]), comme si déjà, profondément, ils percevaient que se cache derrière les bêtes quelque chose de plus fondamental. Cela évoque la figure tentatrice du serpent du début de la Genèse qui sème le trouble en l’homme et la femme par la parole faussée, tordue, mensongère (Gn 3). Le serpent symbolise la perte de confiance quand les paroles ne sont plus fiables, vides, qu’elles déforment la réalité ou trompent celui à qui elles sont destinées.

Cela donne le sens des paroles prononcées par le peuple quand il critique Dieu et Moïse ; le peuple n’engage pas un dialogue, il se place contre Dieu et contre Moïse, dans une posture de défiance, dans la tentation de revenir en Egypte, le pays de l’esclavage, dans le rejet du don quotidien de la manne par Dieu, dans la perte de confiance en celui qui les guide sur le chemin de la liberté. Parole tordue.

Le serpent, c’est cette parole tordue qui s’infiltre comme un poison. Ce texte nous dit que ce danger apporte la mort. Le venin du mensonge, la morsure de la manipulation des mots, le poison de l’étouffement de toute pensée, le soupçon qui rampe sont mortifères. Ils se répandent vite et nous devons prendre garde à ne pas en être mordus.

Ce venin est ô combien actuel en ce temps de crise quand, au creux de nos fatigues, la parole est dévaluée, les relations se tendent, la méfiance s’installe et la violence, sournoisement, s’installe.  Nous devons être particulièrement vigilants quand nous sommes faibles et fatigués, comme les Hébreux dans le désert, et cette période nous rend particulièrement vulnérables. Plus profond que le virus est en effet pour nous la destruction de la confiance dans la relation, et la perte d’avenir. Comme le rappelait Dominique Fougeirol lors de notre dernière séance du Conseil presbytéral, pour vivre nous avons en effet besoin d’un projet et de liens ; ce sont ces deux dimensions qui sont affectées en ce moment.

Nous avons besoin de lien. Si nous perdons confiance et espérance, si nous laissons la parole partir en vrille, c’est-à-dire la capacité d’être en juste relation, en confiance les uns avec les autres, en pensée intelligente, alors notre chemin de vie devant vide, notre voyage devient errance, notre foi s’étiole et nous plongeons dans l’amertume. Cette amertume est comme des serpents qui rodent à nos pieds et nous mordent mortellement. Les serpents de ce récit évoquent la réalité sournoise de la défiance qui s’empare de notre société et de nos vies.

b. Le serpent de bronze, appel à lever les yeux

Nous avons besoin de liens et nous avons besoin d’un projet. Ce récit nous met en garde contre le venin de la parole déformée, et il nous ouvre une direction de vie. C’est le deuxième aspect de ce texte que je relève : la statue de serpent en bronze qui est érigée par Moïse. La regarder projette dans la vie.

Lire cela de manière littérale – regarder une statue pour être sauvé – est proche de l’idolâtrie ; la Bible elle-même est consciente de ce risque, puisque le deuxième livre des Rois félicite le roi Ezéchias qui, des siècles plus tard, a brisé le serpent du temps de Moïse, devenu objet magique (2 Rois 17, 4). Et le livre de la Sagesse invite à une lecture symbolique de ce serpent de bronze : « Quiconque se retournait était sauvé, non par l’objet regardé, mais par toi, le Sauveur de tous. […] Et ni herbe ni pommade ne vint les soulager, mais ta Parole, Seigneur, elle qui guérit tout. » (Sagesse 16, 5-12).

Regarder au serpent élevé, c’est relever les yeux, ne plus être fasciné par les serpents qui rampent à terre mais se redresser dans l’espérance. C’est détourner les yeux, ne plus les avoir à ras de terre mais accéder à une vue plus large, à une prise de conscience de ce qui se joue. C’est ne plus être englués dans la méfiance mais être aspirés par l’espérance. C’est quitter le poison de l’amertume pour regarder à la source de vie. C’est faire confiance en la Parole de Dieu, plus fiable que toutes les paroles humaines, à sa vérité plus grande que tous les mensonges humains, à l’espérance qu’il dresse au milieu même de l’épreuve.

 

3. Regarder à la croix

Cette Parole de Dieu, parole vraie, appel à la relation et au projet d’avenir, cette espérance, c’est pour nous Jésus-Christ. L’évangile de Jean le dit clairement : « De même que Moïse a élevé le serpent de bronze sur une perche dans le désert, de même le Fils de l'homme doit être élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. » (Jean 3, 14-15). Le fils de l’homme « élevé » est une référence à la croix. La croix, c’est Jésus cloué sur le poteau élevé au sommet de la colline, à la vue de tous, victime des pouvoirs et des mensonges de ce monde. La croix, c’est aussi l’événement qui s’ouvre sur le tombeau vide, la force de la vie, la dynamique du Ressuscité qui entraîne ceux qui veulent bien le suivre dans une espérance contagieuse. La croix, c’est la parole vraie de Dieu, sa présence forte, solidaire de nos vies en ce monde où nos pas sont englués dans le venin du mensonge. La croix, c’est la vie offerte par Dieu dans cette réalité mortifère.

Regarder à la croix, c’est élever notre regard. Au milieu des serpents qui rampent à nos pieds et nous empoisonnent, le Christ offre un changement de perspective, un déplacement de nos existences, un horizon de vie. Le Christ est force de vie au milieu de nos découragements. Si nous regardons à nos pieds, nous n’avons qu’une envie c’est d’arrêter. Si nous regardons à Christ, nous n’avons qu’un appel, c’est celui d’espérer. Non pas en fuyant la réalité, mais en ne nous laissant pas dominer par elle, en l’écrasant pour avancer dans la promesse de Dieu, libres, orientés vers une terre nouvelle, terre promise, terre renouvelée. Regarder à la croix, c’est voir au-delà du temps présent pour ne pas y être englouti mais pour l’habiter avec toute la force de notre foi.

En cette période de crise sanitaire, qui est aussi crise sociale, économique, morale, psychologique, existentielle, spirituelle, en ce temps où la fatigue de la traversée se fait sentir, la croix nous dit, pleinement, que Dieu peut entendre tous nos cris, nos appels à l’aide, nos révoltes même, comme Jésus qui s’est écrié « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mc 15, 34). La croix nous dit, définitivement, que Dieu n’est pas quelqu’un qui nous envoie le mal, la souffrance et la mort pour nous punir, mais qui chemine avec nous dans nos douleurs, comme le Christ, notre ami, a cheminé sur les routes de Galilée et de Judée à la rencontre de tant de personnes découragées et assoiffées, et qui chemine aujourd’hui encore parmi tant de souffrances dans ce monde. La croix nous dit, profondément, la solidarité de Dieu avec nous au creux de nos épreuves, et tourne notre regard au-delà, vers le tombeau vide de Pâques, l’espérance ouverte, la vie offerte pour que « quiconque croit en lui ait la vie éternelle » (Jn 3, 15), c’est-à-dire pour que quiconque reçoit de lui la confiance soit déjà vivant de cette confiance fondamentale, même au milieu des serpents qui continuent de mordre.

 

4. Notre mission aujourd’hui

Au milieu de ce récit, entre les serpents qui mordent au sol et le serpent de bronze élevé sur un poteau, se tient un dialogue entre les Hébreux et Dieu.

Les Hébreux viennent voir Moïse pour lui dire : « Nous avons péché en vous critiquant, le Seigneur et toi ! Supplie donc le Seigneur d'éloigner ce serpent de nous. » (Nb 21, 7). Au milieu de leur découragement, leur parole, comme une prière, est à la fois demande (que Dieu éloigne ces serpents) et repentance (nous avons péché). Une position d’humilité qui est déjà espérance. Nous voilà appelés, en toute humilité, à reconnaître que nous ne savons pas grand-chose, que nous errons, que nous sommes fatigués, que nous avons sans doute péché… « Pécher, c’est littéralement, en hébreu, « rater le but ». Les Hébreux ont raté le but : conduits par Dieu vers la terre promise, ils s’en détournent dans leur nostalgie de l’Egypte. Humblement, puissions-nous comprendre et reconnaître que nous avons raté le but, que nous sommes passés à côté de ce que nous aurions dû construire, que nous avons échoué à bâtir un monde de solidarité et de justice, que nous avons placé notre confiance dans le pouvoir, l’argent, le chacun-pour-soi, et que bien des aspects de la crise que nous vivons viennent de là. Puissions-nous nous replacer en situation de vérité, nous qui nous croyions tout puissants et invulnérables. C’est sans doute la seule manière de nous en sortir : passer par cette repentance, cette humilité. Y passer vraiment, c’est-à-dire en faisant tout pour ne pas replonger, revenir en arrière, faire comme si rien ne s’était passé quand ce sera fini, oublier Dieu, sa promesse et son appel. C’est à une prise de conscience que nous sommes appelés, à une prise de responsabilité, à un engagement dans la construction d’un monde plus juste.

Par Moïse, cette prière est présentée à Dieu, qui y répond par le serpent de bronze ; de sa colère initiale il passe à l’offre du pardon. Dieu entend les prières et y répond. Pas forcément comme on l’attend : les Hébreux demandent l’éloignement du serpent, et Dieu leur propose d’ériger un serpent de bronze. Il n’élimine pas les serpents au sol – nous aurons toujours à faire avec eux – mais il montre où est la vie ; il ouvre la confiance là où régnait le découragement. La prière est dialogue, relation, repentance et écoute, réception de pardon, plein de confiance. Nous voilà appelés à prier ainsi, en vérité, humblement, pour nous ouvrir à Dieu et nous engager sur le chemin de l’espérance.

Dans ce récit, Moïse est un intermédiaire entre le peuple et Dieu. En Jésus-Christ, chacun de nous peut prier directement Dieu. Ensemble, nous pouvons prier les uns avec les autres. Et les uns pour les autres, être dans une prière d’intercession où chacun de nous, comme Moïse, fait monter l’appel des autres à Dieu et leur communique son pardon. Nous pouvons être des intercesseurs pour ce monde, portant les souffrances de nos frères et sœurs humains devant Dieu, et témoins pour eux du Christ en croix, leur frère en souffrance, leur frère en espérance, la vie offerte à tous.

Après ce récit, la route des Hébreux reprend. C’est la dernière grande crise de confiance entre eux et Dieu. La route reste encore difficile et éprouvante, mais la terre promise approche. Ce n’est pas la fin du voyage, mais une étape considérable !

14 mars 2021. A nous de prier pour ce monde et d’y être témoins de l’espérance que nous donne Dieu. Témoins du fait que nous pouvons ne pas nous laisser abattre par la longueur de la crise et tout ce qu’elle nous impose de vivre douloureusement. Témoins que nous pouvons, au milieu des serpents qui rampent à nos pieds, regarder à la croix du Christ et, le regard ainsi levé, le dos redressé, la vie remise debout, repartir dans l’espérance dont nous sommes les témoins. Témoins que nous pouvons prier le Seigneur pour retrouver force en lui et construire avec lui un monde qui soit à l’image de la terre promise, du royaume, de la présence du Christ… vivre, ici et maintenant, l’espérance d’une terre nouvelle.

Amen.

 

[1] Au verset 6, nous trouvons « les serpents » (הַנְּחָשִׁים) et au verset 7, bien que la plupart des traductions en français le mettent au pluriel, il s’agit de « le serpent » (הַנָּחָשׁ), au singulier.