Loi de Dieu et loi de la République — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg
Menu
Navigation

Loi de Dieu et loi de la République

Texte de la prédication du dimanche 7 février 2021, par le Pasteur Christian Baccuet

Loi de Dieu et loi de la République

 

Lectures bibliques :

  • Jérémie 31, 31-33
  • Matthieu 22, 37-40
  • Actes 5, 26-32

 

Pentemont, 7 février 2021. Prédication du pasteur Christian Baccuet.

Vous pouvez regarder la vidéo du culte sur notre chaîne Youtube

 

Lundi dernier, 1er février, dans la matinale de France Inter, le ministre de l’intérieur et des cultes a déclaré ceci : « Nous ne pouvons plus discuter avec des gens qui refusent d’écrire sur un papier que la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu ».

La loi de la République est-elle supérieure à la loi de Dieu ? Pour certains il est évident que la loi de la République s’applique à tous, quelles que soient les convictions personnelles, sinon il n’y a pas de vie commune possible. Pour d’autres il est évident que pour tout croyant la loi de Dieu est la référence fondamentale. Pour la plupart d’entre nous, nous pensons les deux à la fois…

Et nous voilà sommés par le ministre de trancher : la loi de la République au-dessus de la loi de Dieu. Le ministre dit que cela est indiscutable et pourtant, cela est fort discutable ! Alors je vous propose de discuter cette affirmation.

Discuter fait partie de notre humanité. Discuter fait partie de notre vivre ensemble. Discuter fait partie de notre foi, puisque Dieu est un Dieu de parole, qui entre en discussion avec les êtres humains.  Alors je vous propose ce matin de nous mettre à l’écoute de ce que l’Ecriture nous apporte comme éléments de réflexion au sujet de la loi de Dieu.

 

1. La loi de Dieu comme espace de vie

Spontanément, quand nous pensons à la loi de Dieu, nous pensons aux Dix commandements ou, pour être précis, au Décalogue, les « Dix paroles », texte de référence fondamental reçu au cœur de l’événement fondateur de la foi des Hébreux. Au cours du XIIIe siècle avant notre ère, alors que les Hébreux viennent d’être libérés de 400 ans d’esclavage en Egypte, sous la conduite de Moïse, alors qu’ils s’apprêtent à traverser 40 années de désert – la liberté est un long et dur chemin –, Dieu leur donne dix règles de vie pour qu’ils ne soient pas simplement un groupe de fuyards mais un peuple, c’est-à-dire un groupe constitué autour de règles communes.

Ces dix paroles s’ancrent dans le geste libérateur de Dieu, comme l’indique le préambule de ce texte : « Je suis le Seigneur ton Dieu, c'est moi qui t'ai fait sortir d'Égypte où tu étais esclave » (Ex 20, 2 et Dt 5, 6). La loi de Dieu est fondamentalement une loi destinée à ce que la liberté reçue puisse se vivre et se transmettre. La loi de Dieu est une loi de liberté.

Cette loi consiste en deux axes, qui expriment les limites nécessaires pour que cette liberté soit vécue. D’une part le respect de Dieu, marqué dans les 4 premiers commandements : pas d’autre dieu que Dieu, pas d’image taillée pour l’adorer, pas d’instrumentalisation du nom de Dieu, repos du sabbat pour le consacrer à Dieu. Et d’autre part respect de l’autre, signifié dans les   commandements suivants : honorer père et mère, ne pas tuer, ne pas commettre d’adultère, de vol, de faux témoignage, ne pas s’emparer des biens de son prochain. La loi de Dieu est fondamentalement un espace qui permet l’altérité, celle de Dieu et celle des autres.

Cet espace est donné et promis. Les verbes du Décalogue ne sont pas conjugués à l’impératif mais au futur ; plus précisément, en hébreu, à l’« inaccompli », un temps qui articule présent et futur, un temps ouvert, en cours, comme une promesse déjà vécue mais encore à épanouir. La loi de Dieu est promesse.

Respect de Dieu, respect de l’autre : ce sont les principes, qui se déclinent ensuite dans des règles particulières selon les situations, et il y en beaucoup dans l’Ancien Testament : la tradition juive en compte 613 ! 248 commandements positifs (« fais ») et 365 commandements négatifs (« ne fais pas »). Mais la loi de Dieu est plus large que ces règles. La Loi, la « Torah », est l’ensemble des cinq premiers livres de la Bible, c’est-à-dire l’histoire des Patriarches Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, puis celle du peuple libéré par Moïse. La loi de Dieu est une mémoire à recevoir, à vivre et à transmettre.

Cette loi qui est promesse, le peuple hébreu et ses dirigeants vont la vivre tant bien que mal, souvent mal : elle est difficile à appliquer vraiment, et puis la tentation de la déformer, de l’oublier ou de l’instrumentaliser est grande. Alors une fonction importante surgit, celle des prophètes qui vont sans cesse répéter l’importance de rester dans l’alliance avec Dieu, de respecter sa loi, d’écouter ses paroles et ses promesses. Ainsi, la loi de Dieu se donne à vivre dans tout l’Ancien Testament, dans les cinq premiers livres (le Pentateuque) comme dans les livres historiques, dans les paroles des prophètes, dans les écrits de sagesse. Tout l’Ancien Testament se tient dans cette expression courante : « la loi et les prophètes ». La loi de Dieu est ainsi fondamentalement l’histoire de la relation entre Dieu et son peuple.

Et parce qu’elle est relation, la Loi n’appelle pas à une obéissance mécanique, elle à habiter, à vivre avec le cœur. Ainsi les paroles de Jérémie que nous avons entendues tout à l’heure : « Bientôt, déclare le Seigneur, je conclurai une alliance nouvelle avec le peuple d'Israël et le peuple de Juda. Elle ne sera pas comme celle que j'avais conclue avec leurs ancêtres, quand je les ai pris par la main pour les faire sortir d'Égypte. Celle-là, ils l'ont rompue, et pourtant c'est moi qui étais leur maître, dit le Seigneur. Mais voici en quoi consistera l'alliance que je conclurai avec le peuple d'Israël, déclare le Seigneur : j'inscrirai mes instructions non plus sur des tablettes de pierre, mais dans leur conscience ; je les graverai dans leur cœur ; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. » (Jr 31, 31-33). La loi de Dieu, ce sont des paroles à vivre et une présence à recevoir, expression de la confiance en Dieu.

Voilà la loi de Dieu : paroles de liberté, espace d’altérité, histoire à vivre, promesse et relation, obéissance du cœur, présence de Dieu.

 

2. Jésus-Christ et la loi d’amour

Jésus s’inscrit dans cet héritage. Il reprend ces principes quand il synthétise la loi ainsi : « “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ton intelligence.” C'est là le commandement le plus grand et le plus important. Et voici le second commandement, qui est d'une importance semblable : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.” Toute la loi de Moïse et tout l'enseignement des prophètes dépendent de ces deux commandements. » (Mt 22, 37-40).

Jésus apporte là la dimension d’amour, dans le sens du verbe grec agapao (ἀγαπάω) qui indique une volonté, un projet qui engage une relation marquée par le respect de l’autre. La loi de Dieu se déroule selon le commandement d’amour, commandement qui est promesse, chemin d’amour, non pas une contrainte mais une vie à partager.

Jésus ne fait pas que citer la loi de Dieu ; il l’accomplit, comme il le dit dans le sermon sur la Montagne : « Ne pensez pas que je sois venu supprimer la loi de Moïse et l'enseignement des prophètes. Je ne suis pas venu pour les supprimer mais pour leur donner tout leur sens » (Mt 5, 17). Jésus accomplit la Loi, dans sa présence d’amour auprès de tous ceux qui en ont besoin.

Mais Jésus va plus loin que l’accomplissement de la Loi. Il en montre les limites. La loi peut dévier de son but, être instrumentalisée, confisquée, et d’espace de vie se transformer en pouvoir mortifère quand des pouvoirs humains s’en emparent. En incarnant l’amour de Dieu et l’amour du prochain, Jésus franchit toutes les limites imposées par les lois des hommes, celles qui condamnent et excluent, rejettent et tuent, pour aller vers ceux qui étaient hors-la-loi et leur annoncer l’amour de Dieu pour eux.  Il se heurte aux Maîtres de la Loi en les ramenant à leur hypocrisie, à leur appropriation du pouvoir, au fait qu’ils prennent la place de Dieu. Il leur indique, en une phrase limpide, la hiérarchie entre la loi et l’humain : « Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat » (Mc 2, 27). La Loi est au service de la liberté de l’homme, et non le cadre qui enferme cette liberté. Pour cela, Jésus est arrêté et mis à mort, condamné par la loi religieuse – les chefs du peuple – et par la loi politique – Pilate le gouverneur romain. La croix est le signe de la défaite de la loi comprise comme tenant lieu de Dieu, puisque la loi aboutit à la condamnation de Dieu !

Le chemin de Dieu à nous est désormais celui de la grâce vécue dans la foi. Non pas des règles, des rites, des contraintes morales, des jugements humains, mais une relation de pardon, de confiance, d’espérance. C’est le sens de la résurrection : un au-delà de la loi mortifère, qui ouvre un espace de vie nouvelle. La relation à Dieu, c’est la confiance en sa présence libératrice, l’amour du prochain, l’espérance du Royaume posée en actes d’espérance.

Désormais la relation à Dieu ne se vit plus sous la loi mais dans la foi. Que devient alors la loi de Dieu ? Calvin et la tradition réformée ont réfléchi à cela, en distinguant trois usages de la Loi. Un usage civil : elle est donnée pour restreindre le mal, pour permettre aux êtres humains de vivre ensemble, souvent les contraindre à cela. Un usage théologique (ou pédagogique) : parce qu’elle nous montre qu’il est impossible de l’accomplir par nous-mêmes, elle nous désigne notre besoin du pardon de Dieu, elle nous ouvre à sa grâce. Un usage didactique : elle accompagne le croyant sur le chemin de la sanctification, elle nous est donnée pour que, libérés par le Christ, notre vie soit toujours guidée par l’amour de Dieu et l’amour du prochain. C’est pourquoi il importe de lire et vivre encore le Décalogue !

L’accomplissement de la loi par Jésus, c’est sa mise à sa juste place. Elle n’est pas chemin de salut. Elle est le moyen de le vivre sur cette terre.  Elle est un espace qui nous permet de vivre ensemble, un appel à l’engagement d’amour dans la suivance du Christ. Ainsi comprise, la loi de Dieu est fondamentale pour nous. La Parole de Dieu conduit nos consciences, et rien ne peut s’y opposer. La présence de Dieu est notre référence ultime.

C’est ce que vivent les premiers chrétiens, disciples de Jésus entraînés dans la foi en Christ ressuscité, partageant cette espérance, se heurtant à l’hostilité et à la persécution. A la question du lieu fondamental de leur obéissance, ils répondent sans hésiter : le Christ. Un exemple fort arrive dès le début de la première Eglise, quand Pierre et Jean annoncent l’Evangile alors que le tribunal le leur a interdit. Mis en prison pour avoir désobéi à la sentence, ils ont alors cette réplique célèbre : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes » (Ac 5, 29). La loi de Dieu, reçue en Christ dans nos vies, est supérieure à tout, car elle est le fondement de notre vie, de notre liberté, de notre engagement dans l’amour, espace pour le vivre ensemble. C’est pourquoi l’Ecriture, lue en Christ et méditée dans l’Esprit saint, est pour nous l’autorité suprême.

Alors, la loi de Dieu est-elle ainsi supérieure à la loi de la République ? Attention, ici s’ouvre un piège !  

 

3. Deux ordres distincts

Dans la Bible, la République n’existe pas. Au fil des pages et des siècles, nous y trouvons des régimes politiques différents, l’organisation tribale (les Patriarches), le chef charismatique (Moïse), les leaders provisoires quand le peuple s’organise en terre de Canaan (les Juges), les Rois… De manière générale, ces systèmes politiques ne connaissent pas la séparation entre le spirituel et le séculier. Ce sont plutôt des théocraties, des organisations où le pouvoir se tient de Dieu. Le sommet du système, c’est Dieu lui-même. Avec un danger énorme, c’est que l’homme qui est à la tête du système se prenne pour Dieu. Ce danger, le peuple hébreu le côtoie en permanence, oubliant la loi de Dieu pour devenir à soi-même sa propre loi et l’imposer aux autres. Il n’y a pas que dans la Bible que cela se passe comme ça, c’est universel au long de l’histoire ; quels que soient les cultures et les régimes, le pouvoir tend à s’absolutiser.

Avec Jésus, on vient de le dire, cela vole en éclat. Le pouvoir est démasqué, quand il condamne Dieu au nom de Dieu. On ne peut plus vivre en théocratie – même si deux mille ans d’histoire chrétienne nous montrent que la tentation est grande, pour le plus grand malheur des hommes et des femmes victimes des croisades, des guerres de religion, de la chasse aux hérétiques… Ici un deuxième risque surgit : celui du repli hors du monde, de la communauté qui se retire sur elle-même pour vivre dans la pureté, qui délaisse les autres, qui quitte toute responsabilité envers le reste de l’humanité. Cette tentation de la secte parcourt aussi deux mille ans de christianisme.

Entre ces deux tentations, entre la théocratie qui confond loi de Dieu et loi humaine et la secte qui dissocie totalement les deux, se tient la réalité. Nos existences complexes qui se frayent cahin-caha un chemin dans l’histoire. Notre responsabilité se déploie au sein de ce monde. Pour Paul Ricœur, la tension entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité, la première pouvant sombrer dans le fanatisme et la seconde dans le cynisme, s’articule dans une éthique de détresse, c’est-à dire fragile, provisoire, en situation, au pied de la croix, dans le pardon de Dieu. Une éthique à assumer telle quelle, sauf à se prendre pour Dieu, sauf à confondre nos idées et nos engagements avec ceux de Dieu.

Ici intervient notre conscience qui nous pousse à tel choix de vie, tel engagement. La conscience, dans la théologie réformée, ce n’est pas la subjectivité (je fais ce que je veux), mais le lieu où Dieu me parle, là où l’Esprit saint vient me dire la volonté de Dieu. Ce qui s’impose à moi, sans que je l’impose aux autres, et qui conduit ma vie.

Au cœur de ce monde et dans la complexité des situations, c’est dans cette dynamique de liberté et de responsabilité que notre discernement déploie nos engagements de citoyens chrétiens. Au pied de la croix, dans l’accomplissement de la loi d’amour, dans des engagements concrets au sein de ce monde, en prenant part aux responsabilités de construire ensemble, avec les autres citoyens aux convictions diverses un espace commun que nous souhaitons juste et fraternel, attentif aux plus fragiles. Ainsi notre histoire protestante en France est-elle faite d’engagements forts dans la construction de la République comme espace qui permet la liberté de conscience et la diversité des opinions, la discussion d’où surgit l’élaboration d’une loi commune. Elle est aussi faite, dans des moments exceptionnels, de résistance – voire de désobéissance – quand l’Etat émet des lois injustes, c’est-à-dire quand il quitte l’espace du bien commun et du soin du plus fragile.

La question de savoir laquelle, de la loi de Dieu et de la loi de la République,est plus grande que l'autre, et plus encore la réponse péremptoire à cette question, est un piège, car elle met les deux sur un même plan, comme si la République était concurrente de Dieu, comme si elle était un autre dieu, comme si la laïcité, d’espace neutre qui assure la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, devenait religion séculière combattant les autres religions, tentant de les renvoyer à la seule sphère privée pour s’approprier l’ensemble de la vie commune, entraînant une confusion malsaine entre neutralité et lutte contre les religions. Il y a là une confusion dramatique qui pousse à opposer foi et engagement citoyen, comme si l’une et l’autre étaient nécessairement en concurrence.

Il importe de distinguer les plans, ainsi que Montesquieu – référence pour toutes les démocraties et pour notre République en particulier – l'écrivait en 1748 : « On ne doit point statuer par les lois divines ce qui doit l’être par les lois humaines, ni régler par les lois humaines ce qui doit l’être par les lois divines. Ces deux sortes de lois différent par leur origine, par leur objet et par leur nature » (L’esprit des Lois, 29, 2). Loi de Dieu et loi de la République ne sont pas du même ordre. C’est ce que la Loi du 9 décembre 1905 a établi, en séparant les Eglises et l’Etat et établissant la neutralité de ce dernier pour que chacun puisse vivre la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Cela est mis à mal si on se met à confondre les niveaux.

C’est pourquoi, dans le tumulte émotionnel dans lequel nous sommes actuellement plongés autour du Projet de Loi confortant le respect de principes de la République, il nous faut, nous croyants, nous citoyens, lire et relire Montesquieu, Ricoeur… et surtout la Bible qui irrigue nos réflexions et nos engagements. Il nous faut continuer à discuter, à penser et agir, sereinement, avec confiance et détermination, dans ce monde qui a besoin de notre engagement. En distinguant bien les différents ordres de la réalité, il nous appartient de contribuer à la construction d’un espace sociétal neutre qui permet à chacun de vivre avec les autres et de penser selon sa conscience personnelle.

C’est ainsi que, citoyens français et chrétiens, nous participons à la vie collective, politique, associative, économique de notre pays, non pas en imposant nos points de vue comme un vulgaire groupe de pression, mais en étant mus par la loi de Dieu qui règne en nos cœurs, portés par la présence de Jésus-Christ, entraînés dans l’amour du prochain. Dans le cadre des lois de notre pays, nous sommes disciples du Christ, lui qui nous invite à vivre et partager l’Evangile avec tous, à construire une terre plus juste pour tous. Pour tous, dans la diversité de leurs appartenances. « Citoyens des cieux », comme dit Paul aux Philippiens (3, 20), nous sommes aussi citoyens de notre terre, et nous tâchons de vivre au mieux cette double citoyenneté dans ce pays qui est le nôtre en y étant, humblement mais fondamentalement, signes, instruments et avant-goût du Royaume de Dieu.

Que Dieu nous soit en aide.

Amen.