La femme au parfum — Église protestante unie de Pentemont-Luxembourg - Communion luthérienne et réformée

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La femme au parfum

Texte de la prédication du dimanche 20 juin 2021, par le pasteur Christian Baccuet.

Lecture : Marc 14, 1-11

 

Mes amis, comment sommes-nous devant Jésus ? Cette question est celle de toute une vie. Elle est celle, particulièrement, qui nous est posée en ce temps d’Assemblée générale de notre Eglise. Elle est celle qui jaillit du récit que nous venons d’entendre.

 

Imaginez l’ambiance à Jérusalem au premier siècle de notre ère… Dans deux jours, ce sera la fête de la Pâque, la grande fête du peuple juif. La ville est pleine de pèlerins, de voyageurs, de visiteurs de toutes sortes. On estime qu’il y avait environ 100 000 personnes qui venaient à Jérusalem pour la Pâque, envahissant cette ville qui comptait environ 30 000 habitants. La tension était souvent forte, il y avait des heurts, des revendications. Au temps de Jésus, le climat était particulièrement lourd, dans un pays occupé par les romains, avec des mouvements nationalistes juifs très militants. Il était fréquent que des révoltes se déclarent. Les autorités surveillaient avec beaucoup d’attention chaque période de Pâque. Vers l’an 30, les autorités sont particulièrement préoccupées par ce Jésus qui se présente comme le Messie, conteste les pouvoirs établis et draine une nombreuse foule autour de lui. Elles souhaitent l’arrêter, le faire taire, le supprimer, mais elles ont peur des réactions de la foule. Elles cherchent à le neutraliser en cachette pour éviter de susciter des troubles. C’est un climat de grande tension et de mort qui règne sur Jérusalem.

Au même moment, à 3 kilomètres de là, à l’est de la ville, dans un tranquille petit village nommé Béthanie, l’ambiance est tout autre. Dans la maison de Simon le lépreux – un homme dont on ne sait rien – sont rassemblées quelques personnes pour un repas autour de Jésus. On est loin de l’ébullition qui agite Jérusalem. C’est un temps de repos et de rencontres pour Jésus. Un temps fragile puisque viendra bientôt la grande épreuve. Soudain, en plein repas, une femme surgit. On ne sait rien d’elle, même pas son nom. Elle porte à la main un vase de parfum de grand prix. De très grand prix, puisqu’il coûte plus de 300 pièces d’argent, c’est-à-dire le salaire d’une année de travail d’un ouvrier. Imaginez un flacon de parfum qui vaudrait près de 15 000 €[1] ! La femme s’approche de Jésus, brise le vase et verse le parfum sur la tête de Jésus. Sans un mot. Aussitôt, autour de la table, l’assistance se met à jaser. Les convives sont choqués par un tel gaspillage. Qui ne le serait pas ?

 

1. Trois attitudes

Ce récit se situe dans l’Evangile de Marc en ouverture du récit de la Passion. Il nous montre trois attitudes possibles devant Jésus. Celle des autorités, celle des convives et celle de la femme au parfum.

 

a. Les autorités

Les autorités cherchent un moyen pour éliminer Jésus. Leur but, c’est de se débarrasser de lui. Qu’importe le moyen, pourvu qu’il soit efficace et qu’il n’entraîne pas un soulèvement de la foule. Alors on cherche des complicités, et c’est celle de Judas qui s’offre, pour un peu d’argent, 30 pièces d’argent selon l’Evangile de Matthieu, 10 fois moins que le prix du parfum... Quelle dérision que cette somme en regard du geste de la femme !

Les autorités complotent en secret, mais au même moment Jésus parle ouvertement de sa mort. Les autorités croient pouvoir le faire taire, mais au même moment Jésus déclare que la bonne nouvelle sera proclamée dans le monde entier et que l’on gardera mémoire du geste de la femme. On sent déjà que ceux qui complotent contre Jésus sont mal partis... Ils veulent éliminer Jésus, mais à leur insu ils vont contribuer à sa révélation ! Ils se trompent de chemin.

 

b. Les convives

Autour de Jésus, il y a les convives du festin. Des amis, sans doute les disciples. Des gens qui le connaissent, le suivent, croient en lui... Mais comme souvent dans l’Evangile, ils ne comprennent pas. Quand la femme verse le parfum de grand prix sur la tête de Jésus, ils sont scandalisés. Quel gaspillage, alors qu’il y a dans ce monde tant de personnes qui n’ont rien à manger. Combien de personnes aurait-on pu aider avec une telle somme ! Leur réaction est compréhensible. Nous aurions la même si nous étions témoins de ce même geste. Leur réaction traduit leur souci des autres, leur piété aussi puisque l’Ecriture appelle clairement à aider les pauvres et que Jésus s’est toujours montré proche de ceux qui manquaient, qui étaient exclus ou méprisés.

Mais Jésus va interpeler les convives. Avec ces mots qu’aujourd’hui encore nous trouvons difficile à recevoir : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous ». Est-il soudain devenu fataliste ? Ou bien exprime-t-il son indifférence devant la misère ? On sait pourtant par ses paroles et ses gestes, par le témoignage de toute sa vie, qu’il est venu dans notre monde parmi les pauvres, né dans une étable, bientôt cloué sur une croix, et entre les deux proche des exclus : les lépreux, les rejetés, les malheureux, les pauvres… Que veut leur dire Jésus ?

Il poursuit : quand vous le voulez, vous pouvez leur donner, leur faire du bien. Mais en ce moment se joue quelque chose d’essentiel. En ce moment je suis avec vous, dans quelques heures je serai mort, c’est le temps pour se situer par rapport à moi. Ce temps est celui de la confession de foi, comme le fait cette femme.

 

c. La femme

Le geste de cette femme est chargé de sens. C’est un geste d’hommage et d’accueil. Dans le monde biblique, verser du parfum était une manière d’honorer quelqu’un.

Dans ce cas c’est aussi un geste d’onction. Dans l’ancien testament, on versait du parfum sur la tête du roi, pour le reconnaître dans sa dignité royale : c’est ce qu’on appelle l’onction. Par ce geste, la femme reconnaît en Jésus le roi, le messie. Le « messie », c’est-à-dire « celui qui est oint ». Le messie, « Messiah » en hébreu, traduit par « Christos » en grec. Le Christ. C’est une confession de foi.

Et ce geste, c’est aussi celui de l’embaumement, celui par lequel on honore le corps d’un proche décédé. Le geste que les femmes voudront accomplir au matin de Pâques quand elles se rendront au tombeau. C’est un geste prophétique, qui annonce que la royauté de Jésus va passer par la mort, va se révéler sur la croix.

C’est enfin un geste d’Evangile, de bonne nouvelle. Le vase brisé, le parfum qui s’en échappe, c’est comme l’évocation, déjà, de la résurrection, du tombeau ouvert et de la vie qui se répand.

C’est un geste fou que celui de la femme. Mais à travers cette folie, s’exprime sa confession de foi en Jésus le roi messie, le crucifié ressuscité...

 
2. Notre attitude devant le Christ

Ce geste prend un relief particulier dans le contexte de mort et d’incompréhension qui entoure le récit. Pendant que la femme confesse sa foi, les autorités préparent le drame. Alors qu’elle se donne entièrement à son offrande, les amis de Jésus mégotent et critiquent. Quel contraste entre cette femme anonyme et ces hommes qui complotent ou se préparent à l’abandon ! Et quelle question pour nous !  Comment sommes-nous devant Jésus ?

Sommes-nous en position de complot comme ces hommes qui cherchent à faire taire Jésus et s’en débarrasser ? Nous sommes si souvent complices de ceux qui veulent étouffer la liberté, qui complotent contre l’amour, qui cherchent le moment favorable pour faire triompher l’injustice, qui mettent Christ à l’écart...

Sommes-nous en réserve critique et hésitante comme ces amis de Jésus, ses disciples, ses proches, ceux qui parlent et mangent avec lui, et qui montrent ici le peu de foi qu’ils ont, la difficulté à comprendre que Jésus va mourir, et surtout l’enfermement dans une logique rationnelle qui leur voile les yeux sur la valeur de leur maître et les rend prompts à faire la morale aux autres ? Nos vies de chrétiens sont si souvent calmes et plates, raisonnables, prêtes à quelques dons charitables et tranquilles qui ne bouleversent rien, méfiantes devant tout ce qui bouge…

Ou sommes-nous en état d’adoration comme cette femme qui donne sans compter ce qu’elle a de précieux pour dire sa foi ?

En pensant au geste de la femme au parfum, je pense au culte, à la prière, à la lecture de la Bible. La Parole de Dieu n’est-elle pas l’irruption de la grâce et de la fête dans notre quotidien, dans notre monde où se trament tant de drames et où se replient tant de gens ? Le culte n’est-il pas ce moment de face à face avec le Christ, dans lequel on reconnaît en lui le Seigneur de nos vies, le crucifié, le ressuscité, celui qui donne saveur à nos jours ? Ce moment où nous donnons ce que nous avons de plus précieux : notre confiance... Pourtant, face à la raison, quel gaspillage de venir au culte ! Quelle perte de temps. On pourrait faire tant de choses pendant ce temps, on pourrait travailler, construire, partager, aider, donner aux pauvres. Quel luxe choquant que de s’arrêter pour prier alors que tant de misères gangrènent notre monde. N’y a-t-il pas des gestes plus utiles, plus efficaces que de lire la Bible ? La raison oppose la prière et l’action, le culte et le service, la confession de foi et l’engagement. Mais le cœur les unit.

 

3. L’élan de la foi

Derrière les mots de Jésus, « Des pauvres, vous en avez toujours avec vous, vous pouvez leur faire du bien chaque fois que vous le voulez », vous entendez comme moi l’interpellation implicite : c’est ce que vous faites habituellement, n’est-ce pas ? Vous êtes engagés dans la lutte contre l’injustice, pour la paix et le partage, bien sûr ? C’est bien, vous avez compris que la dynamique de l’Evangile vous tourne vers les autres... Mais regardez le geste de cette femme, le don de sa foi. Sachez qu’il y a un fondement essentiel à vos engagements. C’est le lien à Jésus-Christ. Ce n’est pas du superflu, du temps perdu. Au contraire, c’est la base. Nous avons tout le temps qu’il faut pour accomplir des œuvres bonnes, pour faire notre devoir, pour exercer une bonne morale de partage. Mais sans l’élan de notre foi, cela est creux. Comme la foi sans le souci des pauvres est vide. Le temps pour l’adoration, pour la confession de foi, pour la prière, pour la rencontre gratuite, c’est ce qui donne sens à nos œuvres. Sans l’enracinement en Christ, elles risquent de devenir régulières, automatiques, sans saveur, utilitaire, expression de devoir, légalisme étouffant. En Christ, elles deviennent rencontre vivante, partage de l’Evangile, parfum de vie.

Cette femme qui verse du parfum, ne brisez pas son élan avec vos critiques, votre raison, votre souci de rentabilité. Ne passez pas à côté de Jésus-Christ. Comme elle, reconnaissez en lui le roi, le messie, le crucifié, le ressuscité. Suivez-la dans l’expression libre et entière de votre foi. À votre manière, avec vos mots, vos gestes. Mais avec la même liberté. De manière aussi entière. Confesser sa foi vivante, prendre du temps pour la rencontre communautaire avec le Seigneur, c’est faire un pied de nez à tous ceux qui complotent dans le silence pour détruire ce monde, et c’est secouer la torpeur de notre bonne conscience pour trouver la vie. Se rassembler pour le culte, prier, lire la Bible, c’est un moment gratuit au cœur de notre existence qui ne croit qu’en la rentabilité et l’efficacité. Un moment qui peut coûter. Un moment déraisonnable. Un moment de gaspillage. Mais un moment unique et essentiel, car il est la rencontre avec celui qui donne saveur à nos jours. Une rencontre qui irrigue chacun de nos jours et se déploie dans nos engagements, nos solidarités, nos gestes de partage, notre entraide.

Rencontrer Jésus avec son cœur, c’est pouvoir ensuite rencontrer les autres en partageant un peu du parfum de l’Evangile. Voilà pourquoi on racontera encore longtemps le geste de cette femme qui nous invite, à notre tour, à confesser le Christ, à faire sentir l’Evangile au monde ! On parle encore d'elle deux mille ans après... ce serait bien qu'on parle encore de nous dans deux mille ans !

Amen.

 

[1] Le montant du Smic est actuellement de 1.231 € net par mois.

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